WE 3 Par Grant Morrison et Frank Quitely
Première publication le 09/08/14. Mise à jour le 29/05/23
Un article de BRUCE LIT
WE 3 est une mini série complète en 3 épisodes sortie aux Etats-Unis chez Vertigo en 2003. Après une sortie chez Panini, la voilà réeditée en France chez Urban dans sa version Deluxe sous le titre Nou 3. Si la traduction littérale est bonne, on perd le double sens voulu par Morrison : WE 3 = We’re Free !
Bandit, Minette et Pirate sont respectivement un chien, une chatte et un lapin disparus dont les avis de recherche sont placardés dans des petites villes américaines. Ces animaux ne pourront jamais être rendus à leurs propriétaire éplorés ! Et pour cause, grâce à des exosquelettes évolués nos petits amis sont devenus des machines de guerre à la solde de l’armée américaine.
Bandit, Minette et Pirate s’appellent désormais 1,2,3 et forment le commando Nou 3. Les voilà capables de parler un langage rudimentaire, de s’infiltrer et de liquider des terroristes. A la férocité de leur instinct animal s’oppose la tendresse naturelle d’animaux de compagnie. Jusqu’au jour où l’armée décide de se débarrasser de ce programme compromettant politiquement parlant. Échappés de leur laboratoire, dans la confusion la plus totale, Nou 3 est poursuivi par des soldats qui veulent les exterminer. Quel destin attend ces animaux aussi dangereux qu’innocents ?
Quel drôle d’oiseau ce Morrison ! Lui dont j’ai toujours trouvé le style froid, clinique, distant lorsqu’il décrit les relations humaines de ses personnages, le voilà s’imaginant en médecin indienne capable de communiquer avec les animaux. Une phrase le trahit au début de l’histoire : il est dit que Roseanne communique mieux avec les animaux qu’avec les hommes !
On parle de qui là Grant ? On se rappelle que dans les Invisibles à The Filth en passant par Charles Xavier pour son run sur les X-Men, Morrison a souvent parsemé ses scenarii de véritables déclarations d’amour aux animaux domestiques.
Urban Comics réedite la version DE LUXE de l’album : on y perd le papier glacé pour un papier buvard épais odorant mais 20 pages de « making of » avec extrait de scénarios et crayonnés de Quitely. L’hypertrophie du Moi de Morrison s’y déchaîne. Dans le Pitch envoyé à Vertigo, Morrison promet une œuvre révolutionnaire aux dessins qui feront date et une histoire jamais lue avant …
Morrison vante son découpage auprès de Karen Berger comme susceptible d’influencer une nouvelle génération de Comics… Lorsque l’on connait le bonhomme, ce qui pourrait être franchement gonflant d’un type toujours si satisfait de lui même en devient presque attachant.
A l’époque Morrison sort d’un run des Xmen qui à défaut d’être exceptionnel (anachronismes, fautes de script, psychologie des personnages à la truelle) est le seul passage original et d’une intégrité artistique certaine pour les mutants des années 2000 .
Niveau scénario, WE3 n’est rien d’autre que le Weapon X de Morrison ! Des animaux enlevés subissent des expériences cruelles les transformant en super soldats cyborgs. Logan est kidnappé, drogué et torturé par l’armée Canadienne pour le transformer en super soldat. Les cobayes se transforment en bourreau à l’innocence maculée de sang en voulant s’échapper. Wolverine trucide impitoyablement tous les soldats du complexe Weapon X. Celui-ci avait un squelette en métal ; les animaux, un exosquelette .
Logan, rabaissé à la condition animale ne parle quasiment pas de l’histoire ; les WE3 sont dotés de capacités limitées de paroles. Enfin, Morrison n’hésite pas à reprendre les leitmotiv répétitifs de Weapon X pour les intégrer aux WE3, qui, en singes savants, répètent ce que l’homme leur a appris : bon chien , chef nul , oh oh !
Ceux qui connaissent le film White Dog de Samuel Fuller, inspiré du livre de Romain éponyme se rappelleront que Morrison n’est pas le premier à imaginer des animaux dressés pour tuer avec une femme dans le rôle de la rédemptrice . A défaut d’originalité donc , Morrison pond quand même un pitch efficace. Son scénario tient dans un mouchoir de poche, vise clairement le bolockbuster et le podium des ventes mais certains moments sont très réussis.
Il est ainsi possible de s’attacher au lapin, au chien et au chat qui ont un ersatz de personnalité. L’humour et la tendresse de Morrison pour ces bêtes y est manifeste : Le chat rebelle, Le chien fidèle à l’homme, et le lapin crétin qui passe son temps à déféquer…des bombes ! Les dialogues que les animaux répètent à l’envi, vidés de leur substance humaine parviennent à refléter leurs émotions déchirées entre leur instinct pacifique et celui de survie.
A l’inverse des lions de Pride of Baghdad qui s’exprimaient comme Shakespeare, Morrison fait un effort appréciable de se mettre dans la peau des bestioles avec des phrases sans conjugaisons, des verbes à l’infinitif et des pensées traduites en actions immédiates. Le blockbuster de Morrison reste habité et sa fiction réaliste et crédible. Fait rare pour du Morisson son récit est linéaire et immédiatement compréhensible ce qui contribue à un plaisir de lecture immédiat.
