Les séries de bande-dessinée franco-belge d’heroic fantasy de la fin des années 80 et du début des années 90
Par : TORNADO
Cet article est consacré à quatre séries de bande-dessinée ayant vu le jour au tournant de la fin des années 80. Elles ont pour point commun, outre le fait qu’elles ont été conçues à peu-près à la même époque charnière, de faire partie du même genre, l’Heroic Fantasy, et du même terreau : le Franco-belge.
Il s’agit de :
– LES CHRONIQUES DE LA LUNE NOIRE
– LE SOLEIL DES LOUPS
– L’EPEE DE CRISTAL
– GORN
Certaines de ces séries connaissent aujourd’hui encore un prolongement de leur publication. Nous nous contenterons ici de revenir sur leur première itération respective.
Préambule :
Dans les années 80, j’étais encore un minot. Je ne sais même plus si je connaissais le terme d’Heroic Fantasy, mais en tout cas je me souviens que le genre était rachitiquement représenté, notamment dans le registre de la bande-dessinée.
A cette époque, un minot qui se passionnait pour ce genre devait souvent se contenter de réviser ses classiques au rayon littérature (principalement avec LE SEIGNEUR DES ANNEAUX et CONAN (encore que, pour ce dernier, il fallait également se contenter d’une publication plutôt chaotique, incomplète et souvent faussée), ainsi que les œuvres de Michael Moorcock et d’une poignée d’auteurs spécialisés). Il y avait aussi les jeux de rôles avec les mondes de DONJON & DRAGONS et DRAGONLANCE, qui possédaient leur équivalent en romans (pratique pour un minot comme moi qui n’aimait pas jouer à des jeux !), et bien évidemment le cinéma mais, là aussi, il fallait se contenter de quelques rares représentants dignes de ce nom (CONAN LE BARBARE de John Milius, DARK CRYSTAL de Jim Henson, LEGEND de Ridley Scott, LE DRAGON DU LAC DU FEU de Matthew Robbins, ainsi que l’adaptation animée du SEIGNEUR DES ANNEAUX et TYGRA, LA GLACE ET LE FEU de Ralph Bakshi), car sinon c’était le voyage assuré au pays du nanar, notamment avec toute la production fauchée transalpine (DAR L’INVINCIBLE, ATOR L’INVINCIBLE (ouaip, vachement inspirés les traducteurs…), SANGRAAL, CONQUEST, THOR LE GUERRIER, LES BARBARIANS, j’en passe et des meilleurs…).
Au niveau de la bande dessinée, le premier sursaut véritablement remarquable survient en 1983 avec le premier tome de LA QUÊTE DE L’OISEAU DU TEMPS. Cette série est suivie par les LEGENDES DES CONTREES OUBLIEES en 1987 et LE SOLEIL DES LOUPS en 1988. L’EPEE DE CRISTAL et LES CHRONIQUES DE LA LUNE NOIRE apparaissent en 1989, et GORN en 1992.
A partir de 1994, le marché de la BD franco-belge commence à être inondé par les publications de type heroic-fantasy, notamment à partir de l’essor de l’éditeur Soleil et des séries du monde de TROY initiées avec LANFEUST.
C’est ainsi que l’ancien minot se souvient d’un temps où, pour lire une bd d’heroic fantasy, il fallait vraiment chercher dans les coins. On y trouvait, au milieu des années 80, LE MERCENAIRE de Segrelles, LES EPOPEES FANTASTIQUES de Dionnet et Gal (ARN et LES ARMEES DU CONQERANT), LES LEGENDES DU CHEVALIER CARGAL de Formosa et Pecqueur, LES AVENTURES D’ALEF-THAU de Jodorowsky et Arno, le mignonet PERCEVAN de Luguy, les aujourd’hui oubliés FUZZ & FIZZBI de Tota et Cailleteau et, bien évidemment, les deux chefs d’œuvre de Van-Hamme et Rosinsky : THORGAL et LE GRAND POUVOIR DU CHNINKEL. Et je ne parle que des séries susceptibles de plaire aux jeunes lecteurs de l’époque, omettant par exemple les créations bizarres et effrayantes signées Caza, Moebius et Druillet, dont on se tenait en général assez éloignés, ainsi que quelques rares comics du genre ELFQUEST ou autres vieilleries déjà périmées comme TAAR LE REBELLE…
En ce temps là, donc, la création d’une nouvelle série d’heroic-fantasy au pays de la bande dessinée était un événement. Et nous allons revenir sur certaines des plus emblématiques, dont les premiers tomes ont été édités entre 1988 et 1992.
