Gravel par Warren Ellis et Mike Wolfer
Un article de JB VU VANVO : Avatar Press
VF : Panini Comics
Gravel, un titre qui tâche
© Avatar Press
© Panini Comics
GRAVEL est une série en 21 numéros (ainsi qu’un numéro 0) écrite par Warren Ellis en collaboration avec Mike Wolfer, illustrée par Mike Wolfer, Raúlo Cáceres et Óscar Jiménez, mise en couleur par Juan Manuel Rodriguez (sous le pseudonyme Juanmar) et publiée par Avatar Press entre 2007 et 2010 sur un rythme assez erratique. Publié en France par Panini Comics dans la collection 100% Fusion Comics en 5 tomes de 2012 à 2013, ce titre est traduit par Benjamin Rivière.
Il est également à noter que cette série régulière fait suite à plusieurs mini-séries en noir & blanc de Warren Ellis et Mike Wolfer, publiées chez Avatar Press à partir de 1999 : Strange Kiss, Stranger Kisses, Strange Killings, Strange Killings: Body Orchard, Strange Killings: Strong Medicine, Strange Killings: Necromancer. Ces histoires ne font l’objet que de quelques références, leur lecture n’est pas nécessaire à la compréhension du récit.
Tout comme le manuscrit Sigsand contient un savoir interdit, cet article contient des spoilers innommables. Oserez-vous défier les horreurs indicibles qu’il recèle ?
La magie en Angleterre est construite autour du nombre de la spiritualité, le sept. Le Sept Majeur regroupe ainsi les maîtres de la Magie Britannique. Incarnations du royaume lui-même, ils laissent au Sept Mineur, détectives de l’occulte, la protection concrète de l’Angleterre. Le sergent William Gravel, un membre du Special Air Service (SAS) doublé d’un magicien, était l’un des membres du Sept Mineur. Cependant, au retour d’une mission en Afghanistan, Gravel découvre qu’il est passé pour mort auprès du Sept Mineur et qu’un autre a pris sa place, en achetant sa place en offrant au Sept Mineur un puissant ouvrage mystique, le Manuscrit Sigsand. Gravel décide alors de récupérer sa place et son dû, quel qu’en soit le coût. Mais ce faisant, il attire l’attention du Sept Majeur, qui a une mission pour lui : trouver le meurtrier de l’une des plus puissantes sorcières d’Angleterre, Avalon Lake.
Pourquoi l’élément le plus troublant dans cette image est-il la chevelure blonde du serpent ?
© Avatar Press
La première chose qui étonne à la lecture de cette série, c’est le personnage principal. On est assez loin du protagoniste typique d’Ellis, hâbleur, sarcastique et cynique. Warren Ellis a en effet tendance à utiliser des variations de John Constantine, comme Peter Wisdom ou Jenny Spark. Avec Bill Gravel, on est plus proche d’un anti-héros à la Garth Ennis : un soldat mutique, plus prompt à faire parler la poudre (enfin, ici, les invocations) que d’ouvrir la discussion (selon Mike Wolfer, son collaborateur sur STREETS OF GLORY, est fan du personnage et a encouragé la création de cet ongoing !) Ellis le décrit comme un gars du commun, qui tente de joindre les 2 bouts en acceptant des boulots au noir à côté de ses missions officielles, et dont la grande ambition est de pouvoir se payer sa pinte de bière.
C’est d’ailleurs ce qui sépare le personnage principal du reste des maîtres magiciens. Warren Ellis et Mike Wolfer font du Sept Mineur des symboles d’une élite corrompue, prête à marcher sur le simple citoyen pour une once de pouvoir ou une jouissance personnelle : intellectuel prêt à tout sacrifier pour la connaissance, éducateur formatant ses “protégés” plutôt que de les former, officier méprisant la piétaille, nobles décadents… Les anciens collègues de Gravel avouent d’ailleurs avoir sauté sur la première occasion pour virer leur collègue de basse extraction. Le seul qui trouvera grâce aux yeux du protagoniste est un ancien berger, fier de ses origines. Lorsqu’il fait face au Sept mineur, Gravel incarne explicitement le “petit peuple”, l’homme du commun face à des autorités corrompues et au comportement abusif. D’ailleurs, lorsqu’il hérite accidentellement du palace, de la fortune et des disciples de l’un des Sept Mineur, Gravel apprécie peu de s’entendre dire qu’il est devenu “l’un d’eux” et s’empresse de se débarrasser de ces signes extérieurs de richesse !
