LUG : Les archives par Michel Montheillet
Propos recueillis par BRUCE LIT
Voici la version longue et non éditée de l’interview de Michel Montheillet parue dans GEEK MAGAZINE #48 à propos de son livre : LUG : LES ARCHIVES. Le format papier exigeait un gabarit maximum de deux pages. En voici trois, chers Bruce Liseurs !
Pour vous procurer le livre, c’est ICI
Cher Michel, c’est un livre formidable que vous avez commis et que tous les nostalgiques des années LUG vont vénérer. Pouvez-vous nous expliquer en quoi il diffère de Nos Années Strange publié il y a quelques années par JM Lainé et Sebastien Carletti ?
Chacun son Lug. C’est ce que je dis dans la préface. Chacun a découvert les revues des éditions Lug à une période de sa vie, sur tel ou telle publication. Je pense qu’il pourrait y avoir autant de livres que de fans, en réalité. La seule vraie différence c’est la contextualisation lyonnaise à une certaine époque et les éléments historiques qui ont permis à une relative petite maison d’édition de perdurer 39 ans. Mais j’aime beaucoup leur livre aussi ! Ici on s’attache peut-être plus à dépeindre les personnages qui ont fait Lug que rendre hommage à une époque. Le voyage part de plus loin : La censure des années 20, l’arrivée des petits formats et tous les autres éditeurs comme la Sagé, SER, Les éditions des Remparts et Impéria.
Ce superbe catalogue d’exposition est un hommage appuyé à Claude Vistel, décédée cette année. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs son apport à la culture Geek ?
C’est cette femme, contre toute attente, et contre presque tous les autres avis qui va voir dans ces étranges comics de Marvel de Stan Lee quelque chose, une possibilité. Alors qu’en réalité personne ne se bat pour avoir ces droits. Et elle va non seulement amener tous ces super héros ( les 4 Fantastiques, Spider-Man et le tout récent Silver Surfer sorti l’année d’avant en 68 ) pour la première fois dans un périodique français mais va offrir à la maison d’édition un tout nouveau marché.
Vous publiez un très bel entretien de Claude Vistel justement où elle dit avoir adapté les noms des super-héros Marvel. Serait-ce donc elle qu’il faudrait gratifier des Fatalis, Iceberg et Serval en lieu et place de Dr Doom, Iceman et Wolverine ?
Oui je précise que cet entretien a été conduit par Jean-Marc Guerre en 2007. Il retrace de manière assez factuelle les pressions ( censures, concurrence ) que peuvent représenter autant d’années au service d’une maison d’édition consacrée aux publications jeunesse et l’entretien avait disparu puisque stockée sur une page perso Orange qui a été supprimée. Et oui, effectivement, non seulement Claude Vistel participait elle-même aux traductions mais l’équipe a bien “françisé” tous les noms des personnages avec plus ou moins de bonheur. On se rappelle que c’était une autre époque ! Il ne fallait pas que ça fasse “trop” américain. C’était déjà le cas à l’époque de la sortie de Superman rebaptisé Yordi. Et c’était aussi, plus proche de Strange, le moment où Chewbacca, en France, s’appelait Chiquetaba ! Alors on n’était pas à un “Glouton” près, hein.
Votre livre revient sur la double censure que subiront les comics Marvel : la première via le comic code authority instauré aux Etats-Unis puis chez nous dans ce petit bureau de Lyon où des passionnés de comics doivent charcuter des planches originales ou des dialogues pour éviter de finir en prison comme Pierre Mouchot !
Il l’a évité, hein ! De justesse ! Mais oui la censure sur la presse jeunesse était incroyable. Et, en fil rouge, ce livre est surtout une histoire de la censure. Mensongère et hypocrite comme celle du terrible Abbé Bétléhem au début du siècle ou du court métrage “On tue à chaque page” des années 50 et puis celle, instaurée par la loi de 1949 qui finira par contrôler toutes les publications jeunesse des années 50 jusqu’à la fin, dans les années 90. Claude Vistel dit à quel point ça lui a vraiment pourri la vie.
Année Punk !