1. LES CHRONIQUES DE LA LUNE NOIRE (1989 – 2011)
Je me suis arrêté à la fin du premier cycle (14 tomes, plus un 15ème baptisé TOME 0 revenant sur les origines du héros de la série).
LES CHRONIQUES DE LA LUNE NOIRE est une série culte et elle l’est en grande partie parce qu’elle est la première dans son genre : celui des jeux de rôles. Son créateur, le scénariste François Froideval, est à l’origine un concepteur de jeux et il a notamment développé pendant des années des livres de règles de l’univers DONJONS & DRAGONS aux USA. En France, il a créé une bonne vingtaine de jeux de plateau (je n’y connais rien), ainsi que de nombreux scénarios de jeux de rôles.
C’est donc tout cet acquis en matière d’heroic fantasy qu’il a souhaité faire fructifier en créant cette série de bande-dessinée, dont la trame (un héros et ses compagnons accumulent un certain nombre de forces au fur et à mesure que l’histoire avance et gagnent en puissance et en pouvoir dans un univers peuplé de magie, de guerres ancestrales, de monstres et de démons) reprend au détail près celle d’un jeu de rôles.
Le héros se nomme Wismerhill. Il est flanqué d’une bonne demi-douzaine de sbires et, ensemble, ils affrontent les puissants de leur monde dans une sorte de course contre la montre à l’issue apocalyptique. Les forces qui se dressent contre Wismerhill sont titanesques mais, peu à peu, le héros gagne suffisamment de pouvoirs pour réussir à rivaliser avec les plus grands seigneurs, dont, in fine, celui des enfers en personne.
La principale originalité de la série et de son univers réside dans son côté ténébreux qui tourne systématiquement le dos à tous les clichés des contes manichéens. Ainsi, Wismerhill, même s’il n’est habité d’aucune malveillance particulière, n’hésite pas à s’allier aux personnages les plus noirs et se place continuellement du côté des forces du mal afin d’arriver à ses fins !
La série bénéficie également de plusieurs éléments d’une qualité incontestable, notamment au niveau des illustrations (bien que fluctuantes d’un album à l’autre) et du gigantisme des batailles, toutes plus dantesques les unes que les autres (le principe étant de monter à chaque fois d’un cran dans la surenchère des forces engagées), qui se déploient sous les yeux ébahis du lecteur sous la forme de doubles pages bourrées à craquer de créatures démentes et d’armées innombrables qui s’affrontent dans des paysages d’apocalypse et de pure fantasy.
Le dessin est d’abord l’œuvre d’Olivier Ledroit, brillant illustrateur (on lui doit également la série CHEVALIER VAMPIRE scénarisée par Pat Mills) qui signe la totalité des couvertures de la série. Il est remplacé par Cyril Pontet à partir du tome 6. Le tome 0 est réalisé par Fabrice Langleraud qui reprend ensuite la série au second cycle.
Hélas, l’ensemble n’est pas non plus avare de défauts.
L’histoire, dans le fond, demeure cruellement rabattue et devient très vite extrêmement répétitive sur fond de campagne pour jeu de rôles. Tout ou quasiment, du début à la fin, n’est centré que sur le personnage principal, reléguant tous les autres au rang de figurants sans la moindre épaisseur (Wismerhill ne possédant lui-même aucun trait de caractère en dehors de cette sorte de noblesse crépusculaire). Les dialogues sont d’une vulgarité sans équivalent dans le genre (voir écrit mes couilles ou ta gueule au milieu d’une saga d’heroic fantasy, ça fait bizarre…), et l’ennui s’installe bien souvent.
