Punisher: Man Of Stone par Garth Ennis et Leandro Fernandez
Un article de : JP NGUYEN
1ère publication le 5/11/14- MAJ le 17/08/21
Cet article porte sur les épisodes 37 à 42 de la série Punisher MAX, formant l’arc intitulé « Man Of Stone », écrit par Garth Ennis, avec Leandro Fernandez au dessin et à l’encrage et des couleurs de Dan Brown (avec Giulia Brusco sur le numéro 41), parus entre 2006 et 2007.
Comme tous les Punisher MAX, ces histoires ont été publiées en français par Panini.
Dans cet arc, Garth Ennis ressort plusieurs personnages apparus précédemment : Kathryn O’Brien, l’ex-agente du FBI qui s’était amourachée du Punisher dans In The Beginning , Rawlins, son ex-mari, vu pour la dernière fois dans Up is down and black is white , Yorkie Mitchell, des SAS, croisé dans Kitchen Irish et enfin le général Zakharov, introduit dans Mother Russia .
C’est ce dernier qui prête son surnom de « Man Of Stone » à l’arc, qui donnera l’occasion de savoir comment il a acquis sa terrible réputation.
S’agissant du Punisher MAX, une grande partie de ce casting fera ici sa dernière apparition. Du fait du grand nombre de personnages déjà rencontrés dans les autres arcs et qui font que Man Of Stone n’est pas un récit auto-contenu (et ce bien qu’Ennis place ça et là toutes les explications nécessaires à la compréhension générale du récit), j’enlève une demi-étoile.
Mis à part cela, c’est une excellente histoire du Punisher, où Garth Ennis s’en donne à cœur joie car, en transplantant l’intrigue en Afghanistan, il s’offre l’occasion de conter un récit de guerre, qui est sans doute son genre favori.
Ennis prend quand même bien le temps d’installer son récit et d’expliquer comment Frank Castle se retrouve en Afghanistan à affronter un général russe. L’intrigue est très bien construite même si certaines coïncidences sont improbables.
Tout part de Rawlins, qui dénonce Frank comme la personne capable de prouver que l’incident de Suhdek résultait d’une opération militaire clandestine ordonnée par les Etats-Unis sur le sol russe. Le général Zakharov, vestige de l’URSS et soucieux du respect de la Mère Patrie Russe, ne peut tolérer ce camouflet et veut capturer Castle vivant pour le faire témoigner à la face du monde entier. Rawlins suggère alors de l’attirer en s’en prenant à O’Brien, présente en Afghanistan pour exécuter les six ex-talibans l’ayant violée dans les geôles de Kaboul. Mais Yorkie Mitchell est en mission pour protéger l’un de ces anciens talibans et c’est ainsi que tout ce beau monde se retrouve.
Le dernier à rejoindre la fête est Frank Castle lui-même, occupé au début du récit à dessouder un gros dealer de crack, dans une scène assez humoristique, surtout grâce à la stupidité dont fait preuve l’un des malfrats que Frank a convaincu de collaborer… Incidemment, Castle apprend qu’un contrat a été placé sur sa tête par Alex Rastovitch (Frank a tué son cousin Leon dans « Mother Russia ») et il part calmer les ardeurs de ce nouveau parrain de la Mafia russe. Rastovitch lui apprend que le contrat a été annulé mais qu’un autre a été ouvert pour capturer O’Brien. Et c’est l’arrivée médiatique du général Zakharov à Kaboul et une déclaration de ce dernier sur l’incident de Sudhek qui finit de décider Frank à partir en excursion dans les vertes contrées d’Afghanistan.
A partir de là, les évènements s’enchaînent : Yorkie capture O’Brien puis la libère, Castle et O’Brien unissent leur forces contre Rawlins et Zakharov, ce dernier réplique avec une tactique éprouvée et Frank doit jouer sa chance sur le fil du rasoir.
En chemin, Ennis se fait plaisir en mettant en scène une bataille rangée entre SAS et militaires russes dans les rues de Kaboul ou encore une embuscade dans les montagnes mitonnée par O’Brien et Castle. Il dévoile aussi les raisons de la rancune entre O’Brien et Rawlins. Mais surtout, il distille tout au long du récit des réflexions sur la guerre ou plutôt les guerres, et leur absurdité. Des conflits orchestrés dans les hautes sphères et dont les soldats ne sont que des pions et qui pourtant donnent à certains l’occasion unique d’assouvir leur soif de frisson, de violence et de mort.
Et puis, même s’il s’en défend, au fil des pages, le Punisher tombe amoureux, du moins Ennis entretient un doute raisonnable. Mais on n’imagine guère Castle et O’Brien convoler en justes noces et avoir beaucoup d’enfants. L’ironie voudra d’ailleurs que Frank réaffirme à O’Brien qu’ils n’ont aucun avenir commun juste avant qu’elle saute sur une mine. Il lui tiendra la main jusqu’à son dernier souffle avant d’aller régler son compte à Rawlins.
