Tsui Hark est un réalisateur chinois d’origine vietnamienne né en 1950. Le cinéaste possède un parcours atypique très tôt dans sa vie puisqu’il fait ses études de cinéma au Texas à Austin et ne revient à Hong Kong qu’avec l’intention formelle de donner un coup de pied dans le panier de chats ronronnant qu’est à ses yeux le cinéma de la Shaw Brothers. On le compare régulièrement à une sorte de Steven Spielberg asiatique et pour une fois, l’analogie est assez juste.
J’ai fait une sélection de films du réalisateur afin de présenter au mieux son travail et son parcours à travers le temps. Avec mon éminent complice Mattie Boy, nous avons déjà fait un certain nombre de dossiers sur le cinéma chinois, aussi avons-nous déjà parlé de ses classique ZU ET LES GUERRIERS DE LA MONTAGNE MAGIQUE ici ou encore THE BLADE, là.
Pour les sources, je remercie Jean Pierre Dionnet et le travail éditorial acharné des équipes de HK Vidéo.
1-BUTTERFLY MURDERS-1979
Il y a quelque chose d’assez fantastique dans ce premier film. C’est une œuvre de commande, que Tsui Hark, auteur en devenir, met à profit pour se faire remarquer au maximum.
Dans un passé indéfini, une guerre de clans ravage le pays, mais il semblerait qu’une série d’assassinats les obligent à la trêve. En effet certains cadavres sont retrouvés couverts d’étranges blessures avec des papillons à proximité. N°3 (Danny Chow), le chef du clan de l’étendard blanc, s’improvise représentant de toutes les familles et répond à l’appel à l’aide du château de Shum. Aidé de la fidèle Ombre verte (Michelle Yim), il mène l’enquête sur place, mais dès son arrivée, il découvre une place forte désertée et une citadelle à l’abandon. Il reçoit aussi l’aide d’un érudit de passage (Lau Siu-Ming) et interroge les rares personnes restées sur place comme cette mystérieuse servante muette et le maître des lieux ,caché dans un sous-terrain. Rapidement N°3 soupçonne un complot de vaste envergure et réalise que le piège se resserre autour de lui. Pendant ce temps, les papillons tueurs font de plus en plus de victimes.
Tsui Hark possède une méthode bien à lui pour renouveler le genre. Tout en reprenant le canevas d’enquête surnaturelle cher à Chu Yuan, le jeune réalisateur dynamite tout ça en apposant une photographie bien plus sombre, des cadrages directement sous le pif de ses acteurs et une ironie cinglante concernant la figure du héros. En effet le personnage principal se fait ballotter de faux semblants en faux semblants, le narrateur est un érudit assez lâche et inefficace et les guerriers sont souvent des tricheurs. Tsui Hark filme carrément les trucages dont s’aident les acteurs dans une sorte de mise en abyme, les personnages usant des mêmes artifices. Enfin, chose totalement révolutionnaire dans la péninsule: Tsui Hark ose citer explicitement le cinéma occidental: impossible de ne pas penser aux OISEAUX d’Alfred Hitchcock lors des attaques de papillons. Ce mélange fonctionne diablement et ce n’est pas loin d’être mon Tsui Hark préféré.
Chose à signaler : Officiellement ce film n’existe plus et ses négatifs ont été détruits. L’industrie avait habitude de réutiliser les bandes. Il a fallu toute la passion et le travail respectueux des équipes d’HK VIDEO pour restaurer la bande VHS avant de la transposer sur DVD. Le film n’est plus disponible qu’en France et en Allemagne.
2-HISTOIRE DE CANNIBALES-1980
Au début du XXème siècle, un agent secret au nom de code 999 (Norman Chu), traque un voleur surnommé Rolex (Melvin Wong) au fin fond du territoire, jusque dans un village reculé très étrange. Rapidement l’atmosphère des lieux l’incite à la méfiance et après avoir essuyé une attaque de tueurs sanguinaires, il trouve refuge chez une jeune femme ayant perdu récemment son mari. Malgré l’accueil très froid du chef et de ses habitants, l’agent 999 interroge sans relâche les villageois afin de retrouver sa proie. Ce faisant, il croise un autre voleur de grands chemins en fuite. Ce dernier a percé le secret du village: les habitants ne laissent jamais s’échapper le moindre visiteur, préférant les découper et les transformer en morceaux de viande. Une course contre la mort s’entame alors.
