FOREVER Diablo (Focus Nightcrawler)

Partie 1 : l’Âge d’Or

Diablo par Alan Davis et Paul Neary

SPECIAL GUEST : MAXIME FONTAINE

À l’image de « Soryan Nesh », son détective protéiforme qui devient tour à tour Cyrano, Holmes ou Dracula, Maxime Fontaine se frotte avec bonheur à différents genres littéraires : polar adulte, fantasy ambitieuse, BD, romans jeunesse. La trilogie « Sorciers », co-écrite sur 1500 pages avec Romain Watson, chez Gulf Stream éditeur, a été fortement remarquée. Il nous propose un focus sur son X-man préféré : Nightcrawler ou Diablo en VF.

BAMF ! Parfois, un personnage de fiction se téléporte dans notre vie, et soudain le monde change. 1989. J’ai quinze ans. On se prépare pour un voyage en famille jusqu’aux îles Canaries. Mon père me suggère d’acheter un magazine ou deux pour le voyage.

Un peu au hasard, j’attrape un album broché estampillé Marvel : le récit complet « Excalibur », série dérivée d’un titre phare : « les étranges X-Men ». Les trois filles sexy sur la couverture ne sont pas étrangères à mon attrait. Elles ont cet air assuré, un peu hautain qui m’interpelle. Et des corps de rêve, bien sûr.

Je connais déjà les BD de super-héros, j’en ai parcouru plusieurs. Mais celle-ci, je la lis vraiment. Les filles ne sont pas juste jolies. Elles s’appellent Rachel Summers, Kitty Pryde, Meggan. Elles ont une psychologie, une personnalité, un vécu qui les distingue les unes des autres et qui les rend fascinantes. Soudain, je suis cueilli par des dessins et un style d’écriture comme je n’en ai jamais rencontré.

C’est pour moi un choc à la fois graphique et narratif. La symbiose parfaite entre l’imaginaire d’un écrivain talentueux et les planches somptueuses d’un dessinateur doué. Le scénariste, c’est Chris Claremont, le maître des intrigues à tiroirs. Le dessinateur, c’est Alan Davis, le magicien des volumes.

Objet de fascination : le RCM Excalibur

Et puis, il y a ce personnage masculin. Ce super-héros qui ne ressemble pas à ses semblables. Sa peau bleue, ses oreilles pointues, sa queue fourchue, ses mains à trois doigts en font d’emblée un paria. Mais un paria avenant, souriant, acrobatique. Un gymnaste qui défie les lois de la pesanteur et se lance dès la première image dans la bataille, épées en main, face à une improbable armada de robots-mousquetaires.

La mise en scène est parfaite. L’individu est saisissant de charisme et d’originalité. J’apprends qu’il s’appelle Diablo. En quelques bulles et postures, on saisit déjà sa voix et sa personnalité enthousiasmantes. Il se téléporte d’un endroit à l’autre dans un nuage de soufre très graphique. BAMF ! La totale classe.

On est loin d’un Superman, d’un Batman ou d’un Spider-Man où le costume fait l’homme. Même si sa tenue originelle est juste parfaite, en réalité, il n’en a pas besoin. Diablo, on le reconnaît avec n’importe quel vêtement. En short, en survêt’, en anorak, en chemise à fleurs : à moins d’utiliser un gadget de Tony Stark, impossible pour lui de passer inaperçu.

Alors que Bruce Wayne et Clark Kent, c’est un peu comme Œil de Faucon et Cap America : des mâchoires carrées, des visages qui se ressemblent. Sans leur habit iconique, on les confond aisément. À quinze ans, on cherche encore des modèles. Des personnages réels ou des êtres de fiction à qui ressembler, parce qu’on est mal dans sa peau. Moi, je me trouvais surtout maladroit. Trop rêveur. En marge des autres. Jamais assez beau. Coincé de mon apparence, aussi.

Soudain, sans que j’aie pu m’y attendre, Diablo (alias Kurt Wagner) m’offrait une solution à ce mal-être. En transformant sa différence en atout. Mieux : en brillant grâce à sa différence.

Le monde le détestait parce qu’il avait tous les attributs du démon ? La belle affaire ! Cela ne l’empêchait pas de s’en amuser, d’effrayer ses détracteurs, de bondir partout, et d’évoluer parmi d’autres personnages tout aussi étranges et envoûtants que lui.