Le pire survient lorsque le scénario abuse de grosses ficelles paresseuses (certains personnages pouvant se transformer en ce qu’ils veulent d’un moment à l’autre) et de gros statuquos qui ruinent tout enjeu dramatique puisque Wismerhill acquiert très vite le pouvoir de ressusciter tout son entourage après chaque bataille !
Reste donc, au final, une série décomplexée, pleine de bruit et de fureur, de bonne humeur (les personnages passent leur temps à jouir de sexe, de banquets et de beuveries entre deux batailles), le plus souvent contrebalancée par un scénario anémique et une vulgarité assez exaspérante.
Cette lecture a été vécue par votre serviteur comme le coup d’un soir : C’était sympa, mais ça n’ira pas plus loin (l’ensemble est parti au bac à soldes)…
2. LE SOLEIL DES LOUPS (1988 – 1995)
LE SOLEIL DES LOUPS est une saga relativement courte (3 tomes), dont chaque partie forme un récit plus ou moins autonome.
Au départ, il s’agit d’un album éponyme n’appelant pas de suite. Soit l’œuvre de trois auteurs : Les scénaristes Gilles Gonnort, Ralph et le dessinateur Arthur Qwak. Ce dernier est un brillant dessinateur de bande-dessinée et il est à la fois surprenant et frustrant qu’il ait si peu œuvré pour ce medium puisque, en dehors de notre série, il n’a quasiment rien réalisé (je n’ai rien trouvé d’autre à part l’album LOLA CORDOVA) ! On l’a surtout vu travailler dans le registre de l’animation, notamment sur quelques films ASTERIX, puis sur des créations personnelles n’ayant guère retenu l’intérêt général comme la série animée ORSON & OLIVIA et le long métrage CHASSEURS DE DRAGONS.
Au rayon du 9ème art, Qwak est pourtant un ciseleur de planches extrêmement doué et on reconnait bien dans son trait à la fois jeté et précis, nourri d’une maitrise consommée du mouvement et du clair/obscur, le style de l’Atelier Asylum, un groupe d’artistes (réunissant également Cromwell et Riff Reb’s) au sein duquel il a démarré sa carrière au milieu des années 80.
Pour ce qui est de la saga du SOLEIL DES LOUPS, on ne peut pas dire que ce soit franchement une réussite.
Le premier album possède un charme incontestable. Ce serait un travail parfait si l’écriture du récit n’était pas aussi simpliste et la caractérisation des personnages aussi peu développée. Toutefois, l’essentiel est ailleurs car c’est cette simplicité biblique, alliée au style particulier des auteurs, qui en constitue le principal intérêt. Effectivement, si la toile de fond est épurée et classique, le traitement narratif et la mise en image sont, eux, beaucoup plus originaux en affichant une voix propre, un caractère particulier et ce, malgré quelques pointes de mauvais goût racoleur totalement inutiles (un coït entre deux loups en arrière-plan, une sorcière qui fume systématiquement un joint…).
En bref, nos auteurs ont fait du neuf avec du vieux en reprenant le vieil adage : Il n’y a que très peu d’histoires à raconter, mais une infinité de manières de le faire…
L’essai n’est hélas pas transformé dans le second tome : LE CREUZET DE LA DOULEUR (publié en 1989). Le scénario est cette fois écrit pas Gilles Gonnort seul et il semble chercher à s’écarter de la banalité du premier tome en termes de script. Le remède s’avère immédiatement pire que le mal puisque son récit est une catastrophe industrielle : Abscons, expérimental, inutilement déconstruit et sens dessus dessous, il laisse le lecteur sur la touche, qui se demande en refermant le bouquin s’il vient d’essayer vainement de suivre un récit allégorique sur le passage entre le monde réel et les autres, ou si, au contraire, il s’est lamentablement perdu au milieu d’une œuvre conçue pas des auteurs en plein délire hallucinogène…
Heureusement, le dessin de Qwak est toujours aussi puissant même si, au détour de certaines planches, l’effet est étrangement massacré par l’apparition incongrue d’un loup Tex Averyesque semblant n’intervenir que pour : 1) justifier le lien avec la saga du SOLEIL DES LOUPS (fort peu représenté dans le récit à proprement parler, qui n’en reprend que les éléments mythologiques) et 2) faire de l’œil à un public bédéphile friand de dessins humoristiques.
