Gen d’Hiroshima tome 4 à 10 par Keiji Nakazawa
Première publication le 22 septembre 2014- Mise à jour le 10 août 2015.
VO : Shûkan Shônen Jump
VF : Vertige Graphique
Ce Commentaire portera sur les tomes 4 à 10 de la série Hadashi no Gen (Gen le va-nu-pieds) . Celle-ci est terminée au tome 10.Un commentaire sur le début de la saga se trouve ici. Le sens de lecture est japonais.
C’est avec un certain soulagement que j’ai terminé la lecture de Gen d’Hiroshima. Tout d’abord, il convient de saluer le travail de Vertige Graphic qui aura été la première maison française à oser et pouvoir publier l’histoire jusqu’à sa conclusion. Chaque volume est doté d’un rappel historique passionnant du contexte japonais de l’époque ainsi que des anecdotes sur le making of de l’histoire.
Albin Michel avait tenté l’expérience il y a quelques années avant de lâcher l’affaire à une époque où le Manga était encore considéré comme un art mineur. Il est vrai qu’au premier abord, on n’a pas envie de se colleter les mésaventures d’une famille détruite par la bombe atomique après une journée de boulot…
Ecrit par un authentique survivant de la bombe, Gen d’Hiroshima est un mélange d’autobiographie et de témoignages plus éprouvants les uns que les autres sur les effets de la bombe atomique pendant et après l’explosion. Ce qui est admirable dans cette oeuvre c’est la force de vie du héros et donc de son auteur. Comme dans les films de Chaplin, Gen et ses amis sont plongés dans les affres de l’humiliation de la défaite, de la famine et de la pauvreté.
Gen durant cette saga entreprend un véritable voyage initiatique en exerçant tous les métiers, certains totalement surréalistes : changer un irradié dont personne ne veut s’occuper, chercher et vendre des crânes des victimes de la bombe, réciter des prières dans les familles des défunts.
Gen, comme Seiya dans un tout autre genre, c’est le type qui ne baisse jamais les bras, qui inspire force et loyauté à ceux qui se découragent, un vrai héros prêt à sacrifier tout ce qu’il a pour ses amis dans son monde dévasté.
Et l’on rit autant qu’on pleure pendant ces 10 volumes, 80 % de la distribution mourant au fil des épisodes et ce jusqu’aux dernières pages de la saga. Ce que décrit admirablement Nakazawa dans son oeuvre, c’est la cruauté de cette bombe et son après. Comme toutes les victimes des conflits, Gen et ses amis doivent reconstruire une vie anéantie dans un monde où les flics sont impuissants, les militaires corrompus, les politiques en débâcle et la mafia japonais, seule source d’espoir d’une population affamée.
Mais ce qui est tout autant insupportable, c’est de voir les amis et la famille de Gen tomber des années après la bombe, victimes de leucémie foudroyante, fauchés alors que la vie reprenait ses droits. Chaque survivant est un mort en sursis qui vit dans l’angoisse des premiers symptômes.
A aucun moment, Nakazawa ne songe à duper son lecteur, à utiliser son médium pour mettre en scène des situations irréalistes. Il renvoie dos à dos la stupidité et l’incompétence de l’Etat Japonais et la cruauté Américaine qui utilise les survivants de la bombe comme cobayes. Alors que Gen aurait toute les raisons de sombrer dans l’opium, la dépression voire le suicide, il reste fidèle à la maxime que son père lui enseigna avant de mourir : Être comme le blé, plier mais ne jamais casser. Autrement dit….Never give up….
Pour autant, Nakakazawa ne verse pas dans l’angélisme. Aussi sympathique et généreux que notre héros soit, il lui arrive d’être brutal, de se tromper et de participer à des actes délictueux voire criminels. Mais quelles lois respecter lorsque l’Etat a conduit un peuple à un vrai génocide ? quelle morale appliquer dans un monde où des enfants doivent voler pour ne pas mourir ? quelle éducation prévaloir dans un pays où les parents dépendent de l’ingéniosité de leurs gamins pour survivre ?
Nakazawa met nos repères sociaux, éducatifs et politique à rude épreuve et milite sans surprise pour la paix et le désarmement. Lucide, il décrit dans de nombreuses scènes, l’oubli qui survient en temps de paix. Encore aujourd’hui, l’ouvrage est censuré dans certaines provinces japonaises en raison de sa violence graphique.
Pour autant, Gen n’est pas exempt de défauts qui empêchent ce témoignage irremplaçable d’accéder à un chef d’oeuvre comme Maus. Peut-être parce qu’à l’inverse du monument de Spiegeleman (qui signe la préface du premier tome), Nakazawa n’est pas parvenu à synthétiser ses propos.
Il s’ensuit à la lecture de ces dix volumes, un profond sentiment de répétition: Gen souffre, se relève, passe de Charybde en Scylla pour répéter inlassablement sa haine de l’atome. Les films qui ont été tirés ont sûrement fait un effort de synthèse qui rend moins lassant le récit des mésaventures.
En ce qui me concerne, et malgré le fait que je sois vraiment peu difficile en la matière, ce sont vraiment les dessins qui ne flattent pas la rétine. Si Nakazawa dote ses personnages d’un langage corporel énergique, qu’il ne lésine jamais sur les décors dévastés du Japon, son style est décidément peu attrayant voire grossier…comme Kurumada de St Seiya justement ! A l’inverse d’un Tezuka qui disséminait beaucoup de poésie derrière un trait simpliste, Nakazawa dessine des têtes carrées et des expressions de visages disharmonieuses.
Pis que cela : il échoue à rendre crédible les séquelles physiques des personnages. Son amie Katsuko défigurée par l’explosion ne semble pas l’être autant avec ses quelques traits lui servant de balafre. Les couvertures sont particulièrement peu ragoutantes.
Enfin, si l’on ne peut que s’incliner devant le message et la dignité de Nakazawa, certains dialogues sont parfois très embarrassants en plus d’être répétitifs. Il faut dire que la traduction de Vertige Graphics n’aide pas en étant frappé du symptôme Panini : l’oubli systématique de « ne » et « pas » dans les formules de négations…
Pour autant, Gen est une formidable leçon de vie et d’espoir dont les enjeux restent toujours d’actualité. Cette bombe qui aura influencé littérature, comics et films fantastiques, Nakazawa (décédé il y a deux ans) l’a vécu et ne cherche pas à en filer une métaphore.
Merci pour ce commentaire courageux, à la fois pour la lecture de ces 10 tomes, mais aussi pour oser dire clairement les limites graphiques de l’auteur. Sur ce point, je serais tenté d’être aussi indulgent que toi (je ne sais pas si je serais critique) car j’ai une forte admiration pour un créateur qui a réussi à concrétiser sa vision sans compromis.
Ah ! Présence tu tombes bien. La cover que j’ai choisie n’est pas trop agressives
? Tous ces gens en Sang?
Pour un lecteur de Crossed, elle est light. ma réaction en découvrant l’image sur Facebook a été la suivante.
(1) Elle est choquante du fait de son caractère sanguinolent. d’un côté, Nakazawa ne dessine pas de manière photoréaliste, ce qui atténue la force de l’image ; de l’autre, il dessine de manière expressionniste (sa façon de figurer le sang) ce qui renforce le côté choquant de l’image (le voyeurisme gore en moins).
(2) Le plus choquant est peut-être la poitrine dénudée de la mère, en plein centre de la composition. Cet aspect racoleur ne semble pas justifié par le thème de l’image (en tout cas pas de manière centrale), et il ne semble pas refléter la tonalité de l’œuvre.
Tu as raison. Je trouvais que l’image rendait bien sur le mur d’images. Mais ne rend pas justice à l’humour de la série. Je mets donc à contre coeur cette couverture rose bonbon moche mais moins agressive pour le néophyte.
Je rejoins Présence. Bon, il me reste à lire les tomes 5 à 10, et jusqu’à maintenant, ce n’était vraiment pas de tout repos… Je vais ventiler (et surtout, je dois les récupérer d’abord, puisqu’on me les prête 😉 ).
Oui, 10 volumes à 20€, c’est pas donné… Malgré toute mon affection pour cette saga, je n’investirais pas dedans. J’ai tout emprunté en médiathèque. Par contre j’aimerai bien voir les films.
Je ne connais pas du tout.
C’est trop long pour que je m’y essaie. Merci pour ton article, en tout cas !
@Tornado : et dans le sens japonais en plus !
Tu te doutes que c’est bien là le problème ! Cela-dit, je te promets (et je suis de parole !), que je vais lire tout Ayako !
Y ou better, You bet ! -Pete Townsend
Il est dans ma pile de lecture, très haute cela-dit…
Je ne sais pas vous mais en ce moment, avec la rentrée, je lis deux pages de et je m’endors comme une merde…
Pas de gros mot ho ! Le seul autorisé ici c’est B…s. Je viens de finir ces New Xmen ce matin, c’est catastrophique. Jamais rien lu d’aussi nul…
Merci très bon article qui pour le coup réussit la synthèse des 5 tomes 😉