Taïaut, la chasse est ouverte
© Avatar Press
Les auteurs évitent de se répéter lorsqu’ils s’intéressent aux Rois et Reines de la magie britannique. Si le Sept Mineur représente l’autorité corrompue, le Sept Majeur est à l’image de la Couronne, qui s’est complètement détachée de son peuple à l’exception d’une seule de leur membre, incarnation de la mémoire et de l’histoire de l’Angleterre. Avec elle, c’est le cœur et l’âme du Royaume qui meurent. À qui profite le crime ? À l’incarnation de l’industrialisme ? Au symbole du pouvoir militaire ? À l’avatar des migrants assimilés par un Empire qui n’a jamais vraiment disparu ? Lorsque le héros venge la destruction de la mémoire du Royaume, il rend le pouvoir au peuple.
Pour remplacer les élites décadentes et une autorité apathique, Ellis et Wolfer proposent une alternative, l’émergence d’une nouvelle génération aux idées neuves. Après les dérives du précédent groupe, le Sergent Gravel choisit des mages jeunes, souvent issus de la diversité et luttant activement pour changer le monde. Loin des précédents mages accrochés aux livres poussiéreux et aux symboles aristocratiques, les recrues de Gravel ont créé leur propre magie et retourne les travers modernes contre les responsables de ces maux. Les lecteurs de longue date d’Ellis penseront probablement à une version mystique de The Authority, groupe interventionniste émergeant des cendres d’un Stormwatch jugé trop passif. Mais l’auteur évite de se répéter : en effet, l’Establishment n’est pas prêt à céder à une révolution sans se défendre…
“La Chambre qui sifflait”
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J’ai beaucoup parlé du fond de GRAVEL, mais qu’en est-il de la forme ? Le titre est un peu à la croisée des chemins des comics Avatar : comic référencé à l’image du PROVIDENCE d’Alan Moore et gerbes de sang, de tripes, voire d’autres liquides corporels… GRAVEL rend en effet hommage à l’un des premiers “détectives occultes” de fiction : Thomas Carnacki, personnage imaginé par William Hope Hodgson au début du XXe siècle, père spirituel de Constantine, Docteur 13, Harry Dresden et autres héros enquêtant sur des crises magiques. Le Manuscrit Sigsand que recherche Gravel est l’un des outils de ce héros, et l’une des nouvelles sur Carnacki, “La Chambre qui sifflait”, est racontée à notre protagoniste par un personnage qui fut l’un des amants du détective. Plus discrètement, une horde de chevaux invisibles renvoie à la nouvelle “Le Cheval de l’invisible”.
Niveau graphique, Avatar Press mise souvent sur une foule de couvertures alternatives, au détriment du graphisme intérieur assez banal. 3 artistes alternent au dessin de cette série, sans avoir un trait que l’on pourrait qualifier de “beau”. Raúlo Cáceres a déjà œuvré sur CROSSED et a précédemment travaillé avec Warren Ellis sur le one-shot CRECY. Il illustre les débuts de cette ongoing et, si la représentation des personnages humains est assez quelconque (Gravel semble un peu écrasé), Cáceres s’éclate sur les créatures fantastiques, comme un serpent aux multiples mamelles ou des chevaux spectraux. Óscar Jiménez, pour sa part, a un trait plus proche des comics mainstream (il a travaillé pour DC et Marvel avant de disparaître du milieu pendant plusieurs années), au moment où Gravel combat des adversaires humains.
De Charybde en Scylla
© Avatar Press
Mais Cáceres, Jiménez et Wolfer ont en commun un sens de la mise en scène. Ils font preuve d’une minutie impressionnante pour illustrer les décors. Un élément important pour le récit : chaque mage a un lieu de pouvoir, dont les artistes font apparaître l’aspect merveilleux ou puissant selon les cas. L’autre point fort du graphisme de ce titre repose sur les scènes d’action, souvent horrifiques et gores. C’est assez peu surprenant : l’artiste Mike Wolfer participe à l’écriture après plusieurs années de collaboration avec Ellis selon la “Méthode Marvel”, où le dessinateur interprète librement une description assez large d’une scène. Les dessinateurs alternent ainsi pleines pages pour représenter une chasse à courre mortelle et les enchaînements de cases où figurent les étapes d’un massacre magique.
Cependant, GRAVEL souffre d’un véritable problème de rythme lors de sa conclusion. En effet, si le début du titre est bien construit (une réplique fugitive dans le premier acte annonce la conclusion du second tiers de la série), la fin de GRAVEL est très, voire trop précipitée. Les personnages sont introduits et massacrés sans que le lecteur apprenne à les connaître, et l’un des antagonistes des derniers numéros aurait dû apparaître plus tôt pour avoir l’impact nécessaire à l’histoire. Le récit s’achève cependant sur une conclusion satisfaisante et logique, la fin d’une ère. En effet, si Gravel mène une révolution contre le pouvoir en place, au sens astronomique du terme, un astre revient à son point d’origine après avoir complété son orbite ! Dommage qu’une suite, cette fois uniquement écrite par Mike Wolfer, tente de poursuivre l’histoire.