Voilà un mix de kung-fu comedy et de film gore. Le film est basé sur une nouvelle, elle-même inspirée des coutumes supposées cannibales de certains villages reculés d’Asie centrale. Tsui Hark y déchaîne toute sa rage, faisant presque un florilège de ce que le public ne voulait pas voir à cette époque. Le cinéaste, déçu par l’accueil tiède de son premier film, décida à brocarder le public à travers les villageois, tous plus débiles, crédules, manipulateurs et vénaux les uns que les autres. Certaines scènes les voient même être filmés comme des zombis de George Romero. De plus, sachant que le gore se marie mal avec les sensibilités locales, il fera pleuvoir le sang et les tripes dès le premier quart d’heure, renvoyant directement à la mode des films de types CANNIBAL HOLOCAUST. Entre les deux, il y insérera les éléments habituels de kung-fu comedy, mais en mettant en scène un détective aussi passif qu’idiot, incapable de reconnaître sa cible même quand il lui parle. Assurément ce film est un ovni qui reste un objet furieux, empli de de folie, de maladresses et d’exubérance adolescente.
3-L’ENFER DES ARMES-1980
Cette fois le réalisateur fond un câble. La non-réceptivité du public exaspère Tsui Hark qui ne peut plus le supporter. L’ENFER DES ARMES va s’en faire le reflet. Il va réaliser une sorte de tranche de vie sur une vague trame de polar ou de drame social, refusant totalement de vouloir mettre en scène le moindre personnage positif. En cela on surnomme souvent ce film enragé «L’ORANGE MECANIQUE chinois».
Tan (Lo Lieh), Paul (Albert Au) et Lung (Lung Tin-Sang) sont trois étudiants désœuvrés qui s’ennuient au sein d’une ville tentaculaire qui ronronne. Invisibles aux yeux de tous, même de leurs familles bien trop préoccupées par le bien-être matériel naissant, ils se piquent de l’idée de fabriquer de petites bombes artisanales qu’ils font exploser dans un ciné+ma. La petite détonation ne tue personne mais contribue à générer un climat de chaos. Malheureusement, ils vont attirer l’attention de Pearl (Lin Chen-Chi) une autre jeune fille à la dérive, qui va les entraîner à sa suite dans un déferlement incontrôlable de violence. Le quatuor va accidentellement trouver une valise de franchises japonaises. Voulant prendre contact avec le mafia pour revendre leur trésor, se faire de l’argent et partir au Canada, ils vont sceller leur sort en signalant alors leur présence à la fois à la police et aux propriétaires de la valise, en fait de redoutables trafiquants d’armes occidentaux. Pris entre deux feux les quatre jeunes ne trouvent la solution que dans la fuite jusque dans un cimetière où le dénouement sera apocalyptique.
Tsui Hark prend bien soin de ne pas «aimer» ses personnages. Les trois étudiants sont les reflets de tout ce qu’il reproche à la jeunesse hongkongaise obnubilée par son confort, entretenue dans une servitude infantile par un occident qui se plaît à la corrompre pour mieux la soumettre. La population est on ne peut plus passive, allant jusqu’à ignorer par lâcheté, la police qui tente de rétablir l’ordre. Pearl est la représentation de la colère de Tsui Hark mais elle est également une folle à lier qu aime torturer les animaux ou ses camarades. Les trafiquants occidentaux sont à la fois le symptôme et le diagnostic de la maladie qui semble ronger la ville. Tsui refuse catégoriquement de mettre de l’eau dans son vin, allant jusqu’au bout de sa vision noire où une résolution pacifique ne peut plus arriver. Il nous oblige à regarder la totalité du désastre jusqu’à la putréfaction. Sardonique à l’extrême, le cinéaste se vide les boyaux dans cet ultime effort qui a terrifié les censeurs, l’obligeant à remonter son film en urgence pour qu’il soit sortable. Certains pensent même que ce film fut le «premier catégorie 3» (interdit au moins de 18 ans) avant l’heure. Comme à son habitude Tsui Hark balance entre citrique et fascination pour l’occident ,vu comme une sorte de mal nécessaire forçant Hong Kong à se moderniser.