C’est dommage car certaines planches sont proprement somptueuses et saisissantes (notamment lors de l’incroyable poursuite avec ces monstres quasiment abstraits que n’aurait pas renié un Lovecraft !), nous faisant regretter un tel scénario confus qui se sera enlisé, dès les premières pages, dans cette recherche d’un ailleurs narratif hélas jamais concrétisé…
Le troisième et dernier opus, SAISONS VORACES, est écrit par Eric Gratien, troisième auteur à intervenir sur la série…
Pas grand-chose à dire sur ce tome en lui-même, qui tente de raccrocher les wagons avec les deux précédents, d’en constituer une synthèse, tout en développant le destin d’un autre peuple et d’un nouveau personnage, emmenant encore le récit dans une nouvelle direction, pour finalement raconter une histoire franchement inintéressante, toujours inutilement déconstruite par le biais d’un voyage astral pseudo-allégorique et une poignée de scènes oniriques plus pénibles qu’envoûtantes (on nous refait encore le coup du loup de Tex Avery le temps de deux ou trois planches).
Le minot que j’étais jadis n’avait strictement rien compris à tout ça. L’adulte que je devenu et qui vient de relire la chose s’est cruellement ennuyé. Bac à soldes…
3. L’EPEE DE CRISTAL (1989 – 1994)
Cette troisième série mérite, en dépit de ses très nombreux défauts régulièrement relevés dans la bédé-sphère, de s’y arrêter puisqu’elle préfigure l’avènement de la grande folie du genre heroic fantasy qui va déferler dans la bande dessinée francophone à partir du milieu des années 90.
C’est notamment le style de dessin semi-humoristique mais épique de Crisse qui fit le succès de L’EPEE DE CRISTAL et suscita la vague des créations de l’éditeur Soleil pour le genre consacré, dont la série LANFEUST (par Arleston & Tarquin) et tous ses dérivés (TROLLS DE TROY et Cie) représentent l’aboutissement (notamment d’un point de vue commercial).
Effectivement, la plupart des fans de L’EPEE DE CRISTAL sont avant tout des fans de Crisse, puisque le scénario de Goupil est pricipalement pointé du doigt par ses détracteurs quant à la qualité fluctuante de la série, qui abuse de clichés, de fautes de goût racoleuses et d’une mise en forme frôlant l’amateurisme par ses dialogues laborieux et son découpage hasardeux.
Le dessin de Crisse ne fait toutefois pas l’unanimité non plus, nombreux étant ceux qui trouvent son style un poil vulgaire, souffrant d’une vacuité manifeste dans la représentation des personnages et notamment des femmes, toutes identiques et très connotées sexuellement (grosse bouche, gros seins, tenues SM, poses caricaturalement lascives, etc.).
Tout cela est vrai, n’empêche que les fans de la série en général et de Crisse en particulier sont légions, et que l’engouement pour ce type de créations d’heroic fantasy semi-humoristique a remporté un succès phénoménal et perdure encore aujourd’hui.
On peut tout de même être circonspect devant ce type de bande dessinée, qui découle d’un état d’esprit fétichiste et d’un penchant embarrassant pour la régression larvaire infantile doublée d’une dose conséquente de vulgarité. En effet si un adulte peut très bien lire des livres pour enfants parce qu’ils possèdent une valeur universelle (et par extension des bandes-dessinées réputées comme telles, TINTIN, ASTERIX, PICSOU, SPIROU… la liste est longue !), il en va autrement d’une création qui mise tout sur la fibre enfantine (dessins de type caricature et « nez rond », et autres animaux anthropomorphes) tout en laissant une place importante au sexe et à la violence. Et de surcroit sans chercher à donner à son discours une richesse universelle. En effet, si la mise en forme, la qualité des dialogues et la toile de fond d’une histoire pour les enfants n’ont aucune valeur en soi, que peut y trouver un adulte ?
