ARROWSMITH : BEHIND ENEMY LINES par Kurt Busiek, Carlos Pacheco, Jose Rafael Fonteriz et José Villarrubia
Un article magique de FLETCHER ARROWSMITH1ère publication le 3/04/24- MAJ le 08/08/24
VO : Image Comics
VF : Delcourt
Fletcher Arrowsmith revient. Fort de ses précédents succès, l’état-major l’estime assez digne de confiance pour lui confier une mission secrète de la plus haute importance, de celles qui peuvent faire basculer la guerre du bon côté. Il devra évoluer derrière les lignes ennemies. D’abord à la recherche d’un mystérieux allié, le soldat Arrowsmith plongera ensuite dans les plus profonds secrets de la magie dirigeant ce monde, jusqu’à entrapercevoir les origines du conflit. La route sera longue, dangereuse et les rencontres incroyables.
Ce volume 2 d’ARROWSMITH fait partie de la vague de titres écrits par Kurt Busiek à l’occasion de son retour en 2022 chez Image Comics. Le scénariste a ainsi rapatrié dans de nouvelles éditions THE AUTUMLANDS, ASTRO CITY et ARROWSMITH. Pour Image Comics c’était un grand coup. ASTRO CITY a bénéficié depuis d’un superbe one-shot et un numéro king size est annoncé. Pour ARROWSMITH, outre une nouvelle version augmentée et remastérisée du premier volume et renommée pour l’occasion ARROWSMITH BOOK ONE : SO SMART IN THEIR FINE UNIFORMS, c’est carrément la suite des aventures du jeune Fletcher auxquelles nous avons le droit. Et toujours sur des dessins du grand Carlos Pacheco. La publication des six numéros de ARROWSMITH : BEHIND ENEMY LINES de janvier à juin 2022 n’a souffert d’aucun retard et s’est fendu pour l’occasion de nombreuses variant covers par la crème des artistes actuels : Dave Johnson, JG Jones, Gabriel Walta , Juanjo Guarnido, Declan Shalvey, Ramon K. Pérez, Gabriel Rodriguez, Benjamin Dewey, Greg Smallwood, ou encore Paul Renaud (liste non exhaustive)
Les nouvelles aventures de Fletcher Arrowsmith se lisent avec toujours autant de plaisir et d’excitation. Après une première série plus axée action, Kurt Busiek et Carlos Pacheco explorent ici la jeune uchronie créée en 2003 en mettant l’accent sur la mythologie des forces surnaturelles en présence. L’optimisme de rigueur entraperçue dans le premier volume fait place à une atmosphère assez pessimiste, plus dure à l’image du conflit que fut la grande guerre. L’accroche Behind Enemy Lines n’est pas qu’un sous-titre. L’envers du décors se dévoile devant un lecteur éblouie à travers une narration plus verbeuse, souvent contemplative et surtout introspective.
Ainsi on découvre des séquences assez éprouvantes montrant la tyrannie des forts sur les faibles comme le camps de prisonniers où on arrive dans des trains ressemblant à ceux de la mort, dirigé d’un gant de fer par le Baron Noir. Les conflits entre les peuples et races sont également mis en exergue, la haine et la conquête du pouvoir semblant n’avoir aucune frontière, même magique.
Passer derrière les lignes ennemis c’est évoluer en tant qu’espion, incognito, l’œil toujours à l’affut et les sens en éveil dans une environnement restant encore mystérieux et dangereux pour le novice Arrowsmith. Notre héros va devoir apprendre la patience mais aussi la confiance, tout en restant sur ses gardes quant aux êtres, humains ou non, qui vont l’accompagner dans sa mission. Emerveillement et paranoïa, deux sentiments qui vont animer Fletcher, comme des fils directeurs parfaitement tissés par Kurt Busiek et Carlos Pacheco. Il est rassurant de voir qu’en temps de guerre, on trouve le réconfort là où on peut, que l’envie de vivre et d’aimer, de ressentir des émotions notamment celles de la chair sont encore là. Les idéaux de Fletcher sont mis à mal en permanence et chaque journée passée encore en vie s’apparente à une petite victoire sur les atrocités d’un désormais quotidien bien sordide.
