Automnal par Daniel Kraus et Chris Shehan
Un article de BRUCE LITVO : Vault Comics
VF : 404 Comics
1ère publication le 25/10/23- MAJ le 23/09/24
AUTOMNAL (THE AUTOMNAL en VO) est une histoire complète en 8 épisodes publiée en 1 seul volume (magnifique et agrémenté des notes de productions tordantes de Nicolas Beaujouan) chez 404 Comics.
L’intégralité de l’histoire est dessinée par Chris Shehan avec des couleurs fabuleuses de Jason Wordiew.
Le scénariste Daniel Kraus est connu pour avoir cosigné LA FORME DE L’EAU et TROLLHUNTERS avec Guillermo Del Toro
Kat, une jeune femme marginale et sa jeune fille Sybil sont de retour à Comfort Notch, espérant y trouver une nouvelle vie plus stable. Mais le passé de Kat et de sa mère tout juste décédée autant que celui de la ville sont troubles et, en revenant sur les lieux de son enfance, elle va devoir y faire face. Il semblerait que la ville ait une gardienne bien exigeante, une sorcière végétale…
Dès le début de l’histoire, Daniel Kraus paie son tribut à Stephen King en le citant explicitement. AUTOMNAL s’inscrit dans le Folk Horror, ces histoires horrifiques qui se passent dans des bourgades reculées des Etats-Unis entre rednecks, conformistes bouffeurs de barbecue et phénomènes surnaturels souvent liés à la nature.
Et c’est le cas ici. Kat et Sybil tentent de s’intégrer à une communauté bien sous tous rapports mais dont le bonheur est cimenté sur l’omerta autour de mystérieuses disparitions d’enfants et de comptines étranges. Et le lecteur de réaliser dès la fin du prologue d’AUTOMNAL que ses auteurs l’ont embarqué dans un album atypique et à la construction efficace.
Car jusqu’à l’éprouvant épilogue qui ne ménage pas l’empathie de ses lecteurs, AUTOMNAL est un thriller construit sur l’invisible, l’indicible, l’insignifiant. Toutes les victimes de ce conte champêtre macabre sont assassinés par…des feuilles mortes !
Daniel Kraus convoquent ici aussi bien les sorcières de Stephen King que LES OISEAUX d’Hitchcock : des éléments de notre décor quotidien qui s’avèrent redoutables et terrifiants lorsqu’une force externe au pouvoir humain les anime.
Et c’est bien sur le mystère de cette force qui anime ces feuilles mortes qui s’incrustent dans les jardins, sur les fenêtres, dans les cours de nos enfants ou aux obsèques des victimes qui fait le sel d’AUTOMNAL. Très rapidement cette petite ville sans histoire devient une prison à ciel ouvert contrôlé par l’automne, cette saison purgatoire entre la vie et la mort.
Tout est construit en inversion dans AUTOMNAL : la nature est une entité hostile manipulée et nourrie par la fureur d’une femme, l’histoire de la ville a été cancelée de tout ce qui pourrait éveiller les consciences et ses habitants sont des légumes dont la pensée collective annihile les émotions. C’est un rêve construit sur un cauchemar et des faux-semblants. Et même, lorsqu’une fenêtre de vérité sera ouverte par un personnage rejeté par cette communauté, la vérité sera encore bien loin du compte pour Kat et sa fille.
Toutes les critiques parlent d’AUTOMNAL comme d’un récit d’horreur à la Stephen King (et pourquoi pas Joe Hill?) et elles ont raison.
Pour autant, voici une histoire construite comme une tragédie : la tentative désespérée d’une jeune marginale de trouver une place où vivre et s’intégrer. D’échapper à la maltraitance et aux pouvoirs des hommes sur les femmes : les empêcher de donner la vie ou d’élever convenablement des enfants créés par leur égotisme et leur immaturité.
Il y a bien une fibre féministe dans AUTOMNAL mais celle-ci est terriblement pessimiste : la coexistence entre hommes et femmes est vouée à l’échec et comme une CARRIE AU BAL DU DIABLE, le surnaturel devient la manifestation incontrôlable de la haine des victimes. Presque un anthème à la Bashung : Quelle autre solution que de se dissoudre?
Le dessin de Chris Shehan donne une substance impressionnante à ce récit et ses personnages. Tous ont une identité visuelle affirmée à la fois attirante et banale. Shehan opte pour un gaufrier de 4 pages qui donne une nervosité certaine au récit : il n’y a pas de place pour la redite, la décompression ou les atermoiements. Tout dans AUTOMNAL a une conséquence malgré l’absence de marge de décisions.
Les couleurs automnales de Wordiew finissent d’habiller une histoire de ce roux obsédant qui vient parfois rappeler celui de THE LAST TEMPTATION, une autre FOLK HORROR à l’intrigue finalement assez proche. Quant aux fans de HARROW COUNTY de Cullen Bunn, ils se sentiront chez eux.
