Maison Ikkoku par Rumiko Takahashi
Un mouchoir ramassé par : BRUCE LIT
VO : Shogakukan
VF : Delcourt
1ère publication le 15/09/20 -MAJ le 06/11/21
Connue dans notre contrée sous le sobriquet JULIETTE, JE T’AIME lors de sa diffusion dans le CLUB DOROTHÉE, MAISON IKKOKU est un manga écrit et dessiné par Rumiko Takahashi couronnée aussi bien dans son pays qu’aux Etats-Unis par un Eisner Award et ici par le grand prix d’Angoulême en 2019.
De ce fait, Delcourt réédite son oeuvre phare en Perfect Edition : des recueils de 350 pages avec une jolie couverture amovible et une traduction formidable de Sakoto Fujimoto, capable d’actualiser le langage des personnages sans les dénaturer et de faire des jeux de mots recherchés autour de certaines chapitres : Ça s’écharpe ou Le patin agace.
On pourra cependant regretter le format (la taille standard du manga lambda) qui ne rend pas justice à la grâce des dessins de Takahashi. 10 tomes sont attendus.
Le sens de lecture est japonais.
Enfant, je subissais ce maudit CLUB DOROTHÉE et ne fais pas du tout partie de ses nostalgiques. Un show débile et débilitant, ses jeux et ses rubriques plus idiots les uns que les autres, des musiciens souvent de talent qui avaient joué avec Gainsbourg ou Christophe pour finir au sommet avec LA FÊTE AU VILLAGE, l’initiation du jeune public aux joies de la publicité, des programmes qui ne commençaient jamais à l’heure, des épisodes tronqués et, punaise LE MIEL ET LES GARÇONS….
Avec ces programmes en horreur, je m’infligeais cette purge dans l’espoir de saisir au vol mes épisodes des CHEVALIERS DU ZODIAQUE et DRAGONBALL. Oh, il y avait bien LE COLLÈGE FOU FOU FOU qui était rigolo, mais concrètement rien d’autre ne rivalisait en intensité à mes yeux que les exploits de Seiya et Goku.
Et puis, il y avait JULIETTE JE T’AIME, le truc que j’aimais en cachette. Hey, c’était un truc de gonzesse cette longue romance, sentimentale à outrance, programmé entre les chansons de Hélène Rollès, Emmanuelle et Malaury Nataf. Le CLUB DO était si abrutissant qu’on regardait ça en pilote automatique avec mon frère : Hugo (Godai en VO) qui se faisait éconduire, Juliette (Kyoko) qui semblait préférer passer le balai que de considérer ces hommes éplorés à ses pieds et puis Stéphane qui nous faisait marrer, le seul voisin au monde à creuser un tunnel pour squatter l’appartement des autres.
L’article d’Eddy me fit réaliser que j’étais peut-être passé à côté de quelque chose et me convainquit d’acquérir les deux premiers volumes de cette Perfect Edition. L’histoire est connue : une jeune veuve de 20 ans, Kyoko, tente de reconstruire sa vie amoureuse au sein d’une pension de famille. Son courtisan n’est autre qu’un étudiant désœuvré, Godai, qui, d’abord attiré par sa plastique irréprochable, va progressivement découvrir un authentique sentiment amoureux pour elle. Chaque chapitre est une histoire indépendante qui raconte les quiproquos humoristiques entre les deux tourtereaux qui peinent à exprimer puis à assumer leurs sentiments.
Comme Eddy l’avait pointé dans son article, MAISON IKKOKU est un vaudeville au rythme exaspérant pour l’ado hormonal que je fus. Il faudra 96 épisodes à Godai pour conquérir sa belle. C’est nettement moins pourtant que la traversée d’un terrain de foot chez OLIVE ET TOM, les courses contre la montre de SAINT SEIYA et la montée d’un Ki chez DRAGONBALL.
Une autre nuance inattendue : cette romance que je considérais comme cucul la praline est un Seinen (un manga ayant pour coeur de cible les adultes) tandis que les 3 séries citées plus haut sont du Shonen (pour ados en fleurs et en boutons). Si la tonalité n’est pas très différente (des personnages à l’humour bouffon, plus profonds qu’ils en ont l’air devant vaincre un certain nombre d’obstacles pour arriver à leur fin), MAISON IKKOKU boxe dans une autre catégorie : celle de la fresque sociale.