Parce qu’il savait jouer de ses atouts. Cette résonance, j’en avais besoin. Le bel optimisme de Diablo, je m’en suis aussitôt emparé. Il était déjà celui de ma mère, de ma grand’mère. En me confrontant au monde et à ses horreurs, je l’avais juste oublié.

Diablo le bretteur (Claremont/Davis/Neary)

Ce que j’ignorais encore, c’était à quel point j’allais me passionner pour cet être de fiction. À quel point il allait me coller à la peau, à certains moments clés de ma vie. Bien vite, j’apprenais qu’il était apparu pour la première fois parmi les X-Men, en 1975. Mon année de naissance… comme par hasard !

À partir du RCM (pour Récit Complet Marvel) nommé Excalibur, j’ai voulu tout connaître, tout savoir de la famille d’adoption de Diablo, les fameux « X-Men », ces héros prêts à mourir pour la survie d’un monde qui les déteste.

Parce que les X-Men, ce ne sont pas les Vengeurs hyper médiatiques et plutôt propres sur eux. Ils sont torturés, trop visibles, mal-aimés. Ils sont une allégorie parfaite de la volonté d’intégration face au racisme primaire. Leur parcours est jalonné de drames, d’intolérance, de revers. Mais aussi d’entraide. De résilience. De volonté de survivre en se soutenant dans l’adversité.

Cette profondeur, cette richesse du propos font du comic-book « X-Men » le plus riche, le plus intelligent de l’univers Marvel. Mais aussi le plus complexe.
À l’instar d’une intrigue à la Dumas, à la Victor Hugo, il est dans la nature des feuilletons super-héroïques d’être foisonnants. Sur les traces de Diablo, j’ai commencé à collectionner tous les numéros manquants, depuis sa première apparition en 1975 jusqu’à ses aventures à l’aube des années 90. Bien sûr, ça m’a pris quelques années. Il a fallu écumer les bouquinistes et autres braderies, une longue liste de numéros en poche.

Ce côté « chasse aux trésors » m’a passionné. La tâche était rendue plus aisée par ce fil rouge : à l’époque, un seul scénariste présidait à la destinée de l’elfe bleu. Le même Chris Claremont responsable de mon coup de cœur initial : le RCM Excalibur. Justement, Marvel était en train de rééditer les tous débuts de son run brillant et remarqué. Trois ou quatre ans plus tard… voilà, j’y étais ! Le puzzle était complet. Complet, et superbe. À ce détail près : la figure de Diablo n’y était pas aussi centrale que je l’imaginais.

Le Diablo préhistorique (notes de Dave Cockrum)

Petit retour en arrière, en se plaçant cette fois de l’autre côté de l’océan Atlantique. Là où les X-Men sont nés : aux États-Unis. Pour les lecteurs de comics, 1975 est une année charnière. En cette époque où les revues en quadrichromies ne valent pas même un dollar, c’est le règne de tous les concepts inventés par Jack « the king » Kirby et Stan « the cameo man » Lee. Les Fantastic Four, Incredible Hulk et autres Avengers en moule-bites colorés ou shorts indéchirables caracolent depuis plus d’une décennie en tête des ventes.

Mais le titre « X-Men », pourtant inventé par le même duo magique est à la traîne. Pourtant, l’idée d’une bande de jeunes mutants a de quoi séduire. On abandonne un moment les scenarii tarabiscotés à base d’araignée radioactive, de rayons cosmiques et autres bombes gamma. Si les personnages principaux -Cyclops, Marvel Girl, Beast, Iceman et Angel- se voient dotés de capacités surnaturelles, c’est uniquement parce qu’ils sont les enfants de l’atome : les rejetons d’une génération baignée de radiations.

Seulement, la désertion assez rapide de Kirby et Lee plombe les ventes. Malgré quelques numéros spectaculaires signés par un Neal Adams en pleine forme, l’équipe éditoriale de Marvel en est réduite à réimprimer d’anciens épisodes. On charge la scénariste Len Wein et le dessinateur Dave Cockrum de réinventer le concept. En étoffant le casting, avec une équipe internationale censée amener un plus large lectorat.

