Punk Rock Jesus par Sean Murphy
1ère publication le 07/07/14- Mise à jour le 29/08/23
Un article de TORNADO
VO :Vertigo
VF : Urban
Punk Rock Jesus est un comicbook réalisé par Sean Murphy en 2012. Publié chez Vertigo en VO, Punk Rock Jesus vient d’être réédité en édition spéciale à l’occasion des 5 ans de Urban Comics puis en édition Nomad.
Le synopsis : Dans un futur relativement proche, des producteurs américains peu scrupuleux lancent une émission de téléréalité au contenu incroyablement passionnel : La vie filmée du clone de Jésus en personne, depuis sa naissance ! Cloné à partir d’une relique prélevée sur le Saint Suaire, mis au monde par une jeune fille vierge choisie spécialement pour le projet, le clone du Christ grandit sur une île-forteresse à l’abri du monde.Déchaînant les passions, le programme bat peu à peu tous les records d’audience…
Je connaissais Sean Murphy pour ses talents de dessinateur (par exemple avec le scénariste Grant Morrison sur Joe l’Aventure Intérieure), mais je ne m’attendais pas à trouver ici un auteur à part entière, qui plus-est particulièrement inspiré et productif.
Le bonhomme livre ainsi une œuvre d’une puissance peu commune, portée par un pitch de première main, dont le contenu sémantique emporte tout sur son passage ! Les trouvailles à la base du script s’imposent immédiatement comme une évidence, qui nous surprennent uniquement par le constat étrange qu’elles n’ont pas déjà été développées par le passé !
Afin de nourrir son récit, Sean Murphy introduit toute une galerie de personnages secondaires dont l’existence souvent tragique apporte diverses résonances à une histoire qui aurait vite fait de tourner en rond si l’auteur s’était contenté de ne raconter que la vie de « Chris », le bien nommé clone du messie. C’est ainsi que nous suivons également l’existence de « Thomas », le garde du corps en quête de rédemption, éternellement troublé par son passé impie.
Avec Chris et sa mère Gwen, la scientifique responsable du clonage Sarah Epstein et sa fille Rebekah, Thomas participe peu à peu à la création d’une véritable famille recomposée. Une sainte famille moderne, en somme…
Des idées brillantes, Punk Rock Jesus n’en manque pas. Et ainsi, lorsque Chris s’émancipe et se rebelle contre l’institution qui a fait de lui un sujet de téléréalité, il rappelle au monde que le véritable Christ était déjà un rebelle de premier ordre et qu’il ne faisait que contester l’autorité établie. Un punk, en quelque sorte ! Il était donc logique de voir ce clone devenir le leader d’un groupe punk qui assène au monde ses diatribes spirituelles !
De son côté, alors que Sarah Epstein, humaniste en diable, tente de découvrir une formule bienfaitrice pour l’avenir de notre planète, elle n’hésite pas à s’allier au pire des projets (cloner le Christ) pour financer le sien. Ou comment le pouvoir de l’argent pervertit les plus nobles causes !
Pour autant, Sean Murphy n’est pas le nouveau messie et le lecteur ne doit pas s’attendre à ce que l’auteur apporte son lot de réponses sur toutes les questions métaphysiques qui sont posées au fur et à mesure que l’on suit la vie du clone de Jésus. J’ai trouvé pour le coup que les critiques avaient été sévères en reprochant au scénariste le manque de profondeur de son analyse. Car à bien y réfléchir, peu d’auteurs ne font autre chose, dans ce type de récit sujet à réflexion, que de soulever uniquement des questions…
Punk Rock Jesus n’est donc pas un pamphlet sur l’existence de Dieu (au bout du compte, c’est surtout le rapport qu’entretient le lecteur avec sa propre foi qui est stimulé), mais un récit de divertissement intelligent et fédérateur, qui critique vigoureusement nos sociétés modernes en appuyant là où ça fait mal. Extrémismes religieux, science pervertie, dérives médiatiques et violences sociétales sont ainsi dénoncées et montrées du doigt, comme dans tout bon récit anticipationnel.
En revanche, le talent de conteur de Sean Murphy trouve ses limites dans la caractérisation de ses personnages, dont le côté extrêmement manichéen atténue malheureusement la force du récit. Avec des caractères mieux dessinés et plus ambigus, on atteignait le lyrisme qui manque en fin de compte à cette œuvre déjà passionnante.