Ce qui saute aux yeux, que ce soit avec un regard européen ou japonais, c’est que ces deux personnages sont tout à fait ordinaires voire médiocres en terme de réussite sociale. Godai est l’archétype de l’étudiant qui loupe ses partiels sans jamais briller dans aucune matière. Il n’a aucune velléité politique ou d’idéologie à faire péter le système, aucune revendication et un physique rustre encore plus ingrat que dans l’animé où ses traits seront adoucis.
Kyoko, c’est la gamine qui épouse son premier flirt au lycée et qui voit sa vie basculer au bout de 6 mois. A 20 ans, c’est une morte vivante dont la vie de femme est résumée à l’obsession de son entourage à ce qu’elle se marie de nouveau.
Tous les deux ne sont ni très intelligents, ni cultivés ou doués en un quelconque domaine artistique. En somme, s’ils vivent dans une pension de losers entourés d’alcooliques, de commères et de pique assiettes, ce n’est pas un hasard.
Kyoko va ne devoir compter que sur elle-même pour aller mieux : pas de philosophie, d’ésotérisme ou de secours à attendre de la littérature. C’est une jeune femme douce et naturelle aussi fraîche que le cours d’une rivière en montagne.
Au delà de ces jeux de l’amour et du hasard, MAISON IKKOKU était bien trop subtil pour être diffusé entre PAS DE PITIÉ POURS LES CROISSANTS et ALLÔ, A L’HUILE, car Rumiko Takahashi y décrit le viol de toutes les convenances : celui du social dans la sphère intime. Comme Monsieur Yotsuya qui défonce le mur de Godai pour squatter son appartement, la pension de famille pénètre en permanence les secrets les mieux gardés de Kyoko et Godai ; observés de nuit comme de jour, les voisins savent ce qu’ils mangent, s’ils se masturbent en privé et où Kyoko se rend dès qu’elle quitte sa pension.
Sans l’humour de Rumiko Takahashi, la grâce de son dessin, cette histoire serait bien sombre : celle d’une fille qui a raté sa vie et qui va être courtisée par un autre raté. Kyoko ne sait plus par quel bout elle va être écartelée : son voisinage qui ne voit en elle qu’un objet de désir et de commérage ou ses parents qui telle la famille Bennett dans ORGUEIL ET PRÉJUGÉS est obnubilé par son remariage au point de désirer pour elle. Hantée par la mort, ses échecs et le TOI, QUAND EST-CE QUE TU T’Y METS ? il n’est pas étonnant que notre héroïne fasse le ménage dans sa vie et dans sa pension !
Ce temps qui passe, c’est finalement le seul pouvoir qui reste à cette femme que Takahashi rend magnifique à chacune de ses apparitions, même en tablier. En maillot de bain, en kimono, en tailleur ou en pyjama, Kyoko dispose d’un atout extraordinaire : la grâce. Kyoko explose de vie, de simplicité et de féminité.
On ne peut qu’admirer cette narration qui transforme les pointillés d’une vie hésitante en amour inconditionnel, de cette pension à la fois perverse et attachante. Mine de rien, Takahashi ressuscite les codes de l’amour courtois dans le Japon des années 80, celui du l’ultra performance n’ayant rien à envier au Reaganisme américain.
Habité de bout en bout d’épisodes burlesques et littéraires, RumiKo Takahashi propose avec ces deux premiers volume une fresque exceptionnelle sur ce long fleuve du sentiment amoureux. Du Super Eros en somme…
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La BO du jour
Une Juliette nettement moins timide….
https://www.youtube.com/watch?v=5z_Oem4jQQ0
La Perfect Edition donne vraiment envie… La vision de la société japonaise ( et surtout du couple) que dépeint Takahashi est très touchante
Du super Eros : excellent.
J’avais déjà abandonné le Club Dorothée à ce moment, donc je n’ai pas regardé Juliette je t’aime, si mal entouré comme tu le décris.