La version internationale est un peu plus «normale», mais des fans chevronnés l’ont poussé à reproduire son montage original avec des chutes de bandes perdues dégueulasses. Comme quoi, les fans savaient se manifester bien avant la «Snyder-cut». Quoi qu’il en soit, le film a été un bide monstrueux, un de plus , qui obligea Tsui Hark à accepter des contrats plus consensuels.
4-IL ETAIT UNE FOIS EN CHINE 1 ET 2-1991-1992
Au sommet de sa gloire, Tsui Hark fait une rencontre artistique décisive, celle de de l’acteur et artiste martial Jet Li. Ensemble ils vont bâtir les fondations d’une gigantesque saga cinématographique, inaugurant le style qui prévaudra dans les films de kung-fu à partir de là. Fidèle à ses principes, Tsui Hark va dépoussiérer, moderniser et reconstruire un personnage populaire de Canton: Wong Fei-Hung. Pour mieux le situer, un équivalent français serait à chercher du côté de Vidocq, vrai policier devenu héros aux aventures hautes en couleur. Wong Fei-Hung était médecin, maître en arts-martiaux et chef de milice. Sa réputation de défenseur des plus démunis en a fait une figure héroïque régulièrement adaptée au cinéma. Tsui Hark va confronter cette figure à son époque et mettre en exergue un sous-texte particulièrement adapté à la colonie anglaise. En effet les hongkongais sont depuis plus d’un siècle sous la férule britannique et de ce fait, plus tout à fait chinois. En 1991, à l’approche de la rétrocession, c’est cela que va creuser le cinéaste. Il va aussi considérablement rajeunir Fei-Hung et lui donner un magnétisme unique en l’incarnant par Jet LI, parfait quand il peut allier candeur et autorité.
A la fin du XIXème siècle, les côtes chinoises sont pour une bonne partie des comptoirs commerciaux occidentaux, qui manipulent un pouvoir mandchou affaibli. Les cantonais sont donc un peu tiraillés entre deux feux et un climat instable fait de révoltes et d’entités hors la loi, rend l’avenir du pays incertain. Wong Fei-Hung tente d’aider les plus démunis et apporte son savoir et sa sagesse à de nombreux conseillers. Lors de la fête du lion, effrayés par les feux d’artifices, les navires français se croient victimes d’agressions et tirent à vue sur la foule. Cet incident va convaincre Fei-Hung à devenir médiateur. La fille d’un frère-juré de son père, Tante Yee (Rosamund Kwan) va quant à elle, l’influencer pour qu’il se modernise et apprenne l’anglais. Un autre artiste martial vagabond du nom de «Veste de fer» (Shi-Kwan Yen), se targue d’être invaincu au combat et vend ses services au plus offrant. Fei-Hung va donc comprendre à quel point les dirigeant son corrompus, se rendant complices des occidentaux en leur fournissant richesses et prostituées. D’un côté Veste de fer va se renier pour l’argent des blancs et de l’autre Fei-Hung tenter de protéger jusqu’au bout sa communauté de la violence des étrangers et même un peu d’eux-mêmes aussi. Ici le réalisateur va vraiment exorciser son rapport à l’occident, perçu clairement comme une sorte de fatalité mais aussi d’opportunité. Il va compresser et réussir à aborder la déculturation (comme ces chinois, qui élevés à l’étranger ne savent plus lire les sinogrammes), le progrès technologique inéluctable et la survie de l’identité malgré les vicissitudes de l’Histoire. Pourtant il va aussi brocarder ceux qui en reclus, refusent de s’adapter, quitte à en mourir.
Je triche un peu en parlant un peu du deuxième volet «LA SECTE DU LOTUS BLANC» qui va encore plus loin avec des scènes encore plus symboliques. Dans ce film Fei-Hung va être aux prises avec une secte d’intégristes xénophobes, un groupe de rebelles et les navires britanniques. Au cours d’un attentat dans une université, un médecin chirurgien va soigner des blessures par balles, ce qu’est incapable de faire Fei-Hung. En revanche ce médecin ne va pas pouvoir gérer la douleur sans anesthésie où peut intervenir l’acupuncteur. Les deux hommes vont dans l’urgence partager leurs savoirs et dépasser leurs différences, pour le bien commun. Tout le message de Tsui Hark est synthétisé dans cette séquence. En plus de ça, il y a du kung-fu chorégraphié par Yuen Woo-Ping (MATRIX, KILL BILL, TIGRE ET DRAGON, TAI-CHI MASTER, LE MAITRE D’ARMES, il faut vous le dire comment que le type est un génie?)
