Coq de Combat par Izo Hashimoto et Akio Tanaka
Première publication le 3 octobre 2014- Mise à jour le 15 août 2015
AUTEUR : JP NGUYEN
VO : Evening
VF Delcourt
Ce commentaire portera sur le manga Shamo, créé en 1998 par Izo Hashimoto et Akio Tanaka et terminé en 2015, après 34 tomes. En France, il est paru sous le titre « Coq de Combat » depuis 2003 aux éditions Delcourt (le 32ème tome est sorti en juin 2015). Une adaptation cinématographique a été réalisée en 2007 par Soi Cheang, réalisateur Hong-kongais.
A 16 ans, Ryo Narushima, lycéen modèle, poignarde à mort ses parents dans ce qui semble être un coup de folie. Il est envoyé en prison pour purger une peine de deux ans seulement, du fait de son état de mineur au moment des faits.
Sur place, il est victime des brimades des gardiens et se fait violer par ses co-détenus. Lors d’une petite gâterie imposée, il se rebiffe et sectionne le membre de son agresseur. Il est envoyé en isolement mais l’on ne donne pas cher de sa peau lorsqu’il en sortira. C’est alors que Kenji Kurokawa, ancien activiste nationaliste condamné à une longue peine, le prend sous son aile et entreprend de lui enseigner le karaté.
Lorsque j’ai découvert ce manga seinen (pour jeunes adultes) en VF à sa sortie en 2003, c’était pour moi une claque assez mémorable. Le scénariste Izo Hashimoto et le dessinateur Akio Tanaka n’y allaient pas de main morte ! Un anti-héros assez détestable, des antagonistes encore pire et surtout un développement de l’intrigue assez inconfortable pour le lecteur. En effet, suite à son initiation aux arts martiaux, Narushima purgera l’intégralité de sa peine puis ira servir d’homme de main aux yakuzas tout en poursuivant un entraînement aux méthodes très personnelles (jogging nocturne et agressions erratiques).
Ce qui m’avait accroché dans cette BD, malgré un « héros » ô combien antipathique, c’était l’approche des auteurs, qui, malgré ce qui peut transparaître dans ce résumé, n’en faisaient jamais trop. Ryo n’était pas devenu un champion ultime à sa sortie du pénitencier, le karaté était décrit comme un art martial parmi d’autres et pas quelque chose de magique ou mystique. Les leçons du sensei de Ryo étaient d’ailleurs pleines de pragmatisme : comment former son poing pour faire mal, comment utiliser ses doigts pour crever les yeux de l’adversaire, la règle simplissime pour gagner un combat : attaquer.
Le karaté de Coq de Combat n’est pas un sport codifié avec des arbitres et des règles. Narushima le dira très bien dans un de ses duels, son karaté est celui du sabre sous la gorge. Sur le fil du rasoir, entre la vie et la mort. Ce karaté-là rejette « les règles » et c’est sans doute en cela que Ryo Narushima s’y reconnaît et pour cela qu’il s’y investit. Brillant élève, il était promis à un bel avenir mais la pression sociale et la tyrannie de la performance et de la compétition l’ont amené au point de rupture.
Une fois libéré, il se décolore les cheveux, ce qui l’identifie clairement comme un rebelle peu fréquentable aux yeux de la bonne société japonaise. Un rebelle, mais sans véritable cause à défendre, à part celle de sa sœur cadette, tombée dans la drogue et la prostitution pendant son incarcération, suite à la mort de leur parent. Ryo va essayer de la retrouver mais rencontrera une déconvenue.
Dans le premier arc de la série, Ryo va chercher à se confronter à Naoto Sugawara, le champion poids lourd de Lethal Fight (un sport de combat spectaculaire dont les compétitions sont télévisées). Ryo étant un poids léger, il doit contourner nombres d’obstacles afin de parvenir à ses fins. Ensuite, dans un arc assez court, Ryo part en Chine et apprend à manipuler l’énergie vitale, le Chi.