Un dernier verre pour la route
© Avatar Press
Souvenirs…
J’avais bien accroché aux deux premiers arcs mais la fin me semblait baisser en qualité, tant au niveau des graphismes que de l’écriture.
Et le retour à la case départ m’était apparu comme une trop grosse couleuvre à avaler, étant donné le parcours de Gravel dans la série.
Chez un des Big Two, ce retour au status quo se comprendrait, mais sur de l’Indé, c’est dommage de ne pas boucler une conclusion plus satisfaisante.
Je crois qu’on est d’accord. J’aurais pu accepter la conclusion fataliste proposée, mais elle arrive trop vite : j’aurais aimé un aperçu de la « nouvelle ère » de Gravel plutôt qu’un arrêt aussi brutal et peu préparé.
Un grand merci JB pour cette entrée, car je n’avais jamais entendu parler de ce titre. Et avec ce que tu expliques en préambule, il y en a plein d’autres ! Je n’ai même jamais vu les éditions françaises. Tu as tout lu en VF, en VO ou un peu de chaque ?
Bon en même temps, j’ai du mal à y croire, mais j’aimerais bien que quelqu’un publie la fin des Ellis en cours, INJECTION (dont un des thèmes est ici central) et TREES. Je ne sais même pas s’ils ont été écrits par l’intéressé.
Après un regard rapide sur les scans, je n’aime pas du tout le dessin. Ca fait très amateur (l’anatomie du personnage en couverture de cet article, c’est horrible) en plus de rappeler le dessinateur Ryp sur la trilogie BLACK SUMMER / NO HERO / SUPERGOD, dont je ne suis pas spécialement friand.
Je n’avais non plus entendu parler du « manuscrit Sigsand ». Mais dis, JB, tu viens d’une dimension parallèle en fait ! Où les Stones font des instrumentaux de moins de deux minutes !
Je te cite : « un des premiers “détectives occultes” de fiction : Thomas Carnacki, personnage imaginé par William Hope Hodgson au début du XXe siècle, père spirituel de Constantine, Docteur 13, Harry Dresden et autres héros enquêtant sur des crises magiques. Le Manuscrit Sigsand que recherche Gravel est l’un des outils de ce héros » : C’est incroyable, on en apprend vraiment tous les jours.
Pourquoi dis-tu que c’est dommage qu’une suite existe ? En tout cas tu ne m’as pas assez convaincu (et pourtant j’adore ce genre d’histoire et de personnages à la Constantine) pour que je tente l’aventure, mais si je tombe dessus, je jetterai un oeil.
La BO : je n’avais jamais entendu ce titre des Stones ! Et pourtant j’ai la triple compile des singles de la période London. Ca sort d’où ?
Pour la série Gravel, c’est le tout en VF, même si j’ai également une partie de la série en VO.
Pour Carnacki, j’ai été intrigué par le numéro qui parle de lui, écrit à la manière d’un PROVIDENCE d’Alan Moore, et après enquête j’ai découvert ce « Sherlock Holmes de l’occulte » ^^ J’imagine qu’il apparaît dans des récits du genre La Ligue des Gentlemen Extraordinaires ou même la Brigade Chimérique.
Pour la suite, c’est dommage car ça annihile la conclusion assez fataliste de cette histoire.
Pour la BO, j’avoue que c’est une recherche par mots clés qui m’y a amené plutôt qu’une connaissance pointue de leur prod…
Merci pour les précisions. J’ai toute LA LIGUE qui m’attend (j’avais lu les deux premiers tomes et un CENTURY il y a longtemps) dans les rééditions Panini des dernières années (et là ça sort en omnibus), ça va être long je pense, on verra si on y voit ce Carnacki ^^
Oui, Carnacki est bien là. Mais le problème est que toute cette nouvelle équipe manque singulièrement de charisme.
Quel plaisir de retrouver William Gravel.
Étant arrivé après la bataille (ou plutôt les batailles), il m’avait fallu faire preuve de patience et de persévérance pour mettre la main sur les TPB VO, et d’ailleurs je n’y suis pas complètement parvenu.
Un gars du commun : doté d’une solide carrure en plus.
Thomas Carnack : un bel hommage de la part de Warren Ellis
La narration visuelle : comme tu le soulignes, c’est du Avatar, et cette maison d’édition n’avait pas les ressources financières pour employer des dessinateurs en vue.
