NOBODY par Christian De Metter
Par Patrick 61ère publication le 15/06/21- MAJ le 28/08/21
VF : Soleil / Noctambule
Cet article portera sur la BD signée Christian De Metter : NOBODY – Saison 1
L’action commence en 2007, dans une prison du Montana, alors qu’un homme âgé de la soixantaine, couvert de tatouage, va être interrogé par une jeune psychologue, diligentée par le tribunal afin de réaliser une expertise psychologie. L’homme, Nobody, a été arrêté sur une scène de crime et il reconnait avoir assassiné son ancien coéquipier. Son motif ? Il accuse celui-ci d’avoir assassiné sa femme. Sur le papier tout est clair et, puisque le criminel a avoué, cette affaire ne tardera pas à être classée. Cependant certains détails ne collent pas. La mission de la jeune femme est de démêler le vrai du faux.
Contre toute attente, le prisonnier, jusque-là enfermé dans son mutisme, sort de son silence pour la première fois et se confie à la jeune femme. Au fur et à mesure des entrevues une relation de confiance s’installe entre les deux protagonistes. L’homme en vient à lui raconter son histoire en commençant par le jour où sa vie a basculé, 50 ans plus tôt, après un cambriolage qui a mal tourné, alors qu’il n’avait que 17 ans…
Puisque quelqu’un est mort pendant l’effraction (le propriétaire de la maison, suite à une crise cardiaque) la police fait une proposition au jeune garçon qu’il ne peut pas refuser : travailler pour eux ou finir ses jours en prison ! Bien malgré lui le garçon devient donc un agent infiltré. Sa première mission consistera à gagner la confiance d’un groupe de jeunes socialistes anti-Vietnam. Puisque ses jeunes utopistes se révèlent passablement inoffensifs, le gouvernement charge l’agent double d’une nouvelle mission : bien plus que les espionner son rôle va consister à les inciter à passer à l’action pour mieux les incriminer ensuite…
Chacun des 4 tomes de cette histoire illustrera une période différente de la vie du protagoniste, en même temps qu’une nouvelle mission. A chaque fois plus éprouvante et aboutissant à une apocalypse sanglante dans le dernier épisode.
La bande annonce de la nouvelle série Netflix ? Non pas du tout ! Un trailler dont De Metter signe, les dessins, l’animation, la musique et le chant. Un artiste complet en somme.
Après avoir livré plusieurs adaptations de romans (notamment AU REVOIR LA-HAUT de Pierre Lemaitre, PIEGE NUPTIAL de Douglas Kennedy, ou bien encore SHUTTER ISLAND de Dennis Lehane) et après avoir dessiné le scénario de tiers (comme par exemple DALLAS, UNE JOURNEE PARTICULIERE) De Metter revient à ses premières amours en signant, cette fois, scénario et dessins.
S’inspirant (un peu) du principe d’une série télévisée l’auteur s’impose le pari fou de produire 70 pages tous les 6 mois ! Son œuvre commença en octobre 2016 et se termina au printemps 2018. Le rythme stakhanoviste auto imposé vaudra à son auteur une splendide tendinite. (Voilà un dessinateur qui n’a manifestement pas peur de donner de sa personne).
Bien que totalement fictive, l’histoire s’appuie pourtant sur des faits réels, notamment le Cointelpro (Counter Intelligence Program, 1956-1971, le programme de contre-espionnage du FBI aux méthodes d’infiltrations plus que contestables), l’Opération Northwoods (des interventions militaires clandestines visant à blesser ou tuer des citoyens américains pour, ensuite, en blâmer les Cubains et envahir leur pays), ou bien encore l’assassinat de Kennedy… Le début de l’histoire inquiète un peu, justement par son aspect complotiste à outrance, un peu trop dans l’air du temps. Trop de complot du gouvernement tue le complot du gouvernement, c’est bien connu. On craint même, un moment, une nouvelle relecture de la mort de Kennedy (Oliver Stone sort de ce corps). Dieu merci, De Metter saura éviter ce travers en amenant ses lecteurs de fausses pistes en fausses pistes.
Pour commencer le dessinateur prend le contrepied de l’imagerie habituelle des sixties aux couleurs chamarrées. Il propose ici, au contraire, des couleurs plutôt sombres et presque ternes. Le trait du dessinateur est ultra réaliste (comme à son habitude) mais il a, cette fois, opté pour un style plus épuré qu’à l’accoutumé. Le crayonné est apparent (exit l’encrage, le trait initial reste visible) et les peintures semblent avoir été faites directement sur le premier jet. Fini le travail poussé sur les aquarelles de ses précédentes œuvres. En faisant, bien souvent, abstraction du cadre des cases, l’auteur donne à ses pages une impression d’immédiateté et de spontanéité (même si, bien évidemment, son travail et sa maitrise technique restent impressionnants).
Les gros plans sont favorisés. Les cadrages se focalisent particulièrement sur des détails anatomiques, tels que les regards ou bien les tatouages, donnant une impression d’étrangeté et d’introspection.
