Un été d’enfer par Vera Brosgol
Un récit du chef scout BRUCE LIT
VO : First Second
VF : Rue de Sèvres
1ère publication le 3/11/20 -MAJ le 24/07/22
UN ÉTÉ D’ENFER est le deuxième roman graphique de l’autrice russe Vera Brosgol. Elle nous avait déjà épaté avec LE FANTOME D’ANYA qui lui avait valu en 2011 un Eisner Award et les recommandations de Neil Gaiman. Avec UN ÉTÉ D’ENFER, elle réalise un doublé avec une partie de ses souvenirs d’enfant chez les scouts russes en Amérique.
Chouette édition de Rue de Sèvres qui inclut une postface de l’autrice, des photos personnelles et les lettres d’époque à sa mère ainsi que ses croquis préparatoires.
Allez chercher le drapeau blanc : Bruce Lit capitulera face à la tentation du spoiler.
Vera est une enfant de 9 ans. Russe, elle vient d’arriver aux Etats-Unis où elle essaie de se faire des amies. Son enfance se heurte très vite aux barrières sociales qui ne sont pas les siennes. Lors d’une soirée pyjama organisée pour son anniversaire, Vera réalise que ses copines ne s’intéressent ni à son pays, ni à sa cuisine traditionnelle et encore moins à elle, petite binoclarde gaffeuse et maladroite.
Elle apprend alors l’existence d’un camp de scouts monté par la communauté russe. Elle supplie alors sa mère de la laisser y passer ses vacances pour se sentir enfin membre de quelque chose.
Corvées, jalousie, latrines sauvages et puantes, mesquinerie, moustiques et jeux humiliants, ce qui s’apparentait pour Véra à une opération dernière chance pour avoir enfin des amis va tourner au cauchemar. Comme une prisonnière qui attend la fin de sa peine, notre pauvre amie va compter les jours qui la séparent de son retour à la maison. A moins que….
Le monde des scouts vous indiffère au plus haut point ?
Vous vous sentez aussi concernés par cette BD que votre serviteur pour, disons, le monde du Poker, du Rugby ou du Base-Ball ? (30 ans que l’on m’en explique les règles sans que je n’y comprenne catzo)
Pas grave, cet été d’enfer saura trouver un écho si durant votre enfance vous avez été le russe ou surtout la tête de turc de l’autre. Si personne ne vous parlait, si votre maladresse vous valait une chute dans la cour de récré couverte par les ricanements de vos camarades passés ennemis mortels, si le monde entier, c’est à dire 3 petits connards ou 4 petites pisseuses, semblait s’acharner à vouloir votre perte et, que tout votre futur semblait obstrué par le manque de reconnaissance dans le regard des autres, alors cet album est pour vous.
Binoclarde, timide, gauche et pas très jolie, Vera, c’est vous, c’est moi, un petit Caliméro qui enfile les mésaventures comme d’autres les colliers de perle. La distanciation des années et l’humour de Brosgol sauve cet ÉTÉ D’ENFER d’une longue litanie d’auto-apitoiement. Dans chacune des séquences, l’autrice montre que son malheur trouve son origine aussi bien dans le regard de l’autre que dans le peu d’estime qu’elle a d’elle-même à force d’auto dépréciation. Le récit se dévore aussi vite qu’une boite William Saurin après une randonnée, facile à lire, à aimer, à relire.
UN ETE D’ENFER est construit en deux parties : les 15 premiers jours où rien ne réussit à la fillette, où ces vacances sont assimilés avec beaucoup d’exagération à un goulag pour enfant et une deuxième partie, optimiste et vivante où l’enfant retrouve confiance en elle grâce une très belle mise en scène.
Fatiguée de devoir subir l’opprobre des autres, Vera décide de s’éloigner du camp et, ce faisant, se trouve nez-à-nez avec un grand cerf. Cette vision inopinée qui ne s’offre qu’à elle va la conforter dans sa richesse intérieure et ironiser sur tout ce qui la terrorisait autrefois. Le cerf lui donne…un nouvel élan ! Fantastique métaphore !
