Le dernier festin de Rubin de Ram V et Filipe Andrade
Un article de BRUCE LIT
VO : Boom Studios
VF : Urban Comics
LE DERNIER FESTIN DE RUBIN (RARE FLAVOURS) est une histoire complète publiée en septembre 2024 chez Urban Comics. L’édition est magnifique avec un papier glacé faisant sortir tout l’élégance des dessins de Filipe Andrade, assisté aux couleurs par Inès Amaro.
La traduction miraculeuse de cet album porté sur la nourriture et la dévoration est assurée par Maxime Le Dain.
En Inde de nos jours, un jeune réalisateur dépressif se voit proposé un étrange marché par un homme affable de la taille d’une armoire à glaces : réaliser un documentaire sur son périple gustatif en échange d’une somme colossale.
Seulement voilà, cet homme, Rubin Baksh, n’est rien d’autre que Bakasura, l’ogre mythologique poète, voyageur, amoureux de la race humaine et…cannibale ! Commence alors un road movie atypique et dangereux où les deux compères risquent leur vie, chacun à leur façon.
Un ogre en contemple un autre.
©Boom Comics/Urban Comics
De tous les scénaristes nouvellement arrivés sur le marché des comics, Ram V est assurément celui qui prend le plus de risques en proposant sur un marché saturé de super-héroïsme (l’homme a signé un contrat d’exclusivité chez la chauve souris), des histoires lues nulle part ailleurs.
Lire du Ram V, c’est le gage de plonger dans un univers empli de spiritualité, de philosophie et de chemins qui ne vont pas par quatre. Un bon point pour celui qui nous avait déclaré en interview être persuadé que les comics peuvent changer la vie de leurs lecteurs.
C’est tout le sujet du DERNIER FESTIN DE RUBIN, un chant d’amour à l’acte de se nourrir : de saveurs bien sûr (le récit est interrompu par des recettes indiennes), mais aussi du contexte et du moment : manger est un acte culturel de civilisation comme le déclarait Hanna Arendt, et Ram V via cet ogre qui dévore la vie à pleines dents, explore à la fois la culture de son pays avec des confessions probablement très autobiographiques dans le dernier chapitre, et des réflexions philosophiques : nous sommes ce que nous mangeons mais mangeons-nous ce que nous voudrions être ?
Une force de la nature aussi vorace que Galactus.
©Boom/Urban comics
Disons-le avec toute l’affection que nous lui portons : Ram V aime souvent complexifier ses récits et serait parfois pénible à lire s’il n’était pas accompagné, comme pour Laila Starr, de l’impressionnant Filipe Andrade qui donne un aspect solaire, aéré et chaleureux à cette histoire d’ogre persécuté en quête de rédemption. Il donne à Rubin une stature de monstre hollywoodien chaleureux et joyeux (on pense bien entendu à Depardieu, Orson Welles et surtout Marlon Brando auquel Ram V rend un hommage subtil dans le dernier chapitre). Le fan des X-Men pourra même lui trouver une certaine ressemblance avec Farouk, le roi d’ombre.
Ram V alterne flashbacks mythologiques et bromance improbable, entrecoupé de ces fameuses recettes qui auraient gagné à se retrouver à chaque fin d’histoire comme celles de SOUTHERN BASTARDS plutôt que de couper la parole aux personnages, comme autant de coupures de pubs, dont cette BD est la critique : prendre le temps de manger, de mijoter, d’élaborer afin qu’un repas soit à la fois l’avant, l’après et le pendant d’une cérémonie existentielle.
Des recettes de cuisine qui arrivent comme un cheveux sur la soupe.
©Boom/Urban comics
Pour rendre son récit apetissant pour le geek consommateur de pizzas et de Burgers, Ram V imagine une traque millénaire entre l’ogre et des chasseurs à ses trousses. C’est sans doute la partie la moins palpitante , un prétexte pour donner un semblant d’action et de danger à un récit qui aurait pu s’en passer.