Que l’on apprécie ou pas son style on est forcé d’admettre que le dessinateur n’a jamais stagné dans un seul genre graphique. Son trait est en perpétuelle évolution/mutation, surprenant ses lecteurs à chacun de ses romans graphiques. (Du reste j’ai déjà eu l’occasion de dire tout le bien que je pensais de la production du Monsieur ici-même).
Puisque le titre l’indique, l’esprit feuilletonesque des séries télévisées plane sur ce recueil. On pense notamment à DEXTER où un tueur en série était présenté sous un jour positif. Là aussi, la série installait le doux paradoxe de ressentir de l’empathie pour… un monstre !
Mais la référence immédiate de cette BD est plutôt à chercher du côté du film LE SILENCE DES AGNEAUX. En effet la jeune psychologue novice se retrouvant livrée en pâture au vieux brisquard tueur multirécidiviste, évoque immanquablement la stagiaire du FBI, Clarice, face au terrible Hannibal Lecter. Basée sur cette même trame, une relation de confiance s’installe entre les deux protagonistes. Bien vite les cartes se troublent et on n’est pas très sûr de savoir qui est la novice et qui est le maitre. De manière inexpliquée, dans un étrange jeu du chat et de la souris, l’homme et la femme semblent s’étudier et se défier. Si la psychologue est chargée d’étudier le détenu, celui-ci semble également prendre plaisir à tester les limites de son interlocutrice. Leur face à face s’étalera sur un an. Basé sur le procédé narratif du flashback, les confidences du prisonnier permettent au lecteur d’assembler les différentes pièces du puzzle qui ont conduit à son incarcération.
L’une des principales réussites de cette SAISON 1 réside dans son ambiance glauquissime. Même les paysages ensoleillés, sous la plume du dessinateur, deviennent inquiétants et lourds de menace. Les habitués des ambiances sombres et tendues ne seront pas dépaysés ici. La progression dramatique est savamment étudiée. La descente en enfer du prisonnier est parfaitement rendue, dans une atmosphère oppressante autant que paranoïaque.
Le final de l’histoire (dont je ne dirai évidemment rien ici) est à couper le souffle. Aucun détail n’a été laissé au hasard et le suspense est conservé jusqu’au bout. Les révélations tombent soudainement dévoilant, en métaphore, les différents cercles de l’enfer de Dante.
A titre personnel, le twist final m’a totalement pris par surprise et je me suis demandé comment j’avais pu manquer tous les indices pourtant présents dès les premières cases ! Tout le talent de l’auteur aura consisté à cacher en pleine lumière les clés de l’affaire. Après avoir atteint la dernière page vous n’aurez qu’une envie : revenir au début de l’histoire avec une nouvelle grille de lecture.
Du grand art.
La BO du jour
Une plongée en apnée dans la noirceur de l’âme humaine.
« , 50 ans plus tôt, après un cambriolage qui a mal tourné, alors qu’il n’avait que 18 ans… »
Je croyais qu’il avait 57 ans ?
Bon, c’est pas grave, ce n’est qu’une une histoire de chiffres 😉
Sinon, tu parles de 4 tomes, juste pour cette saison 1. On pourrait s’arrêter là ou bien il faudra lire la suite ?
Depuis les premiers articles sur le blog consacrés aux BD de De Metter, je n’ai guère avancé dans ma découverte de son œuvre : je dois en être à 2-3 albums lus via des emprunts en médiathèque. Il est bon mais son style ne me séduit pas.
« Un trailler dont De Metter signe, les dessins, l’animation, la musique et le chant. Un artiste complet en somme. »
Il est doué le garçon. J’aurais juré entre du Léonard Cohen !😉
« Le rythme stakhanoviste auto imposé vaudra à son auteur une splendide tendinite. »
Je ne savais pas que le métier de dessinateur pouvait être dangereux 😃
Une BD qui crée de l’empathie pour un vieux criminel qui est présenté sous un jour positif. Avec une confrontation psychologie entre une jeune novice et un vieux briscard. Le tout mâtiné de complot ….pique ma curiosité.
Je vais essayer de voir cela de plus près dans ma librairie préférée.👍
La BO: Elle me donne envie de repartir sur mon surf sillonner le cosmos pour m’émerveiller des beautés de l’espace infini…😀😀😀
Ça a l’air TOP !
Seul problème : Je n’ai strictement RIEN compris au découpage de cette série. C’est en quatre parties ? C’est en quatre saisons ? C’est en quatre saisons de quatre parties ? 😟
Chaque saison est la suite de la précédente ? C’est la même histoire à chaque fois avec les mêmes personnages ? 😶
Bon, je tâcherai de trouver ça en médiathèque en attendant d’avoir tout compris et/ou de tomber sur une réédition en intégrales… 😨
La BO : Preums ! Je l’avais déjà placée ici : http://www.brucetringale.com/aux-frontieres-du-reel-1-partie-providence-dalan-moore/
🙂
Infos : https://www.bedetheque.com/serie-53752-BD-No-Body.html
Whoaaahhh !!! Le retour de Patrick 6 derrière le clavier. La saison peut s’arrêter là. 😀
Ah non, par contre pas Nobody. Cela fait plusieurs mois que je résiste à la tentation, et voilà que cet article fait tout voler en éclat.