Parmi les menus défauts, on pourra également regretter le manque de précision dont l’auteur souffre dans la construction narrative, où ellipses brutales et autres transitions subites viennent un peu gâcher la fluidité de certains épisodes. Quelques petits encarts de textes (du style « deux ans plus tard »…) auraient été les bienvenus. La partie graphique, en revanche, est infiniment brillante. Dans une esthétique nettement plus proche des mangas que des comics (je parle de la construction et de la colorimétrie des planches -noir, blanc et gris-, non de l’aspect des personnages), Murphy réalise un boulot monstrueux en alignant près de deux-cents cinquante pages d’une beauté crue et écorchée vive, en totale osmose avec le sujet.
Les amateurs apprécieront les références culturelles à tout un pan de l’histoire du rock anglo-saxon, qui viennent également nourrir le concept du récit, lui apportant une toile de fond solide et profondément enracinée dans l’architecture historique des mass-médias et des produits de la contre-culture (chaque chapitre étant introduit par le titre d’une chanson issue du rock dur…).
A bien y réfléchir, Sean Murphy nous parle beaucoup de lui-même, de la perte de sa foi, de ses origines irlandaises et de son amour pour la culture populaire. Ainsi, n’aurait-il pas simplement changé sa foi en Dieu pour ses idoles bien réelles ? Un peu comme s’il s’agissait d’une déclaration d’amour adressée aux grands auteurs de comics tels Alan Moore, Grant Morrison ou Warren Ellis, tous venus de Grande-Bretagne afin d’écrire des comics…
Peut-être trop ambitieuse, peut-être pas assez subtile (on n’a pas fini de déceler ça et là des situations improbables en réalité), cette création passionnante et passionnelle d’un jeune auteur perfectible décevra peut-être les lecteurs les plus exigeants. Mais je pense qu’elle demeure suffisamment attachante et nettement au dessus de la masse pour mériter amplement ses 5 étoiles…
PS : Voici la tracklist fournie par Sean Murphy afin de déguster sa création avec les chansons qu’il nous conseille d’écouter en toile de fond, soit une par chapitre.
On notera au passage qu’il y a très peu de références directes au Punk initial des années 70 (si l’on excepte les irlandais (comme par hasard !) de Stif Little Fingers :
1) “From America” de Marilyn Manson.
2) “Tired Of This Shit” des The Bloody Hollies.
3) “Nightcall” par Kavinsky.
4) “Nothing” par Groovie Ghoulies.
5) “Suspect Device” par Stif Little Fingers.
6) “Electric Head, pt. 1” par White Zombie.
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Pitch de première main : pas de chance, il a été prouvé depuis que le suaire de Turin ne date pas de la bonne époque, et donc qu’il n’a jamais servi de linceul au corps du Christ.
Murphy réalise un boulot monstrueux. – Les images que tu as choisies sont effectivement très impressionnantes, peut-être encore plus que celles de « Joe, l’aventure intérieure ».
Ton commentaire met l’eau à la bouche, en mettant en lumière les qualités de l’ouvrage, et ses limites. Je finirai peut-être par changer d’avis et le lire.
Punk Rock Jesus est une oeuvre conceptuelle forte et attachante. Une pierre à l’édifice du comic book.
Ses défauts sont réels, mais ils ne sont pas avilissants.
Voilà, ses nombreuses qualités éclipsent totalement ses quelques défauts.
J’ai une forte tendance à me méfier des œuvres qui ont JÉSUS pour héros ou tout simplement contenu dans leur titre.
Voilà une des raisons qui a fait que, a tort, je ne me suis jamais intéressé a ce comics. Je vais de ce pas rectifier mon erreur!
Je viens de le finir et j’ai adoré ! Une fin bof, mais le reste, j’ai trouvé ça très fin, subtil et comme tu le dis et Manson avant lui, il ne s’agit pas de détester Dieu, mais le dieu des autres !
merci pour cette découverte.
Je suis en vacances chez de la famille et je pioche dans la bibliothèque d’un cousin.
Des années après tout le monde, je découvre ce comicbook. Mon avis rejoint celui écrit par Tornado, notamment :
« ’elle demeure suffisamment attachante et nettement au dessus de la masse pour mériter amplement ses 5 étoiles… »