Fermez-la ! (La ferme des animaux)

La ferme des animaux par Rodolphe et Le Sourd

Un article de BRUCE LIT

VF : Delcourt

Charade, you are !
©Delcourt

LA FERME DES ANIMAUX est un récit complet paru en 2021 chez Delcourt dans la collection Ex-Libris consacrée à l’adaptation en BD de grands romans. Le scénario est de Rodolphe et les illustrations de Patrice Le Sourd d’après la nouvelle de George Orwell. La mise en couleur est signée 1ver2anes.

Il s ‘agit d’une lecture tout public adaptée pour les enfants mais lisible pour les adultes.

Est-il besoin de présenter George Orwell en 2021 ?
Non, parce que comme moi, vous êtes forcément tombés sur plein de citations de l’écrivain de 1984 pour dénoncer la dictature qui vous arrange.
Orwell, c’est devenu un point Godwin en soi : il suffit d’aborder un tant soit peu de tyrannie et beaucoup d’indignation pour dégainer son pense-très-bête et ânonner des phrases dont certaines ne sont pas de lui en se donnant un air emprunté pour commenter une œuvre que beaucoup n’ont pas lue…

On dira que ce n’est pas nouveau puisque l’adaptation qui nous intéresse ici, LA FERME DES ANIMAUX est connue pour avoir inspiré l’album le plus violent de Pink Floyd contre…le Thatchérisme et sa dérive ultra-libérale ! Une ironie en soi puisque cette nouvelle de Big George parue en 1945 fut impitoyablement censurée pour avoir dénoncé les exactions d’un régime de gauche, celui de Staline, 8 ans avant sa mort !
Qu’importe, désormais Droite et Gauche se balancent leur Orwell illustré au moindre pet de poule tandis que l’extrème-centre compte les points puisque nous sommes désormais tous les dictateurs de l’autre. Ceux-là n’ont rien compris à ce qu’ils récitent puisque ce faisant, les agneaux se transforment à leur tour en chiens écumant de rage.
Mais revenons à nos…moutons !

Les porcs font de la politique !
©Delcourt

LA FERME DES ANIMAUX raconte la révolte de bêtes de somme contre la tyrannie des fermiers. Une fois bannis, les animaux prennent leur destin en pattes et des règles sont édictées par les cochons. La plus importante : Tous les animaux sont égaux. Mais le temps passe et il s’avère que certains le sont plus que d’autres.

LA FERME DES ANIMAUX décrit méthodiquement les étapes d’une utopie libertaire à celle d’une dictature. Les cochons sont intelligents mais vont exploiter les forces et les faiblesses de chaque animaux pour leur propre confort.
Le lecteur retrouve le cheval fort et stakhanoviste qui donne sa vie pour une cause qui finira par le tuer. Les chiens qui obéissent aveuglement à une autorité légitime ou non. La jument qui recherche avant tout la compagnie des hommes pour la réconforter. Les poules, les plus productives mais qui n’ont pas voix au chapitre : ce sont des femelles faciles à mater.

Poulailler’s song
©Delcourt

Le connaisseur de ce fabuleux récit d’Orwell se rappelera que les cochons sont des carricatures féroces de Lénine, Trostki et Staline. Les deux premiers inspirent la révolte des animaux avant d’être diabolisés et bannis par César qui, tel Robespierre s’improvise dictateur pour le bien de la révolution et réclame des têtes.

Le scénario de Rodolphe permet de réviser en 40 pages les grandes étapes du roman qui sont aussi celles de la construction du pouvoir absolu telles que décrites dans un documentaire sur Netflix : COMMENT DEVENIR UN DICTATEUR : Trouver des boucs émissaires (dans une ferme, ce n’est pas difficile), réprimer la critique, réécrire l’histoire, effacer les consciences, vivre au dessus de ses moyens.

Tout au long de l’album, les animaux meurent de faim tandis que s’empiffrent leurs dirigeants.
Destinée à un jeune public pour qui la BD permet un formidable outil de pédagogie à la pensée libre d’Orwell, l’adulte lira ou relira avec un plaisir non dissimulé cette fable où la tyrannie de l’animal n’a rien à envier à celle de l’humain.