Les albums LUG sont restés célèbres pour leurs couvertures ultra léchées et un format attractif pour l’époque. On apprend dans votre ouvrage qu’ils étaient moins contrôlés que les périodiques…
Ils étaient plus chers et surtout ils n’étaient pas soumis à la même périodicité. Il restait plus longtemps en kiosque et même dans certaines librairies. Ils n’étaient pas du tout soumis aux mêmes contraintes. C’est bien ce qui a permis à Lug de sortir les Savage Sword of Conan pourtant plus déshabillés, plus violents que les séries qu’ils retouchaient tous les mois. Après, ce n’étaient pas les mêmes tirages non plus, hein.
Les lecteurs de LUG jouaient un rôle important avec le courrier des lecteurs. La rédaction elle-même pouvait ouvertement prendre position pour John Buscema contre Jack Kirby !
Oui, très clairement ! Il y avait un panthéon d’auteurs préférés par la maison et Lug ne se cachait pas pour donner son avis, parfois assez tranché. Je pense que le paroxysme a été le Surfer 18 dans Nova où sur la toute première page il y avait écrit “Nous publions cette épisode bien que nous ne l’aimions pas”
Merci pour ces merveilleuses illustrations : le lecteur de Strange, Special Strange ou Titans retrouve dans un format géant ces couvertures légendaires qui nous faisaient tant rêver…
Là, pour le coup, ce sont tous les collectionneurs qui ont acheté ces couvertures, ces pages, ces épisodes inédits qu’il faut remercier ! Sans eux on n’aurait jamais pu scanner tout ça. Après toutes ces années ( certaines pièces ont plus de 50 ans ) les dessins sont éparpillés de partout. Après la bonne nouvelle c’est qu’on en découvre tout le temps de nouveaux !
Ces covers qui nous auront tant fait rêver !
Ce qui est amusant c’est que les couvertures de Christian Goussale sont finalement plus menaçantes et inquiétantes que celles d’origines ! C’est flagrant pour l’album des X-Men : Au Royaume de Ka-Zar !
C’est vrai ! Mais le cas de Christian était particulier puisqu’il travaillait au studio dans les retouches. Il n’était pas illustrateur, c’est lui qui a proposé et qui a fait 4/5 couvertures. Du coup c’était moins “calibré” que celles de Jean et Thomas Frisano ou celles de Jean-Yves Mitton. Christian a d’ailleurs continué une longue carrière de coloriste après, chez Soleil.
Allons plus loin : je trouvais enfant que les couvertures des albums des Fantastiques avait plus de cachets que les dessins plus « infantiles » de Kirby !
C’est très personnel et c’est sûr que ces couvertures étaient, en tous cas, plus poétiques. Moi j’ai tendance à penser qu’elles ramenaient un petit côté “pulp” qui finalement a été aussi le matériau d’inspiration de Kirby. Mais, et c’était même là tout le but, elles enlevaient la prodigieuse puissance et la modernité des covers de Kirby ! Ce qui n’était pas le cas au début dans les Fantask et Marvel. La censure exigeait justement que le graphisme heurté et percutant des comics soit plus adouci. La proposition de Frisano de faire des peintures ( pour les super-héros puisqu’il le faisait pour les westerns depuis plus de quinze ans ) a été une idée de génie.
Vous ne faîtes pas l’impasse sur le destin dramatique de Jean Frisano, le légendaire illustrateur de Strange et Special Strange qui ne visitera jamais les locaux de LUG, ne dessinera pas à son grand regret la couverture de Strange N°100 et dont les lecteurs n’apprendront le suicide qu’après de longs mois dans le courrier des lecteurs !
Ils n’apprendront évidemment pas qu’il s’est suicidé, hein. Mais juste qu’il est mort. Et cette annonce apprendra surtout son nom en même temps au lecteur que j’étais. Toutes ces années on ne savait pas qui réalisait ses peintures, son nom n’était nulle part ! Il y a eu un très bel ouvrage sur lui chez Néofélis il y a quelques années.
De beaux focus sur les super-héros français comme Mikros ou Photonik font partie de votre ouvrage. Les ambiances de ces comics made in France étaient bien plus inquiétantes que celles de leurs homologues américains !
Mais oui ! Les auteurs français ont été aussi inspirés par la science fiction de l’époque que par les comics. On peut voir à quel point La Quatrième Dimension a plu à Jean-Yves Mitton et à quel point les petits formats d’aventure, de western ont imprégné le travail de Ciro Tota. En ce sens, ils avaient déjà digéré toute la culture geek de leur époque !