Ça tombe bien : des personnages hauts en couleurs, Dave Cockrum en a plein ses cartons.  Parmi eux, un démon à la peau bleue baptisé « Nightcrawler », imaginé lors d’une nuit apocalyptique, tandis qu’une tempête particulièrement furieuse ravageait le paysage. Vous l’avez reconnu : c’est notre « Diablo » de la VF. Enfin, pas encore…

Au début, Cockrum imagine un individu sombre, aux crocs de vampire, qui cherche à rejoindre les enfers. L’artiste a déjà tenté de placer son personnage chez DC comics. Jugé trop étrange pour un super-héros, il a été recalé. Qu’à cela ne tienne : la firme concurrente, Marvel, est intéressée ! La maison des idées sent le potentiel de cette création hors-normes : un justicier à l’apparence effrayante ?  Voilà pile ce qu’il faut pour les nouveaux « X-Men » !

Première apparition de Nightcrawler, Storm, Colossus : le célébrissime Giant size X-Men !

Nightcrawler débarque donc dès la première séquence du comic-book. Il y côtoie la belle Ororo Monroe (alias Storm, alias Tornade), une déesse africaine au caractère affirmé, aux longs cheveux blancs, aux yeux bleus profonds et hypnotiques -difficile de ne pas en tomber amoureux. Il y aussi Colossus, un poète bodybuildé venu d’URSS -eh oui, c’est la détente ! Et puis, Wolverine (« Serval » pour les vioques comme moi), ce griffu teigneux déjà apparu dans un numéro de « l’incroyable Hulk », et qui bientôt se taillera la part du lion, scénaristiquement parlant.

Le tout jeune Chris Claremont remplace un Len Wein débordé dès le deuxième épisode. Il ne quittera le titre que… 17 ans plus tard. C’est dire à quel point ce cher Chris façonnera la destinée des mutants. Et Diablo / Nightcrawler, dans tout ça ? Eh bien, exit le sombre démon échappé des enfers. Chris Claremont repense totalement sa personnalité. Acrobate accompli ayant grandi dans un cirque, Il deviendra optimiste, fier de ce qu’il est. Un cœur pur à même de bousculer tous les préjugés. Cela plaît à Dave Cockrum, qui bientôt s’identifie au personnage, au point de répéter au fil des interviews que l’elfe bleu, fan d’Errol Flynn comme lui, est son double de fiction. (Je ne peux que le comprendre : au moment où, face mon puzzle mutant, je sors de l’adolescence, l’identification fonctionne encore à la perfection, de mon côté.)

Diablo devient donc la quintessence de l’allégorie mutante. L’âme pacifique du groupe. Qui de mieux qu’un (pseudo) diable afin d’attiser les haines, jouer avec les superstitions… et montrer à quel point les apparences sont trompeuses ?

Lorsque Dave Cockrum, son créateur, est aux crayons, l’elfe est assurément l’une des stars du titre. On lui découvre sans cesse de nouveaux pouvoirs (adhérence aux murs, invisibilité dans la pénombre, fourrure fine, capacités d’escrimeur, … ) Et puis, le vent tourne. Incapable de soutenir davantage la cadence mensuelle, Dave Cockrum quitte le titre.

Le nouveau dessinateur des X-Men est un prodige du nom de John Byrne. Avec lui, le titre va s’envoler vers des chiffres de vente stratosphériques. Et si, en coulisses, ça barde entre Claremont et Byrne, du côté des librairies, les lecteurs de la saga du « Dark Phoenix » jubilent, pleurent et vibrent comme jamais.

Canadien comme Wolverine, John Byrne a jeté son dévolu sur le griffu. Sous ses crayons, Diablo n’est plus qu’une mascotte, un faire-valoir des autres personnages. La meilleure preuve en est qu’aucun scénario ne tourne plus autour de lui à cette période.

On a bien une relation esquissée avec la métamorphe Mystique. Ce personnage trouble de métamorphe à la peau bleue aurait-elle un lien de parenté avec Diablo ? Malgré le teasing, cela ne dépasse guère le stade de l’allusion.

Cette période, sans conteste la plus populaire du titre, ancre l’elfe bleu comme un personnage de second plan. Dave Cockrum en éprouvera quelque rancœur envers Byrne -lequel n’a rien à faire des conseils de son prédécesseur.

Kurt Wagner par John Byrne, guest-starring Mystique

Soupe au lait, Byrne finit même par s’embrouiller avec Claremont. Alors que le titre est au sommet, le dessinateur superstar quitte le navire. Il voguera vers d’autres horizons (Fantastic Four, She-Hulk, Alpha Flight, …) où il deviendra seul maître à bord.