5-GREEN SNAKE-1993
Que de chemin parcouru depuis la folie exubérante de ZU ET LES GUERRIERS DE LA MONTAGNE MAGIQUE. Le film reprend le conte très populaire en Asie du Serpent blanc. L’angle d’attaque sera de prendre cette fois le point de vue du Serpent vert. Dès les premiers plans Tsui Hark impose une esthétique onirique avec des hommes se complaisant dans le vice. A ce titre, la difformité viendrait naturellement à ceux qui refuserait de s’élever. De sa hauteur, le moine Fa-Haï (Chiu Man-Cheuk), les juge sévèrement, puis il est rapidement attiré par une autre créature démoniaque, une araignée qui à force de méditation et d’entrainement est presque devenue humaine. Incrédule, le moine lui refuse le salut et la condamne. Pris de remord il lui laisse un chapelet à disposition pour pouvoir accéder au Nirvana. Mais ce chapelet est récupéré par deux autres esprits serpents qui vont infiltrer le monde des hommes. Serpent Blanc (Joey Wong) va vouloir connaitre les secrets de l’amour et Serpent Vert (Maggie Cheung), ceux du plaisir et de la passion.
Tandis qu’elles vont s’accoutumer à leur nouvelle vie d’humaines, elles vont attirer l’attention malveillante d’un prêtre taoïste itinérant et de Fa-Haï. Chacun muni des meilleures intentions va tenter de piéger les deux créatures bien trop sensuelles pour être jugées pures et être tolérées. Serpent blanc trouve pourtant l’amour auprès d’un érudit qui comprend trop tard qu’il aime sa vie d’illusion. Fa-Haï va vouloir détruire leur union impie, jusqu’au dénouement, particulièrement riche en démesure.
Chaque personnage termine le film amer et perdu devant la perte d’un être cher, de ses ideaux ou du gout de vivre. Seul un petit être innocent peut amener un peu de lumière à ce désastre tandis que la seule émotion qu’ a pu apprendre Serpent Vert de l’humanité, c’est le chagrin et les larmes. Indubitablement, Tsui Hark signe son film le plus poétique. Chaque plan même raté assume l’apsect conte de fée et apporte sa pierre à une ambiance portée par une photographie magnifique. Il y rend également hommage aux chorégraphies de Bollywood. C’est enfin, une charge anti-cléricale sans concession avec ce personnage de moine fanatique refusant de donner la moindre chance aux créatures démoniaques, indifférent aux conséquences néfastes de son idéologie. Film beau, film clé et film d’auteur.
6-PIEGE A HONG KONG-1998
Impossible de survoler la carrière de Tsui Hark sans évoquer son escapade hollywoodienne. A la rétrocession, nombre de cinéastes Hong-kongais ont cédé aux sirènes américaines. Ce film est à ce titre totalement empreint de sa déception et de sa frustration. En effet il fallut rapidement déchanter et l’artiste qui avait révolutionné l’industrie cinématographique de son pays fut cantonné (JP sort de ce corps) à servir la soupe au karatéka belge Jean Claude Vandamme en pleine déconfiture cocaïnée.
Marcus (JCVD) et son copain Tommy (Rob Schneider) sont des spécialistes de la contrefaçon complètement foireuse. Leur buisness vivote et ils voguent constamment de combines en combines. Leur dernière idée en date: faire de l’exportation de faux jeans de marque qui ne résistent ni au lavage ni au repassage. En revanche ils passent les douanes sans problèmes. Aussi sont –ils surpris quand ils découvrent que leurs stocks servent de couvertures à un trafic d’armes international, notamment de micro-bombes auxquelles s’intéresse de près Interpol.
Avec un script pareil, on se demande comment personne n’a compris à l’époque qu’on avait affaire à une authentique comédie. En conflit avec son acteur principal, Tsui Hark va mettre toute son énergie à le ridiculiser et saboter le film sur les grandes largeurs. Il va pour ce faire, multiplier les travellings subjectifs absurdes comme celui qui consiste à suivre un pied dans une chaussure où à insérer des plans de type «rayons X» pour rien comme celui de la colle de semelle qui craque.