La version courte de mes articles sur les trois premiers tomes de la série :
A priori le lecteur est toujours preneur de combats bien menés par un magicien de combat pas commode et bien malin, contre des monstres humains ou non, même si le format d’une série de miniséries semblait convenir à William Gravel, et assurait qu’il n’y aurait pas de risque de dilution pour respecter un rythme de parution mensuelle. Il est satisfait de voir que Warren Ellis et Mike Wolfer continuent de travailler ensemble, car ce sont eux qui ont défini le personnage. Les pages de Raulo Caceres sont suintantes comme à son habitude, avec des matériaux très tactiles, et des affrontements brutaux à souhait. Oscar Jimenez prend une liberté avec la carrure de Gravel, mais sait donner à voir ses aventures, avec une inventivité, une rigueur et une lisibilité remarquables. Les coscénaristes donnent au lecteur ce qu’il attend, et commencent à développer un thème inattendu montrant que le personnage principal évolue.
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Alors qu’il pouvait entretenir l’a priori que cette série n’est qu’un pis-aller de la série Hellblazer (William Gravel n’étant qu’un John Constantine avec en plus des capacités de combat), le lecteur découvre que l’association de Warren Ellis & Mike Wolfer aboutit à une série complètement originale : un personnage avec une histoire personnelle liée à ses difficultés scolaires, une réflexion sur le rôle de l’individu quadragénaire ou quinquagénaire dans la société, un regard lucide sur la manière dont une nation se nourrit des immigrants ou des peuples soumis. En outre, Mike Wolfer s’avère un dessinateur très habile, avec une narration visuelle semblant un peu légère en surface, mais se révélant très élégante à la lecture.
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Ce troisième tome couronnant l’ascension de William Gravel à la plus haute place de la magie tient toutes ses promesses. Les dessins de Mike Wolfer continuent à raconter l’histoire avec les nuances nécessaires, sans rien sacrifier à l’action ou au spectaculaire. L’histoire se termine sur une situation qui remplit la fonction de fin de saison, menant à son terme l’intrigue principale, ainsi que l’évolution de la situation de William Gravel, avec les questions afférentes.
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Ce que j’ai aussi trouvé intéressant, c’est que GRAVEL fait du personnage prétexte des mini-séries Strange Kiss un antihéros de plus en plus construit, qui se découvre des motivations pour aller au-delà de son statut.
Instinctivement, Ellis + cahier des charges boucherie production made in avatar + Caceres et toute la clique (Barrow, RIP) = fuis, fuis dans ton bordel, Bruce !
Et puis le zeste John Constantine, des démons, des pieuvres et une fin ratée : hop, au suivant !
Et tu peux mentionner Garth Ennis, tu ne m’y prendras pas, JB !
Sacrebleu, mon plan diabolique pour attirer Bruce n’a pas fonctionné. Note à moi-même : pour le prochain piège, utiliser des références à James Dean et à Gainsbourg en appât.
J’avais la souvenir qu’Ellis prolongeait dans STRANGE KISS et autre strangeries, ce qu’il avait été contraint d’abandonner lors de son exfiltrage de HELLBLAZER.
Je n’ai pas accroché du tout aux trois premières séries de la saga et je n’ai donc pas attendu que cela devienne une série éponyme.
C’était gore et gratuit, il y avait de la provoc’ du shock value à toutes les pages. un protagoniste qui avait laissé son charisme dans l’imper de Constantine.
je découvre donc dans l’article que les auteurs avaient planqué des thématiques originales.
Warren Ellis. je l’ai adoré et je continue de de penser que son masterpiece fut cette refonte de l’univers Wildstorm. qui vaut largement tout ce que proposa Marvel la décennie d’après.
il a eu deux ou trois fulgurances chez Marvel (NEXTWAVE, MOON KNIGHT par exemple).
Tous ses trucs décadents/punks à la con, ne me parlent plus du tout.
J’ai compris en mettant en parallèles les témoignages contre lui et ce que raconte TRANSMETROPOLITAN, qu’on lit en fait les aventures d’un pervers narcissique qui customise son assistante en la transformant en un double de lui même en la traumatisant, l’humiliant, et en la manipulant. Ce récit est devenu un étalage/aveu de ses propres turpitudes. LAZARUS JACK ou CITY OF VIOLENCE étaient du même acabit.
Tout ça dort dans un carton en attendant que je me décide à tout revendre.
Ouais, j’ai lu une partie de Transmetropolitan après les témoignages aussi, ça change radicalement la lecture…
Je ne suis pas très fan de son MOON KNIGHT : tout dans la forme mais aucune substance.
GRAVEL : je n’étais pas fan de ce que j’ai lu de STRANGE KISS/ES, mais la série régulière est plus focalisée et a un sous-texte politique qui m’a intéressé.