Mauvaise nouvelle pour de nombreux passionnés de mutants, mais bonne nouvelle pour Cockrum, qui retrouve avec bonheur ses chères créations, lors d’un second run moins révolutionnaire, mais tout de même enthousiasmant. Diablo y regagne des couleurs, et une meilleure place auprès de Tornade, Logan et les autres.

Lors d’un annual avec cette fois John Romita Jr aux pinceaux, on fait enfin connaissance avec la famille adoptive de Diablo. Orphelin de naissance, il a été recueilli par la sorcière Margali Szardos, une gitane au caractère affirmé qui aujourd’hui le met à l’épreuve. Et pour cause : Kurt Wagner a accidentellement tué son fils Stefan, devenu fou.

Diablo prouve son innocence, et se réconcilie avec sa famille d’artistes de cirque. Sa sœur adoptive, Jimaine, alias Amanda Sefton, devient officiellement sa compagne. Certes, ils ont grandi ensemble. Mais ils n’ont aucun lien de sang. Alors, personne ne voit d’objection à leur union… Parallèlement à cet épisode important, la seconde période Cockrum finit en apothéose, avec l’incroyable saga des Broods, inspirée du film « Alien », parabole intelligente du féministe Claremont sur l’IVG.

Le créateur de Tornade, Colossus et Diablo quitte une seconde fois les X-Men. Personne ne le sait encore, mais ce sera pour toujours. Un autre surdoué entre en scène : le jeune Paul Smith, maître du storytelling qui fait souffler un vent de fraîcheur, le temps d’une année inoubliable. Et puis, c’est le tour de John Romita Jr, qui restera un long moment sur le titre.

Pour Diablo, c’est de nouveau l’occasion d’être mis progressivement de côté. Comme s’il ne pouvait briller qu’avec Dave Cockrum. Bien plus inspiré par Wolverine, par Tornade, puis par trois nouvelles venues, Kitty Pryde, Malicia et Rachel Summers, Claremont relègue l’elfe bleu à son rôle de soutien d’équipe. Un personnage qui fait partie du paysage… mais sans rien apporter de décisif, scénaristiquement parlant.

Tout le contraire de Wolverine et surtout de Tornade, laquelle devient chef d’équipe en évinçant Cyclope. Elle obtient le statut de figure centrale des X-Men, le long de somptueux scenarii la mettant en scène tour à tour brisée, combattive puis victorieuse de ses traumas -la quintessence du féminisme super-héroïque, terriblement en avance sur son temps.  Pendant ce temps-là, Diablo n’est plus que l’ombre de lui-même. Il doute, il se plante. Son passage éclair en tant que chef d’équipe est un fiasco.

De son côté, s’il ne travaille plus sur le titre, Cockrum n’a pas dit son dernier mot. Sans doute agacé par cette mise progressive au placard de son personnage fétiche, il travaille sur une mini-série déjantée, qui propose la toute première aventure solo de Kurt Wagner, propulsé entre les dimensions. Ce sera le titre « Nightcrawler » (rebaptisé logiquement « Diablo » chez nous, le temps d’un RCM remarqué). Si l’histoire part en tous sens, on s’amuse énormément, et le temps que cela dure, on retrouve la flamboyance d’un personnage qui n’a jamais été mieux servi que par celui qui l’a jadis inventé.

La mini-série délirante de Dave Cockrum (1985)

Cette parenthèse enchantée, bouffée d’optimisme et récit d’aventure au premier degré ne résiste cependant pas à l’air de temps. À l’ère de Frank Miller et d’Alan Moore, où tout est crépusculaire et déconstruction des icones, il est de bon ton de briser les super-héros. Les X-Men n’échappent pas à la règle : Claremont leur fait collectionner les échecs. Jusqu’à ce que les plus lumineux succombent : Colossus, Kitty Pryde et Diablo sont grièvement blessés. Ce dernier plonge même dans le coma.

Rideau ! L’exil de Diablo du titre principal va durer un long moment. Une décennie entière sans sauver le monde aux côtés d’Ororo, de Logan et des X-Men. Est-ce une mauvaise chose pour le personnage ? Sûrement pas ! Car il ne restera pas inactif. Le renouveau se dessine, avec l’arrivée d’un artiste britannique : Alan Davis. Tellement doué, qu’il arrive à s’emparer du personnage, au point de surpasser, dit-on, la version originelle.