Pour rejoindre Kaboul, Frank se fait capturer par les SAS et peut une nouvelle fois remercier Yorkie, qui le tire d’affaire et lui donne les informations pour rayer les deux derniers noms de la liste de talibans d’O’Brien. Et c’est dans les toilettes de l’aéroport que le Punisher rattrape Rawlins, pour une exécution sanglante à la machette.
Même si, dans ses grandes lignes, l’histoire était prévisible, Ennis fait des choix élevant Man Of Stone au-delà du simple récit d’action. Les personnages sont bien campés et leurs interactions sont savoureuses. Les échanges entre Castle et O’Brien sont bien mis en scène (Frank ne devient pas subitement une midinette mais on sent que son armure se fendille doucement).
Le fait qu’O’Brien meure par la faute d’une mine et non de par la main de Zakharov ou Rawlins est aussi assez notable. Frank Castle est marié avec la guerre, et si quelqu’un d’autre le convoite, la guerre se rappelle à son souvenir. C’est une idée présente dès la première mini-série MAX « Born » écrite par Garth Ennis, ici reprise de façon plus subtile mais avec un impact certain lorsque Frank et Kathryn doivent se dire adieu.
Une autre relation (moins affectueuse celle-là) développée au fil de l’arc est celle entre Rawlins et Dolnovich, le bras droit de Zakharov. « Dolly » (ainsi que le surnomme Rawlins) veut dès le départ éliminer l’ex-agent de la CIA, qui n’est qu’un parasite et un traître en puissance. Mais Rawlins arrive toujours à sauver sa peau en suggérant un plan à Zakharov pour coincer le Punisher. Cela vire presque au running gag et permet d’alléger la tension du récit. Cependant, lors d’un duel final entre Dolnovitch et Rawlins, Ennis nous rappelle que ce dernier est un adversaire redoutable, doublé d’un affreux salaud. Ses derniers mots à « Dolly » agonisant sont glaçants d’horreur.
Pour la dernière fois, la mise en image du récit est assurée par Leandro Fernandez, au dessin mais aussi à l’encrage sur cet arc. La différence de finition peut se percevoir avec un trait plus souple, plus « vivant » dû à un encrage au pinceau là où le trait était plus fin et « mécanique » sur les précédents arcs. Cette plus grande souplesse et vivacité du trait n’est pas au détriment des détails, les armes et les véhicules sont toujours dessinés avec précision, laissant entrevoir une très bonne documentation de l’artiste.
Les expressions faciales sont aussi bien rendues, que ce soit les émotions subtiles, les délires plus expressifs ou la côté chafouin de Rawlins. Les personnages les moins démonstratifs restent Zakharov et le Punisher, plus monolithiques. Du reste, à la fin de l’arc, on peut se demander qui est le véritable « Homme de pierre » évoqué dans le titre.
Zakharov a été dépeint comme un individu capable d’exécuter femmes et enfants pour gagner une guerre et obtenir la Paix. Frank Castle a perdu femme et enfants et mène une guerre sans fin. Mais s’il pouvait retrouver sa famille, il n’est pas dit qu’il le voudrait vraiment. Cet aspect monstrueux et hors norme du Punisher transparaît dans une scène où lui et Yorkie partagent un verre (une des rares fois où le Punisher s’autorise de l’alcool dans le run d’Ennis).
Mais plus que les hommes assoiffés de sang, ce sont ceux qui tirent les ficelles et sèment les graines de la destruction que Garth Ennis condamne le plus. Il était donc logique que la CIA, personnifiée par Rawlins, soit victime de la dernière punition administrée par le Punisher dans cet arc.
Comme tous les récits du Punisher MAX par Ennis, l’issue de « Man Of Stone » est dès le départ claire comme de l’eau de roche. Mais Garth sème ses petits cailloux et on se plait à le suivre avec Leandro et Dan qui apportent leur pierre à l’édifice, on regarde la mosaïque s’assembler et l’histoire se conclut sans que nous ayons pu rester de marbre.
Les titres auxquels vous avez échappé :
« Frankie retrouve sa Chardène »
« Just like a Rawlins-Stone »
J’ai bien aimé ton analyse de Zakharov, patriote convaincu. D’histoire en histoire, Ennis arrive à renouveler les motivations des adversaires du Punisher.
J’ai beaucoup aimé l’image avec la légende « Des engins de guerre dessinés avec réalisme facilitant l’immersion dans le récit » qui prouve l’apport déterminant du Leandro Fernandez.