On sait Ram V obsédé par Neil Gaiman et il est évident qu’il écrit ici son BRIEF LIVES qui voyait Dream et Delirium partir en périple aux Etats-Unis, croiser des divinités déchues, tout en recherchant Destruction, un infini qui, amoureux des mortels, délaisse ses responsabilités de dieu de la guerre, pour s’adonner à la peinture.
C’est peu ou prou la trame du DERNIER FESTIN DU RUBIN qui voit un ogre si amoureux de ce que l’humanité à offrir qu’il ne peut s’empêcher de la dévorer. Si le lecteur fait l’impasse sur l’hommage enamouré à SANDMAN, il dégustera sans modération cette leçon d’écriture, parfois confuse dans son execution, mais généreuse comme le buffet à volonté d’un auteur ayant beaucoup à métaphorer, son dernier chapitre, très élaboré et -enfin-émouvant, sauvant l’ensemble d’un fort en t’aime.
Un dessin minimaliste et pourtant généreux.
Boom/Urban comics
Pas aimé du tout. Même si j’aime beaucop le travail de Filipe Andrade.
Je ne comprends pas l’engouement autour de Ram V.
Ses premières oeuvres indiennes sont pas mal. Grafity’s wall est même une vraie belle réussite.
Mais ensuite, c’est rapidement la dégringolade (et en effet, beaucoup de sous-Gaiman).
Au vu de l’actualité de Gaiman, je pense que dans un premier temps, on va désormais moins l’invoquer.
Je ne connais pas ce Comic -je vais chercher- mais, en quelques planches, c’est vrai que ça dégage pas mal. J’ai évidemment vu Farouk 🙂
… Sinon, ton article, c’est de la poésie…
Entre toi et Cyrille qui me dit avoir fait du Gainsbourg, c’est trop d’honneur.
Merci.
A noter que Ram V est indien, habite a Londres et adore voyager et découvrir (il est allé en France pour la premiere fois cette année).
La cuisine « indienne » en Angleterre est partout (le curry a dépassé le fish n chips en plat a emporter) mais assez différente de ce qu’on peut manger a Mumbai et ce livre permet de mettre en avant les recettes originelles 😉
Avec un filtre anglais, j’ai adoré ce one shot, et tout mon entourage également (avec une grosse proportion qui est retournée au fourneau!)
J’ai eu la chance d’interviewer Ram V : un auteur affable et très sympathique.
Merci pour cette présentation. Marrant, je n’avais vu de cette couverture que le protagoniste (qui m’évoquais effectivement Amahl Farouk) et n’avais pas remarqué les éclaboussures de sang sur son verre.
Intéressant, le concept. Ça me rappelle quelques histoires Vertigo, notamment The Last One de JM Dematteis. Un immortel sous une apparence humaine aux proportions gargantuesque, qui se confie à des humains lors de ce qui ressemble à un adieu. Mais en même temps, DeMatteis et la philosophie indienne… (il cite Meher Baba dans la dernière case).
A voir, je ne crois pas encore avoir lu du Ram V, super slip ou indé.
Je n’ai jamais entendu parler de ce DeMatteis. Tu m’intrigues, là !
Poue le moment, cet auteur bénéficie d’une hype assez impressionnante, mais je n’ai pas été convaincu de mon côté. J’ai lu THESE SAVAGE SHORES et LAILA STARR et c’est vraiment survendu comme truc. Ce n’est pas mauvais, c’est original, mais ça ne l’est qu’en surface. Les récits sont à peine survolés et je doute que ça offre une plus-value à la relecture. On s’attend à quelque chose d’incroyable en commençant ses albums (la faute à une pub dithyrambique, aussi), et très vite on arrive à la fin du bouquin en ayant l’impression qu’il a oublié de nous raconter les 3/4 de l’histoire, malgré beaucoup de parlotte (la fameuse impression « tout ça pour ça ? »)… Enfin, bref. Ce n’est pas moi qui vais me ruer sur ses nouveaux albums.