J’ai fini par lire les trois quarts de la série à l’occasion d’une réédition de Tonkam, après avoir ri comme rarement à la lecture de Ranma 1/2. A l’époque, Tonkam avait commencé à publier des recueils de nouvelles de Rumiko Takahashi un peu chers. J’avais été transporté par Un bouquet de fleurs rouges, un recueil de 6 nouvelles. Puis je m’étais lancé dans Inu Yasha, mais le rythme de parution avait fini par avoir raison de ma patience.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Un_bouquet_de_fleurs_rouges
J’ai vraiment envie de lire d’autre Takahashi avec en priorité RANMA 1/2 qui me mettait mal à l’aise à l’époque.
C’est bizarre et étonnamment émouvant de lire du Bruce sur son manga préféré.
TOUT ce que que dit Bruce sur la figure féminine qu’est Kyoko est vrai.
graphiquement Takahashi atteint rapidement son apogée sur cette série ( si le premier tome est encore hésitant, dès le second est impeccable) oui Kyoko est gracieuse, son regard parfois perdu, infiniment beau. et surtout vivant, les mangas avant l’informatique avaient la « science de l’encre de chine ».
Les seize premiers tomes de ranma1/2 sont à hurler de rire, la suite est une sorte de sur place pas très finaud qui prend des allures de nekketsu premier degré.
Inu Yasha est long, long long mais en terme d’histoire, c’est un de ses meilleurs boulots…
je travaille en ce moment même sur Mermaid saga à mettre à coté de Maison ikkoku. pas de publication en France, ‘attends que sa récompense d’Angoulème puisse donner des idées à un éditeur.
Je me lance dans la lecture de Mao dans le même tonneau qu’Inu yasha, mais j’attends encore le « déclic » j’ai zappé Rinne que j’ia vraiment pas trouvé original.
ses recueils de nouvelles sont splendides.
Merci Bruce.
C’est moi qui te remercie pour cette belle découverte Eddy. J’ai vraiment voulu rendre hommage à ton héroïne.
Très joli article Bruce, j’ai adoré les deux derniers paragraphes. Je ne me souviens pas du tout du dessin animé que j’ai pourtant vu chez le Club Do, voire même sur RTL9 je crois. J’ai plus de souvenirs sur Jeanne et Serge. En tout cas, tu donnes envie, mais ce sera sans doute pour dans longtemps. J’ai quelques tomes de RANMA 1/2 à lire, car le fils a décidé de se faire la collection : moi, je n’avais acheté que le premier tome.
La BO : sympa. Jamais écouté un seul de ses albums.
@Cyrille : le reste de l’album n’a pas grand interêt. C’est du rock garage sympathique que je classe dans la même catégorie du Jon Spencer Blues Explosion. De bonnes chansons qui ne font pas de grands albums mais la dame m’est très sympathique.
Tu n’as pas écouté les bons JSBX alors car ceux que j’ai sont très bons (enfin au moins trois) : Orange, Now I Got Worry et Acme, voire Acem Plus. Les suivants n’ont pas trop d’intérêt en effet. Mais les tois ou quatre là, c’est bien plus que ça.
http://trhansat.blogspot.com/2008/09/orange.html
Ah et je connais bien aussi BOsshog. On a même slammé avec mon frère au Bataclan. Le temps d’une seconde et il nous a vus
Je ne connais qu’un seul album de Boss Hog mais il est bien cool. Whiteout je crois.
Oui, plus fun que son groupe.
Piuuuuuuuu que de souvenirs, de longs moments d’attentes pour ma série du moment, nostalgie!!!
D’après ce que je lis, au Club Do, la version animée était édulcorée comme City Hunter finalement…
Je ne suis pas fleur bleue du tout et encore moins sentimental. Romantique et romanesque oui.
Un jour, peut-être…
L’article d’Eddy m’avait presque convaincue, jusqu’à ce que je revois le premier épisode du dessin animé. Du moins la première partie…
Il se trouve que mon homme a vu les premiers tomes de MAISON IKKOKU et m’a proposé de les prendre pour notre fille de 8 ans pour qui on cherchait des mangas à lui faire lire. J’étais presque prête à les prendre. Eddy, mon conseiller, m’a dit qu’elle était un peu jeune. Pas faux. Fallait que moi, je sois convaincue. Ça tombait bien : elle voulait savoir de quoi ça parlait. Allez hop, on trouve le premier épisode et on regarde ça toutes les deux. Bon, le verdict fut sans appel : elle veut des combats et de l’amour. J’avais justement mes KENSHIN qui prenaient la poussière depuis 20 ans. Le flambeau est transmis : elle les dévore tous les soirs.
