Dr Doom par Christopher Cantwell et Salvador Larocca
Kneel before Eddy VON Leffe!1ère publication le 2/11/21 – MAJ le 26/07/22
VO : Marvel
VF : Panini Comics
Nous allons aborder ici la mini-série Marvel DOCTOR DOOM publiée en 2020 par Marvel Comics. Elle est scénarisée par Christopher Cantwell et dessinée par Salvador Larocca.
Je préviens dès à présent l’éventuel puriste, que je vais employer le nom FATALIS dans cet article. J’aime ce nom en tout cas bien plus que Doom, qui m’a toujours paru absurde (le mec s’appelle Victor Von Maledikzione). Les mécontents n’auront qu’à éjaculer leur mauvaise humeur sur twitter, je m’en fous, je l’ai pas.
De même que le souverain latvérien punira de mort lente celui qui commettra le moindre spoiler, nous allons donc essayer de les limiter au maximum.
Depuis petit, j’ai toujours adoré ce personnage de Fatalis. Indubitablement mauvais, il exerce toutefois une certaine forme de fascination, par son aspect graphique hors norme et son armure techno-médiévale qui déborde de charisme.
La faute en est à ses créateurs de départ Stan Lee et Jack Kirby. Le vilain a débuté en tant que vague tyran germanophone d’Europe centrale, évoquant un célèbre moustachu. Pourtant, ils vont rapidement dévier en rajoutant une sorte de décorum techno-mystique à tendance féodale qui va donner une voix particulière au personnage. Totalement mégalomane et tyrannique, il va également se montrer magnanime ou chevaleresque au gré de situations bizarres, ayant un certain goût pour l’art. Il semble obéir à une sorte de code moral que lui seul comprend. Les scénaristes semblent vouloir le revêtir des atours de ce qu’on appelait autrefois le «despote éclairé», une vision romantique cherchant souvent à dédouaner en parti les Napoléon et autres fous de leurs règnes de terreur.
Mais nous sommes dans une fiction, et il est tout à fait autorisé et délectable de pouvoir apprécier ces personnages hors norme. John Byrne parachève le portrait de Fatalis en le faisant adopter un orphelin et l’épisode 258 devient une sorte de bible pour décrire le personnage. Christopher Cantwell va d’ailleurs y puiser l’essentiel de son histoire.
D’ailleurs chose agréable, le scénariste alors assez peu connu dans le milieu de comics mainstream, montre qu’il a potassé et qu’il ne veut pas faire les choses n’importe comment.
Une fois n’est pas coutume, les héros se creusent les méninges pour tenter d’améliorer le sort de la planète et d’enrayer un tant soi peu le suicide collectif humain. Tony Stark et Reed Richards créent un dispositif sur la station Antlion situé sur la lune qui pourrait absorber 35% du CO2 de l’atmosphère et descendre la température globale de 2°. Interrogé à ce sujet, Docteur Fatalis met en garde les médias contre un possible danger de création d’un trou noir qui engloutirait la galaxie entière. Essuyant les moqueries, le monarque latvérien claque la porte et s’en va comme un prince. Sous ses airs arrogants, Fatalis s’inquiète pourtant pour de bon, mais il n’a pas vraiment le temps de s’appesantir, les silos latvériens s’ouvrent soudain sans le moindre contrôle et tout l’arsenal du pays décolle pour finalement détruire le programme censé sauver la planète. Les yeux de tous sont rivés sur Fatalis. Seul suspect de l’attentat. Sachant qu’il n’a aucune chance contre les armées coalisées du monde entier ni contre les super héros réunis, qui depuis CIVIL WAR ne s’encombrent plus non plus de principes moraux bien peu bankables, le souverain ordonne la reddition immédiate et laisse les pleins pouvoirs à Victoire, son fidèle bras droit. Il va ensuite tenter de dissiper le malentendu auprès des instances internationales qui envoient à sa rencontre le seul homme capable de le tempérer: Docteur Strange.
Dès lors, Fatalis soupçonne très rapidement une connivence entre la communauté internationale trop heureuse de se débarrasser d’un État renégat et les intérêts Symkariens, qui entament déjà un putsch afin de renverser le souverain et rétablir le neveu de Zorba comme pantin au pouvoir.
Après avoir assuré à Stephen Strange qu’il est innocent pour les missiles, sur la tête de sa mère, il s’évade et entame alors une sorte de road-trip un peu étrange où le mauvais Docteur se retrouve dépouillé de tous ses attributs. Littéralement à poil, il va se reconstruire pièce par pièce.
La proximité du trou noir déchire le substrat de la réalité (j’adore ce genre de phrase totalement comics) et Fatalis commence à avoir des flashs d’un autre lui-même, d’une autre réalité, ou de son avenir, il ne comprend pas vraiment mais il aspire à ressembler à ce nouveau Victor, idéalisé, en paix et entouré de sa famille. Détail qui ne gâche rien, son monde entier l’adule. Perdu, il est un peu tenté, persuadé de devoir accomplir un destin exceptionnel, de devenir un héros digne de ce nom.