Voilà. Nous sommes en 1989. L’aube de l’équipe Excalibur. Le moment où mes lectures ont commencé. À ce moment de l’histoire, les X-Men sont morts en sauvant le monde -du moins, c’est ce que pensent Diablo, Kitty Pryde et Rachel Summers, qui doivent poursuivre leur chemin en Angleterre avec la culpabilité des survivants. En réalité, les supposés macchabées survivent en Australie, sous les crayons prodigieux de Mark Silvestri -lequel dessine les femmes comme personne. Kurt, Rachel et puis Kitty n’apprendront la survie de leurs amis que bien plus tard. 

Côté anglais, passé le deuil, on retrouve un ton léger, baigné dans l’humour et le non-sens. Claremont, qui ne savait plus comment utiliser Diablo dans la série principale lui taille un rôle parfait au sein du spin-off britannique. L’équipe d’Excalibur, c’est sa renaissance ! Diablo est à la fois conscience du groupe, mentor, caution morale, tacticien chanceux et atout de charme qui séduit Meggan la métamorphe. Tout cela à la fois : on dirait du Dave Cockrum en roue libre !

Galvanisé par le trait sublime d’Alan Davis, le scénariste star se remet au service de Nightcrawler… pour notre plus grand plaisir. Et c’est un véritable festival. Les excellents épisodes s’enchaînent. Notamment le #14 où, dans une veine parodique et méta, Diablo rencontre Chris Claremont et John Byrne en personne. Il s’éloigne vite d’eux, prétextant qu’il en a « soupé de ces deux-là, pour toute une vie ! »

Et puis, il y a l’inoubliable épisode 16 intitulé « Warlord », fabuleuse synthèse entre le multivers du Captain Britain d’Alan Moore, la fameuse mini-série de Cockrum mais aussi l’héritage de Flash Gordon et du John Carter d’Edgar Rice Burroughs. On y rencontre un Diablo en majesté, parfaitement dans son élément, centre d’une intrigue survitaminée où les combats à l’épée s’enchaînent, et où les princesses en détresse qu’il séduit sont en réalité des assassins. Cerise sur le gâteau : une couverture iconique d’Alan Davis, qui parodie Frazetta. Avec supplément second degré.

Alan Davis et Chris Claremont revendiquent leurs influences : Frazetta, Burroughs, Lovecraft

Malheureusement, épuisé à son tour par le rythme mensuel qu’on lui impose, Alan Davis fait relâche. La qualité s’en ressent. Voici Claremont sans son compère… et bientôt viré comme un malpropre par Bob Harras, éditeur ingrat qui supporte mal ses idées progressistes. Malgré 17 années de bons et loyaux services, malgré la tonne de dollars engrangés, on montre à Claremont la porte. On lui préfère les idées de Jim Lee, star montante d’Uncanny X-Men.

Claremont a juste le temps d’écrire un final touchant, point d’orgue de l’affrontement entre le Professeur Xavier (mentor des X-Men) et son ami et rival de toujours, Magnéto. Une conclusion satisfaisante pour Tornade et les siens. Les X-Men s’envolent vers de nouvelles aventures. Sans Claremont, cette fois.

La prise de pouvoir est absolue, la trahison est terrible. Et le titre deviendra bien moins féministe -comme n’importe quel autre parution super-héroïque, en somme. Dans ce ciel crépusculaire, une bonne nouvelle cependant : sur le titre Excalibur, Alan Davis préparait son retour au #42, en assurant seul scénario et dessin, cette fois.

Si on n’avait jamais douté de son talent de dessinateur, contre toute attente, Davis se révèle brillant au scénario. Au point de rivaliser avec les meilleurs épisodes de Claremont, et d’insuffler au titre un souffle épique, alors inégalé. Rachel Summers se retrouve au centre de l’arc baptisé « Anti-Phénix », qui conclue toutes les pistes narratives lancées par Claremont.  Diablo y devient le chef d’équipe expérimenté qu’il n’avait jamais pu être parmi les X-Men.

Une évolution du personnage bienvenue, qui regarde par-dessus son épaule les jours révolus de son passé de « mascotte ». Il se lance dans une nouvelle relation, au bras de Cerise, craquante extra-terrestre qui n’est pas sans rappeler la Starfire de DC Comics par certains aspects.