Il va ensuite filmer Jean Claude Vandamme en contre plongée pour le rendre plus petit, le fouetter à coups d’anguilles dans une course de pousse-pousse et j’en passe. Une vraie entreprise de destruction massive de la star. Chacune de ses actions est désamorcée par la caméra et d’ailleurs, l’acteur finit souvent dans le décor, assommé et ses prises sont vues se font de loin ou en contre jour. Nul doute que lorsque JCVD a vu le film pour la première fois, il a dû insulter le réalisateur chinois de tous les noms. Mais c’était bien trop tard, ce dernier était déjà reparti, dégoûté du système américain et bien décidé à remettre les pendules à l’heure.
7-TIME AND TIDE-2000
Ce fut chose faite immédiatement. L’artiste bridé aux States, va se défouler en montrant à la face de la planète à quel point l’industrie américaine eut tort de se priver de ses services. Retour à la case polar de Hong-Kong.
Après une nuit de folie avec une jeune femme, Tyler ( Nicolas Tse) réalise qu’il la mise enceinte. Convaincu d’assumer ses responsabilités, il se met en quête d’un travail qui paie vite et bien. Il s’engage comme garde du corps d’un parrain mafieux nommé Hong. Mission après mission, il fait connaissance de Jack (Wu Baï) qui dissimule la relation qu’il entretient avec la fille de Hong. Leurs galères amoureuses les amènent à sympathiser et à devenir amis. Un jour ils parviennent à déjouer une tentative d’assassinat sur leur patron. Les commanditaires sont des mercenaires qui sont des anciens complices de Jack. Ils comptent bien faire pression sur ce dernier pour parvenir jusqu’à Hong. Les loyautés vont être mises à rude épreuves alors que la police commence également à les soupçonner d’appartenir à cette bande organisée. Chacun dans sa logique va devoir défendre ses intérêts dans des scènes le plus apocalyptiques les unes que les autres. La narration nous ballade de manière frénétique jusqu’à une opération de déminage désespérée dans un stade durant un concert, tandis la petite amie de Tyler accouche au beau milieu d’un combat mi kung-fu, mi gunfight.
TIME AND IDE est un film ahurissant dans tous les sens du terme. Chaque plan semble être une sorte de démonstration technique mue par la rage de ne pas avoir pu s’illustrer à Hollywood. Chaque scène hurle «Voilà ce que vous avez manqué bande de flanc-mous!» Entre combat aériens entre flics en rappels le long de parois d’immeubles et envoi de nouveaux nés dans les airs, le réalisateur ne renonce à aucune image osée. C’est un film d’action qui pulvérise le pacemaker, reprend la grammaire d’un John Woo sur l’amitié virile entre gangsters, pour mieux y mettre un point final. Dans toute cette anarchie, pourtant, le cinéaste évite d’être trop sombre et propose finalement une chute assez apaisée. Comme si là encore, il voulait prouver qu’il aurait pu signer un grand blockbuster yankee. C’est totalement jouissif.
8-SEVEN SWORDS-2005
Tsui-Hark est-il un réalisateur réactionnaire? Mystère, mais SEVEN SWORDS est toutefois un film de pure réaction, un réaction suite à son séjour au festival de Cannes en 2004. Membre du jury, il constate que s’il est reconnu par la profession, ses films ne sont quasiment distribués nulle part et doivent se contenter de discrètes diffusions en DVD. De retour au pays, il s’attaque donc à un projet pharaonique entièrement filmé en décors naturels, mettant en scène un maximum de performances réelles. Pour valoriser encore d’avantage le cinéma chinois, il met également un point d’honneur de s’entourer de collaborateurs venant d’un peu partout en Asie continentale, du Mainland à la Corée du sud. La musique sera même signée par le japonais Kenji Kawaï bien connu des aficionados de la Japanimation (GHOST IN THE SHELL, les documentaires APOCALYPSE, PATLABOR, RING).