Il est accompagné par intermittence par Kang, errant intemporel lui-même désorienté. Ils vont se poser la question de leur éventuel lien de parenté et bientôt Victor rassemble ses armes cachées de par le monde et rassemble une garde rapprochée de fidèles qui vont l’aider à reconquérir son trône.
De leur côté, les héros ne parviennent pas à résorber le trou noir qui devient de plus en plus menaçant. Reed Richards grince des dents, mais il avoue: il a besoin de Victor. Ce denier parvient donc finalement à convaincre la communauté internationale de son innocence, donne des garanties vérifiées par Reed et Blue Marvel pour sauver le monde: subitement tous ont besoin de lui: En contrepartie, les démocraties ferment les yeux sur sa vengeance immédiate:à savoir l’exécution des traîtres et l’invasion unilatérale de la Symkarie.
En secret Fatalis prépare son retour en grâce et s’apprête à sauver le monde entier au nez et à la barbe de tous les héros. Pourtant, personne même pas lui-même n’est à l’abri de l’égo de Fatalis. Va-t-il sauver la galaxie? Va-t-il devenir le héros que certains voient en lui? Ou bien au contraire va-il tout brûler et régner sur les cendres?
Malgré une fin un peu abrupte, j’ai vraiment adoré l’histoire qui doit être une des meilleures écrite pour le personnage en solo. Si THE BOOKS OF DOOM me semblait être une sorte de récit linéaire sur ses origines telles qu’on pourrait les lire dans une biographie de célébrité, nous avons ici une intrigue qui si elle ne brille pas par son originalité, contient des enjeux à la fois intimes et cosmiques. Les deux versants possèdent des développements équilibrés et complémentaire.s L’histoire peut aussi se lire seule sans trop de connaissance Marvel préalable, à part peut-être un souvenir de la dramaturgie globale des Fantastic Four à laquelle le personnage est indubitablement lié. Tout au plus, pourrait-on être surpris du rôle de tel ou tel personnage mais, sans que cela soit gênant pour la compréhension. Le seul élément qui m’a vraiment interpellé, c’est l’existence de deux fils dont j’ignorais tout. Mais, là encore, l’histoire n’en pâtit pas.
Le scénariste fait un portrait saisissant du dictateur latvérien, à la fois fasciné mais également sans concession. Combien de fois a-t-on lu des titres mettant en scène des personnages foncièrement mauvais, qui d’un coup de baguette magique, revêtaient les oripeaux d’anti-héros, trouvant une morale à leur action. Pas de ça ici, Fatalis reste Fatalis. L’auteur lui donne autant de moments chevaleresques, (il défend vraiment la Latvérie et se dépasse pour sauver le monde), que d’éclairs de cruauté comme lorsqu’il fait exécuter un traître par son propre enfant. Il a même certains moments de doutes et de faiblesses comme lorsqu’il découvre le sort de ses fils dû au fanatisme que son comportement provoque. Enfin il peut se révéler totalement destructeur.
Cette personnalité n’est pas du tout décrite comme celle d’un fou qui prendrait ses décisions de manière erratique, mais bien comme celle d’un homme cherchant en lui-même de quoi accomplir une destinée qu’il veut totalement hors norme. Il emprunte donc parfois une voie noble pour bifurquer sur les chemins les plus atroces l’instant d’après. Ce n’est que de la politique après tout.
Le plaisir se multiplie d’autant que l’auteur se sert de la continuité de manière optimale. Il a compris que celle-ci devait non pas étouffer mais nourrir. Ainsi Christopher Cantwell reprend l’essentiel du personnage déjà bien développé par Stan Lee et Jack Kirby, avec son langage, son château et le fameux Boris désormais malade. Il rebondit sur l’usurpateur Zorba de Marv Wolfman, tout se greffant au Fatalis de John Byrne qui justement avait installé son aspect bipolaire, tout à tout bienveillant ou tyrannique. Il fait donc revenir son pupille Kristoff qui a vieilli trois fois plus vite que Franklin, mais ce n’est pas une erreur de cohérence, ça! Que nenni! C’est parce que Kristoff est élevé au lait des bonnes vaches latvériennes nourries en plein air, tandis que le gamin des Richards, lui il boit du lait de soja… ça explique tous ses retards. Le scénariste s’inspire aussi énormément du graphic Novel TRIOMPHE ET TOURMENTS de Roger Stern et Mike Mignola, dans lequel il part jusqu’en enfer avec le Docteur Strange pour sauver l’âme de sa mère. Momentanément dans le coma, Fatalis rencontre de nouveau Méphisto et La Mort. Celle-ci le relâche pourtant, devinant son destin et faisant de lui son émissaire. Ici ce sera d’avantage Jim Starlin qui sera implicitement cité. Il est fait également mention de son premier amour sacrifié Valéria, introduite par Mark Waid . Nous retrouvons même la dualité de frères ennemis entre Reed Richards et Fatalis chère à Chris Claremont et même Jonathan Hickman. Ils sont semblent être le reflet l’un de l’autre. Chacun jugeant son rival comme sa partie maléfique. La haine de Fatalis est homérique, violente et revendiquée, tandis que celle de Reed est introvertie, muette.