Il a même droit à plusieurs épisodes dignes du « Handbook of Marvel Universe », où des scientifiques dévoués analysent le moindre de ses faits et gestes, en s’enthousiasmant sur ses prouesses et ses capacités. Une petite armée de fans le prend comme modèle. Excalibur est clairement devenu son titre.

Le Diablo de Davis au centre des regards

Les meilleurs choses ont une fin. Alan Davis ne pouvait tenir éternellement cette cadence. Il tire sa révérence au #67, non sans avoir résolu le futur apocalyptique dont était venue Rachel Summers, quand Claremont était seul maître à bord. La happy end est parfaite. Et d’ailleurs, Davis utilise le terme, dans un ultime élan méta.

C’est pour moi (et pour beaucoup de monde) la fin de l’âge d’or des X-Men. L’épilogue parfaite de l’ère Claremont par l’un de ses collègues avec, au centre du tableau final, un Kurt Wagner rayonnant, qui est devenu la meilleure version de lui-même.

Et moi, je viens de passer mon bac. J’ai 18 ans révolus. Je suis un adulte. En âge de laisser derrière moi mon adolescence et les super-héros. D’ailleurs, j’ai une place qui m’attend en prépa littéraire. Je vais bientôt quitter ma région pour le lycée Fénelon, en plein cœur de Paris.

Bye bye, Diablo. Je te dis au revoir, comme à Tornade, comme à Logan, comme à Magik -un autre personnage claremontesque qui m’a marqué à jamais. Mais maintenant, les amis, l’insouciance, c’est fini. Et puis les super-héros aussi. Ils ont rejoint les Chevaliers du Zodiaque, qui se sont déjà évanouis dans le final du 114e épisode, après leur victoire contre Poséidon.

La vie d’adulte me tend les bras, avec ses romans bien plus sérieux, et ses jolies filles qui ne seront plus en papier journal -si j’ai de la chance. L’heure n’est plus aux périodiques de chez Marvel. Du moins, hum… c’est ce dont je me persuade, l’espace d’un bref instant. Parce que… quand même… Et Mystique la métamorphe, alors ? Cet énième personnage inventé par Dave Cockrum. Est-ce qu’elle était la mère génétique de Diablo, oui ou non ?

À SUIVRE… BAMF !
Bientôt, la partie 2 : the Long and Winding Way

Une fin parfaite (Excalibur #67)


Espace promo des livres de Maxime :

42 comments

  • Bruno :)  

    Super article ! Et amplement mérité par le personnage auquel il est dédié : Diablo/Nightcrawler (son alias Anglo-Saxon est prodigieusement adapté, dans son étrangeté intrinsèque : l’association de ce dernier avec le mutant aux oreilles (et queue !) pointues est un cumul d’originalités sans équivalence !).
    Très singulier de découvrir -et d’apprécier à sa juste valeur- le Kurt Wagner transfiguré de Alan Davis pour ensuite être confronté à son incarnation originelle… Un minimum de gymnastique mentale a sûrement du être nécessaire ! Sans parler d’attaquer les productions du MCG par Excalibur, cette mini série d’exception, dont le ton légèrement décalé (presque iconoclaste !) d’avec le reste de leurs publications était encore magnifié par le travail d’orfèvre de Alan Davis et Paul Neary : là aussi, la plasticité mentale a forcément joué pour apprécier le reste -à quelques exceptions près, quand même.

    Mais, bien sûr, elle est de rigueur quand on décide de partir à la découverte de ces magnifiques architectures, brillantes d’inventivité et toute branlantes d’incohérences, qui font les aventures au pays des Super-Héros. Le « caprice » délirant que s’est offert Dave Cockrum avec sa mini série entièrement dédiée à son chouchou est un exemple extrême de ce qui peut attendre l’innocent, au tournant d’un périodique ou d’un autre… Mais pourtant loin d’être le pire, tant la sincérité et la joie de l’auteur/artiste sont authentiques. Il est à noter que, malgré cette complète autonomie créative, le retour vers sa création n’échappe pas aux influences des autres artistes qui ont œuvré sur la série X-Men : on sent pas mal du John Byrne chez ce Diablo -là.
    Je rejoins tes appréciations quant aux dessinateurs qui se sont succédés sur la série : merci d’avoir mentionné Paul Smith, systématiquement décrié pour la « radicalité » de ses parti-pris graphiques alors que sa patte apportait effectivement un plus, notamment au niveau des expressions ; et aussi d’avoir souligné le talent de Mark Silvestri pour dessiner les filles -mais pas seulement, hein !
    Je me souviens avoir, par contre, été beaucoup moins enthousiaste par le second run de Dave Cockrum : l’encreur « rognait » sa puissance (Joseph Rubinstein) et je n’ai pas non plus aimé l’ambiance « old school » des scénarios de Chris Claremont, sur cette période.