Qu’est-ce qui empêche-la ressortie en intégrales de ces héros légendaires qui ont leur fanbase.
Mais rien ! Et c’est d’ailleurs bien pour ça qu’une réédition de Photonik en NB ressortira ( aussi chez Black and White ) pour coïncider avec la reprise du personnage par Paul Renaud à la fin de l’année et que les rééditions de Mikros continuent aussi ( chez Original Watts ) …
Après avoir signé les illustrations de l’attraction au Futuroscope, avez-vous l’impression d’avoir boucler la boucle des super-héros français ?
C’est l’inverse ! J’ai l’impression que je commence juste à m’y intéresser ! Il y a encore tellement à faire.
Votre premier choc LUG ? Votre publication préférée ?
Le premier c’était le Strange 90 et l’album 27 qui regroupait 3 autres Strange plus vieux autour des 80. C’était la pleine période cosmique de Captain Marvel, Le Spider-Man de Romita ( la raison de cet achat grâce à la série TV ) et je crois quand même que le choc a été le Daredevil de Gene Colan et Tom Palmer. C’était hyper dynamique, c’était sombre et c’était très sexy. Bref, même si gamin je ne comprenais pas tout, ça me brûlait la rétine. J’habitais sur Lyon, aux Terreaux. C’était normal pour moi d’aller avec ma mère ou ma grand mère chez Lug, rue émile zola pour aller acheter les numéros qui me manquaient. Il y avait un bureau en bas dans l’allée qui vendaient les numéros des 6 derniers mois. Et ma publication préférée a toujours été le Photonik de Ciro Tota. Alors imaginez la chance ( pour le gamin que j’étais c’était impensable ) quand j’ai demandé à Ciro de faire la couverture de ce bouquin !
Bonus
L’interview vidéo hébergée par La Taverne de Lug.
Si je peux faire mon JP pendant un instant, c’est un plaisir d’apprendre qu’enfant tout comme adulte, Michel Monteillet a toujours pris son Ciro sans se plaindre.
Plus sérieusement, merci de partager cette interview sur les coulisses de LUG et plus (inculte que je suis, j’apprends seulement les déboires de Pierre Mouchot. Ah, ces « bonnes âmes » qui s’inquiètent de la « séduction des innocents » par ces comics corrupteurs de la jeunesse étaient aussi chez nous !)
…! « … son Ciro… » ARF ! :))
Purée, je viens de passer à côté d’un titre d’anthologie.
Je pensais avoir pourtant touché le Nirvana avec Salug, les copains !
Non mais c’est bien aussi ! Ne sois pas triste !!
Merci pour cette interview ! Je ne l’ai pas encore lue en version papier (j’accumule les Geeks magazines que je ne lis pas entièrement et parfois ils attendent des mois…) mais je sens un peu l’arrivée de cadeau de Noël avec ce genre de publication. Pour sûr que cela doit faire plaisir, cela a l’air conséquent et sans aucun doute très informatif. Sans parler de la couverture de Tota, très chouette. Pour ma part, je n’ai aucune nostalgie de ce point de vue donc je ne le prendrais pas.
J’ai particulièrement apprécié le passage sur la censure et celui sur les couvertures qui sont en effet souvent très belles (j’adore celle titrée « Ces covers qui nous auront tant fait rêver ! »).
Merci de ton soutien à Geek, Cyrille. Le numéro 50 verra mon interview de Frank Miller mais ne paraîtra qu’au printemps.
Hello !
Je recommande l’achat du LUG Archives !
Boulot de dingo, une merveille d’informations, et une mine de couvertures de Jean Frisano, nettement plus accessible que le catalogue d’Angoulême/FIBD qui lui a été consacré il y a 4-5 ans (le prix délirant m’avait stoppé.).
– Une petite correction (riquiqui, vous verrez) : contrairement à ce qui est dit (et pas seulement ici), le nom de Jean Frisano avait bien été cité au moins une fois avant sa mort (l’honneur est sauf !), puisqu’il figure dans le courrier des lecteurs de Strange n.193 en janvier 1986 (Frisano s’est suicidé en août 1987).