La composition de la couverture est un savant assemblage de tout ce dont le récit est constitué : au premier plan une enfant entre résignation et découragement, perdue par les moustiques et les écureuils qui la mordent, le petit con accolé contre son arbre, toujours à la recherche du coup fourré et la bande de copines qui suivent aveuglement leur cheftaine à côté de la plaque. Chaque scène décrite par Brosgol est le récit d’actes quotidiens aussi banals que d’aller aux toilettes en pleine nature, trouver sa place dans une cantine, sympathiser avec ses voisines de chambrée qui se connaissent depuis des années en épreuve initiatiques à accomplir au milieu de nulle part, loin de son pays natal, de son foyer et de sa famille.
Cette saison en enfer est celle d’un désert affectif d’une enfant en manque de réassurance, une odyssée mentale d’un être non fini qui va progressivement trouver en elle les ressources pour retrouver confiance en elle et trouver sa voie qui guidera sa vie d’adulte. L’empathie pour elle est à son maximum : nous-autres adultes avons nos téléphones, notre experience, nos photos, nos souvenirs. Cette fillette n’a rien à se raccrocher que ces faiblesses transformées en forces.
Cet ÉTÉ D’ENFER en plus d’être divertissant est aussi un bel ouvrage à découvrir avec un enfant, pour superposer ses failles sur celle de son héroïne à qui rien ne réussit. Pouvoir expliquer qu’un déclic d’un événement qui nous paraissait aussi haut qu’une montagne n’est en fait qu’un tas de gravier dans une rivière.
Sans illusions sur le monde de l’enfance aussi phagocyté que celui des adultes par la dévoration de l’altruisme par l’intérêt personnel, la recherche d’un bouc émissaire pour souder un groupe artificiellement lié autour du sexe et de la convoitise, Vera Brosgol écrit une belle fable, un brin fataliste, sur ce bonheur qui n’arrive qu’au moment où l’on cesse de le chercher. Sans aucun temps mort, porté par un dessin formidablement expressif et d’anecdotes qui réveilleront l’enfant en nous, UN ÉTÉ D’ENFER s’impose parmi les meilleurs romans graphiques d’apprentissage de ces dernières années. On parle de pointures comme CET ÉTÉ LA des cousines Tamaki et AMERICAN BORN CHINESE de Gene Luen Yang que l’autrice remercie en postface.
Cet enfant intérieur, chérissez-le, même sorti du bois, il a encore besoin de vous. Et vous de lui.
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La BO du jour
Une BD recommandée par Neil Gaiman mérite toute mon attention.
De plus les thèmes me parlent: Intégration, choc des cultures, enfance, mal être, cruauté de l’effet de groupe..
Je ne sais pas à quelle époque l’autrice est arrivée en Amérique. Mais si c’était pendant la guerre froide, être Russe et avoir 9 ans aux États Unis ne devait pas être simple.
Je trouve que les dessins servent bien le propos.
Je garde dans un coin de ma mémoire cette autrice qui, à priori, n’en est pas à son galop d’essai et à déjà remporté un Eisner Award avec son roman graphique précédant.
Je vais essayer de m’y intéresser de plus près.
Voilà effectivement un ouvrage inattendu sur le site ; d’un autre côté comparé à Cet été-là (encore merci Bruce de me l’avoir fait découvrir) et Amrican Born Chinese ça pose l’œuvre.
Les quelques illustrations permettent de constater par soi-même d’une bonne dose d’humour, ainsi que d’une expressivité irrésistible des personnages.
Ce n’est pas le style graphique qui m’attire mais l’histoire a l’air très touchante. Je pense pouvoir l’acheter à quelqu’un qui se retrouverait dans tout ce qui est écrit ici. Merci pour la découverte
Je ne connaissais pas. Evidemment le thème s’impose comme quelque chose d’universel.
