The Walking Dead : Rest in Peace par Robert Kirkman et Charlie Adlard
Une mine de déterré de BRUCE LIT
VO : Image
VF Delcourt
Disponible sur Attilan comics ici
Cet article passera en revue le dernier épisode de la série THE WALKING DEAD scénarisée par Robert Kirkman, dessinée par Charlie Adlard et toujours encrée par Stefano Gaudiano. Il s’agit d’un numéro plus long qu’à l’accoutumée : 7 épisodes dont un numéro double pour l’épilogue et une (longue) postface de Kirkman. C’est ce numéro double qui est publié en volume indépendant ces jours-ci chez Delcourt.
Cet article dévoile la fin de WALKING DEAD. On appelle ça un spoiler, je crois.
C’est une nouvelle qui a assommé tout le monde lors de sa diffusion sur le net cet été : Robert Kirkman mettait un point final d’une série commencée en 2003 et dans l’ambition initiale était d’être sans fin. A l’image de son écriture qui a souvent surpris son lectorat pendant 16 ans par la mort brutale de personnages de premier plan, Kirkman achève ce qui aura été le comics le plus vendu au monde, l’inspirateur d’une série télévisuelle en dents-de-scie et un phénomène dans le monde de l’édition US : une ligne éditoriale irréprochable et une intégrité conservée jusqu’au bout malgré un succès jamais démenti.
Oui, les critiques auront souvent argué que WALKING DEAD, c’était toujours pareil, souvent très long et répétitif avec un schéma à l’identique : des survivants d’une épidémie zombie s’installent dans une habitation de fortune, tissent leur amitié, affrontent de psychopathes qui réduisent leurs efforts à néant et doivent recommencer ailleurs leurs tentatives de reconstruction de l’humanité (tout du moins celle de l’Amérique). Ces critiques n’auront pas été sensibles aux subtiles variations du récit de Kirkman, et cela ferait un bon sujet d’article, car, non ! WALKING DEAD, ce n’était pas répétitif pour un sou.
On remerciera Kikkman d’avoir résisté au fan service auxquels ont succombé Marvel et DC : pas de blagues à la con pour tenter de faire de WALKING DEAD une série tout public, pas de transfert dans le Comics des personnages les plus populaires du Show Live, pas de spinoff mis à part les origines de Negan et quelques romans sympathiques, pas de crossovers de merde ou de résurrections foireuses ; même la brouille entre Kirkman et son premier dessinateur Tony Moore aura été réglée élégamment. La fin de WD est du même acabit : logique, bavarde mais digne.
Kirkman explique dans sa postface avoir ambitionné de dépasser le n°300 de CEREBUS, le mètre étalon du comics indépendant en la matière, mais s’être ravisé il y a 4 ans en s’apercevant que la sédentarisation de ses personnages était bien ancrée et qu’il n’avait plus lieu de bouleverser leurs vies de nouveau. Il raconte avoir eu un flash de la séquence finale : Carl Grimes racontant les exploits de son père à sa fille. Ne lui restait qu’à broder son histoire autour de la mort de son héros, puisque Kirkman l’avait déclaré au préalable : la série s’arrêtera avec la mort de Rick Grimes.
Cette mort elle était attendue, redoutée, crainte et parfois souhaitée, tant il est vrai que Rick aura attiré tous les regards par son charisme et sa personnalité au détriment de personnages secondaires dont on n’avait parfois que faire. Si lors du premier saut dans le temps, on pouvait supposer que Carl prendrait la relève de la série comme autrefois Jolan le fit pour Thorgal (avec l’insuccès que l’on sait), la série TV aura démontré, avec ses focus sur des personnages secondaires dont il fallait justifier le salaire , que Rick Grimes était plus qu’un simple personnage badass.
La mort de Rick Grimes devient une réalité. Elle est amenée de manière logique et implacable.Elle donne envie au lecteur de hurler. La mise en scène de son décès en rajoute des caisses tout comme la redoutée conversion de notre héros en mort vivant. Le dernier dialogue entre Rick et son fils est à la fois émouvant et divulgacheur : avec ce que les personnages se disent, avec la situation du héros qui, après un dernier acte de bravoure rentre chez lui seul et au crépuscule, aucun doute n’est permis : Rick Grimes va mourir.
Là où Kirkman fait une dernière fois montre de roublardise, c’est en glissant d’un genre, le film de zombie à un autre, le Western. Si les personnages arboraient des chapeaux, des flingues et montaient des chevaux, la comparaison n’allait jamais plus loin. Or, comme Garth Ennis dans PREACHER, Robert Kirkman décide de donner à sa série une conclusion de Cow-Boy et ça marche du tonnerre. La mort de Rick n’est pas sans rappeler celle de Jesse James par le lâche Robert Ford. En donnant à son héros une dimension légendaire, Kirkman évoque clairement LIBERTY VALANCE. Et en terminant son récit avec la finalisation d’un nouveau chemin de fer, on est quasiment dans le final de ONCE UPON A TIME IN THE WEST.
Le choix de Kirkman est audacieux et rationnel, ce n’est ni de la pose, ni de la paresse scénaristique. On se rappelle que les grands Westerns racontent le passage de la conquête de l’Ouest à une nation civilisée où les conflits ne se règlent plus par des duels dans les rues. Comme Kirk Douglas dans SEULS SONT LES INDOMPTÉS, Rick Grimes est un héros fatigué, désormais en dehors du temps. Il aura sauvé ses amis de la mort, tué (beaucoup) pour rester en vie et installer son utopie et il commence ce volume en éteignant le feu d’une guerre civile. La même maintes fois représentée entre le Nord et le Sud dans les Westerns. L’heure n’est plus à la vengeance mais à la justice, à l’obéissance d’un leader autoproclamé sur le sang de conflits incessants mais d’élections organisées et respectées.