    Pour en revenir à Diablo, Alan Davis a complètement réinventé « l’aura » du personnage, bien au delà du look : élancé, gracieux (à l’instar de tous ses compères -et quasiment TOUS les autres intervenants de la série !), il « flotte » presque au dessus du sol, tel un Nijinsky en exotique (!!) costume de scène. Miraculeusement encore plus fidèle à se qu’on s’imaginait de lui au travers de ses (rares) saillies passées, ce Kurt Wagner-ci bénéficie en outre d’un tempérament beaucoup plus affirmé ; même si je n’ai jamais eu l’impression que ses partenaires passés le considéraient comme une mascotte : l’échange très direct entre lui et Scott dans la bibliothèque, alors que Jean révèle à ses parents toute l’étendue de sa métamorphose, souligne en trois cases la profondeur du personnage et le respect qu’il inspire forcément !
    Les explications « scientifiques » en rapport avec ses nombreux « pouvoirs », assez disparates entre eux pour un mutant issu d’une ère plus respectueuse du concept originel (les Seventies…), sont très habilement amenées ; mais force est de constater que « l’entrée de la dimension » au travers de laquelle il se téléporte et qui, sensée l’environner en permanence, est à l’origine de l’ombre qui obscurcit ses traits, n’est rien de plus, sous le pinceau de Davis, qu’un ton de peau : Cockrum et Byrne, beaucoup plus « francs du collier » dans le traitement graphique qu’ils en font, conféraient au Super-Héros une étrangeté beaucoup plus marquée et singulière. Bon, c’est juste un détail.
    Quant aux pouvoirs plus ou moins bien exploités selon les périodes -et les auteurs !- il s’agit surtout d’un je m’en foutisme finalement bien banal qui a touché tout l’univers Marvel dés le milieu des années quatre-vingt-dix : il n’y avait plus que « l’énorrrme » qui comptait… Phénix ? Vous avez dit : PHÉNIX ?!
    Sinon, j’ai aussi beaucoup apprécié le travail de scénariste de Alan Davis : la genèse à peine esquissée d’un « nouveau » groupe plein d’originaux (Cerise, Micromax, Colin, Feron…), et même tout le fatras cosmique autour du « pouvoir de Phénix » qui, bien qu’il n’ait jamais été aussi joliment exploité qu’au sein d’Excalibur, n’est à mes yeux qu’un écheveau fait de bouts de scotch plus ou moins usés (…) pour essayer de justifier une des bourdes commerciales les pires de « la boite à idées »…
    Merci encore, donc, pour la dynamique nostalgie ; et vivement la seconde partie !

    • Maxime Fontaine  

      Merci pour ta lecture attentive.
      Le groupe construit peu à peu par Davis dans Excalibur était prometteur. Dommage que ça n’air pas duré. La Partie 2 de l’article arrivera assez vite, je l’ai terminée. 😉

  • Alchimie des mots  

    Quel bel article ! J’ai cru relire ces descriptions de personnages dans les stranges origines
    Une belle madeleine de Proust et une superbe description merci!

    • Maxime Fontaine  

      Merci ! C’était une chouette époque pour les X-Men en général, et pour Diablo en particulier. Ah, les Special Strange Origins… je me revois sur le chemin venant du collège, à flâner en les lisant.

  • Nicolas  

    J’ai relu le Giant-Size annuel 1 danslequel Diablo manque d’etre crucifié par uen foule enragée, secouru de peu par Xavier. A un moment il manque de basculer dans le côté obscur. Et si Xavier n’avait pas été là… aurait-il pu devenir un Acolyte comme Seamus Melloncamp
    mutant Irlandais au corps de démon comme l’ami Kurt ?

    Et si Scott Lobdell nous avait présenté un Nightcrawler devenu fanatique enragé sus la coupe de Fabian CoRTez ?

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *