Putain de vies ! Itinéraires de travailleuses du sexe par Muriel Douru
Un article de PRESENCE
VF : La Boîte à Bulles
Il s’agit d’une bande dessinée indépendante de tout autre, réalisée par Muriel Douru, dont la première édition date de 2019. Il commence par une préface d’Ovidie (actrice, réalisatrice, productrice, autrice et journaliste). Elle évoque sa réticence initiale, avant d’apprendre qu’il s’agit d’évoquer le parcours de vie de travailleuses et de travailleurs du sexe, à partir de leurs propres dires. Elle développe ensuite son propos : elle a constaté que généralement lesdits travailleurs sont exclus des débats qui les concernent, en indiquant que chacun de ces travailleurs a une histoire personnelle différente, qu’ils continuent de souffrir de stigmatisation dans la société, et que les métiers se sont diversifiés avec le numérique, mais qu’ils restent exploités et mal considérés.
Vient ensuite une introduction de 3 pages en bande dessinée réalisée par l’autrice elle-même dans laquelle elle évoque ses a priori, son travail dans les maraudes de Médecins du Monde et Paloma dédiées aux travailleuses du sexe, ainsi que la distance de son cadre de référence de vie, d’avec celui des personnes qu’elle a rencontrées. Le tome se termine avec une postface de 5 pages, un texte illustré de quelques photographies : paroles de Médecins du Monde & Paloma.
La bande dessinée comprend 10 chapitres, chacun consacré à une travailleuse ou un travailleur du sexe différent. Chapitre 1 : Vanessa – De l’enfant esseulée à la mère de famille nombreuse. Dans un appartement en banlieue, une femme observe sa voisine par le judas de sa porte palière et constate qu’elle fait entrer un homme chez elle. Elle décroche son téléphone et avertir l’office HLM. Vanessa est née il y a 48 ans, vivant dans un appartement avec sa famille dans la banlieue modeste d’une ville de province. Chapitre 2 : Amélia – De la vie subie à la vie choisie. Amélia arrive au boulot pour s’installer à son poste de téléopératrice. Un texto arrive sur son portable lui rappelant qu’elle doit 60.000 euros et que son correspondant ne la lâchera pas tant qu’elle n’aura pas remboursé. Amélia est née au Nigéria dans une famille très pauvre. Chapitre 3 : Mei – Des rizières de la Chine aux trottoirs de Belleville. Quelque part dans le quartier de Belleville à Paris, Mei emmène un client faire une passe dans un appartement. Une fois qu’il est parti, elle se fait choper sur le palier pour un autre homme qui exige du sexe gratuit. Elle ne peut qu’obtempérer au risque sinon qu’au moindre esclandre elle se fasse dénoncer par les voisins. Elle est née en Chine au début des années 1970, et sa famille travaillait durement dans la production de maïs.
Chapitre 4 : Giorgia – Du petit garçon des rues à la femme engagée. Dans la nuit du 16 au 17 août 2018, au Bois de Boulogne, un client mécontent abat Vanesa, une transgenre, à bout portant. Une autre travailleuse du sexe en informe Giorgia. Celle-ci est née à Bogota en 1979, dans une famille recomposée. Petit garçon elle a rapidement pris conscience qu’elle avait été assignée à un genre qui n’était pas le sien. Chapitre 5 : Candice – Du malheur à la quête du bonheur. Candice regarde une déclaration d’Éric Ciotti à la télévision, enjoignant l’Aquarius à retourner sur les côtes libyennes. Elle est née au Nigéria il y a 25 ans, l’aînée de 3 frères et 4 sœurs. Elle n’a jamais vu d’amour entre ses parents. Chapitre 6 : Lauriane – De l’adolescente complexée à l’escort girl. Lauriane rentre chez elle dans son petit pavillon et trouve un bouquet de fleurs devant sa porte, avec un gentil mot d’un certain Jean-Louis. Elle se souvient de son enfance en pavillon dans une famille ordinaire, et de sa passion pour le sexe, développée à l’adolescence, de ses expérimentations diverses et sans tabou. Chapitre 7 : Emmy – Du petit garçon à la femme épanouie…
Le sous-titre explicite la nature de l’ouvrage : itinéraires de travailleuses du sexe. La quatrième de couverture est composée de 2 paragraphes extraits de l’introduction rédigée par Ovidie sur la stigmatisation dont sont l’objet toutes les travailleuses et les travailleurs du sexe. La lecture de l’introduction ne laisse pas de place au doute sur l’honnêteté de la démarche de l’autrice. Cette dernière explique dans l’introduction qu’elle rapporte les histories de vie de personnes qu’elle a rencontrées et qu’elle a écoutées à l’occasion de maraude avec l’association Paloma, la couverture portant en plus le logo de Médecins du monde. La postface de 5 pages constitue un texte explicatif corédigé par Médecins du Monde France & Paloma sur la nature de leurs actions, la diversité des situations des travaileuses/eurs du sexe, et les actions de prévention. Le lecteur comprend qu’il s’agit donc d’évoquer plusieurs parcours de vie de manière brève (entre 12 et 24 pages) partant généralement de l’enfance jusqu’à la situation adulte (entre 25 et 50 ans en fonction des personnes). Ces parcours sont présentés de manière condensée, mais pas romancée.
Le lecteur entame la première histoire et apprécie la douceur qui se dégage de la narration visuelle. L’artiste détoure les formes d’un trait léger, fin et précis. Les individus présentent des morphologies variées et réalistes, avec des visages différenciés, des tenues vestimentaires en cohérence avec leur statut social, leur activité, leur culture, la région du globe où se déroule la scène. Muriel Douru représente la réalité sans l’enjoliver, sans la dramatiser, avec un degré de simplification dans les formes pour rendre la lecture plus fluide, sans pour autant s’inscrire dans un registre tout public, encore moins enfantin. Elle prend soin de représenter les environnements en les différenciant également.
Au fil des histoires, le lecteur peut observer des appartements différents, un pavillon, une ville au Nigéria, un village en Chine, une rue à Bogota, une vue aérienne de Paris, etc. Il ne s’agit pas de reportages touristiques, mais chaque lieu comporte des caractéristiques géographiques et d’aménagement, cohérentes et réelles. De même, le lecteur est bien en train de lire une bande dessinée, et pas un texte illustré, pas des pavés de texte découpés en morceau où la dessinatrice hésite entre représenter ce qui est dit, ou coller une image de transition. Ces 10 chapitres sont autant de bandes dessinées en bonne et due forme, avec une approche factuelle et descriptive, et une narration visuelle riche et variée, que ce soit dans la conception des prises de vue, ou dans la complémentarité entre textes et dessins.
Le lecteur commence donc par découvrir l’itinéraire de Vanessa, depuis son enfance maltraitée jusqu’à l’interrogation sur son futur maintenant qu’elle a 50 ans. Il n’y a pas de misérabilisme, pas de victimisation, pas de jugement de valeur, pas de romantisme, pas de diabolisation du métier ou des clients. Pour autant, il n’y a pas de banalisation ou d’indifférence. Le lecteur a l’impression que Vanessa lui raconte le déroulement de sa vie, avec les éléments relatifs à son métier, et des détails de sa vie privée qui en font une vraie personne. Le deuxième récit est raconté de la même manière, avec la même approche naturaliste. L’absence de dramatisation évite à la narration de donner l’impression d’un reportage sensationnaliste. À nouveau, l’histoire d’Amélia est unique et personnalisée. Le lecteur ressent tout naturellement de l’empathie basique pour cette personne, en gardant à l’esprit qu’il a accès à une partie de sa vraie vie. Du coup, lorsqu’il la voit avec d’autres femmes dans sa situation, dans une cage d’escalier dans un foyer à enchaîner les passes à dix euros, le ressenti est douloureux. Les actes sexuels sont représentés dans 3 cases, sans effet esthétique, sans gros plan, dans un registre sans rapport avec celui de la pornographie. L’aspect factuel de la description rend palpable la réalité de la situation et des actes. En proscrivant tout effet pour appuyer, l’autrice rend possible la projection du lecteur dans la situation, sans filtre déformant.
Au fil des 10 biographies, le lecteur se retrouve ainsi dans la peau d’êtres humains en butte aux pires comportements de ses confrères. Il perçoit la souffrance de chacune de ces personnes. L’effet cumulatif est dévastateur. Au fil de ces 10 parcours de vie, il subit l’oppression, les viols, la guerre, la famine, l’exploitation, les profiteurs, le chantage, les passes à 10 euros, la peur au bois (de Vincennes, de Boulogne), les macs, les mariages arrangés, la violence conjugale, le chômage, la crédulité, l’abus de confiance, le mirage de l’Eldorado, l’angoisse de l’expulsion du sol français, l’indifférence des pouvoirs publics, la prison de son identité sexuelle physique, la séropositivité, la déscolarisation forcée, les prédateurs, la traite des femmes, la pauvreté, le racket, le chantage sur les proches, la reproduction des schémas de la violence familiale, la drogue… Il se rend compte que le parti pris graphique atténue l’horreur visuelle des situations et des violences, rendant la lecture supportable et même agréable, mais qu’il ne cache rien de ces maltraitances. Muriel Douru se révèle être une narratrice extraordinaire. Elle sait représenter la violence sans la rendre esthétique, sans non plus tomber dans le gore. Elle n’hésite pas à représenter les actes sexuels, sans hypocrisie, sans fausse pudeur, mais sans séduction, ce qui correspond bien à cette relation tarifée. Elle montre ces travailleuses et travailleurs en situation de travail, avec une approche professionnelle, sans être technique.