Ce n’est vraiment pas mon genre de BD. Mais ça suscite le respect.
La BO : J’ai toujours détesté. Moi-même ayant eu une expérience épouvantable avec les colonies de vacances…
Hitler Jugend, Baden Powel, scoutisme, colo, Castor Junior, même une classe… j’ai toujours une réticence et une inadaptabilité à m’intégrer à quelque groupe que ce soit…
j’avoue je ne sais pas quoi penser d’un tel ouvrage, tellement c’est éloigné de mes préoccupations mentales et ce qui me fascine dans l’art à savoir: L’imagination!
toutes ces autobio déguisées ou ces trucs qui explorent la quotidien dans la neurasthénie, c’est vraiment quelque chose qui ne me parle pas…
Les artistes qui se tartinent le nombril… c’est un peu pour ça que je me suis éloigné de Renaud ces dernières années, je m’en cogne de ses déboires avec ses femmes; ses addictions. Une chanson, ça va, mais sinon si c’est la seule chose qu’il raconte, bon ben c’est marre..
Si la bibliothèque rouvre un jour avant la fin du monde, je lirais ça
@Surfer : tu fais le bon choix, Héraut ! Vera Brosgol a cumulé 10 étoiles en 2 reviews, ce qui n’est pas rien surtout venant du vilain Bruce Lit.
@Présence : le tome t’attend à la maison mais en VF. L’analogie avec CET ETE LA n’est pas que de mon fait : l’éditeur de Brosgol est le même en VF et en VO. Il n’y a pas de hasard.
@Tornado : pas de Karaté effectivement. Mais sans doute que ton fils apprécierait. Luna le dévore à intervalle régulier (le livre, pas ton fils).
@Eddy : Oooh, il a pas pris ses All-Bran ? Les récits autobio sont intéressants quand ils réveillent la part de l’autre en soi. Comme je le le mets dans l’article, il n’y a aucun auto apitoiement chez Brosgol. Et puis tu t’es plutôt bien intégré chez nous.
@Manu : tu me diras si ton contact a apprécié.
Alors effectivement, ça pourrait me parler.
Mais est-ce que j’ai vraiment envie de repenser à ces années ? Pas sûre.
Ton article me questionne sur deux choses. On parle souvent de son enfant intérieur. Moi, sincèrement, je n’ai aucune idée de où elle est passée, et c’est tant mieux.
Je réalise ici que pour réussir une intégration il faut aussi pouvoir s’intégrer. En avoir les capacités. Bien sûr que les enfants peuvent être terriblement cruels. Pour ma part, je réalise a posteriori je suis grandement responsable des difficultés que j’ai ressenties. Oui, certes, j’étais un peu différente. Première de classe, l’intello de service, etc. Mais je souffrais surtout d’une timidité maladive, rendant impossible toute intégration à un groupe.
J’ai toujours refusé corps et âme d’aller en colonie. Et je n’ai de ce fait, jamais voulu y mettre mes enfants. Pour moi ça représentait la promesse d’un enfer. Et pas qu’à cause de la chanson de Pierre Perret !!
Bon d’abrod le ALL-BRAN, ça me donne des gaz…^^
ensuite le récit a l’air d’être rigolo mais je note une tendance chez les auteurs, surtout primés à raconter des trucs persos…
je préfère imaginer, j’aime le romanesque que j’oppose au nombrilisme…
intégré?
Bruce lit est une rédaction où je m’éclate
Un tout supérieur à la somme des parties (mais où ai-je bien pu pêcher cette expression?)
C’est un très bel article que voilà Bruce : non seulement le sujet me parle mais en plus le ton positif et bienveillant touche juste ! Merci pour ça et merci pour la découverte.
Je note cette bd dans un coin de ma tête (mais mes murs ne sont toujours pas extensibles, ça devient problématique… sans parler de ma BAL), tu la vends vraiment bien.
La BO : un classique indémodable.