Amoureux des comics et du fantastique, entendez ma supplique : il y a une vie après Batman, Deadpool ou Star Wars. Les Fleurs du Mal vous attendent chez AUTOMNAL. Et si personne ne s’y intéresse, c’est tout ce pan passionnant du comics indépendant qui finira par faner ; et c’est toi, cher lecteur que l’on traitera de fumier…
La BO du jour
Je veux !
Alléchant, tout cela. Entre AUTOMNAL, FAMILY TREE ou THE PLOT, l’horreur est de plus en plus de nature végétale, la nature tend à reprendre ses droits.
Le propos m’intéresse et le tandem mère/fille change du protagoniste père veuf qu’on a trop tendance à voir.
Merci pour cette présentation !
The plot, c’est très sympa mais Family tree, j’ai trouvé ça franchement raté. Un Lemire très décevant.
Lemire ne me déçoit jamais en ce sens que je n’attends rien de ses écrits, et je considère que, comme de nombreux Lemire, Family Tree n’est qu’une version de contrefaçon d’un comic DC ou Marvel, ici Swamp Thing avec l’un des personnages reprenant le rôle de Téfé (sans compter que Phil Hester avait déjà illustré la série sous l’ère Vertigo…)
Mouais, pas convaincu.
A mon sens, le meilleur de la production de Lemire vaut à mon sens bien mieux que ça.
Je n’avais pas fait le rapprochement avec SWAMP THING. C’est pourtant évident, damned !
FAMILY TREE : un souvenir de lecture mitigé. Une très bonne mise en place, une conclusion décevante, oui.
FAMILY TREE restera un Jeff Lemire anecdotique dans l’oeuvre du canadien. Cela commence bien mais cela se termine bien trop vite. Il aurait fallu un vingtaine de numéro de plus, vu son écriture, pour en faire un récit essentiel. Reste que c’était un plaisir de retrouver Phil Hester, très à l’aise sur ce récit.
J’ai un bon souvenir de la lecture en VO de cette mini-série. Comme tu le soulignes, très belle ambiance graphique, mise au service d’une histoire qui ne bouscule pas nécessairement les fondamentaux du genre mais qui se révèle plutôt bien torchée.
Pour ce qui est du folk horror, je placerais plutôt son essor dans le cinéma anglais du début des années 70 plutôt que d’en faire un genre américain. A cet égard, The wicker man me parait constituer le cristallisateur du genre..
Sinon, pour ce que est de la bo, bon Iggy, t’es bien gentil mais là, c’est non.
T’aurais pu prendre la version d’Autumn leaves par Mark Lanegan, ça aurait eu une toute autre classe.
Depuis quelques années, mon « obsession » tourne autour de comment les survivants de la culture rock vont réussir leur sortie et vieillir dignement (Alice, Iggy, Macca) ou pas (Waters). Malheureusement Lanegan n’a eu le temps de faire ni l’un, ni l’autre.
Ah ben ça, c’est une question qui ne m’interpelle que très peu.
Je me réjouis quand certains artistes vieillissent bien et surtout quand leurs productions artistiques me semblent rester pertinentes. Mais si ce n’est pas le cas, j’en reste sans regrets à leurs belles années.
Iggy, il a fait quoi d’essentiel depuis 40 ans? Est-ce qu’il vieillit bien? Je m’en tape. C’est pas mon pote.
Si je veux l’écouter, je me mets un vieux Stooges et c’est bon.
Je l’ai lu ! Etonnant, vu que c’est une histoire qui fait peur ! Mais j’avais lu tellement de bonnes critiques que j’avais franchi le pas…
A la sortie… Certes, c’est très bien fait et on est pris dans le récit (en tous cas, je l’étais) mais la fin ne m’a pas trop botté, ça tirait trop dans le foupoudav (foutu, pourri d’avance).
Il m’a manqué une petite lueur d’espoir. Au final, c’est encore un récit de type « monde de merde » (différent du notre, mais merdique pareil).
J’aime quand l’horreur se finit mal. La plupart du temps, tu trembles pendant 2 h et tout se termine sur une boutade. Lorsque la fin tranche avec ce modèle, c’est assez mémorable.
Merci pour cette découverte. L’univers du King semble effectivement planer sur cette lecture. On y retrouve plueisurs thèmes fétiches, jusqu’à la comptine. Mais la mention d’HARROW COUNTY suffirait à me convaincre de l’acheter immédiatement si je n’avais pas drastiquement revu mon budget comics à la baisse. On verra bien si je tombe dessus à l’occasion.
On te sent investi en tout cas. Ou envoûté. Ou hanté, ce qui est normal pour une semaine Halloween ^^.
Les FEUILLES MORTES par Iggy, ça fait rock, mais pour moi, cette chanson est l’apanage du jazz et ma version préférée est celle de Rachel Ferrell :
http://www.youtube.com/watch?v=2xgNA3rCw7U
Et si tu te le faisais offrir, hum…?
Oui, ce serait un cadeau sympa ^^
Rupture de stock.
Je viens de vérifier.
Merci pour la présentation chef. Je ne connaissais pas le terme de folk horror, merci donc pour la définition.
Mais bon, je passe. D’ailleurs je n’ai pas craqué pour plusieurs choses cette semaine : HUMAN TARGET par Tom King (alors que je n’ai même pas lu la série originelle), la bd avec Elsa Charretier, celle sur Blanche-neige de Gaiman et le Gotham City Année Un… bref, pas moyen de commencer une nouvelle série.
Surtout que même si ça a l’air cool, ça n’a pas l’air non plus exceptionnel et que les scans ne me donnent pas spécialement envie. A l’occasion je pourrais donc mais bon… En tout cas, l’article est de saison ! Dans le même genre, je me demande où en est WYTCHES. Le premier tome était prometteur.
La BO : comme Zen, c’est non. Je crois qu’il est sur PRELIMINAIRES non ? Un très mauvais disque. Cette reprise est vraiment inutile et un peu honteuse en fait.
Wytches, c’est en stand y ou abandonné. Il y a eu un one-shot après la première minisérie et la suite devait suivre mais rien n’est arrivé.
Le mois Tom King chez Urban est indispensable. Tout est de très haute tenue excepté le Batman : Killing time qui est en deça.
Merci Zen ! Pour Tom King, je vais attendre (de toutes façons je peux pas, trop de frais en septembre, octobre et novembre cette année).
Ça me rappelle un chouia Rachel Rising dans le thème, j’ai l’impression….
Les feuilles mortes, c’est original…
Bon après les hommes méchants etc..j’ai donné une bonne dizaine de fois…
Donc …pffff….
On verra si la partie graphique me donne vraiment envie…
C’est mieux, nettement mieux que Rachel Rising.
Merci pour cette présentation d’une œuvre par Daniel Kraus et Chris Shehan, deux inconnus au bataillon en ce qui me concerne.
Il y a bien une fibre féministe dans Automnal : c’est devenu réflexe pavlovien chez moi, à chaque fois je me demande si les créateurs sont des femmes ou non, et à chaque fois je me demande si le monde de la BD manque de créatrices féministes, ou s’il existe des BD féministes faites par des femmes et que je les évite inconsciemment.
Je n’ai pas compris la précision sur le gaufrier de 4 pages.
Je ne me pose jamais ce genre de questions. Au contraire, je trouve que chacun a le droit d’écrire ce qu’il veut de sa place, de son genre et de son vécu. Pour moi le gaufrier de 4 cases donne plus de nervosité à un récit comme on en trouve dans les mangas.
Bonjour Bruce.
J’ai lorgné sur cet album plusieurs fois. Ton article m’a convaincu par tes références (King et son fils Joe Hill, Harrow County), bourgade américaine reculée, pas de super-slip et un graphisme solide.
C’est pessimiste, mais du pessimisme que j’ai envie de lire.
J’ai apprécié ton dernier paragraphe, qui conclue de fort belle manière un argumentaire qui l’est tout autant.
Bon acheté et lu sur les conseils du Boss.
Bonne lecture, agréable et parfaitement raccord avec la saison.
Mais bon, 8 épisodes qui prennent quand même bien leur temps, surtout au début du récit. Peut être que l’on devient trop exigeant où blasé ou que l’on a vu, lu trop de chose mais je n’ai pas perçu ce qui faisait de AUTOMNAL un récit essentiel. Il manque le truc en plus qui lui permettrait de se différencier d’autre œuvre identique.
Les personnages, à part l’héroïne, manque cruellement de caractérisation, peine à vivre et évoluer. La petite fille est finalement laissée de côté, ce qui est fort dommage car elle est essentiel à la chute de l’histoire. Pour ressentir des émotions en tant que lecteurs il faut que l’on nous donne de quoi avoir de l’empathie. Mon on n’est pas quand même dans du Marvel ou du DC actuel, degré zéro de la caractérisation des personnages.
La fin est assez convenue en fait voire facile dans son exécution, où du moins la chute est mal amenée surtout les conséquences.
Par contre gros coup de cœur graphique. C’est superbe, notamment la colorisation. Pas d’erreur technique, de cicatrices qui disparaissent, de végétation plus ou moins denses d’une case à l’autre. parfait et superbe.
Les personnages, à part l’héroïne, manque cruellement de caractérisation, peine à vivre et évoluer. La petite fille est finalement laissée de côté, ce qui est fort
Je l’ai lu cet été, je ne me rappelle pas avoir eu cette impression.
La fin est assez convenue en fait voire facile dans son exécution, où du moins la chute est mal amenée surtout les conséquences.
La fin est assez pessimiste quand même, à l’inverse de la majorité des histoires d’horreur.