Pas de révolution sans constitution
©Delcourt

Si les dessins expressifs et réguliers protègent l’enfant de la violence terrible décrite dans le roman, le scénario de Rodolphe rend compte du terrible défaitisme de George Orwell sur la nature humaine. Un défaitisme vérifié par les vérités historiques : à la brutalité et l’autoritarisme du tsarisme succède la violence du stalinisme et ses goulags.
Pour lutter contre les ennemis de la révolution, Robespierre instaure la terreur qui préfigure, toujours au nom des plus nobles des idéaux, la répression la plus sanglante. N’oublions pas le plus grand paradoxe du christianisme d’évangéliser de force les peuplades primitives pour les sauver d’eux-mêmes.

LA FERME DES ANIMAUX ne raconte que cela : il n’est pas d’idéal qui ne résiste à l’épreuve de la réalité. L’album montre bien qu’une fois le tyran renversé, il s’agit de consolider une autorité, de faire face aux menaces extérieures et de reprendre les initiatives de son prédécesseur autrefois honni.

La BD illustre brillamment la constitution évolutive de la ferme où la déclaration d’intention devient progressivement la justification de la force telle que condamnée par Rousseau dans LE CONTRAT SOCIAL : Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir.

LA FERME DES ANIMAUX fait partie de ces œuvres étranges qui, comme LA PLANÈTE DES SINGES ou SA MAJESTÉ DES MOUCHES semble plaider le statu quo : oppresseurs et oppressés sont de la même engeance, leur différence n’est pas dans leur nature ou dans leurs idéologies mais bien dans la place qu’ils occupent. Le héros d’un jour (McBeth) devient le tyran de demain.
Un exemple parfaitement illustré par le concept album de Pink Floyd où Roger Waters en dénonçant la brutalité de son pays accédait dans le même temps à la place de Lider Maximo de son groupe qu’il tyrannisera et humiliera pendant près de 40 ans…

Comme LA VAGUE qui montrait comment la pédagogie du fascisme pouvait rendre fasciste à son tour, cette version de LA FERME DES ANIMAUX même trop courte fait plus que de divertir et de livrer une bonne adaptation d’un roman clé du 20èeme siècle. Elle élève les jeunes consciences à la liberté de penser et à celle de sortir du carcan idéologique aussi noble soit-il.

Une collection adaptée aux enfants.
©Delcourt

La BO du jour : hé, vous croyez quoi ? il y a une vie après le Floyd ! Et pour le coup, les Kinks étaient les premiers à visiter la ferme...

26 comments

  • Présence  

    Sympa : je me demandais justement ce que pouvait valoir cette adaptation.

    Cette version de LA FERME DES ANIMAUX fait plus que de divertir et de livrer une bonne adaptation d’un roman clé du 20ème siècle. – J’ai ma réponse, merci.

    Il s ‘agit d’une lecture tout public adaptée pour les enfants mais lisible pour les adultes. – Tu dirais pour les enfants à partir de quel âge ? (Oui, je suis en train de préparer la liste de Noël, pour les cadeaux des différents membres de la famille. 🙂 )

    • Bruce lit  

      Je dirais 10 ans l’âge de ma fille pour une lecture autonome et pour laquelle on peut échanger après. Luna m’a dit avoir été un peu effrayée par la méchanceté des cochons.

  • Tornado  

    « une œuvre que beaucoup n’ont pas lue… »
    Je confesse que je ne l’ai jamais lue et pourtant souvent citée. Notamment depuis ma découverte de l’album de Pink Floyd.

    Ton article d’investigation prêche un convaincu. Nous vivons dans un monde où l’idée qu’il y aurait « des gentils contre des méchants » est une ridicule connerie et l’oppressé d’aujourd’hui sera certainement l’oppresseur de demain si tu lui refiles le pouvoir.
    Du coup tu égratignes la bienpensance et j’en aurais voulu encore quelques paragraphes ! 😅
    C’est pas encore assez clair aujourd’hui ? L’extrême droite avec ses discours de haine puante et ses petites formules racistes, xénophobes et homophobes, a déclenché en face une dictature idéologique tout aussi nuisible incarnée par les SJWs et autres woke qui dévoilent peu à peu leur malveillance derrière leurs habits blancs. Voilà ce que leur aura offert le pouvoir des réseaux sociaux. Clap clap…

    La BO : Cette chanson ne me dit rien. Il y a longtemps que je n’ai pas écouté les Kinks. Aujourd’hui, mes lacunes s’aggravent et je commence à confondre Kinks, yardbirds, Them et autres… Animals ! 🙂

  • Bruce lit  

    THE WALL du Floyd a ceci d’éducatif en montrant que les victimes d’hier sont les bourreaux de demain. Je ne remercierai jamais assez Roger Waters pour cette leçon.
    Je n’ai pas voulu charger trop sur les militantismes pour ne pas vicié la review de l’album et prendre mon lecteur en otage à mon tour.