Dans le troisième arc, de façon assez inexpliquée, Ryo a régressé et se bat dans des arènes de troisième zone. Son adversaire sera Toma, un danseur étoile ayant abandonné sa carrière pour se consacrer aux arts martiaux et désireux d’affronter Ryo depuis qu’il l’a vu à la télé se battre contre Sugawara !
Enfin, dans la quatrième arc, concluant la série, Ryo recueille une jeune fille paumée, ce qui lui vaut de se coltiner avec deux étranges mercenaires, des frères un peu cinglés mais redoutables, envoyés par le père de la jeune fille.
Le premier arc reste le plus marquant et le plus abouti. Le second ressemble un peu à un « What If » et le troisième connaît une longue mise en place pour un final un peu décevant.
A noter qu’à partir du tome 25, suite à un différent avec Hashimoto (et un procès), Tanaka a aussi repris le scénario. Et on peut se demander s’il n’a pas un peu trop perdu d’énergie et d’inspiration dans sa querelle judiciaire. En effet, le dernier arc est très déroutant, on a parfois l’impression que l’auteur y casse ses jouets. Malgré tout, j’ai lu toute la série, avide de connaître le destin du « héros ».
Comment peut-on avoir envie de suivre Ryo Narushima sur plus de 34 tomes ? Ne serait-ce que de la fascination morbide pour un individu capable de crever l’œil d’un adversaire pour obtenir son abandon, violer la copine de Sugawara pour le motiver à l’affronter en duel, se relever une fois vaincu et frapper son adversaire par derrière et -l’abandonner en le laissant pour mort Vraiment pas ragoutant tout ça. Mais les auteurs ne glorifient pas les actes de Ryo. Ils le montrent juste tel qu’il est : un être en rupture avec la société et dévoré par la passion du combat.
Totalement irrécupérable, le Ryo ? Pas tout à fait car Lorsqu’il retrouve enfin sa sœur, ravagée par des années de toxicomanie, il va vraiment faire de son mieux pour en prendre soin. Il parvient à s’attacher l’amitié indéfectible de Tokishi, qui sacrifiera un bras pour lui afin de lui permettre de quitter la mafia et de participer aux compétitions de Lethal Fight.
En Chine, à plusieurs reprises, il fait preuve de sensibilité. Dans le dernier arc, ses ennuis lui viennent d’un acte de compassion. Ainsi, le parricide se reconstitue malgré tout une famille.Est-ce qu’un salaud qui fait quelques BA à l’occasion suffit pour conserver un intérêt à une série aussi longue ?
En fait, progressivement, Ryo, tout en restant le personnage principal, a laissé une place notable à ses adversaires dans les pages du manga (notamment Toma, que l’on suit dans son entraînement sur plusieurs tomes). Le fil conducteur de la série, c’est le combat. La vie est un combat : c’est très cliché mais aussi très vrai.
Certes, dans Shamo, les combats sont majoritairement d’ordre physique mais à plusieurs reprises, ils prennent une tournure philosophique voire métaphysique. Et puis, ils bénéficient d’une mise en image très esthétique par Akio Tanaka, usant aussi bien de cases multiples zoomant sur des détails (regards, poings, pieds) que de pleines pages de « planches mémorables » (une garde, un impact ou une esquive).
Bon, Shamo, c’est de la baston bien dessinée, mais encore ? Je crois que comme nombre d’œuvres violentes mais intelligentes, Shamo fournit un exutoire, une expérience de lecture cathartique en réaction à la violence et au chaos organisé du monde réel. Parfois très dérangeant, Coq de Combat ne se limite pas à une succession de combats et de scènes violentes. En filigrane, il y a une critique de la société moderne et une philosophie similaire à celle que Robert E. Howard pouvait véhiculer dans son Conan : sous le vernis de la civilisation, demeure un monde régi par la loi du plus fort.
Ce point de vue, formulé dès le départ de la série, se verra répété dans le dernier arc, où les frères mercenaires dépouillent totalement le père de la jeune fille sous prétexte d’obtenir une rétribution pour leur labeur.