Je n’ai pas aimé non plus THESE SAVAGES SHORES mais je trouve que Ram V détonne avec les scénaristes hipsters comme Fraction et Zdarsky (pas étonnant qu’ils aient travaillé ensemble, ces deux là).
Ram V a une vrai culture littéraire et des ambitions originales. Mais je précise bien dans l’article que ça passe ou ça acasse en fonction de ses bouquins.
Oui, son univers est original (il est très indouiste, du coup). Mais ce n’est pas suffisant pour que chacun de ses travaux soit à ce point hyppé à mon avis. Qui a lu LAILA STARR ici ? Qui peut argumenter que c’est aussi génial que ce qu’on nous claironne depuis des mois ?
Je l’ai lu et je n’ai pas été convaincu.
Mais je sais que doop est un très grand fan.
J’ai aussi lu Toutes les vies de Laila Starr et je lui mettrai 3 ou 3,5 sur 5. Suffisamment accrocheur pour m’avoir donné envie de le finir, pas assez marquant ou pêchu pour que j’aie envie de l’emmener sur une île déserte ou même de le relire.
Merci pour la présentation chef ! Je l’ai regardé et reposé. J’aime bien les dessins mais je deviens frileux, et je n’ai toujours pas exploré les créations de Jeff Lemire, Ram V, Tyrion IV… Je fais une pause, une grosse pause, sur les nouveautés ou du moins l’inconnu.
Le premier scan, avec ce texte à droite, me rappelle à la fois Andreas (Capricorne) et Miller (Sin City).
Bravo pour l’article, inspiré et très « gainsbourien ».
Gainsbourien ?
Dans le style et les termes (« fort en t’aime » par exemple).
Je trouvais plutôt que ça faisait Patrick Sébastien. 🙂
Tu m’en vois très étonné car je n’ai jamais entendu de textes de Patrick Sébastien de cet acabit…
Tu ne connais pas le chef d’oeuvre cinématographique de Patrick Sébastien ? 🙂
Je ne pense pas non
Ben, ça s’appelle T’aime.
C’est pour ça que Patrick Sébastien est fort en t’aime.
Bon, une blague quand on doit l’expliquer, c’est pas drôle du tout.
Désolé, je le ferai plus. 🙂
La prochaine fois, n’oublie pas Marco Ferreri avec un titre comme LA GRANDE BOUFFE, hein…;)
La référence était trop évidente pour la relever.
Andreas ! Mais bien sûr : une fois mentionné, ça parait évident. Bien vu !
Je plussoie sur zen arcade. J’imagine davantage Bruce faire tourner les serviettes que fumer des gitanes ou poinçonner des lilas…
Pour le dernier festin de Rubin : le menu n’a pas l’air mal mais pas de quoi non plus se jeter dessus comme un mort de faim. Comme je continue mon régime sec en achats de bouquins pour cause d’étagères indisponibles, je pense que je vais sauter ce repas.
Ça fait plaisir de découvrir un article bien assaisonné sur cette BD dont la couverture m’avait sauté aux yeux. Je peux ainsi déguster de quoi il retourne.
L’écriture de Ram V avait attiré mon attention avec ses premiers travaux comme Blue in green (j’avais soumis l’article à Bruce), These savage shores, ou Paradiso.
babelio.com/livres/Ram-V-Blue-in-Green/1492173/critiques/2553640
babelio.com/livres/Ram-V-Paradiso-Volume-1–Essential-Singularity/1058244/critiques/1654751
babelio.com/livres/Ram-V-Paradiso-Volume-2–Dark-Dwellers/1134311/critiques/1863819
Je n’ai pas testé ses séries superhéros.
Il y quelque chose de trés moebiusien dans ces planches non ? J’avais lu Laila Starr (avec un certain plaisir d’ailleurs) et la ressemblance m’avait pas autant frappée ! Mais ça me fait plutôt envie !
PS : Bravo à Zen Arcade d’avoir cité le film de Patrick Sebastien dans ces pages… ce grand monument culturel manquait au blog ! 🙂