    • Eddy Vanleffe  

      moi cette leçon me fut donnée par Claremont et son Magneto survivant des camps traumatisé et devenu fou réalisant son erreur et son aveuglement quand il a Kitty inerte lui renvoyant immédiatement à sa propre fille…
      aujourd’hui je ne suis pas sûr qu’un tel propos adulte passerait….

      • Bruce lit  

        C’est bien que tu poses l’exemple des XMEN Eddy, car voilà une licence qui illustre parfaitement mon exemple des agneaux qui se transforment en loups.
        La licence est désormais brandie comme LE modèle qui a prophétisé telle ou telle ou lutte pour l’intégration.
        Certes.
        Mais dans les faits, c’est plus complexe que ça.
        Oui, les Xmen sont victimes de ségrégation et de racisme et l’on souffre avec eux dans leur lutte pour la coexistence pacifique.
        Mais ce que semblent oublier les SJW c’est que les Xmen c’est aussi des collabos au sens qu’ils honnissent. Plus d’une fois, il est mentionné que les Xmen protègent les humains des exactions des mauvais mutants fanatiques ce qui en fait des soldats de la paix ou des traitres à leur espèce.
        N’oublions pas que ce qui mène à DOFP c’est l’assassinat pur et simple d’un sénateur par cette salope de Mystique !
        A bien des égards, les humains ont raison d’avoir peur des mutants au vu des attaques lancées par Magneto, Mystique, Onslaught ou le Phénix Noir. Ce qui a toujours pêché chez les Xmen, c’est le manque de communication de leurs actions. Ce sont des thèmes que Morrison, Wheddon et même Millar ont voulu lancer sans approfondir d’avantage.

        Donc les Xmen, c’est un peu nous en fait : des personnes qui restent dans un camp médian ni du fanatisme humain, ni du radicalisme mutant. Ce sont les gens qui pensent aux civils lors des exactions, ceux qui ramènent Magneto du côté lumineux, qui traitent Sabretooth pour sauver des vies innocentes sans l’assassiner ou qui discutent avec Robert Kelly.

        Aujourd’hui, brandir les Xmen comme une fable sur la tolérance et le dialogue est devenu impossible. Ce qui prouve à mes yeux la limite du comic book en tant que produit contre-culturel à qui il est possible de faire dire tout et son contraire.
        Ce sont les nouveaux cochons de la fable d’Orwell et c’est pour ça que je les méprise. Cette version communautariste qui a renoncé à ses rêves.

        • Eddy Vanleffe  

          Pareil..
          Les derniers plots de Claremont voulaient en faire des « casques bleus » avec les X’SE…
          il a été totalement « backfired » par House Of M.
          Matt parlait du volume Magneto en volume Hachette contenant l’intrigue qui amène Magneto à être le dirigeant de Genosha.
          l’épisode où les X-Men évacuent les bébés d’un hôpital, pour moi c’est une des dernières scènes formidables et iconiques des X-Men que j’aime.

          • Bruce lit  

            Il n’y a pas de progressisme sans violence, même invisible. Pas d’utopies sans victimes. C’est la brillante leçon de la saga face à Loki où la paix se construit sur les agonies de Harfang et Ororo.

  • JP Nguyen  

    Moi non plus, je n’ai pas lu le roman d’origine. Au lycée, c’était 1984 qui était au programme. Je l’ai lu par contrainte puis, des années plus tard, l’ai relu par « plaisir » (je mets des guillemets car ça ne donne quand même pas la grosse patate, cette histoire…)

    Je ne saurais dire pourquoi mais, pour « La ferme des animaux », je souhaite davantage lire le roman qu’une adaptation, celle-ci ou une autre…

    • Bruce lit  

      LA FERME DES ANIMAUX ne dépasse pas 100 pages. Le style est très agréable et souvent drôle. On en fait le tour en une journée.