Bien sûr, l’accumulation de maltraitance finit par atteindre le lecteur. Son regard sur ces femmes et ces hommes s’en trouve modifié, quelles que soient ses convictions morales ou religieuses. Dans son introduction, l’autrice évoque la difficulté de projection pour comprendre la réalité de ces vies, à partir de son milieu, son éducation et son statut, de femme blanche et occidentale, n’ayant jamais manqué d’amour parental ni souffert de la faim. Elle indique que la rencontre avec ces femmes et cet homme lui a permis de comprendre combien il est compliqué d’appréhender ce qui vivent des gens au destin si éloigné. Au fil de la lecture, il se dégage également une représentation de la relation sexuelle comme un rapport de force, dans lequel les travailleuses du sexe et les travailleurs du sexe occupent la position de faiblesse.
En outre, la représentation de ces rapports forcés, de ces abus réguliers (sans être systématiques) par des clients violents ou voleurs, et souvent des conditions sordides du rapport tarifé (sur le capot d’une voiture) finit par brosser un tableau déprimant de la pulsion masculine imposée aux femmes, et par voie de conséquence subie par les hommes incapables d’échapper à sa force impérieuse. Au sein des témoignages, le lecteur peut relever 2 petites phrases qui définissent cette forme de relation. Dans la première, une travailleuse indique qu’elle était devenue un objet, l’objet de 2 hommes. Dans la seconde, une autre travailleuse constate que même les gentils profitent d’elle : elle doit toujours coucher même quand elle n’en a pas envie, et pour le temps dont ils ont besoin pour se soulager.
Cette bande dessinée est extraordinaire dans le sens où elle parvient à déjouer tous les pièges de la représentation de du travail du sexe (misérabilisme, romantisme, voyeurisme, etc.) sans rien occulter de la nature de ce travail, en donnant la sensation au lecteur d’écouter ces femmes et cet homme en train de lui parler directement, lui laissant son libre arbitre sans lui faire de chantage à l’émotion, sans le culpabiliser, sans l’agresser par des visions insoutenables, dans un rapport de lecture librement consenti, respectueux de sa sensibilité.
—-
Le classique de Brassens sur la prostitution magnifiée par Emily Loizeau.
bel article qui défend très bien le sujet… On voit que ça tient à cœur.
Après pas évident à commenter…
Le dessin ne me plait pas du tout, et ce genre de reportage, j’en ai déjà lu dans un gros magazine facilement dispo en médiathèque (XXI), c’est vrai que l’équilibre est pas évident…
La bd est un art de « dramatisation » angle de vue, plans rapprochés ou non donnent toujours une vision partiale et partielle de la chose et c’est un peu le contraire du journalisme objectif…
Du coup ça doit être très dur à faire et encore plus à lire…
le thème de la prostitution est un thème qui ne m’a jamais vraiment interpellé, à part pour sa vision faussement « héroïque » que le romanesque lui a collé au fil du temps… je soupçonne le cliché de l’altruiste du sexe qui déniaise les gamins de n’avoir aucun fond de vérité….
mais voilà au delà de ça, c’est que détresse et amertume et ce n’est même pas fantasme pour moi…
Ma première surprise est que cette bande dessinée se lit toute seule, parce qu’on n’éprouve pas la sensation d’être pris en otage, ni émotionnellement, ni par une culpabilisation.
Le journalisme objectif – Je ne pense pas que ça existe, ce qui ne constitue pas une critique. C’est la lecture de From Hell d’Alan Moore et Eddie Campbell qui me fait dire ça. L’un des objectifs du scénariste était de se montrer exhaustif, d’envisager le phénomène de ces meurtres de tous les points de vue possible, dans une démarche holistique. Or dans l’épilogue, il indique que cette exhaustivité est un leurre, qu’une telle forme d’objectivité n’est pas accessible à l’être humain.
« […] subie par les hommes incapables d’échapper à sa force impérieuse. »
C’est dédouaner un peu facilement au détour d’une phrase, notamment les pressions de dénonciation, de violence, les abus et compagnie justement relatées plus haut.
Je n’ai ni l’intention, ni le pouvoir de dédouaner qui que ce soit pour les crimes montrés dans cet ouvrage. La description des passes provoque un questionnement sur les clients, sur ce qu’ils viennent chercher, sur ce qu’ils en retirent au vu de la manière dont elle se déroule, sur ce qui conduit à un tel comportement chez les hommes, les prédateurs et les autres.
Fichtre, Présence comment que t’as cassé l’ambiance, là…
Si’l existe un débat casse-gueule, c’est bien celui portant sur le plus vieux métier du monde : abolitionniste ? Dans le cadre de violences faîtes aux femmes, peut-on tolérer cette forme d’esclavage au XXI siècle ?
Faut-il considérer la prostitution comme un mal nécessaire et l’encadrer comme au Pays Bas ?
Lorsque j’étais jeune professionnel, j’ai commencé ma carrière en tant que travailleur social visant la réinsertion de femmes prostituées, d’abord en tant que stagiaire puis une fois mon diplôme en poche en tant que référent.
A cette époque, j’étais jeune et très idéaliste et pensais que La prostitution devait être interdite et que les clients étaient punissables d’exploitation du corps humain. En outre, la prostitution des femmes ouvre une brèche à celle des enfants encore plus intolérable.
De mon expérience (4 ans), je peux dire que La prostitution n’existe pas. Il y a des prostitutions dont les causes et les conséquences ne sont pas les mêmes si l’on se place dans la prostitution de survie et celle assumée, revendiquée « haut de gamme ».
Je n’ai jamais eu à faire à des call girls et pour cause : « ma clientèle » était à 99 % des femmes sans papiers, et/ou à la rue avec leurs enfants pour qui le trottoir était la seule occasion de survivre.
Mais j’avais aussi d’anciennes étudiantes qui trouvaient là un moyen de faire face à des frais de scolarité et de vie parisienne et, qui une fois dans le milieu, décrochaient.
Enfin, ne pas oublier les femmes immigrées d’Afrique ou d’Europe de l’est à qui on confisque ses papiers, ses enfants pour travailler pour la mafia. Au danger réel de la vie de prostituée s’ajoute une dimension mafieuse terrifiante et changeante…
Bref, toutes ces femmes que j’ai suivies n’étaient ni des perverses sexuelles, ni des salopes ou des branleuses mais bel et bien des victimes de violences diverses pour qui la prostitution semblait le dernier filet de sécurité économique.
A ce jour, je peux déclarer en toute humilité ne toujours pas savoir ce qui pousse une femme à se prostituer : une femme à la rue ou démunie, il y en a tous les jours : certaines vont se prostituer, d’autres pas.
A l’époque le sujet me passionnait au point que j’y ai consacré mon mémoire de fin d’année pour obtenir mon diplôme. Le sujet rejoignait l’interview d’hier de Dysart : la parole déposée auprès d’un travailleur social est-elle thérapeutique ?
Mes divergences irréconciliables avec les milieux féministes de l’époque m’ont progressivement éloigner de ces sujets. Et la lecture de 23 PROSTITUÉES aussi qui m’a amené à reconsidérer ma position par rapport aux clients.
A l’occasion, je serai ravi de débattre pacifiquement avec Muriel DOURU sur certains points qu’en tant que féministe elle pourrait défendre.
Je n’ai pas lu sa BD, mais le fait qu’elle puisse donner la parole aux filles de joie me semble vital et tu peux le deviner, j’ai très envie de lire ça Présence. Tout ceci l’air d’être intelligemment amené et traité.
A suivre donc…
J’ai lu cette bande dessinée en tant que néophyte, sans aucune compétence ou expérience professionnelle dans le domaine de l’aide sociale. Mon ressenti de lecture est qu’il ne s’agit pas d’une BD militante dans le sens où elle serait asservie à une idéologie ou à des revendications. Les témoignages présentés correspondent essentiellement à de la prostitution de survie.
Eh bien moi j’ai très peu envie de lire ça^^
Encore une fois…ce n’est pas tant que le sujet n’est pas intéressant. Mais qu’est-ce qui va vous faire privilégier ça à un roman, à un reportage ?
Je n’aime pas du tout le dessin, je n’aime pas le traitement naturaliste, ça n’a aucun attrait en tant que BD pour moi.
Alors oui certains vont me dire « eh oh la BD c’est pas que du spectacle, faut aussi faire des trucs intelligents et sérieux »
Oui si vous voulez…
Et je ne condamne pas l’existence de ce genre de BD.
Mais ce n’est vraiment pas pour moi. Je trouve que ça n’utilise que très peu ce que permet le medium de la bande dessinées. C’est presque juste coller des images dans un roman. Et à ce compte là, autant lire un roman, ça pourra surement mieux rentrer dans les détails avec le quota de pages et la densité du texte.
Bref…^^
Sinon Bruce je partage assez ton point de vue que c’est un sujet difficile à cerner et qu’il vaut mieux s’abstenir de juger. Je n’ai aucune expérience comme toi en tant que travailleur social mais j’ai déjà lu des choses…et tout ce qui concerne le business du sexe est compliqué à appréhender (les acteurs porno c’est encore différent mais…malgré tout c’est de l’exploitation que certains/certaines acceptent tandis que d’autres tombent dans ce milieu et y sont exploité(e)s)
L’idéaliste redresseur de tort se casserait les dents à essayer de « sauver » des prostituées.^^ T’imagines un super héros qui sert à rien^^ « je vous ai sauvée de ce pervers qui voulait vous tripoter gente dame ! » « ah ouais connard ? Et qui va payer mon loyer ? » ^^
Je pense que ça sauve la vie de certaines personnes (même si ça doit laisser des séquelles), que d’autres peuvent s’en accommoder si ça rapporte bien (mais dans des établissements ou c’est moins risqué de tomber sur des tordus)
Bref c’est pas simple du tout, et j’ai laissé tomber mes belles idées idiotes sur le sujet depuis un moment.
Cela rejoint la discussion d’hier. En tant qu’énorme consommateur de BD, j’aime bien tenter quelque chose de différent de temps à autre. Pour ce sujet, je préfère la BD à un roman parce que celle-ci me présente une forme de reportage et pas une vision romancée, et je l’ai préféré à un reportage télé parce que j’ai moins l’impression qu’on puisse me manipuler sous ce format-là. Concernant les caractéristiques graphiques, mon ressenti de lecture est qu’elles servent très bien le propos du reportage.
J’ai trouvé que ces 10 chapitres sont l’œuvre d’une bédéaste, pas un texte avec des images collées en dessous. Le principe du texte illustré se rencontre beaucoup dans la collection de la petite bédéthèque des savoirs. C’est par exemple le cas du dernier tome paru sur l’anarchie, où le dessinateur fait de son mieux pour trouver une idée visuelle pour illustrer un texte qui donne l’impression de lui avoir été livré clé en main. Au contraire, ici, j’ai eu la sensation de lire une bande dessinée avant toute chose, ni un roman illustré, ni un exposé avec des illustrations. Les images montrent des éléments qui ne sont pas présents dans les dialogues ou les cellules de texte. L’expérience de lecture uniquement des textes n’est pas suffisante pour comprendre ce qui est raconté.
Au bout du compte on lit ce qu’on veut…
La BD est comme le dit Présence un médium posé, où la manipulation est moindre par rapport à une caméra, c’est plus un arrêt sur image, on al le temps de réfléchir…
un pouvoir de la BD est que c’est le lecteur qui contrôle la vitesse de son absorption du message et son envie de rembobiner aussi…
et au bout du compte si je n’ai pas beaucoup de bd autres que fiction, je n’ai jamais voulu donner de limites à cet art qui est l’un des plus complets…
pour moi Matt, ce que tu dis c’est pourquoi peindre si on peut photographier?
pourquoi mettre ce genre de limites à la bd?
son atout c’est qu’avec une feuille et un crayon ,on peut aborder tout type de sujets pour tout type de sensibilité…
et vouloir dire ce genre de sujet n’est pas adapté en bd, c’est aussi donner du grain à moudre à ceux qui imagine que la bd est une « sous-lecture » pour ceux qui ne savent « pas bien lire »…
c’est « glissant » tout ça…
100% d’accord : j’apprécie beaucoup cette maîtrise de la vitesse de lecture, et cette possibilité de revenir en arrière, chose que je fais de manière systématique pour écrire un commentaire.
Quant à la liberté de la forme, je prends conscience en regardant les BD franco-belges que je choisis, que c’est un critère très important pour moi : si une BD a une narration qui sort de l’ordinaire (pas par la forme de l’ouvrage, mais par les graphismes, la mise en page), ma curiosité est très vite éveillée. Ce qui ne m’empêche pas de lire des BD traditionnelles aussi.
La BD permet également de disposer d’un budget illimité pour les décors et les effets spéciaux, de rapprochements très inattendus (l’intégration de pages de roman-photo dans la BD par exemple), d’un glissement de registre graphique, des bonhommes en fil de fer jusqu’à de la peinture réaliste, en passant par de l’art abstrait, ainsi qu’une manipulation extraordinaire de l’écoulement du temps qui est transformé en espace. De ce point de vue, la lecture de L’art invisible de Scott McCloud a été une révélation pour moi.
oui Scott Mac Cloud fait des thèses sur la bd en bd… un des bouquin les plus importants du genre…
« et vouloir dire ce genre de sujet n’est pas adapté en bd, c’est aussi donner du grain à moudre à ceux qui imagine que la bd est une « sous-lecture » pour ceux qui ne savent « pas bien lire »… »
Je l’ai moi-même dit qu’on pouvait me sortir que la BD ça peut être sérieux et tout…et j’ai dit que c’était pas pour moi, et que je ne condamnais pas l’existence de ce genre de BD^^
Mais voilà c’est pas ma came. Moi c’est le processus créatif qui m’intéresse. Non ce n’est pas l’équivalent de « pourquoi peindre si on peut photographier » mais plutôt l’inverse^^ Pourquoi photographier si on peut peindre ? » (et donc donner sa vision, conceptualiser une idée, la magnifier, la transformer)
Après je prends des photos comme tout le monde hein…mais bon…surtout de paysages ou pour les souvenirs de vacances. Ai-je un intérêt pour les photos prises par d’autres d’endroits que je ne connais pas ? Comme toutes celles qu’on trouve sur le net ? Ben pas trop, non. Il y en a de très belles hein…mais c’est pas pareil quand c’est pas toi qui les a prises.
Alors qu’une peinture et un dessin…ben t’es pas forcément capable de le refaire, et c’est l’interprétation de quelqu’un. J’ai des artbooks pour ça^^
Ce genre de BD est trop frontal, naturaliste, réaliste…enfin tous les trucs dont parle souvent Tornado^^ qui ne font plus trop penser que tu es dans une œuvre originale et plein d’inventivité, mais plutôt face à un compte-rendu de réunion vaguement illustré pour que ce soit plus simple à lire.
C’est mon ressenti hein^^ Après bien sûr que chacun fait ce qu’il veut comme type de BD. Du moment que ça fait pas trop la morale de manière hautaine, je ne suis contre rien^^
Et figure-toi que j’aime les documentaires^^ Mais en format vidéo, et souvent sur les animaux ou la nature. Question de centre d’intérêt. Et là c’est intéressant grâce au son et au mouvement, même si en effet tu ne contrôles pas le rythme de visionnage. Mais là pour le coup ça m’intéresse réellement pour le côté réaliste pour voir des endroits que je ne verrai jamais en vrai, ou apprendre des trucs sur des espèces que je ne croiserai jamais non plus^^
Je suis beaucoup plus attiré par des documentaires animaliers que par des BD animalières parce qu’effectivement la découverte d’espèces ou d’endroits en BD perd beaucoup par rapport au reportage vidéo.
Alors pareil que Eddy et Matt : Ce n’est pas un sujet (documentaire, réaliste et frontal) ni un traitement (naturaliste) qui m’intéresse.
Ayant vécu dans plusieurs villes, toutes recouvertes la nuit d’un pullulement de prostitution en tout genre, je dois dire qu’aujourd’hui que le phénomène a pris des atouts plus discrets, il ne me manque pas…
J’ai néanmoins lu l’article avec un grand intérêt. Et c’est ce qui fait tout le sel de notre espace de discussion et d’expression ici : Pouvoir survoler tous les sujets, tous les genres, pouvoir se cultiver et s’instruire sans être obligé de tout lire ou de tout voir de manière exhaustive.
C’est exactement ce sel-là qui me fait me plonger avec grand plaisir dans vos articles abordant des contrées très éloignées de celles que je parcours. Je m’en félicite d’ailleurs à chaque fois car ça me permet de comprendre des références qui m’échapperaient sinon. Mes lectures n’en sont que plus enrichissantes grâce à vous.
Je viens de terminer ce livre. Bruce m’avait incité à le faire monter de quelques kilomètres dans ma PAL en postant l’arrivée d’une chronique et d’une interview plus tard dans le mois. Bien m’en a pris. Cela étant, un sentiment de vanité s’empare de moi au moment de prendre la plume car, comme d’habitude, le texte de Présence fait parfaitement le tour du sujet et la plupart de mes arguments s’y retrouvent.
Il est certain que l’objectivité est un leurre. Je ne crois même pas qu’elle existe, surtout pas au sein de la presse. Peu importe, ce serait là l’objet d’un autre débat. Pour en revenir au sujet qui nous occupe, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt, il y a quelques mois, La Petite Bédéthèque du Savoir consacré à la prostitution. Une collection que j’apprécie énormément, mais qui laisse souvent sur sa faim – encore que je doute d’être le public visé. Du coup, j’ai eu envie de me frotter à ce reportage, parce que la BD ce n’est pas seulement des petits miquets ; elle sait – très souvent depuis quelques années – prendre à bras le corps les problèmes qui minent notre société. Pas nécessairement pour apporter des solutions – les journalistes ne le font pas non plus – mais pour dresser un état des lieux et surtout mettre un coup de projecteur sur des minorités silencieuses ou qu’on se complaît à croire muettes et à ‘planquer sous le tapis » via certaines législations.
Dans ce contexte, j’ai particulièrement apprécié le dessin fonctionnel (ce mot n’a pas un sens péjoratif) de Muriel Douru. Il ne fallait pas érotiser ces femmes, non plus que les caricaturer. L’essentiel était de raconter leurs histoires et d’en tirer les leçons. De la même façon, elle ne diabolise pas les hommes, ce que certaines féministes extrémistes actuelles se seraient empressées de faire. D’ailleurs, c’est parfaitement inutile puisque leurs actes parlent pour eux… Je suis (une fois encore) tout à fait d’accord avec Présence quand il affirme que Muriel Douru est une véritable bédéaste. Elle a parfaitement comment traiter son sujet en évitant misérabilisme, mais sans oublier de laisser pointer de l’émotion. Contrairement à la postface, un peu trop proche du document administratif pour maintenir l’attention, ses planches respirent l’empathie, mais savent aussi se contenter des faits, sans romancer le propos. Plutôt que de sombrer dans l’approche hollywoodienne de Kivu (Van Hamme), on retrouve la même honnêteté, la même sincérité de l’engagement que Joshua Dysart dans UN3.
J’avoue être très impatient de lire l’interview et à l’heure où Marlène Schiappa tente de réhabiliter des sorcières mortes depuis plusieurs siècles comme l’impose la bienpensance actuelle, j’aurais envie de lire plus d’oeuvres qui redonnent la parole à ces hommes/femmes vivant(e)s qui sombrent dans la clandestinité et le silence. D’autant que le sujet est assez vaste pour donner lieu à d’autres initiatives.
Merci beaucoup pour ce retour détaillé : c’est un vrai plaisir que de revoir cette BD par les yeux d’un autre. J’ai trouvé son dessin meilleur que fonctionnel (mais sûrement que je ne mets pas le même sens que toi derrière ce mot) : elle sait donner vie et personnalité à chaque travailleuse du sexe, avec le bon placement comme tu le dis.
L’autrice ne diabolise pas les hommes, et effectivement leurs actes parlent pour aux. Difficile de se voir en eux parce que ça renvoie une image d’individus assujettis à leur pulsion sexuelle, sans parler de l’usage régulier de la force et de la contrainte.
J’aime également beaucoup la petite bédéthèque des savoirs, avec de nombreux tomes passionnants. En fonction des auteurs, le résultat montre des difficultés à éviter le format texte illustré. Pour plusieurs tomes, j’ai éprouvé la sensation que l’artiste avait reçu le texte clé en main, et bonne chance à lui pour trouver comment éviter l’impression d’un exposé illustré. Par exemple, Winshluss n’a pas pu éviter cet effet pour une moitié du tome sur l’anarchie.
Présence : Oui, le terme « fonctionnel », comme je l’ai expliqué dans mon commentaire n’est pas péjoratif. Cela ne l’empêche pas d’être esthétique. Simplement le terme « objectif » ne conviendrait pas non plus puisque chaque artiste apporte sa vision du monde, de la réalité. Je l’opposerais plutôt à esthétisant, ce qui là encore ne s’oppose pas une certaine forme de « beauté ».
Le reportage pourrait impliquer une forme de neutralité, mais son trait fait preuve d’empathie et ses décors sont travaillés, de même que la mise en scène de ses planches.
J’ai beaucoup aimé la préface d’Ovidie que je connais aussi bien par ses films que ses activités littéraires et militantes. Elle cerne bien les problématiques et la tragédie silencieuse de ces travailleur(se)s du sexe.
Je discutais tout à l’heure avec une amie de cette BD et elle ne comprenait pas comment on pouvait s’abaisser à la prostitution. J’ai eu beau lui expliquer le contexte, les particularités de chaque cas, elle m’a répondu qu’elle préférerait encore faire les poubelles. Il existe, je pense, une incompréhension endémique entre la population et cette minorité qu’on voudrait cacher sous le tapis de la société.
Merci pour ce développement sur l’aspect graphique. En te lisant, je me dis que j’aurais effectivement pu dire un mot sur l’empathie qui a fonctionné à plein en ce qui me concerne.
Faire les poubelles – Une comparaison inattendue : que ce soit la femme de ménage qui vide les poubelles dans les bureaux où je travaille ou l’éboueur qui est derrière la benne, c’est un métier indispensable dont on s’aperçoit vite de sa fonction essentielle quand l’une ou l’autre n’est pas là pour l’assurer.
Un sujet casse-gueule mais qui semble intelligemment traité. Et bien sûr remarquablement mis en valeur par Mister Présence.
La phrase sur le besoin impérieux subi par les hommes m’a un peu fait tiquer au début. Si on renverse la perspective, une femme voulant assouvir son désir sexuel, elle va moins souvent user de contraintes car dans la société, elle n’a pas le pouvoir (si on exclues les femmes riches et leurs gigolo).
Sinon, plus largement, j’aime aussi quand la BD se fait reportage car elle peut montrer ou expliquer les choses différemment quand certains reportages TV sont trop expéditif ou formatés. À nouveau, je vous incite à lire la Revue Dessinée.
Cette phrase est une forme d’interrogation en ce qui me concerne quant à ce qui fait que la prostitution répond économiquement à une forte demande essentiellement masculine, et qu’il n’y a pas d’équivalent féminin à cette échelle. C’est également une réaction à la description en creux des clients qui renvoie une image très gênante.
Dans ce genre de cas, je me demande ce qui peut pousser des personnes comme Présence à avoir envie de lire ce genre de BD.
Je rejoins la majorité : ce n’est pas le genre de choses qui me donnent envie de lire, parce qu’on le sait, et qu’on n’a pas forcément envie de lire ce genre d’histoires. Je n’aime pas regarder ce genre de reportages ou lire ces livres qui racontent les calvaires biographiques ou autobiographiques Cela me met dans une position de spectateur impuissant. « Voir » ces choses et ne rien pouvoir faire. Non merci.
Mais d’un autre côté je salue l’initiative : de l’auteure de cette BD, et de l’auteur de cette chronique pour leur volonté d’en parler à un plus large public.
Ce qui me pousse à lire ce genre de BD, c’est à la fois la curiosité (même si c’est un vilain défaut 🙂 ) et l’envie d’introduire un peu de variété de temps à autre au milieu des comics et et BD de divertissement que je consomme voracement.
C’est aussi mon souci d’introduire ce genre de thématique qui suicide l’audience mais qui permet effectivement une respiration entre deux combats de superslips.
Je n’avais jamais entendu parler de cette bd, merci donc Présence de la mettre sous les feux de la rampe. Bien que le sujet soit attrayant (cacher les clichés l’est toujours), je ne suis pas attiré par le dessin et j’ai tendance à éviter ce genre de lecture en général : trop plombant (ta liste des vilenies subies me donne le tournis). Comme pour S’ENFUIR de Delisle, je la lirai sans doute en médiathèque ou si on me la prêtait.
Malgré tous tes arguments, je sens tout de même que je serai gêné ou énervé par ces histoires. J’ai trop d’empathie je crois.
La BO : je ne crois pas avoir jamais écouté cette chanteuse. Bon, là, c’est pas mon truc, cette chanson de cabaret. Mais le choix est judicieux.
Oups, erreur : je voulais dire casser (pas cacher) les clichés…
A la fin de ma lecture, je n’étais ni déprimé, ni en colère tant la narration est en douceur. C’est en composant ce commentaire que je me suis rendu compte de la liste interminable des exactions et des crimes.
D’une certaine manière, j’ai trouvé cette lecture moins déprimante que The Slavers (Punisher MAX, de Garth Ennis & Leandro Fernandez) où il n’y avait aucun espoir.