Punisher : The Slavers par Garth Ennis et Leandro Fernandez
1ère publication le 04/11/14- Mise à jour le 23/11/17
AUTEUR : JP NGUYEN
VO : Marvel
VF : Panini
Cet article porte sur les épisodes 25 à 30 de la série Punisher MAX, formant l’arc intitulé « The Slavers », par Garth Ennis, Leandro Fernandez, Scott Koblish et Dan Brown parus entre 2005 et 2006.
Tout commence sous une pluie battante, une nuit à Brooklyn. Le Punisher est posté sur un toit pour exécuter Antony Pavla, un dealer de la Mafia de l’Est, lorsqu’une jeune fille, Viorica, tente maladroitement de lui couper l’herbe sous le pied.
Elle se retrouve rapidement désarmée et confrontée aux hommes de main de Pavla. Le Punisher vient la secourir et doit aussi neutraliser deux officiers de police, Russ Parker et Marcie Miller, venus sur les lieux de la fusillade.
Alors qu’il allait repartir, Viorica interpelle Frank et le supplie de l’aider à venger son bébé, exécuté par la Mafia. Une fois ramenée dans une des planques du Punisher, la jeune moldave raconte son enlèvement à 15 ans, la prostitution forcée et le trafic d’être humains dont elle a été victime.
Suite à son récit glaçant, Frank va tout faire pour exterminer les bourreaux de Viorica : Cristu Bulat, le chef du réseau, Tiberiu son paternel totalement allumé et Vera, en charge de la façade légale des affaires. En parallèle des investigations du Punisher pour démanteler le réseau, le NYPD lance une nouvelle campagne anti-Punisher à l’instigation de Stu Westin, flic véreux à la solde de Cristu Bulat. Il instrumentalise Parker et Miller comme policiers victimes de la violence aveugle du Punisher en exagérant leurs blessures subies lors du face-à-face avec Frank.
The Slavers occupe une place à part dans le run de Garth Ennis. Situé juste après Up is down and black is white , dont les événements sont évoqués à plusieurs reprises, il n’introduit ni ne reprend aucun personnage important du run MAX de Garth Ennis (pas de Yorkie, O’Brien, Rawlins ou Barracuda). Tout au plus Ennis recase-t-il Jen Cooke, une assistante sociale croisée dans les épisodes 24 à 26 de la série Marvel Knights (c’est un des éléments indiquant que la série Punisher MAX n’est pas un relaunch de sa devancière mais un prolongement, marquée par un ton plus noir et moins tournée vers la parodie).
Comme de coutume dans le Punisher de Garth Ennis, l’issue ne fait pas de doute dès le départ. On sait que Cristu et compagnie vont dérouiller, et, étant donné leurs activités criminelles, on se dit que ce ne sera pas volé. Ces criminels figurent sans doute parmi les pires adversaires ayant croisé la route de Frank Castle, non sur le plan physique (même si Tiberiu est décrit comme un vieux soldat psychopathe effroyable) mais surtout sur le plan moral.
Le trafic d’êtres humains et la prostitution forcée sont évoqués dans toute leur horreur : enlèvements, meurtres d’enfants, viols collectifs, cadences infernales au seul nom du profit et avec la complicité passive des clients. Ce dernier sujet est abordé mais assez vite évacué, c’est le seul « reproche » que je pourrais faire au traitement choisi par Garth Ennis.
En revanche, il ne cède pas du tout à la facilité quand à la manière de raconter son histoire : pas de plans racoleurs, pas de voyeurisme. Pas question que le lecteur se rince l’œil avec une scène explicite, l’objectif est plutôt de communiquer le dégoût et la révolte du scénariste par rapport à ces crimes hélas bien réels.
Les quelques bouffées d’air frais viennent des scènes avec Parker et Miller, duo de flics plutôt bien trouvé, avec un noir Gay et une blanche plutôt corpulente. Leur sens de la répartie permet à Ennis de distiller quelques touches d’humour bienvenues dans un récit à l’ambiance quand même très pesante.
Le dessin de Leandro Fernandez est dans la lignée de sa prestation pour « Up is down… ». Même si un Scott (Koblish) en remplace un autre (Hanna), le niveau de détails reste élevé et l’immersion dans le récit est assurée. Aux couleurs, Dan Brown reste fidèle au poste, avec un usage important des effets de lumière et de texture mais restant raisonnable et venant en complément du dessin sans en atténuer la force.