Contrairement aux lions de Brian K Vaughan ses animaux ne sont pas des victimes ; les We 3 répondent, déchiquettent et se paient même le luxe d’une fin aussi tendre que grinçante. Les pages bonus nous expliquent la virtuosité de Quitely notamment sur les 108 cases de la video surveillance. Mais on comprend très vite en lisant le script de Morrison un peu brouillon, que l’art de Quitely consistera à privilégier la forme sur le fond.
L’objectif à certains moment est de traduire en image la perception animale du temps. Morrison explique qu’un chat perçoit lors d’une chute le temps au ralenti lui permettant d’adapter son temps de réaction pour survivre.
C’est ainsi que Quitely procède à un découpage millimétrique et en 3 dimensions pour intégrer le lecteur aux réflexes des animaux ce qui procède à des pieds de nez irrésistibles : voici des animaux entraînés à réagir comme des humains et des lecteurs incités à penser animal ! Au final , un peu comme le Black Summer de Warren Ellis, WE3 aurait gagné à un scénario plus développé au vu de ses ambitions démesurées de son auteur.
Il n’en reste pas moins que WE est une oeuvre attachante, divertissante et bien rythmée porté par un dessin virtuose qui vous fera réfléchir la prochaine fois que vous gueulerez sur votre chat ! C’est aussi un plaisir de jouir d’un scénario intelligible de Grant Morrison réputé pour ses ellipses hachées et ses références obscures.
Et puis cette phrase culte : Homme nnnul !
Excellente analyse, encore une fois. Je ne vois pas quoi ajouter tellement tu as saisi l’essence de cette bd. Et Quitely y fait un super boulot.
Bon, OK, entre ton article et les dessins de Quitely, je suis encore dedans d’un album chez Urban.
Même si, à la base, je ne suis pas attiré par un récit mettant en scène des animaux, c’est tout de même du Morrison et Frank Quitely…c’est moi, où son travail a l’air encore meilleur qu’à son habitude (déjà haute) ?
Mon banquier vas pas t’aimer, Bruce !
Ca dépend des agios mon cher Erik ! Si tu es trop à découvert, on t’appellera Erik le rouge !!!
Bel article qui met bien en évidence le travail de conception de chaque page pour un découpage inventif et vif. Je pense que c’est le travail de Quitely que je préfère pour ces mises en page exhalant intelligence et sensibilité.
Excellent. Je viens de finir la lecture. J’ai été impressionné par les dessins et le découpage. Effectivement le scénario peut paraître un peu léger. Je regrette que l’histoire soit si condensée en quelques chapitres rondement menés. Cela reste sur le plan visuel assez virtuose et efficace en termes de récit.
Ps. Zut mon personnage préféré n’aura pas fait long feu. Je n’en dit pas plus pour éviter un spoiler 😉
Oeuvre très attachante en effet. On fait attention à nos ptites bêtes après^^
C’est commandé direct!
Pas forcément connu du grand public (dont je fais partie à priori^^) donc pas cher (voire moins cher que le neuf), donc parfait pour moi!
Merci
Bon, j’avoue, j’ai un peu délaissé le blog ces derniers temps. Je suis dans ma période « stress de la rentrée » qui va durer jusqu’à la Toussaint normalement…
Grâce à un généreux bienfaiteur, j’ai pu lire ce comics, dans sa plus belle version.
Premier choc : la double page avec les douilles floues en 3D qui semblent nous arriver directement dessus, et ce type déchiqueté en arrière plan mais bien net. Ouah, ça c’est une claque.
Niveau graphique, rien à en redire, ça en jette, c’est vif, c’est précis, c’est beau malgré les détails sordides (la page de l’extermination des militaires est impressionnante…).
Niveau histoire, j’ai aimé cet esprit de solidarité, d’entraide, d’équipe qui unit les WE3. Ils sont touchants et plus « humains » que les hommes à l’exception d’un (et quelque…
C’était court, trop, avec une fin presque abrupte, mais avec une subtilité émouvante.
Les yeux emplis de larmes du scientifique font mouche…
Belle histoire.
Merci encore à mon généreux donateur pour cet accueil dans la quarantaine 😉
Content de savoir que tu as apprécié !
Eh…
Entre WE 3 et The BOYS, nous sommes, mine de rien, en train de radicaliser Kaori à la violence graphique.
Je déteste voir des animaux se faire étriper.
Il y a des animaux qui se font étriper dans ce comics ?^^
Ce qui m’en tient éloigné pour l’instant c’est cette idée bizarre d’humaniser des animaux (et on parle bien de vrais animaux, pas d’anthropomorphisme) et le risque d’en voir certains réduits en charpie.
M’en fous si je passe pour une chochotte^^ ça me fait de la peine à chaque fois que je vois un chat mort sur la route moi. je suis un sensible.^^
Je trouve que les humains en prennent bien plus dans la tronche que les animaux, dans ce comics !
Et je ne les trouve pas humanisés, ils ont accès à la paroles, mais ça reste des animaux transformés en arme, donc on a juste essayé de leur faire perdre leur vraie nature.
C’est un bel hommage à la nature animale.
Concernant la violence faite sur les animaux, il y en a, oui, mais pas tant que ça. Moi qui suis très sensible, j’ai été peinée par certains moments, mais ça reste une belle histoire.
La violence qui m’a le plus frappée, c’est vraiment celle dont sont capables (en même temps, ils n’ont pas vraiment le choix…) ces animaux transformés en arme. Là tu as droit aux détails.
Lecture fantastique et eprouvante.
merci pour la découverte