Shamo est un manga dont la lecture m’a marqué pour longtemps, même si, rétrospectivement, je pense que j’aurais pu m’en tenir aux deux premiers arcs sans trop y perdre. Cela dit, la conclusion de la série est assez inattendue et alors que l’avant dernier tome est plein de bruits et de fureur, le dernier tome est assez contemplatif et plein de… poésie.
Jusqu’à 16 ans, Ryo Narushima avait été élevé pour devenir un bon soldat du capitalisme, un cadre en col blanc parmi d’autres dans la grande armée des citoyens consommateurs. Son destin a singulièrement bifurqué et il a été tour à tour : truand, gladiateur, gigolo. Plutôt que poulet de batterie, il est devenu Coq de Combat.
Il me semble avoir déjà vu quelque part la séquence que tu décris du pénis sectionné à coups de dents. Impossible de m’en rappeler. Je passe ! 25 Tomes ? Déjà que je ne suis pas sûr de relire un jour mes Ken le survivant. Pas d’animé ? Le film est réussi ?
Sinon article impeccable as usual et titre approprié !
Pas d animé à ma connaissance et pas vu le film, qui adapte uniquement le premier arc.
C’est un manga dont je n’ai jamais tenté la lecture malgré sa réputation flatteuse et sulfureuse. Il faut dire que l’offre est pléthorique. J’ai beaucoup apprécié de pouvoir le découvrir par tes yeux. Tu rends bien compte de l’existence d’un deuxième niveau de lecture. J’ai beaucoup aimé l’opposition entre coq de batterie et coq de combat.
Commenter ce genre de série est un défi extraordinaire. Comment rendre compte de l’ampleur d’une œuvre qui se construit sur 10, 20 ou 30 ans ? Comment rendre compte du plaisir de lecture éprouvé à chaque tome, mais aussi au fil du développement des personnages et de l’intrigue principale ? Le pire : comment attendre 2, 3, 6 mois ou parfois 1 an ou plus entre chaque tome (pour entre 15 et 30 minutes de lecture) ? Au fil du temps qui passe, je m’aperçois que certaines séries (réalisées par un ou deux auteurs) m’auront suivi sur la majeure partie de ma vie.
Écrire ce genre de série au long cours est également un défi extraordinaire pour l’auteur qui parie qu’il pourra réaliser son œuvre sur des années. Quelle ambition et quelle confiance en l’avenir.
J’étais assez content de ma trouvaille sur poulet de batterie et coq de combat.
Ce manga est assez controversé et si cet article peut donner envie à certains de l’essayer, tant mieux pour mon karma.
Après ce n’est que mon point de vue et en littérature nous sommes dans « le domaine du caprice où le goût d’un seul ne peut fixer la vérité » (Proust lu ce matin dans le tram…)
@ JP, tu ferais mieux de lire Ikigami http://www.brucetringale.com/noublie-pas-que-tu-vas-mourir/ au lieu de lire des conneries !!!
Bruce le beauf….
Croix de fer, jamais vu, il faut que je le voie… Je n’avais jamais entendu parler de ce manga mais c’est très intéressant et accrocheur, l’article est superbe de maîtrise, JP ! Pour mes commentaires proprement dits, je rejoins complètement Présence, je voulais dire les mêmes choses que lui à peu de choses près.
Le fait que ce soit de Peckinpah me titille. Je n’en ai aucun en dvd je crois (ah si, un que je n’ai pas encore vu, Pat Garret et Billy the kid), mais je connais bien le bonhomme. J’ai revu Chiens de paille il y a quelques années et ça a été encore plus éprouvant que la première fois, ado. Mais je ne pense pas avoir vu tous les Peckinpah, outre Croix de Fer et Pat Garrett. Je te rejoins pour l’utilisation de la violence et son utilisation actuelle, même si on peut toujours modérer le trait selon les films (Kick-ass ?). Je ne suis pas trop film de guerre non plus, sauf ceux où on rigole (Qu’as-tu fait à la guerre papa ?, Les rois du désert, Les douze salopards et ce genre de choses).
Je dois ajouter que les scans m’ont très impressionné. On dirait presque du Zelzej ou du Paul Pope par moments.