Le soldat Arrowsmith explore l’Europe en guerre, l’action se déroulant en 1916, et découvre les secrets du monde de la magie et ses nombreux protagonistes comme des sorciers, des géants mais aussi des loups-garous, vampire inspiré par le Nosferatu de Murnau ou autre Oakmen. Sans surprise, car ce n’est pas le but, Busiek et Pacheco puisent dans le bestiaire surnaturel féérique connu, mais en l’insérant de manière parfaitement naturelle dans le récit. Et Busiek, familier de l’œuvre de Tolkien, comme le montre BAFFLEROG LE SORCIER, n’hésite donc pas à puiser dans le Seigneur des Anneaux notamment pour caractériser l’environnement des fées et surtout des Trolls. Mieux encore, ils vont puiser dans l’histoire et les légendes du vieux continent pour apporter de la crédibilité à leur monde. Sont ainsi conviés les puissantes lignées comme celles de Charlemagne, du roi Arthur ou encore Barbarossa qui ont marqué de leur sang une Europe qu’ils ont façonnée.
Ce n’est que justice que d’affirmer que cela faisait longtemps que nous n’avions pas vu Carlos Pacheco à un tel niveau. Stoppons immédiatement les comparaisons avec la première série. De l’eau a coulé sous les ponts et Jesus Merino n’assure plus l’encrage de son compatriote. Les planches de l’espagnol sont magnifiques. Carlos Pacheco a commencé à travailler sur cette suite dès 2019 avec beaucoup de repérages, de recherches sur les costumes, affiches, et architectures de l’époque pour amener de la crédibilité au conflit se déroulant dans le premier quart du XXe siècle.
On voit qu’il s’éclate à retrouver sa création et son univers enchanteur, son trait étant particulièrement mis en valeur pas la colorisation de José Villarrubia. Ce dernier travaille à l’opposé de Sinclair qui avait adopté des couleur très vives et chaudes, assez marquées les unes des autres, participant à l’entrain du scénario. Ici on est dans des nuages de couleurs se fondant avec le côté sombre et pessimiste, embrassant la poussière et la brume qu’entrainent les horreurs de la guerre. Les éléments fantastiques sont alors d’autant plus mis en valeurs, donnant l’impression de briller et phosphorer dans la nuit. Cela donne un rendu très cinématographique, à l’image du script de Kurt Busiek. Cela permet surtout à Carlos Pacheco de dessiner de superbes pleines pages où nous pouvons admirer la qualité de son trait, se rapprochant de tableau de peintre dans leur composition. Jose Rafael Fonteriz se fait discret sur l’encrage, respectant le trait poussé de Pacheco, sans le dénaturer, juste ce qu’il faut pour l’embellir. C’est différent de ce que faisait Jesus Merino mais cela donne finalement un autre rendu pour une nouvelle expérience de lecture.
Les deux artistes avaient un plan sur deux salves de 6 nouveaux numéros, ARROWSMITH BEHIND ENEMY LINES n’étant que la première vague. Sans l’horrible maladie qui nous a enlevé un des artistes les plus doués de sa génération, nous aurions dû lire à l’heure qu’il est, ARROWSMITH : BEYOND BORDERS, la suite teasée par Kurt Busiek à la fin du sixième et dernier numéro de ARROWSMITH : BEHIND ENEMY LINES (avec une ouverture sur un possible numéro spécial sur l’univers d’Arrowsmith). Mais tout cela c’était avant que Kurt Busiek soit atteint de terribles migraines et avant d’apprendre la maladie de Carlos Pacheco. Kurt Busiek a toujours indiqué que la publication d’Arrowsmith se ferait de concert avec son ami.
A ce jour nous n’avons donc aucune assurance sur la publication d’une suite, qui se ferait donc sans Carlos Pacheco pour la partie graphique. On peut imaginer Jesus Merino qui a un trait ayant une certaine ressemblance avec Pacheco, suppléer son défunt ami aux dessins. Pour l’heure il nous faudra se contenter de ces 6 nouveaux épisodes. On reste donc sur une partie des intrigues non résolues. Cela ne doit vous empêcher de profiter du plaisir de lecture, surtout en sachant que ce sont les dernières planches, réellement époustouflantes et émouvantes de Carlos Pacheco.
La BO
Merci pour cette très belle présentation !
J’en étais resté à la première série, je vais tâcher de me dégotter cette suite. L’usage du bestiaire plus germanique m’attire, tout comme le commentaire historique/social déguisé par un apparat magique.
Bonjour JB.
En effet je trouve finalement ce volume 2 plus profond côté scénario, moins « blockbuster ». Cela peut dérouter ce qui viendraient chercher une banale « suite » de la première LS.