Fernandez dessine tout avec précision mais sans enjoliver. Les prostituées sont bien montrées comme des jeunes filles victimes d’un trafic et non comme des objets de désir. Dans une interview, il glissera que l’image du bébé mort a été pour lui une des plus difficiles à dessiner de tout le run Punisher MAX. « Le Punisher contre des proxénètes de l’Est », j’avais résumé cet arc par cette périphrase pour un site de ventes en ligne, et en substance, c’est bien ce que cette histoire raconte.
Alors pourquoi cinq étoiles ? Et bien parce qu’après plusieurs lectures, on ne peut qu’admirer la maîtrise dont Garth Ennis fait preuve pour arriver un traiter d’un tel sujet dans une série malgré tout mainstream, label MAX ou pas. Un traitement sans aucun glamour, comme évoqué précédemment, pour une mission d’un Punisher résolu, en colère mais sans aucune illusion. Les trafiquants seront remplacés par d’autre, l’horreur continuera. Les victimes resteront marquées à vie. Pas de Happy End possible. Seulement la survie pour les plus résilientes. Certains dialogues appuient ce côté fataliste et désespéré de l’histoire.
Mais le fait que Frank Castle soit profondément touché par les épreuves traversées par Viorica révèle la part d’humanité qu’il porte encore en lui. Et il faut se rappeler les horreurs vécues par la jeune moldave pour pouvoir cautionner les actes de Frank : il éviscère et torture Cristu, balance Vera contre une vitre blindée jusqu’à la défenestrer et filme Tiberiu en train de brûler vivant pour adresser un message à ses associés européens.
Malgré sa « victoire », Castle n’est pas montré comme invincible ou infaillible. Il a besoin des infos de Jen Cooke pour coincer les trafiquants, il commet une faute d’impatience lors d’une première attaque contre Tiberiu. Opposer le Punisher à des vétérans des balkans est d’ailleurs l’occasion pour Ennis d’appuyer la différence entre ces soldats aguerris et les simples truands de la Mafia. Ce sont des hommes entraînés, habitués à risquer leur vie et à tuer. Ils ne se dégonflent pas au premier coup de feu.
Et si le Punisher finit par prendre le dessus, c’est grâce à sa préparation et, dans une moindre mesure, son astuce (lors de sa confrontation finale avec Tiberiu, Frank utilise le pouvoir des mots… mais pas que…). Une victoire célébrée sans tambour ni trompette, Ennis lui donnant plutôt un côté dérisoire et anecdotique.
On ne ressort pas indemne de cette lecture, conscient que les horreurs qui y sont relatées ont des fondements très plausibles dans notre réalité, où la force vengeresse d’un Frank Castle est (hélas ?) absente. Mais Garth Ennis ne fait pas l’apologie de la justice expéditive du Punisher. Au contraire, il la remet en question aux travers des doutes de Jen Cooke et des deux policiers et encore plus au travers des monologues intérieurs de Frank, même si le Punisher doute davantage de l’efficacité de ses méthodes que de leur bienfondé.
Ce récit relativement indépendant des autres arcs du run de Garth Ennis et abordant un sujet grave, traité avec respect et maîtrise constitue pour moi une perle noire, luisante de sombres reflets avec malgré tout une fluette lueur d’espoir.
Un sujet dur traité avec une assez belle ambition. Le punisher en sort grandi. Respect.
Rien à rajouter, un article très complet, et aussi viscéral et désabusé que le récit d’Ennis. J’aime bien en particulier la manière dont fait ressortir le caractère faillible et désabusé de Frank Castle. Il peut se tromper et il sait que ses actions n’auront qu’un effet très temporaire, jusqu’à ce que les prochains proxénètes viennent combler le vide laissé par le nettoyage du Punisher.
Ton article met également bien en évidence à quel point Garth Ennis a pris grand soin de refuser de montrer à quelque moment que ce soit, les prostituées comme des objets du désir pour le lecteur.