Il y a donc trois types de lecture : La première est réservée aux enfants. Elle est à leur niveau et elle reprend les codes de l’enfance mais seulement ceux-là. La seconde est réservée aux adultes et emploie des codes radicalement différents. Et enfin il y a la lecture universelle, qui emploie les codes de l’enfance et les double d’une richesse conséquente propre à parler à l’adulte (c’est là où entre en jeu le fameux travail d’harmonie entre le FOND et la FORME du récit).
Ainsi, utiliser les codes de l’enfance comme le font le genre de dessinateur que représente Crisse, s’il n’y a pas derrière la richesse universelle susnommée, revient à ne destiner ses créations qu’aux enfants. Or, que s’est-il passé avec L’EPEE DE CRISTAL et son engouement auprès d’un public plus âgé pour que cela puisse être gênant dans la perspective d’une analyse critique ? Tout simplement le fait de raconter une histoire enfantine à base de personnages enfantins, sans la classe de certaines créations universelles, mais avec des connotations d’ordinaire réservées aux adultes, comme le sexe et la violence, voir le vulgaire. Ceci revient à dire qu’un adulte ne lisant que ce type de création représente un public bien particulier, qui se complait dans un univers où le sexe et la violence évoluent de concert avec une certaine forme de régression infantile… Soit une contradiction totale entre le fond et la forme ! Le tout sans valeur ajoutée.
Si vous n’avez pas encore compris, je vais la faire simple : Moi plus un minot. Et moi trouve bizarre qu’un lecteur adulte passe outre la qualité du scénario pour reluquer des nanas dessinées avec un style enfantin…
Heureusement, tout n’est pas complètement mauvais dans L’EPEE DE CRISTAL et certaines critiques régulièrement adressées à l’encontre de l’épaisseur du scénario et des personnages paraissent exagérées. Certes, c’est souvent très léger et tous les défauts relevés plus haut sont incontestables. Mais avec le recul, il est impossible de nier l’évolution fulgurante du dessinateur, qui commence à réaliser des planches magnifiques et assez brillamment découpées à partir du troisième tome (ceux qui se sont arrêté avant n’auront vu que la plus mauvaise partie de la série). Idem avec les personnages, dont certains commencent à être attachants à ce stade, faisant évoluer le postulat manichéen qui embourbait jusque là la série dans les clichés les plus éculés de la fantasy la plus basique et la plus naïve. A partir du tome 4, le script évolue effectivement vers une tentative intéressante de tourner le dos au manichéisme primaire et au happy-end traditionnel afin de raconter quelque chose d’un peu nouveau (merci quand même à LA QUETE DE L’OISEAU DU TEMPS et aux LEGENDES DES CONTREES OUBLIEES pour avoir montré l’exemple). Avec un petit effort, on peut même dire que Goupil tente de développer un vrai concept mythologique moderne.
L’ensemble demeure toutefois très vulgaire et cette étrange alchimie entre le dessin semi-humoristique enfantin et l’orientation du récit vers un déferlement d’éléments noirs et adultes (répétons une dernière fois qu’il s’agit donc d’une totale contradiction entre le FOND et la FORME) ne fonctionne vraiment que pour un public bien particulier…
4. GORN (1992 – 2008)
GORN est une série de 11 tomes entièrement réalisée par un seul auteur pour ce qui est du scénario et du dessin : Tiburce Oger.
C’est l’histoire d’un chevalier, Messire Gorn, qui meurt dès le début de la série (dans la troisième planche du premier album !) lors de l’assaut de son château par l’armée des Yeux Rouges (des sortes de gobelins envoyés sur Terre par des divinités maléfiques afin d’annihiler la race des hommes), puis qui revient d’entre les morts, d’abord par amour pour sa femme, Eliette, puis pour protéger ses filles, Elloïse une semi-elfe adoptée dès son plus jeune âge, et Maëlle, venue au monde quelques temps après la mort de Gorn. Il est aidé dans sa quête par Dame Gorge, une naine haute en couleurs dotée d’un grand pouvoir destructeur (dans la voix).