Il faut que je retente cette BD un jour.
c’est beau et bien écrit (Pacheco/Busiek..j’ai envie de dire qu’on est sur des valeurs sûres)
Pour moi le défaut sans doute était d’être « trop propre » pour un truc qui se passe dans la guerre WWI qui doit être le conflit le plus sordide qui soit avec une logique d’infanterie qui côtoyaient une technologie de massacre de masse (canons, blindés, obus, gaz…)
Bien sûr le propos est magique mais j’avais du mal avec ce mariage…
Merci pour cette chronique
beau boulot de présentation,
émouvant de lire ta peine pour la disparition de ce dessinateur que tu adores.
Bonjour Eddy.
Pour moi le défaut sans doute était d’être « trop propre
Les épisodes 5 et 6 ne la première série y allait quand fort avec une ville bombardée et autant de civil tué et puis l’enfer des tranchées .
Ici Busiek creuse le sillon de son idée originel, où nous découvrons réellement l’envers- l’enfer du décors. Néanmoins Kurt Busiek n’a pas l’ambition décrire comme Garth Ennis ou Alan Moore. C’est son choix, ce qui peut passer pour un côté « propre ».
L’Uchronie fonctionne toujours aussi bien avec ici le côté fantasy et magique qui est quand même prépondérant.
Le retour des rois Fletcher et Fletcher ! Merci beaucoup pour ce nouveau tour d’horizon. J’ai bien aimé la première mini, que je n’ai pas reprise dans la nouvelle édition, sans en être totalement tombé amoureux. J’aime bien le trait de Pacheco mais je n’arrive pas à y voir toute la beauté que tu y trouves. Sur les scans en exemple, seul le dernier me plaît réellement. Tu es sûr que c’est sorti chez Delcourt ? Je ne l’ai jamais vue sur les étals des librairies. Quand ce sera le cas, je jetterai un oeil et me déciderais sur le moment 😉
La BO : ah tiens, super, il faut que je réécoute ça, aucun souvenir.
Bonjour Cyrille.
La sortie chez Delcourt est prévue ….. aujourd’hui même soit le 3 avril. La programmation de Bruce Lit est bien faite quand on y pense 🙂
Les planches de Carlos Pacheco sont réellement magnifiques et surtout différentes, notamment la colorisation, de ce qu’il a pu produire précédemment. Mais j’ai eu du mal à choisir des images, à chaque fois, comme tu sembles le relever, je trouvais que cela ne rendait pas hommage visuellement en scan.
Ah oui tiens, l’info m’avait échappé ! L’effet Pâques sans doute… Qu’est-ce qu’il est fort ce boss. Bonne nouvelle donc je vais bientôt voir si ces planches valent autant le coup 😉
Bien que possédant déjà les singles VO, je vais m’offrir (pour mon anniversaire, on est presque raccord) l’édition DELCOURT (histoire également de supporter l’éditeur).
Inutile de dire que j’attends cette suite avec impatience et que c’est un achat direct (@Cyrille : ça sort aujourd’hui ! 🙂 ).
J’imagine que ta légère déception (4 étoiles) est due au fait que la suite et fin du récit prévu en deux mini-séries est probablement abandonnée ?
Pour moi, dans ce « retour des rois », il en manque un : Jésus Merino. En ragardant les scans ici, je ne retrouve pas totalement le même enchantement que sur le récit originel, ce qui est sans doute dû au fait que l’encreur n’est pas le même. C’est quand même sacrément dommage dans la mesure où l’équipe d’origine (Busiek/Pacheco/Merino) aurait pu être reconstituée à l’identique. Le changement de coloriste me gène moins, par exemple.
C’est quand même cool de voir une telle sortie 20 ans après la première. J’attends également avec une grande impatience la suite d’AUTUMNLANDS. Le tome 2 était une merveille !
Va falloir secouer le cocotier d’Urban comics parce que j’en peux plus de les voir sortir les fientes mainstream de DC quand on sait qu’ils n’ont toujours pas traduit ASTRO CITY, et que la VF est encore orpheline de THE LONG HALLOWEEN SPECIAL et d’au moins deux séries ABC par Alan Moore (TOM STRONG’S TERRIFIC TALES et TOMORROW STORIES)… (sans parler de LUCIFER et de la suite de THE UNWRITTEN)
Salut Tornado.