Pendant la quasi-totalité du récit, le leader des Fantastiques refuse de parler au monarque Latvérien et le dialogue final entre les deux ennemis est une démonstration assez incroyable, par écrans interposés du fossé de rancœur que les deux protagonistes creusent chacun à leur façon, pour le résultat qu’on connaît en conclusion. Ces deux forces qui pourraient s’additionner et faire de la planète un meilleur endroit, ne peuvent surmonter leur inimitié. Advienne que pourra!
Un chanteur parisien murmurait tantôt : «La haine, ça n’apporte rien, puis elle viendra bien assez tôt ! » Ici, même constat, même fatalisme!
Si je fais un peu l’inventaire historique des repères sur lesquels s’appuie Cantwell, ce n’est pas pour dire qu’il faut un Bac+5 en Marvelverse, bien au contraire. Le récit s’il ne peut totalement s’extraire de l’univers partagé (Mais d’où sort Victoire par exemple ?), est tout à fait digeste, tous les fondements du personnages apparaissant comme sédiments au service de l’histoire. A la limite l’origin-story THE BOOKS OF DOOM d’Ed Brubaker et Pablo Raimondi peut suffire totalement au complètiste.
Au rayon des bémols, nous avons toujours et cela depuis déjà une petite vingtaine d’années, la présence obligatoire d’un certain humour méta qui dynamite tout enjeu sérieux. Plus rien n’a d’importance ni de conséquence… et ça tranche sur un personnage comme Fatalis. Mais le scénariste s’en sort bien en ne servant dans ce domaine que le minimum. Nous avons des journalistes goguenards face à au dictateur, mais qui font moins les malins quand la communauté internationale lèche les bottes du tyran. Cela permet d’alléger certains aspects politiques assez casse-gueule et le commentaire qu’on devine ironique sur le pouvoir de décisions des démocraties baissant leur froc vis-à-vis d’une puissance à priori minime au cœur de l’Europe. Le road trip contient aussi pas mal de séquences clownesques avec un Kang assez dérisoire. Nous avons quand même une scène où un clochard se fait éjecter dans le ciel comme dans les mangas, et c’est un peu too much. A ce stade, nous pouvons aussi se poser la question sur l’implication du traducteur Thomas Davier qui donne parfois à certains dialogues un côté «Kaamelott» ( un brin surprenant. Ainsi le mot «pécore» pour désigner les paysans est un signe assez parlant.)
Mais la lecture n’en est pas gâché pour autant, parce que l’auteur réserve quand même pas mal de moments très lourds et de scènes de guerre prouvant par là qu’il faut prendre Fatalis au sérieux et que le contraire serait une mauvaise idée. Non finalement ce ne sera que l’intervention de Morgane Lefay totalement inutile qui fera un peu tâche dans cette saga.
Graphiquement, la partie est assurée par Salvador Larroca. C’est un artiste pour lequel j’ai une grande estime pour la bonne et simple raison, qu’il est souvent en recherche. Il a commencé avec un style jumeau de celui de Carlos Pacheco très inspiré du manga (UNCANNY X-MEN), avant de lorgner vers la ligne claire (FANTASTIC FOUR). Puis il a expérimenté le crayonné directement colorié (X-TREME X-MEN), avant de s’appuyer lourdement sur l’informatique et décalquage photographique (NEW UNIVERSAL), pour finalement revenir à une technique d’encrage plus simple découpant les ombres avec des pointillés stylisés (X-MEN 2018 ). Sur DOCTEUR FATALIS, il semble faire une synthèse, forçant pas mal sur les décors intérieurs afin de rendre assez vivant et original le pays Latvérien. Son Fatalis ne manque jamais de prestance et le voir à dos d’ours-photoshopé- donne quand même une très bonne séquence bad-ass. Bien sûr, parfois l’alignement des doigts est un peu étrange et les proportions sont par moment un peu approximatives, mais c’est en tout cas, bien moins chargé en effets et l’ensemble est très joli.
Ce bouquin fait partie des bonnes surprises que livre parfois encore cet éditeur coincé par la représentativité de son catalogue au cinéma et ses events vides de substance. Une série limitée au service de son personnage principal servie par des auteurs et artistes qui prennent visiblement leur plaisir. Le résultat s’en ressent forcément. Un bon cru 2020 de chez Marvel.
En BO : ôde à un tyran imaginaire.
Et bien Merci, merci, merci… 😉