C’est une série spéciale en ce sens qu’elle est nourrie par son auteur de ses propres interrogations sur l’amour et sur la religion. Ainsi les personnages d’Eliette, Elloïse et Maëlle portent le nom de son épouse et de ses propres filles dans la vie réelle. Le récit, qui voit les personnages braver la mort afin de rendre leur amour immortel devient ainsi une allégorie, pour l’auteur, de l’amour absolu et du lien indéfectible qui peut unir les membres d’une même famille.
De la même manière, la façon dont les personnages principaux s’élèvent contre leurs dirigeants puis contre leurs dieux, témoigne d’une volonté de s’émanciper de tout carcan relatif à une pensée et une doctrine religieuse.
Tous ces éléments concourent donc à faire de la série dans son ensemble une œuvre très personnelle, nourrie de thèmes qui semblent hanter son auteur comme le héros hante les pages de sa propre saga…
Ici encore, le résultat ne manque pas de qualités notamment du point de vue de la mise en image, souvent magnifique et marquée au fer rouge par la patte de l’artiste, immédiatement reconnaissable grâce à un trait gothique et lyrique fait de motifs interchangeables telles des arabesques, et de cette toile de fond qui confère un supplément d’âme à une histoire qui semble ajouter chaque tome comme une pierre à l’édifice d’un véritable parcours d’auteur sur fond de thérapie existentielle, comme le font souvent les écrivains, dont on dit que la première œuvre est en général nourrie d’élément autobiographiques.
Hélas, une fois de plus, les défauts ne manquent pas et, pour le reste, l’histoire est pétrie de stéréotypes d’une naïveté souvent embarrassante.
Car dès lors que l’on enlève le couple de fantômes, on se retrouve avec un conte d’heroic fantasy d’une cruelle banalité, où la lutte entre les hommes, les nains, les elfes et les méchants gobelins, le tout sous le joug de quelques démons, véhicule tous les poncifs éculés de la fantasy en les régurgitant comme si l’auteur ne s’apercevait même pas que ses lecteurs pouvaient avoir lu des tas et des tas d’histoires dans le même genre, avec la même mythologie, mais avec une richesse et une finesse à des années lumières supérieures dans leur développement.
C’est dommage car la série est traversée de quelques sursauts d’une belle intensité. Le troisième et le neuvième album valent par exemple franchement le détour, quelques scènes de batailles étant mises en scène avec une efficacité redoutable et un lyrisme étonnant, d’autant que le reste de la série ne possède pas une telle maitrise de la narration, loin s’en faut…
Notre article est à présent terminé.
Ces quelques séries pionnières revêtent une certaine importance pour votre serviteur car à l’époque où il était encore minot, il rêvait de devenir dessinateur de bandes-dessinées dans le registre de l’heroic fantasy et tous ces dessinateurs furent, avec plus ou moins de conviction, des modèles dont il s’est abreuvé jusqu’à la lie.
Rien que pour cela, malgré leurs défauts et leur destin (elles ont donc toutes fini par quitter sa bibliothèque idéale pour le bac à soldes à l’exception du premier tome du SOLEIL DES LOUPS), elles méritent une petite place particulière dans sa mémoire…
Elles méritent en tout cas, avec leurs auteurs, une certaine forme de respect et de reconnaissance, ne serait-ce que parce qu’en ce temps là, l’heroic fantasy ne courrait pas les rayons des libraires dans le registre de la bande-dessinée franco-belge. Je ne me suis débarrassé de tout cela que parce que je savais que je ne le relirai pas et qu’il faut sans cesse faire de la place sur les étagères… Mais c’est tout de même avec un souvenir ému que les ai lues une dernière fois avant de rédiger cet article, qui leur est bien évidemment dédié et qui, tel un exutoire, m’a aidé à franchir le pas de manière… héroïque !
A grandir ?
Vous croyez ?
—-
BO : Avec le temps on change…
Je voulais répondre encore une fois à Eddy :
Je ne voudrais pas qu’il y ait un malentendu entre nous. Jamais je ne ferais partie de cette horde de bienpensants qui fustigent les mangas sans les avoir lus en affirmant que c’est de la lecture perverse pour ados attardés. Le cul et les insultes ne me dérangent pas. Faudrait-il que je sois hypocrite pour aimer les pratiquer dans la vie.
On parle ici d’une lecture en particulier : L’EPEE DE CRISTAL. Pas d’un genre, pas des mangas, pas d’une autre BD. Juste de L’EPEE DE CRISTAL.
Tu as cette BD qui raconte une histoire pour enfants ou pour ados. Tu as dedans des connotations enfantines (dans le dessin, l’humour, les inclinaisons disneyennes). Puis tu as des éléments adultes, notamment dans le script qui opère dans le dernier tiers un virage à 180% dans le dark très dark, avec du gore et tout. Et enfin le tout est pimenté d’une discrète note d’érotisme. C’est un peu le bordel, non ?
Du coup je voulais marquer le coup en posant la question : A qui ça s’adresse ?
Te connaissant, je ne doute pas une seconde que tu lis des mangas de grande qualité, pour la richesse du scénario et la patte de l’auteur.
Partant de là, j’accepte très bien que ces mangas optent pour une approche graphique qui atténue la violence du propos à travers, notamment, les traits des personnages dessinés de manière cartoon ou kawai.
Le truc qui dérange en revanche avec L’EPEE DE CRISTAL, c’est que tu as des adultes bien adultes qui créent une émeute dès qu’ils aperçoivent le nom de Crisse. Le scénario ? L’auteur ? Ils n’en ont rien à cirer. Tout ce qui les intéresse, c’est qu’il savent qu’il va y avoir des nichons et des bestioles de BD. Pour moi c’est du fétichisme (on trouve le même phénomène avec les dessins de Skottie Young, ce qui me gonfle depuis un bail). Et ça fait un peu débilos, quoi…
Donc, pas de malentendu : Mon paragraphe ne visait à critiquer QUE : L’EPEE DE CRISTAL. Rien d’autre.
Personnellement je pars du principe que l’on doit lire quelque chose pour ses qualités intrinseques. Pas pour des raisons satellites. Si on doit accepter toutes les approches qui n’ont rien à voir avec la qualité de ce qu’on lit, alors on arrête de rédiger des critiques ça sert plus à rien 🙂
Bon promis… j’eviterai de te trainer pour une autre dedicace de Crisse…. tu sais que je ne suis pas objectif avec lui car c’est l’epee de cristal qui m’a fait decouvrir ce monde là….
Bel article en tout cas!
Menfin tu sais très bien que je viendrai toujours avec toi dans les festivals. Je m’en fous c’est pas moi qui fais la queue en pleine canicule pour les dédicaces. Je t’attendrai au bistrot, comme d’hab ! 😀
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En te relisant je me rends compte que tu cites LE MERCENAIRE. Je me suis offert les trois intégrales sorties il y a peu, grâce à Présence, et c’est non seulement de toute beauté mais également étonnant dans les histoires, les personnages, la modernité de ton (ce ne sont pas que des femmes nues à sauver). Très grande série aux peintures époustouflantes.
les-bd-de-presence.blogspot.com/2023/07/le-mercenaire-t12-la-delivrance.html
Je me suis également offert ces trois (superbes) intégrales. Mais pas lues encore…
Faut que j’aille voir les articles de Présence…
Décidément, je vais encore être en désaccord avec Cyrille, mais promis je ne le fais pas exprès…^^
C’est ici qu’on avait discuté de l’atelier Asylum (Qwack, Cromwell, Riff Rebs) et notamment d’ANITA BOMBA et de LOLA CORDOVA.
Je rêvais de lire ANITA BOMBA depuis le lycée et je repoussais sans cesse cette lecture. Je suis enfin en train de lire l’intégrale (j’ai passé les 2/3). Et bien je trouve que c’est une véritable purge !
L’édito met l’accent sur le fait que c’est une BD punk (argument avancé fièrement). C’est effectivement totalement frondeur : Absolument AUCUN scénario ! Des dessins où Cromwell se fait plaisir (c’est clair, on voit qu’il s’éclate !), le tout agrémenté d’un texte surréaliste pour faire « délire » collé par dessus à la va-comme-je-te-pousse. C’est un grand moment de n’importe quoi et c’est vraiment facile d’écrire des trucs sans queue ni tête comme ça. Ça ne doit pas être épuisant comme boulot d’improviser ces planches à la truelle.
Reste un objet fascinant sur au moins un point : Les dessins restent magnifiques du début à la fin et c’est un pur cas d’école de voir un dessinateur s’éclater et tout donner alors que son truc ne raconte absolument RIEN de bout en bout !
Dommage, l’univers dépeint, quelque part entre les bayous de BERNARD & BIANCA et l’onirisme de LA CITÉ DES ENFANTS PERDUS de Carro & Jeunet avait énormément de charme. C’est un vrai gâchis de ne pas avoir pris le soin de construire un vrai scénario en amont. Je constate d’ailleurs que c’est scénarisé par Eric Gratien, qui avait écrit le tome 3 du SOLEIL DES LOUPS, un total ratage !
Il me reste encore à découvrir LOLA CORDOVA mais, pour le coup, ANITA BOMBA est une de mes pires déceptions de lecteur ! J’aurais dû en rester sur mon fantasme ! Je rêvais d’une BD d’aventure avec beaucoup de charme, non pas d’une succession de planches surréalistes mettant en scène des personnages badass dans des situations sans queue ni tête le temps de trois pages (c’est découpé en petites scénettes de 3 pages collées les unes après les autres sans aucun plan, sans aucune suite logique, sans aucune construction de récit à long terme. Bref, c’est pourri !).
Bac à soldes, comme toute la liste ici présente. Dommage !
Merci pour ton retour Tornado ! Ma lecture remonte donc je ne sais plus trop, surtout que je n’avais pas pu les lire à la suite mais par album, en attendant le suivant patiemment. Je devrais donc les relire pour me faire une idée, mais en tout cas visuellement on est d’accord, c’est splendide.
Espérons que LOLA CORDOVA te sied plus (ma relecture est plus récente et pour moi le scénario se tient).
Je viens de terminer péniblement l’intégrale. Il n’y a pas de fin, évidemment, puisqu’il n’y a pas vraiment d’histoire…
En fait, j’ai eu l’impression au bout du compte que l’ensemble est une immense pub pour un récit qui resterait à écrire ! C’est davantage la présentation d’un univers graphique qu’un scénario. Des idées balancées à la suite, comme elles viennent…
Si on est parti pour lire une histoire, comme ça a été mon cas, on reste comme un couillon.
En tout cas j’ai trouvé ça beau à regarder, mais nul à lire. Nul de chez nul. Le genre de truc que je déteste : Comme un spectacle de rue improvisé, une sorte de happening ni fait ni à faire par des mecs un peu défoncés qui n’ont pas envie de bosser vraiment. À peu-près à la même époque, dans un genre de graphisme assez proche et tout aussi original, on avait LA QUÊTE DE L’OISEAU DU TEMPS. Niveau scénario, c’était quand même autre chose, bon sang !!!
Alors c’est pas vraiment la même période, LA QUÊTE, c’est le début des années 80, ANITA BOMBA, le milieu des années 90.
Ça y est, j’ai enfin lu LOLA CORDOVA. J’ai beaucoup aimé. Y a pas photo c’est un million de fois meilleur qu’ANITA BOMBA. C’est de la bonne SF. Du beau boulot autant pour le scenar que le dessin, et c’est bourré de personnalité. Par contre, la vache, c’est porno ! Et bien trash. Je ne m’attendais pas à ça !
HELLYEAH !!
Bon je dois relire Anita Bomba parce que vraiment je ne sais plus trop mais pour avoir relu Lola Cordova récemment, oui, c’est de la bonne.