Lorsque Castle indique à O’Brien qu’ils ne peuvent rester ensemble, Ennis met à jour l’un des mécanismes psychologiques par lesquels il se protège de ses propres sentiments, de son côté humain. Il tient tout le monde à distance pour se consacrer pleinement à sa vocation : la guerre contre le crime (avec l’ambigüité que tu mets en évidence : pas sûr que Castle souhaiterait une autre vie).
Je n’ai pas bien compris en quoi le fait que le récit ne soit pas auto-contenu constitue un défaut. Pour moi, « Punisher MAX » se lit comme « Preacher », c’est-à-dire comme une série continue, avec une progression narrative de tome en tome. En particulier, le fait de retrouver de précédents personnages et d’évoquer « Mother Russia » développe le thème du cercle infernal de la violence. Il survit toujours un individu ou un groupe qui a de bonnes raisons de vouloir se venger, de perpétuer le cercle de la violence.
En fait, je considère qu’on ne peut pleinement apprécier cet arc que si on a lu les précédents. Contrairement à The Slavers ou Barracuda par exemple. Si on les rencontre pour la première fois dans Man of Stone, on aura pas la même sympathie pour O’Brien ou Yorkie et on ne verra pas non plus Rawlins du même oeil (sic). Dans son ensemble, le run d’Ennis est 5 étoiles mais je considère que le tout est supérieur à la somme des parties.
Pour une fois, JP je ne suis pas sûr d’être d’accord avec toi. Oui Frank vit pour sa guerre, oui il y a perdu toute humanité et oui il tente de ne jamais la retrouver. Nous ne sommes pas encore dans le Punisher de Jason Aaron avec un Frank Castle détruit et usé.
Mais tu avais toi-même mentionné la fatigue du personnage pour l’article de Scarce sachant qu’il menait une guerre sans fin. Ennis ( moins qu’Aaron certes) montre à plusieurs reprises les remords de Castle concernant sa famille.
Le fameux cauchemar de Black is White mais aussi ( je ne me souviens plus de l’arc) la séquence où Frank se voit vieux et gros avec sa famille et ses enfants. Il dit clairement qu’il ne voudrait que rien ne change et qu’il ne voudrait pas se réveiller, ce qui invaliderait ce que tu décris.
Sinon, oui ton article est excellent et je suis quasiment d’accord pour le reste. On ne peut pas « apprécier » la mort d’Obrien sans avoir lu les épisodes précédents.
Je pense qu Ennis reste volontairement ambigu. Il y a le cauchemar où Frank retourne son arme vers la foule et aussi sa décision à la fin de Long Cold Dark… Et même dès le départ dans Born. La perte d’humanité résultant des actes horribles commis par Frank sera d’ailleurs abordée dans Widowmaker (arc ambitieux mais un peu raté).
Oui Widowmaker n’est pas terrible. Mais je continue de penser, comme le montre très bien Aaron , que le Punisher se punit lui-même du fait d’avoir laissé ses enfants mourir. Le rituel de leur tombe, la folie froide qui l’étreint dans Black is White, sa dernière pensée pour eux dans The End.
Et le fait de renoncer à sa fille dans Long Cold Dark est un acte d’amour et de peur de sa part de mettre la vie de cet enfant en danger.
Purée ! Vous rendez-vous compte que ces histoires trônent sur mes étagères depuis des années et que je ne les ai pas encore lues !!! Je me suis arrêté au tome 6 (le Tigre) dans la collection 100% MAX de Paninouille…
J’ai EVIDEMMENT ces 12 tomes, que je remplace néanmoins au fur et à mesure que paraissent les tomes de la collection deluxe (ce qui est très rare chez moi, je veux dire que c’est très rare que je rachète dans un autre format ce que j’ai déjà. Néanmoins les tomes 100% MAX se vendent comme des petits pains et me permettent de racheter les deluxes avec des bénéfices !).
J’ai également les 5 tomes écrits par Jason Aaron (que j’ai moyennement aimés), que j’ai lus et chroniqués sur Amazon…
Par contre, je n’ai pas investi dans les autres tomes écrits par d’autres scénaristes.
Les débuts du blog, les premières thématiques.
Toujours pas lu Tornado ?
Non. Je me suis arrêté à BARRACUDA. Mais évidemment toute la suite m’attend dans ma bibliothèque…
Je lis toujours aussi lentement. Mais je continue de découvrir les classiques (en ce moment je lis le SUPREME d’Alan Moore). Après quelques années où j’ai testé un peu tout et n’importe quoi, je sais aujourd’hui ce que j’ai envie de lire. Et j’expurge ma bibliothèque de tout le reste (le run d’Aaron sur le Punisher est revendu depuis longtemps, mais je refourgue également des choses que je n’ai pas lues mais que je sais désormais que je n’en aurais pas envie). Et même en faisant ça, j’ai encore à lire pour des années et des années !
complété récemment les Punisher Max qui me manquaient, et cette histoire est dedans. une très prochaine lecture.