  • Eddy Vanleffe  

    Je n’ai jamais eu la curiosité de lire ce genre de fable adulte parce que moi et l’anthropomorphisme, ça fait deux…
    quand j’apprends ce genre d’initiative, j’ai tendance à vouloir l’oeuvre de départ aussi vais essayer de lire prochainement la nouvelle.
    En revanche, je me retrouve dans ton article plusieurs fois. effectivement l’analyse de la politique et de l’histoire humaine est désormais continuellement tordue aux besoins des uns et des autres sans que personne n’en tire de leçons objectives ou bienveillantes.

  • JB  

    Impardonnable pour un ancien étudiant en Lettres modernes, mais je n’ai pas lu cette œuvre d’Orwell. Je réalise du coup son impact culturel avec des hommages dans des produits de la pop culture comme le comic book Fables ou simplement Coluche (« plus égaux que les autres »)

    • Bruce lit  

      Malheureusement mon cursus en lettres à la fac m’a appris que les contemporains n’y avaient que peu de place. Les seuls écrivains que j’y ai étudié était Michel Butor pour le nouveau roman, Maurice Blanchot et…Alain Finkielkraut pour LA DEFAITE DE LA PENSEE. Un peu de Levi-Strauss et Victor Segalen dont j’adorais LES IMMEMORIAUX.
      Non pas que je m’attende à lire du DUNE ou du Stephen King, mais La Sorbonne imposait un programme très classique. 1984 ou LA FERME DES ANIMAUX auraient dû/pu y figurer.
      Mais à côté de ça, j’ai dévoré du Rimbaud, Baudelaire, Appolinaire et pas mal de Woodsworth aussi (et en VO siouplait).

      J’avais bien en tête FABLES mais on m’a reproché par le passé le name-dropping. Tu fais bien de le mentionner, le volume 2 de FABLES est certainement le plus violent mais aussi le plus intelligent. Toute la série en fait c’est du Orwell qui n’en dit pas le nom avec ces Fables plus égaux que d’autres qui restent confinés.

      Puisque j’ai des X-Connaisseurs, tous le traitement des morlocks c’est aussi du Orwell (en plus de HG Wells bien entendu) : ces mutants d’égouts qui ne se mélangent pas aux chatelains d’au dessus, Calisto et Masque qui souhaitent défaire l’autorité de Storm (qui s’en fout d’ailleurs) pour imposer une loi brutale et inique.

      • Eddy Vanleffe  

        On t’a reproché le name-dropping?
        je pige pas, gratuit et sans argument, il peut paraître un étalage « pompeux » mais pourtant la comparaison entre les œuvres permet souvent au contraire de pouvoir faire des liens inattendus

        oui en lisant le résumé, ça m’a fait pensé à FABLES aussi et ce fabuleux tome 2 qui déchire tout!

        • JB  

          Après vérification, ce second story arc de FABLES s’intitule ANIMAL FARM ^^

  • Surfer  

    Je suis au restau pour un déplacement professionnel et j’ai pu lire ton article entre le plat et le dessert.
    Il est court et va a l’essentiel c’est top !👍😉

    Tout comme Présence il m’a donné une idée de cadeau pour Noël. J’aime bien quand les œuvres passent un message fort de façon ludique. Idéal pour un enfant.
    Ton article m’a aussi donné envie d’aller voir le documentaire sur les dictatures sur NETFLIX.

    Pour l’anecdote, j’ai découvert l’album de Pink Floyd avant la nouvelle. Il fallait absolument que je la lise après. Tu as raison cela se lit vite et bien.

    Pour la BO quand j’ai vu de quoi il allait être question je pensais que tu allais nous mettre un extrait de ANIMALS du Floyd. On n’y perd pas au change cette Album des KINKS qui est une merveille. Il fait partie de mes 2 préférés du groupe. Par contre je n’ai pas pu écouter le titre car, au restau, je ne veux déranger personne. Mais de toute façon je le connais par cœur 👍😉

    • Surfer  

      « cette Album des KINKS qui est une merveille. »!!!!