ASTRO CITY cela sera en omnibus chez PANINI pour la fin de l’année. L’éditeur va s’appuyer sur les omnibus récemment sorties. Il y avait aussi des metrobook, par période, mais ce n’est pas le choix de Panini.
Astro City (Vol. 1) #1-6, Astro City (Vol. 2) #1-22 ainsi que Astro City : Local Heroes #1-5, Astro City Special #1, Astro City : A Visitor’s Guide + une histoire extrait de Image 9/11 => pour le premier omnibus (normalement)
Cela fait un moment que Merino n’encrait plus Carlos Pacheco. Je ne sais pas pourquoi . Peut être que Merino était exclusif DC ? Ou bien une brouille entre les deux amis.
Comme déjà signalé l’enchantement est ici différent. Je me suis fait au départ pratiquement la même réflexion, puis finalement tant mieux, on a l’impression de lire autre chose.
Tu as raison pour les 4 étoiles. Mais de manière générale je suis devenu assez critique sur mes expériences culturelles et j’ai du mal désormais à mettre des 5 étoiles ou des 20/20 … J’essaye d’être honnête et de moins en moins me laisser influencer par mon environnement, mon émotions primaires ou les attendues d’une sphère pop-culture que je trouve de plus en plus néfaste.
Merci. J’ai vérifié j’ai tous ces N° d’ASTRO-CITY en VF (trois softcovers chez Semic, deux hardcovers chez Paninouille). Ça m’arrangerait que ce soit le sommaire du 1° omnibus, comme ça je n’aurais rien à racheter…
Pas eu la patience d’attendre l’omnibus Panini. J’ai fait directement en VO avec les Astro City Metrobook qui sont sortis.
A la maison j’ai un mélange de Semic – Panini – single VO – TPB VO et 1 metrobook (Dark Age) ….
Fletcher Arrowsmith revient : excellent comme phrase d’accroche… surtout quand l’article est écrit pas un certain Fletcher Arrowsmith. 🙂
La haine et la conquête du pouvoir semblant n’avoir aucune frontière, même magique : comme il est tentant de temps à autre de rêver d’un monde qui serait débarrassé de ces maux.
Chaque journée passée encore en vie s’apparente à une petite victoire sur les atrocités d’un désormais quotidien bien sordide : quand l’individu est bien redescendu dans la société, jusqu’à la base de la pyramide Maslow.
La colorisation de José Villarrubia : c’est un maître en la matière, jusqu’à se voir confier la remise en couleur de Den, de Richard Corben.
Voilà qui fait très plaisir de lire que Kurt Busiek n’a rien perdu de sa sensibilité… Mais Pacheco est décédé et Busiek est atteint de terribles migraines. Snif.
Bonjour Jean.
Merci d’être passé.
Voilà qui fait très plaisir de lire que Kurt Busiek n’a rien perdu de sa sensibilité je trouve aussi que Busiek est en plutôt en forme. On voit que le retour sur ses creator owned l’inspire.
Hello Fletch
Quel plaisir de lire cet enthousiasme. Il est tel que je n’ai jamais osé dire que j’avais enfin lu ARROWSMITH et que je n’ai pas ressenti ce plaisir. Sans tes articles et ceux de Tornado, son attrait m’échappait complétement. Parce que je n’ai jamais trouvé que Kurt Busiek était un scénariste qui me parlait, que je ne suis ni fan de récit d’aviation (je les fuis même chez Garth Ennis) et encore moins de dragons. Alors, les deux… Et puis, aussi la magie en BD, c’est compliqué.
J’ai donc trouvé ça plaisant mais sans plus. Il est donc formellement impossible que je m’interesse à ce tome 2.
Merci en tout cas pour cette présentation limpide.
Salut Bruce.
je ne pouvais qu’être enthousiaste sur ce retour que j’ai tant attendu.
Sur cette suite, il n’est plus trop question de combat aérien. L’action, pas omniprésente, sa faisant rare même, s’est déplacé du ciel à la terre. Narration clairement différente, qui n’a pas le même objectif. Par contre il y a plus de magie, et si tu es assez allergique à celà, en effet cela risque de ne pas te plaire.
Sur Kurt Busiek, je ne le citerais pas comme l’un de mes scénaristes préférés. Mais je dois avouer qu’il retient largement mon attention quand il travaille sur des projets très personnels et innovants :
-MARVELS avec Alex Ross (chef d’oeuvre),
– ASTRO CITY avec Brent Anderson,
– ARROWSMITH,
– SHOCK ROCKETS avec Stuart Immonen.