À un lecteur (Patrice Khalifa) qui cite ses dessinateurs préférés (après Byrne) Mitton et Tota, et qui demande qui réalise les posters, on répond :
» Les posters sont dessinés par Jean Mitton ou Jean Frisano ».
Alors c’est très laconique, on est d’accord, on n’attribue pas clairement à Jean Frisano les dizaines (centaines ?) de couvertures pourtant peintes par lui, mais c’est quand même une citation de son nom chez Lug – qui les rattrape ainsi (un peu) de ce qui est une authentique invisibilisation quant à son apport à l’édifice (les noms de Tota et Mitton étaient en revanche clairement mis en avant, et connus des lecteurs.
Y avait-il une raison ?
Ne pas citer Frisano pouvait permettre (par exemple) de ne pas avoir d’obligations patronales pour un prestataire extérieur. Ce pourrait sembler logique, au vu de certaines pratiques confiscatoires de la politique de Marcel Navarro, grand manitou de Lug. Mitton et Tota ont souvent pu évoquer ces sujets. Dans le livre Jean Frisano (chez Neofélis), on évoque aussi beaucoup ce ressentiment de Jean Frisano pour la maison Lug. Il y avait donc des griefs entre les deux parties.
C’est sans doute un détail, mais ils disent aussi quelque chose de l’époque.
En tout cas, bravo Michel, et bravo Black and White !
Salut Laurent,
Voilà une visite qui fait bien plaisir. Je n’ai hélas pu me procurer le livre de Philipe FADDE sur FRISANO. Par contre, je l’avais interviewé et n’ai lu son travail qu’en PDF, ce que je déteste faire. Un livre, c’est physique. https://www.brucetringale.com/jean-frisano-cet-illustre-inconnu-interview-philippe-fadde/
Merci Bruce pour cette interview en version longue ! J’avais déjà regardé/écouté avec intérêt ton live chez l’ami Camille en septembre dernier avec Michel Montheillet et c’est avec plaisir que j’en ai repris encore un peu !
Vivement l’interview de Miller ! 🙂
Merci pour avoir écouté l’interview. Je l’ai revue ce matin et j’ai une mine épouvantable : une fièvre de cheval au moment du live.
Sur Miller, on part sur 6 pages.
Du très grand Bruce ! D’entrée de jeu, avec la question qui fâche, tout en permettant d’évacuer cette comparaison, faut oser :
Pouvez-vous nous expliquer en quoi il diffère de Nos Années Strange publié il y a quelques années par JM Lainé et Sebastien Carletti ?
Très bel hommage à Claude Vistel.
J’ai également beaucoup aimé les questions et les réponses sur la censure et sur les couvertures, celles en décalage avec le contenu (pout les premiers épisodes de Jack Kirby).
Et bien sûr, la question esthétique :
Prendre position pour John Buscema contre Jack Kirby.
Je jure sur la tête de mon chat ne plus vouloir fâcher personne. Je suis dans une periode unplugged de ma vie où j’ai suffisamment irrité de monde pour goûter au repos du guerrier.
Bonjour.
Lecture très matinale de cette interview pour bien commencer la journée (le présent commentaire vient par contre plus tard).
J’ai appris plein de chose et comme toute une génération je dois tellement à LUG. Je retiens surtout qu’il y avait des femmes et des hommes derrière tout cela. Je ne connaissais pas le destin tragique de Jean Frisano et c’est bien de mettre en avant Claude Vistel.
Superbes images pour illustrer l’article. Celle avec Kazar et les X-Men m’aura fait fantasmer quand j’étais tout petit (bon je n’ai pas non plus beaucoup grandi). Peut être ma préféré de cette époque. Je voulais cet album X-Men que je pressentais terrible au vu de l’illustration.
Mais autant je m’étais régalé avec GENERATION STRANGE, autant désormais je suis passé à autre chose. Cet ouvrage m’aurait donc intéressé il y a quelques années. Mais la qualité à l’air évidente. Et puis quel enthousiasme de la part de Michel
Michel est une crème d’homme.
L’illustration de Ka-Zar m’a aussi fasciné enfant. Je n’aurais pas fait le rapprochement avec le Pulp, mais maintenant ça crève les yeux !