      Cet Album des KINKS est une merveille….Voilà comme ça c’est mieux. Désolé pour les fautes et pourtant je n’ai pas bu…. Ou si peu !😀

    • Bruce lit  

      C’est très sympa de se savoir lu au restaurant. J’espère que c’était devant une bonne côte de porc…
      Je te conseille le documentaire de Netflix produit et raconté par Peter Dinklage aussi instructif que…drôle via une bonne dose d’humour noir. Il rappelle que contrairement aux sottises que l’on peut entendre que les dictatures d’Amin Dada, Pyongyang, Kadhafi ou Sadam ne sont pas le privilège de l’homme blanc.
      L’album des Kinks figure dans tous les tops des esthètes pop. Content de savoir que tu y figures.

      • Eddy Vanleffe  

        oui le coup de l’homme blanc responsable de tout, c’est le fondement d’un bêtise incroyable…
        étudions les guerres chinoises juste 5 minutes pour réaliser que c’est l’humanité qui obéit à un schéma commun. Certains paléontologues pensent que c’est dû à la sédentarité qui sacraliserait le territoire et la défense de celui ci voir l’attaque d’un meilleur.
        intellectuellement je vois naître des verrous et des principes qui servent d’axiomes d’explication du monde actuel.
        En fait, on pense le monde d’hier en étant persuadés d’être meilleurs, plus évolués, plus informés…je n’en suis pas si sûr…

        • Bruce lit  

          J’invite surtout à relire René Girard, son travail sur l’origine de la violence chez les humains via le désir mimétique.

  • Jyrille  

    De Orwell, je n’ai lu que 1984 et LA FERME DES ANIMAUX. Autant j’ai eu un peu de mal avec le premier, mon édition étant assez ancienne, la traduction n’était pas géniale, le style un peu trop lourd, ce qui n’enlevait rien cependant au propos, autant le second se lit tout seul et fait froid dans le dos. C’est une fable féroce.

    Tu as bien raison lorsque tu parles des citations sur le web, c’est la fête à la saucisse. Ce roman a inspiré ANIMALS non ? J’adore le titre des Kinks en tout cas. Un petit chef d’oeuvre pop. D’ailleurs tu l’as mise en BO du jour, GG Bruce !

    « COMMENT DEVENIR UN DICTATEUR : Trouver des boucs émissaires […], réprimer la critique, réécrire l’histoire, effacer les consciences, vivre au dessus de ses moyens » Tiens, ça me rappelle le boulot…

    Je n’avais pas entendu parler de cette adaptation. Je ne suis pas certain d’être attiré par le dessin qui n’a pas l’air désagréable mais semble un peu sage pour une histoire si sombre.

    Il faut toujours que je voie LA VAGUE. Très bel article en tout cas Bruce, pédagogique comme il faut.

    • Bruce lit  

      « Ce roman a inspiré ANIMALS non ? » Mais j’en parle en intro et en conclusion !

      The Kinks ont commis des singles incroyables. Et quelques albums incontournables comme ce VILLAGE GREEN. Ils se sont ensuite américanisés pour faire de la musique de stade comme les Who sanas avoir l’essence.
      LA VAGUE est un film très efficace qui devrait prendre une nouvelle résonnance avec les temps qui courent. Le héros est un prof qui vient en cours avec un teeshirt Ramones.

  • Bruno :)  

    Jamais lu le roman -et ne le lirai jamais (et cette BD non plus !).
    An delà de mon impossibilité à prendre une quelconque distance avec la souffrance animale -et désormais aussi avec la mise en scène de l’humaine- je suis complètement allergique à ce procédé de saccharification d’une œuvre, au profit d’un public plus large -même fait avec le talent manifeste exposé dans ces quelques planches : c’est graphiquement maitrisé et, ma foi, à priori pas mal découpé/mis en scène, dans la répartition des bulles et des plans. Du bon boulot, même si pas trop jojo ; à par la colorisation : vraiment très jolie -comme dirait Corben Dallas. C’est très expressif et facile à ressentir.