Tu listes trop de choses que j’apprécie : ls opérations clandestines du gouvernement américain (toujours hallucinant de cynisme), la face cachée des sixties, le jeu psychologique à haut risque, l’ambiance glauque. Tu parviens même à me convaincre que l’apparence un peu esquissée des dessins raconte bien l’histoire. Et en plus, il y a une deuxième saison.
@ JP : 50, 18 ,57 ans… Ach le temps est une notion relative, tu le sais bien 😉
Autrement oui cette saison a une histoire autonome, divisée en 4 épisodes. La saison 2 (actuellement en cours) ne semble pas être une suite (en tous cas pas directement). Quoi qu’il en soit, suite ou pas, ce volume se suffit à lui-même.
@ Surfer : Oui, tout à fait, la musique de De Metter fait un peu penser à Léonard Cohen, ou Tom Waits, voir même Nick Cave… D’excellentes influences en somme !
Et oui il semblerait qu’être dessinateur soit un métier physique et à risque !
@ Tornado : A vrai dire je n’ai aucune idée du nombre de saison que comportera cette série, mais quoi qu’il en soit, la saison 1 contient 4 tomes formant une seule et même histoire. On peut tout à fait arrêter la lecture à l’issue de ces 4 volumes, vu qu’elle se conclue par une fin cataclysmique.
A noter que, selon les éditions, ces 4 tomes sont disponibles soit au détail soit en une seule et même édition reliée.
Autrement pour la BO tu as incroyablement bon goût 😉
Je n’ai toujours pas lu de De Metter, honte à moi. Ca a l’air vraiment bon ici, je suis très étonné qu’il fasse tout dans la bande annonce, y compris la musique ! Musique qui sonne très Leonard Cohen et country d’ailleurs, en total raccord avec les génériques télé de TRUE DETECTIVE et de LA TRÊVE (qui s’inspire grandement des génériques de True Detective lui-même. Et dont l’histoire est également construite par des flashbacks pendant des séances de psy, en tout cas la première saison). Il faudrait que je lise SHUTTER ISLAND, parce que j’adore le film que j’ai déjà vu au moins cinq fois.
70 planches tous les 6 mois ! Un travail de stakhanoviste. Pour la première mission, elle fait écho au KENT STATE de Derf Backderf chroniqué ici-même par Présence.
Bon, il y a combien de tomes dans cette saison 1 ? Parce que tu donnes très envie quand même !
La BO : j’adore.
@ Présence : J’aime quand un commentaire commence par « Whoaaahhh » ^^
Les dessins sont en effet plus bruts et moins fouillés que précédemment mais ils servent cependant parfaitement l’histoire.
@ Jyrille : Effectivement on cite souvent True Detective dans les références de cette histoire, mais n’ayant pas vu cette série je ne peux donc pas me positionner 😉 Cependant d’après ce que tu m’en dis les points communs sont manifestes.
Comme dit plus haut il y a 4 volumes dans NOBODY Saison 1, formant une histoire autonome (une intégrale existe)
Et autrement, oui, DCD Maitre du monde ^^
DCD et pas Robert ni Momo ?
ahah question piége ! Bon disons qu’ils ne régnent pas sur les mêmes parties de l’univers ^^
L’auteur semble être très polyvalent, je me souviens d’un ouvrage à propos de Marylin Monroe…
Je rajoute ça à ma liste de trucs à lire.
Belle synthèse d’une oeuvre que j’ai finie la semaine dernière et qui m’a convaincu comme toujours avec cet auteur. Je n’avais pas pensé à faire le rapprochement avec Dexter. Pourquoi pas, même si il n’y a pas de voix off pour savoir ce que pense réellement Nobody (qui emprunte son surnom à celui qu’Ulysse donna au cyclope).
Pour ma part, impossible de ne pas faire le rapprochement avec LES ANONYMES de RJ Ellory qui retrace 50 ans d’un tueur de la CIA avant que celui ci ne devienne un tueur en série.
Tu abordes bien le crayonné de De Demetter. J’ajouterai que l’on y retrouve pas mal de ses dessins pour la presse rock, notamment de belles pages avec Jim Morrison.
Je suis impatient de lire la saison 2 qui se termine cet été.
LA BO : je ne me suis jamais penché sur ce groupe. L’extrait que tu donnes ne me semble pas particulièrement macabre, c’est même assez planant.
Je suis circonspecte. Je ne suis pas du tout fan du style graphique que je vois dans les scans, par contre, c’est totalement le genre d’intrigues que j’aimerais suivre dans une vraie série 😀 . Bref, à voir… Tu le vends très bien en tout cas, je suis vraiment très intriguée…
@Jyrille : moi aussi j’adore le film SHUTTER ISLAND… Un film qui oblige aussi à un revisionnage. Plein d’émotions, toujours superbement émouvant.