Probablement mon histoire préférée du Punisher avec Long Cold Dark. Le fait qu’Ennis fasse du social avec une collègue à moi n’y est sûrement pas étranger. J’avais été stupéfait de la justesse de la vison d’Ennis de CETTE prostitution, celle du non-choix et de l’exploitation de l’être humain.
Comme le mentionne Matt, malgré tout le sang qu’il a sur les mains, la figure de Frank Castle semble immense. Cette vignette où il tient silencieusement la main de Viorica me boulerse à chaque fois que je la voie.
C’est pour genre d’histoire que j’ai toujours trouvé qu’Ennis s’en sortait mieux que Millar et les autres. Quand je relis le post que j’en avais fait pour Amazon, je ne peux que sourire de mon inexpérience de l’époque en matière d’écriture :
« Le punisher restera sans doute l’eternel outsider de l’univers Marvel : pas de supers pouvoirs , toujours un flingue à la main , des films ratés , l’image d’un bourrin un peu limité .
L’arrivée de Garth Ennis ( Preacher) a fait de ce personnage ce que Frank Miller a fait pour Daredevil : probablement la meilleure série noire jamais adapté en BD.
Depuis le début de la collection Max , Garth Ennis a totalement délaissé l’univers des super héros. Comme Daredevil ( le seul héros que le Punisher respecte ) , Frank Castle est le « héros » des petites gens , d’un quartier , de la classe moyenne.
La magie de l’écriture d’Ennis est de nous faire comprendre à quel point l’âme du Punisher est damnée et que son motif de vengeance est épuisée depuis longtemps. Comme dans la série Dexter , notre héros met sa violence au service d’un code moral rigoureux qui le rend finalement insuportablement attachant.
Le parallèle avec le Saint des Tueurs ( toujours Preacher) est interessant: le Punisher n’est pas un homme qui a pété un cable après la mort de sa famille massacrée par la mafia , c’est un monstre qui a cru connaitre momentanément la redemption avec l’amour d’une femme et ses enfants !
Dès lors l’interêt de la BD , c’est de savoir que cette machine à tuer ne changera jamais , mais qu’il sera confronté tout au long de ses histoires à des personnages qui vont essayer de provoque ce changement impossible : la mafia qui essaiera de le faire craquer , le Shield qui l’envoie en mission suicide , L’Etat Américain qui souhaite en faire un mercenaire , les femmes qui essayent de réveiller son humanité décomposée et dans ce volume une assistante sociale ( !) qui va devoir renoncer à ses ideaux.
Ennis a toujours été un scénariste féministe qui sait quitter le domaine du grotesque et de l’horreur pour dénoncer les violences faites envers « le sexe faible » .
Ici , notre héros s’attaque à un réseau de prostitution qui exploite les filles de l’est. La lecture de ce volume est à reserver à un lectorat averti qui en apprendra plus sur les formes de violences faites aux femmes que n’importe quel numéro d’envoyé spécial!
Le final hallucinant de beauté macabre et de maîtrise scénaristique fera verser une larme à tout amateur de Bd intelligente. Bravo !!!!! »
Voilà pourquoi j’ai eu raison de te demander d’écrire à ma place JP. Merci !
Pour écrire l’article, j’ai relu cet arc. J’avais peur d’être déçu mais il n’en a rien été. Ennis a vraiment écrit là un de ces meilleurs récits du Punisher sans céder à la tentation du grand guignol ou du putassier (et oui, je pense qu’un Millar serait tombé droit dedans).
Bonjour,
Je viens de lire cet arc et il est vraiment très bon, surement un des meilleurs que j’ai pu lire jusqu’ici sur le Punisher.
La colorisation de Dan Brown qui était déjà bonne dans l’arc précédent s’est même améliorée.
Le duo de flic est très bon et l’assistante sociale résume à elle seule l’impuissance de notre société face à cette horreur.
Les prostituées sont les vraies victimes de cette histoire et lorsque Castle va trop loin avec leurs proxénètes tortionnaires (Il torture tout de même explicitement un des personnages en défenestre un autre, et se filme en train d’en bruler un troisième), j’ai l’impression qu’il n’en fait pas assez.
Merci pour l’article qui résume très bien cet arc.
Bonne journée.
Merci pour le retour ! The Slavers est sans doute le meilleur arc « en stand-alone » du run d’Ennis. La plupart des autres s’apprécient davantage dans la globalité du run.