Le film est une adaptation du roman SEVEN SWORDSMEN FROM MOUNTAIN TIAN.de Liang Yusheng. Le récit revient à la source du Wu-Xia-Pian : Durant l’ère de la dynastie Qing (XVII ème siècle) , l’empereur afin de mettre fin à toute source de sédition, interdit la pratique des arts-martiaux. Ce faisant, son armée menée par le chef «Ravage» (Sun Hongleï) pourchasse impitoyablement tout foyer rebelle, massacrant village après village. Un vétéran rebelle, Fu (Liu Chia-Lang) exhorte un village de pratiquants martiaux à résister. Pour les aider il va jusqu’au Mont Céleste quérir des guerriers d’exception parmi lesquels Chu (Donnie Yen). Ils forment en tout sept soldats d’élite munis d’armes d’exceptions aux pouvoirs fantastiques. Ensemble ils parviendront à détruire le camp de Ravage, au prix malheureusement de multiples de vies.
C’est un retour aux sources barbare que concocte Tsui Hark, une sorte de réponse à TIGRE ET DRAGON en mode CONAN LE BARBARE mêlé de KEN LE SURVIVANT. Ce sont bien les sabres qui sont filmés dépeignant par leurs usages les personnalités de leurs porteurs, devenus presque les extensions parlantes de leurs armes. Le résultat est sauvage et cathartique. En guise d’hommage et se voulant continuateur d’une tradition, Tsui Hark s’assure la collaboration de l’illustre Liu Chia-liang, réalisateur et chorégraphe de la Shaw Brothers ( LA 36E CHAMBRE DE SHAOLIN) ayant mis le pied à l’étrier de Jet Li, lui même. Malgré l’age, le vénérable homme continue de se dépasser à l’écran et même en dehors en coordonnant les combats lui-même. Tsui Hark a l’ambition de faire de son film, une véritable superproduction qui ne rougirait pas devant le géant hollywoodien. Il ne se renie pas pour autant, filmant toujours le peuple volontiers lâche, xénophobe et prompt à la délation. Malgré tout, ce mélange de classicisme mâtiné de manga fonctionne dans une bobine remplie de moments de bravoure. Si vous avez poliment baillé devant TIGRE ET DRAGON, celui-là risque bien de vous réveiller les synapses.
8-DETECTIVE DEE LE MYSTERE DE LA FLAMME FANTOME-2010
A l’époque de la dynastie Tang (vers l’an 690) Wu Zeitan (Carina Lau), régente ambitionne de devenir la première impératrice chinoise. Elle cherche à consolider son pouvoir notamment en construisant une immense statue de Bouddha dans la capitale Chengzhou (Luoyang) supposée être le témoin de sa toute-puissance. Le chantier est colossal et ne cesse de provoquer l’admiration des dignitaires. Lors d’une visite d’un diplomate étranger, le chef de chantier se met à prendre feu spontanément et tombe du haut de la statue. Plus tard le messager chargé d’annoncer la nouvelle à l’impératrice s’enflamme lui aussi devant toute la cour. La crise est grave et Zeitan soupçonne un complot contre son pouvoir. La superstition fait son chemin dans l’esprit du peuple et le convainc que le règne de la monarque est maudit. Zeitan fait donc appel à un homme dont la vivacité d’esprit est légendaire.
Seul problème, il purge une peine de prison pour s’être rebellé contre l’autorité de Zeitan quelques années auparavant. Il s’agit du détective Dee Renjie. (Andy Lau) L’impératrice charge donc Jing’er (Li Bingbing) de le libérer, le convaincre et le surveiller afin qu’il mène son enquête à bien. Rapidement le détective Dee accepte. Sur les lieux du chantier, il écarte la piste surnaturelle en constatant les divers matériaux présents sur place. Dès lors Dee va déjouer les différents complots et affronter nombre d’adversaires afin de rétablir la vérité si cruelle soit-elle.
Toujours complexé par le cinéma hollywoodien, il tient à jouer dans la cour des grands et produit un véritable blockbuster transpirant le pognon investi par tous les pores de l’image. Les décors intérieurs, les costumes, rien n’est laissé au hasard et c’est d’une beauté plastique fulgurante. Au niveau des chorégraphies, il s’entoure d’un des meilleurs: Sammo Hung, sans doute moins côté que certains, mais diablement efficace. Ce vétéran des coups portés pour de vrai, va pouvoir s’assurer que si les combats semblent souvent irréalistes, ils aient tout de même une tangibilité de par sa manière de gérer les plans selon les points de vue.