Oui un manga d’exception très bien présenté ici.
A mon sens le premier arc reste le meilleur. L’affrontement avec Sugawara est d’ailleurs tellement viscérale, mélange de haine et de respect, avec un Ryo qui est partagé entre deux sentiments, à la fois sa volonté de détruire son adversaire mais aussi celui de faire durer leur confrontation le plus longtemps possible. C’est d’ailleurs fascinant de voir cette « relation » se développer, notamment lorsque Sugawara sortira très affaibli de son second combat apparemment irrémédiablement handicapé.
Le second arc est par contre complètement anecdotique et n’est là au fond que pour détruire Ryo. Il était partit pour apprendre à mieux combattre et va se rendre compte qu’il n’est capable que de détruire.
Le troisième arc est beaucoup trop long. Même si je comprends la fascination de l’auteur pour son personnage de Toma, qu’il décrit comme un ange pour faire ressortir encore plus la noirceur de son personnage.
L’arc en cours …je ne sais pas trop quoi en penser. C’est un retour à la rue pour Narushima et une peut être une redécouverte de son humanité.
A noter que le procès qui a opposé les auteurs avait justement pour objet la responsabilité du scénario. Tanaka ayant clairement exprimé le fait que son collègue ne lui avait donné que le pitch de départ et une vague description des personnages et que lui de son côté avait assumé tout le reste. Donc c’est pour cela que la transition est aussi facile après ça…car il n’y a pas de transition en réalité.
@leo/stephane : je crois qu’on habite pas trop à côté, alors je peux pas te proposer le prêt 🙁
@sam : merci de donner ton point de vue sur la série, il me semblait bien que tu la connaissais (mentionnée dans une de tes chro, je crois)
Sur le second arc : c’est quand même assez bizarre comme il est ignoré par la suite… Il est pourtant « dans la continuité » vu qu’on y croise le boxeur thaï… Peut-être un côté trop surnaturel dans la maîtrise du chi ?
Sur le procès : il semble que Tanaka ne se serait pas entendu avec Stan Lee et la Marvel Method…
@leo/stephane : Par contre, il y a des scantrads en anglais accessibles assez facilement sur le net.
Brillante chronique. Coq de combat est, à mon goût, avec Vagabond de Takehiko Inoue, un des manga qui met en image de façon réaliste et spectaculaire l’art du combat. Vagabond est l’adaptation de la Pierre et le Sabre d’Eiji Yoshikawa, célèbre roman japonais. Si Tanaka n’a pas le talent d’Inoue, il est tout de même particulièrement habile pour mettre en scène les combats de Ryo et il sait, comme tu l’as noté JP, donner du relief aux blessures occasionnée par les coups.
Ryo comme Miyamoto Musashi, le protagoniste principal de Vagabond, est foncièrement antipathique et charismatique.
Ces deux personnages gagneraient probablement à faire la rencontre, dans un univers paralléle, du Ghost dog de Jim Jarmush pour partager, autour d’un saké, les enseignements du Hagakure…
Je reconnais des points communs entre Shamo et Vagabond, que j’ai suivi jusqu’aux environs du tome 25.
Mais Vagabond est par moments beaucoup plus contemplatif et avec une tendance marquée vers la décompression des intrigues.
Pour poursuivre tes songeries de rencontres « crossover » entre personnages, j’imagine parfois ce que donnerait la rencontre de Ryo avec Stick, le mentor de Daredevil ou avec… Tortue géniale !
Hé hé hé, une rencontre sous le double parrainage de Miller et Toriyama,
voilà qui garantirait des scénes d’anthologie.
Arrrggghhhh terrible, terrible erreur de t’arrêter au volume 25 de Vagabond !!! car à partir du tome 26 débute l’hallucinante bataille entre Musachi et …la totalité du clan Yoshioka soit plus d’une soixantaine de bretteurs !!! il étale cela sur plusieurs volumes et Inoue arrive à rendre presque poétique un massacre ignoble !!!
@tous : j’ai commencé à écrire un spécial Goku….Dans ma tête.
Ca commence toujours comme ça, Bruce !