Pour ma part, je ne suis toujours pas convaincue. Tu parles de viol, à juste titre, Bruce.
Cette pension me met extrêmement mal à l’aise. Et j’ai beaucoup trop d’empathie pour Hugo et son impossibilité à étudier. Ce genre de choses me fait péter les plombs. Littéralement.
Alors, oui, tu as sans doute raison, les deux futurs tourtereaux ne tombent pas là par hasard. Et peut-être que je pourrais me prendre de sympathie pour ce pauvre couple. Bon, par contre, j’ai un gros gros doute sur le fait de tomber sous le charme de la grâce inouïe de Kyoko ^^;;
Je ne sais pas… J’ai du mal à cerner Takahashi. Je détestais Lamu (mais vraiment), je détestais Juliette je t’aime, mais j’aimais bien Ranma 1/2. J’avais également commencé à regarder Inu Yasaha, que je trouvais très intéressant. Je pense que je reprendrai ces deux mangas, version papier ou version animée, je ne sais pas encore.
Maison Ikkoku, par contre… Je ne suis pas sûre d’avoir le bon degré d’humour pour apprécier ces personnages insupportables. Un jour, je feuilletterai le manga pour voir si j’arrive à passer dans le bon mode de lecture…
Takahashi chez moi ce fut d’abord la lecture des quatre premiers tomes de ranma 1/2. j’ai tellement ri que j’ai tourné le dos à tout ce que je lisais avant, un vrai schisme dans ma vie. j’ai arrêté mes Gotlib, mes comics..TOUT pour lire des manga, ça a duré 5 ans…
mais surtout, le gars qui m’a prêté les tomes en question, m’a donné l’info: c’est le même auteur que Lamu et Juliette je t’aime, mes deux séries préférées ever du Club Do… comme quoi avec Kaori, on est vraiment très différent…^^
Bon challenge: la grâce de kyoko, c’est parti! ^^
Je crois que dans le fond, on a beaucoup de points communs, mais nos environnements d’enfance et de vie font qu’on est finalement assez différents ^^
J’ai un côté coincé/balai dans le cul/intello que j’ai du mal à oublier. Sûrement pour ça que je fais ce métier !
Niveau humour, j’ai vraiment du mal avec le vaudeville, surtout quand cela se fait au dépend d’un personnage qui se retrouve régulièrement être le dindon de la farce.
Concernant Lamu, je ne sais pas… Mon frère aîné aimait beaucoup, moi pas du tout… Lamu m’exaspérait avec sa jalousie, ses attitudes, sa possessivité… Ses attitudes inappropriées… Je manque de second degré, je pense…
Ranma 1/2 par contre, me plaisait beaucoup par le côté garçon dans un corps de fille, quiproquos sur sa personne etc. En plus, le héros n’était pas forcément très sympathique, du coup c’était un peu bien mérité. Un peu comme Ryo et son côté pervers toujours puni. J’avais plus d’empathie pour le pauvre Roland qui se transformait en mignon petit cochon noir ^^ .
On en a déjà parlé, ouais…
Quand je vois Hugo, je revois mon frangin, ^^
Lamu, bon et bien il y atout ce délire total, moi le fan de Gotlib, d’Ibanez et des monty Python, j’adorais tout simplement…
par contre pour les mec « malheureux »… Ataru (Ronnie) dans Lamu est une pure ordure qui mérite son châtiment ^^ Ranma est un monstre d’égoïsme , il est gentil, serviable et très fidèle (pas moyen de le prendre à défaut) mais il ne pense qu’à sa gueule et les bonnes actions qu’il fait, il le fait en cachette de manière incognito, son machisme consiste à passer pour encore plus salaud qu’il n’est…
Ryogâ (Roland) lui est une sorte petit fourbe, ne pouvant jamais parvenir à ses fin de manière honorable, il fait toujours tout dans le dos.
les personnages de Takahashi sont bons parce qu’ils sont très humains en fin de compte.