    Je pense qu’un enfant un tant soit peu sensible ne pourra qu’être heurté beaucoup plus cruellement par la tournure des évènements, séduit qu’il aura été (et d’autant plus complètement pris au dépourvu) par l’efficacité visuelle de cet exercice. Je comprends la démarche « informative » (culturelle et historique -et pourquoi pas philosophique) du point de vue des parents, mais en nie la sanité, sans parler de l’efficacité objective.
    L’une des principales caractéristiques de l’enfant, c’est sa capacité d’observation : « Les enfants jouissent d’une vision dont nous avons oublié jusqu’au souvenir. » Je crois que c’est de Théodore Sturgeon. Il est probable que vos rejetons ont déjà -depuis bien longtemps et via des associations d’idées plus ou moins conscientes (et à des kilomètres de ce que nous avions pu imaginer, fossé des générations, particulièrement technologique, oblige !)) compris comment fonctionne le monde ; et cette BD, à part enfoncer le clou, risque de ne pas avoir d’autre effet que de les alourdir un peu plus, au niveau du moral. Et les gamins d’aujourd’hui étant tellement plus « informés » et sollicités que nous ne l’avons jamais été, je pense sincèrement qu’il serait plus charitable de les laisser, de leur propre initiative, venir à ce genre de médium de leur propre volonté, quand -et si- ils le jugeront utile.

    Informé très (trop ?!) tôt, je n’ai eu de cesse de fuir cette partie de la réalité du monde où nous vivons ; avec pour conséquence directe un rejet -instinctif et assez radical- de « l’information », tous azimuts. Un comportement qui a handicapé ma réflexion sur pas mal de sujets divers, futiles ou non.
    Je ne dis pas que tous les gosses percevront de la même manière ce genre de lecture, mais il m’a toujours paru plus honnête, d’un point de vue pédagogique, d’aborder ces questions par le biais de légendes et/ou de contes beaucoup plus outrés, et donc moins à même de susciter trop d’empathie immédiate. Comme, par exemple, la Mythologie Grecque, ou bien les Fables De La Fontaine : formidables outils au service de l’exploration/exposition de la nature humaine ; et particulièrement indiqués pour une absorption « par étapes » de l’appréhension de celle-ci, bien plus confortable car faisant d’avantage appel à la sensibilité de chacun. On « décide » si ça nous parle ou non.

    … Un peu comme quand on lit Gaston Lagaffe : c’est d’abord rigolo, enfant ; puis ça devient (en plus) brusquement profond et politique, ado, avec la caution de cette très grande qualité d’exécution, qu’on ne faisait que percevoir inconsciemment, jusque là, via le simple plaisir de la lecture. Le Schtroumpfissime, ça le fait, aussi !

    Cette version BD de La Ferme Des Animaux, ne serait-ce qu’à cause du médium, s’apparente un peu trop, à mon sens, aux facilitées très souvent sadiques, et donc sujettes à interprétations étant donné le contexte dans lequel elles nous sont exposées, de Disney (Bambi, Bernard & Bianca, Etc…) et, de ce fait, peut très bien aboutir à un rejet pur et simple du message -déjà super déprimant, objectivement !- de l’oeuvre originelle.

    • Eddy Vanleffe  

      J’ai toujours pensé que LES SCHTROUMPFS NOIRS était une version pour enfant de RHINOCEROS de Ionesco

    • Jyrille  

      J’ai lu le livre, mais pas cette bd : c’est très court et de très grande qualité, tu loupes un truc, Bruno. Surtout que cela ne parle pas de souffrance animale mais n’est qu’une métaphore de la politique humaine.

      « de leur propre initiative » : cela n’a pas de sens. Si cela arrive, ils seront adultes depuis longtemps. De manière générale, lorsque tu éduques des enfants, tu es bien obligé de leur apprendre des choses, de leur faire découvrir des oeuvres qu’ils n’auraient pas vues / lues si tu ne leur avais pas révélé leur existence. Dans le cas contraire, et c’est tout à fait naturel car nous faisons encore de même, nous nous dirigeons vers ce qui va sans doute nous plaire. Sortir de sa zone de confort demande souvent de l’aide. Quant au médium, il est largement sollicité par les gamins : en France, on lit énormément de mangas, c’est je crois le premier type de livre vendu, les enfants, pré-ados, adolescents et même les jeunes adultes adorent ça.

      Les Fables de La Fontaine, tu les apprends au collège, au lycée, tu les décortiques. L’école sert aussi à ça. Le rejet du sujet : c’est bien de ça dont il est question, c’est bien ce que veut faire réaliser Orwell. On parle d’un pamphlet.