Quiconque ayant vu BLADE OF FURY sait de quoi je parle. Par contre malgré son ambition visuelle, le studio chinois ne parvient pas à émuler le cinéma américain. Tous les extérieurs font «fake» et certains SFX sont hideux. On aura beau se dire que si le public chinois a une meilleure tolérance à l’irréel, on sent bien que le cinéaste a eu les yeux plus gros que le ventre. Les espaces vides ou remplis de «sims» immobiles sont trop visibles pour être ignorés. En revanche le montage est totalement occidentalisé et c’est un film facile d’accès pour un cinéphile frileux vis-à-vis du cinéma chinois. Et puis c’est quand même une très ambitieuse demie-réussite servant un scénario séduisant.
10-LA BATAILLE DE LA MONTAGNE DU TIGRE-2014
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’armée japonaise en pleine débâcle laisse énormément de dépôts d’armes et de cachettes secrètes derrière elle. Un régiment de l’armée populaire de libération (les soldats communistes) mené par le Capitaine 203 (Lee Gengxin), s’apprête à se démobiliser et rentrer chez lui. Mais au cours de leur trajet, les soldats constatent que la région est laissée aux mains des bandits et des pillards. Près de la montagne du Tigre, un village est la cible d’attaques stratégiques puis qu’un arsenal et un trésor font l’objet de la convoitise du Seigneur des aigles (Tony Leung Ka-Faï) qui à la tête de son clan, contrôle la région. Le petit contingent du capitaine 203 décide de venir en aide au village et planifie de prendre la montagne d’assaut. Mais il faudrait qu’un agent espion puisse les faire entrer discrètement dans l’enceinte du criminel.
C’est à ce moment qu’apparaît le mystérieux Yang (Zhang HanYu) , qui propose ses services. Mais le capitaine 203 n’a pas confiance en lui. Parviendront-ils à entrer dans la montagne et à défaire le Seigneur des Aigles?
Jouissant d’un budget confortable et de toute la liberté artistique que peut laisser le gouvernement chinois, Tsui Hark accouche d’une fresque épique , virile et haute en couleur. Sur un scénario proche des DOUZE SALOPARDS, dans un décor enneigé de toute beauté, il signe là, une fausse œuvre à la gloire du régime. Bien entendu le parti est mis en valeur, mais rapidement l’action échevelée dépassera le moindre message. Le cinéaste va filmer des scènes incroyablement lisibles tout en ne renonçant pas à sa frénésie. Le seul problème est sans doute l’abus sans justification de CGI quand même pas très heureuses, à moins de se dire que les giclées de sang ne soient filmées comme des feux d’artifice. Toujours prêt à expérimenter ,l’homme cède souvent aux fautes de goût sans lesquelles, la bobine aurait pu être parfaite. Néanmoins, le réalisateur parvient à surprendre notamment sur la fin quand ses partis pris et ses délires viennent à bout de tout réalisme et cela dans la plus grande décomplexion. Ce film renoue avec le sens de l’aventure des vieux films de guerre et pour ça, Tsui Hark nous prouve qu’il est toujours aussi actif et acteur derrière sa caméra.
Alors, Tsui Hark est il une sorte de Steven Spielberg asiatique ? Le parallèle est tentant: Ils émergent à peu près au même moment (fin des années 1970), et révolutionnent le genre. Tsui devient également un producteur prolifique qui fait un peu la pluie et le beau temps, découvreur notamment des nouveaux talents comme John Woo ou en Daniel Lee, il appuie également ses amis comme Ching Siu-Tung. Enfin, son attrait pour les nouvelles technologies le place toujours à la pointe de la modernité au sein même de sa propre école l’empêchant de se démoder. A présent il est devenu une sorte d’institution de son pays.
En BO un hommage électro :
Je viens de regarder Time and Tide, grâce au commentaire de Fletcher mentionnant qu’il était disponible en Replay.
Je m’étais embrouillé, aucun split screen dans ce film, mais c’est un polar orienté action totalement jouissif ! Merci Eddy !
Merci à tous pour vos retours.
@Patrick
Je pense que GREEN SNAKE est fait pour toi.. ^^
@Jyrille
Oui le cinéma HK est un univers un peu à part qui reste méconnu et qui a pourtant infusé le cinoche occidental depuis. (y a t il UN seul film d’action désormais sans Kung-fu ou succédané?)
@Kaori
la fascination pour les arts martiaux est en effet quelque chose d’unique, car c’est un cas où l’on peut voir des performances physique réelles (même si parfois aidée par des câbles) à l’écran. l’effort, la difficulté le tout mis en scène de manière chorégraphiée, comme un spectacle à la fois de danse et de combat. c’est assez fascinant. Enfin plus que de voir un CGI lancer un truc en CGI sur un fond vert… Il y a aussi ce contact particulier avec cinéma « autre ». J’adore aussi les costumes et les décors de beaucoup de ces films ou leur façon de mettre en scène le rapport à la vie et la spiritualité, voire même à la ville.
@JP
Merci pour cette réactivité sur TIME AND TIDE qui est vraiment une sorte de curiosité délirante
@Zen
Il ne me reste plus qu’à mettre la main sur les trois films qui me manquent pour avoir une idée complète de la carrière Tsui Hark. On avait déjà traité L’auberge du Dragon dans la seconde partie du dossier Wu-Xia-Pian.
@Matt
Je ne compare pas vraiment Tsui à Spielberg, c’est plutôt une comparaison que tous les journalistes font sur tous les supports depuis pas mal d’années. je m’en sers d’accroche aussi pour piquer la curiosité et en effet pointer l’importance de ce réal/producteur.
Un article passionnant de bout en bout, même pour quelqu’un comme moi qui n’ai vu aucun de ces films.
Un article de passeur passionné qui réussit parfaitement à transmettre son appétence pour le réalisateur en tant qu’auteur, tout en faisant ressortir ses qualités et ses spécificités et en prenant du recul, avec des informations surprenantes, comme :
– Officiellement ce film n’existe plus et ses négatifs ont été détruits, très étonnant pour un film de 1979
– un mix de kung-fu comedy et de film gore brocardant le public
– la vraie prise de risque de ne pas aimer ses personnages
– partager leurs savoirs et dépasser leurs différences, pour le bien commun (un bel idéal symbolique)
– prendre cette fois le point de vue du Serpent vert pour l’apprentissage du chagrin et des larmes (même si j’ai aussi du mal avec la BO)
– diminuer JCV (dans la BA, j’ai bien vu l’utilisation des angles de prise de vue que tu évoques)
– un accouchement au beau milieu d’un combat mi kung-fu, mi gunfight
– un questionnement sur l’orientation politique du réalisateur (réactionnaire ?)
– la gestion des plans de combats, selon les points de vue
– des fautes de goût
Pour moi, cet article a bien répondu à la question initiale : Alors, Tsui Hark est-il une sorte de Steven Spielberg asiatique ?
Merci de ce retour.
T’avoir en tant que lecteur est une chance incroyable.
Tiens pour ceux qui ont envie de voir une sorte de mélange entre IL ETAIT UNE FOIS EN CHINE et un film de super héros, je vienx de voir le blockbuster indien RRR qui est très cool.
Y’a pas mal de CGI et c’est pas un budget de film US donc pas toujours très réussi, mais c’est un film qui donne la pêche (film indien le plus cher avec 72 millions de dollar de budget…on voit que c’est pas les budgets de 300 millions des films US)
Bref ‘est une histoire romancée basée sur 2 révolutionnaires, et là ou c’est fantasmé c’est que le film imagine leur rencontre alors qu’ils ne se seraient pas rencontrés en vrai. Et ces héros populaires sont presque déifiés tant ils sont super forts comme des super héros. Et ça botte le cul à du colon anglais dans les années 1920 après que ceux ci se soient tout permis (on vole une enfant d’une tribue parce que c’est une curiosité indigène, on oppresse la population, etc.)
Et Bheem et Ram vont se rencontrer (l’un venu chercher la petite fille, l’autre préparant secrètement une révolution en se faisant passer pour un fidèle à l’empire britannique)
C’est également très musical, dansant…film indien oblige. Il faut avoir le bon état d’esprit pour voir ce film, mais je me suis bien amusé. C’est très exagéré dans les combats, c’est du bon délire.
://www.cineserie.com/movies/2406377/video/4813972/
Cette scène de danse où les indiens sont insultés par les britanniques pour ne pas savoir danser est très cool aussi. ça vire en duel de danse :
://www.youtube.com/watch?v=0MmgvJZ5h-s
Faut aimer mais il y a des passages qui filent la banane quand même^^