      • Bruno :)  

        Les fables de La Fontaine n’étaient pas au programme, dans mon enfance : trop clair, le subversif du propos, pour l’éducation nationale ; qui a été si occupée à détourner les gosses du littéraire, au profit de matières « rentables », ces trente dernières années. J’ai connue une gamine, Bac plus trois, qui conjuguaient les adjectifs, sans que ça l’handicape plus que ça ; comme quoi, elle est parfaitement assortie à son époque, professionnellement parlant (bon, elle est aussi super-intelligente, au sens littéral du terme, ce qui aide).

        Ce n’est pas la substance de la BD, dont je parle, mais la manière dont est transmis le message : détournée par la formule du récit illustré et, de mon point de vue, traitresse, car accentuant la violence du propos, produisant le rejet : l’effet inverse du but recherché. Il n’est certes pas besoin de « voir » pour déduire, et ce qu’on imagine est souvent cent fois pire, en particulier via l’imagination enfantine. D’un point de vue « mature » (s’agissant de moi, je suis obligé de mettre les guillemets !!), je ne pourrais pas apprécier à sa juste valeur quoi que ce soit qui parle si directement de nos travers les plus monstrueusement ordinaires : je porte en moi cette connaissance depuis la prime enfance et n’ai aucune capacité à en supporter les différentes itérations, aussi brillantes soient-elles, sans un énorme filtre fictionnel -et celui de faire assumer à des animaux notre effrayante dinguerie est vraiment la pire des métaphores, pour la méduse hypersensible, passive et toute de gelée frémissante que je suis.

        Je ne suis pas parent, mais j’ai toujours pensé que leur rôle principal (à par assumer les premiers besoins vitaux de leur progéniture !!) est celui de référence sensée : d’exemple fonctionnel, à égalité avec celui de précisément borner les limites à ne pas franchir (premiers flics de l’existence). Un repère de normes valides pour appréhender le monde extérieur -et y survivre de manière humaine.
        La culture intrinsèque familiale est inévitablement transmise via les goûts exprimés des adultes, influences dans lesquelles on baigne, qu’on adhère ou pas, jusqu’au moment où on commence à affirmer ses penchants propres -souvent en réaction. On peut essayer de transmettre les enthousiasmes qui ont aidé à construire notre « culture » ; mais force est de constater leur inadéquation, sinon dans leurs aspects les plus généraux, en regard du fossé des générations, et des expériences si différentes qu’il suscite.
        Pour qu’une culture assure une passation des valeurs, sensées représentées par elle, il faut qu’elle soit ressentie profondément, intégrée, au delà de la puissance des médiums empruntés pour l’exprimer (intellectuels, virtuoses, viscéraux). Or, il y a de fortes chances pour que les parents ne puissent qu’en transmettre une partie, à travers leur propre vécu. L’enfant ne peut décemment pas s’en contenter, sinon en restant à la surface des choses : il s’agira toujours d’un héritage, d’une aide à son développement général : sa culture personnelle, intrinsèque, devra forcément venir d’ailleurs.
        Je pense vraiment que la culture (historique, sociale, artistique, Etc…) est plus un vernis qu’autre chose, au niveau de la construction personnelle, et qu’elle conditionne surtout notre manière de nous exprimer et interagir. Les valeurs sont d’avantage tributaires de nos expériences : « éducation » parentale et traumatismes plus ou moins consubstantiels, à égalité.

        En fait, j’ai une foi très limitée en l’éducation -pro ou perso. En ce qui concerne ma scolarité -relativement brève-, je suis bien obligé d’admettre que je n’ai appris que des éducateurs que j’ai aimé : même les maths, une année où j’ai eu une professeur particulièrement patiente et sympathique, moi qui n’ai pourtant jamais su compter…

        D’un point de vue culturel, j’ai conscience de m’être coupé d’un assez grand nombres de références, au long de mes re-lectures, ré-écoutes, re-visionnages ; mais c’est un comportement surtout lié à ma nature intrinsèque, plus qu’un choix réel : mémoire de poisson rouge, je redécouvre quasi systématiquement les bouquins, quand je les relis ! Je ne me pose évidemment pas en exemple à suivre et, de toutes façons, je doute que beaucoup de personnes soient aussi caricaturalement feignasses que moi. 🙂
        Si j’atteins l’âge de la retraite, je vais avoir des millions de choses à découvrir. Sinon, je me contenterai du peu -mais énorme- qui m’est tombé tout cru dans les yeux et les oreilles : on peut facilement imaginer le Grand Tout à partir de pas grand chose, si le pas grand chose est authentique.

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