Cette mort devient indispensable pour terminer la série. Rick, le père de la nation doit mourir pour que vivent les enfants qu’ils a sauvés. Le libéralisme mis en place par la gouvernante Milton reprenant le schéma d’humiliation et d’oppression des classes dominées est rejeté. La série se finit de manière optimiste où tout est à reconstruire, sans la violence de Rick mais par le sens de la justice de Michonne et le pragmatisme de Maggie.
Avec un nouveau saut dans le temps, Kirkman donne la vedette à Carl devenu adulte et père de famille. L’intrigue est très habile : avec la notion de sécurité, apparaît celle de propriété. Carl abat sauvagement des zombies de foire et le propriétaire porte plainte contre lui pour atteinte à sa liberté d’entreprendre.
Le dernier épisode de WALKING DEAD se passe donc…devant une cour de justice où le vieux monde, celui des pionniers se confronte aux enfants qui n’ont jamais connu l’horreur et veulent vivre sans avoir des vieux pour leur rappeler leur devoir de mémoire. Kirkman écrit des scènes intéressantes où les jeunes se moquent de nos héros et trouvent les zombies cools par pur besoin révolte. Un peu comme les Punks arborant des croix gammées dans les années 70 pour faire chier leurs parents.
Tout ça donne dans le Western nostalgique mais jamais crépusculaire. Kirkman donne des nouvelles de tous ces personnages avant de nous quitter. Il offre une belle séquence muette à la Bendis où tout le casting réagit silencieusement à la mort de Rick. Et verse parfois dans l’éloge inconscient de son travail. Cette statue qu’il dresse à Rick , ce visionnaire qui aura toujours surpris son entourage et offert plus que l’on attendait de lui, ne serait-ce pas le scénariste lui-même qui aura bouleversé le paysage du comic book et fait de Image le nouveau Vertigo ? Carl qui ne parvient pas à se résoudre à la mort de son père, ne serait-ce pas le miroir de son lecteur dépité de quitter un univers où il se sentait bien malgré le danger omniprésent ? (ce qui n’est pas le cas de CROSSED et son univers terrifiant).
Kirkman s’offre la coquetterie de l’auto-citation : il reprend pour le plus grand plaisir du fan de longue date le célèbre discours : We are the walkingd dead avec une variation qui donne le frisson. Il incruste dans la tirade finale de l’album, la fameuse postface de la VO : il aura fallu que le monde soit dirigé par les morts pour que l’on réapprenne à vivre.
Souvent verbeuse, engluée dans l’inaction la plus totale et inutilement cryptique quant au destin de Negan (à tel point que Kirkman se sent obligé d’apporter des éclaircissements sur son sort en postface), cette fin de WALKING DEAD reste très satisfaisante et permet de conclure une saga qui gagnera à être lue avec la direction inédite que donne Robert Kirkman à la toute fin de sa série. Le temps montrera, soyons-en sûrs, l’infinie richesse de cette saga qui aura changé à tout jamais la zombie-culture et la culture populaire. Laissons-la reposer en paix désormais : elle l’a bien mérité !
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Declourt publie cette semaine la conclusion de WALKING DEAD. L’occasion de faire le bilan de cet épilogue chez Bruce Lit.
La BO du jour
Walking Dead est une oeuvre colossale… j’ai un peu peur que Kirkman se soit cramé avec ses deux œuvres les plus intimes Walking Dead et Invincible…mais déjà à ce stade il a pulvérisé tous les records pour les décennies à venir et est devenu l’un des plus grands auteurs actuels de comics…
Chapeau bas à celui qui a réussi à dépasser sont statut de fanboy…
Alors finalement, combien d’épisodes au total pour la série ?
Ayant renoncé à regarder la série TV au delà de la 8ème saison, j’ai encore moins envie de me plonger dans le comics… Mais j’ai lu l’article avec attention et je suis heureux pour les fans que Kirkman ait réussi à boucler sa saga.
A présent, je m’interroge plutôt sur l’idée de me prendre la série INVINCIBLE qui va probablement être rééditée en collection intégrale…
193 épisodes
INVICIBLE est aussi massif que WD. Je lis la série en intégrale et c’est vraiment bien (en sautant quelques passages avec plein d’aliens, de vaisseaux et de robots qui m’avaient découragés en première lecture ).
Beaucoup plus court en fait pour Invincible 🙂 : 144 épisodes au lieu de 193.
Superbe panégyrique, amplement mérité pour cette série d’exception.
La mise en scène de son décès en rajoute des caisses : l’une des marques de fabrique de l’écriture de Robert Kirkman, c’est aussi pour ça que ça marche si bien.
Le dernier épisode se passe donc devant une cour de justice. – Je m’en veux de ne pas avoir relevé un symbole aussi fort. Merci de l’avoir mis en lumière.
Toujours pas lu l’épisode précédent et donc celui-ci… Je passe donc la lecture pour pouvoir revenir une fois les bds lues.
La BO du jour : un album très moyen du thin white duke. Cette version acoustique est plutôt inoffensive.
Sur la BO, c’est un album que j’ai détesté d’office à sa sortie car Bowie avait promis la suite d’Outside. A la place il convoitait les places de Moby ou de Laurent Garnier dont je me foutais éperdument. Effectivement, ce n’est pas une chanson très intéressante, mais le titre convenait parfaitement au propos.
Exact, j’avais bien analysé ce choix ainsi 😉
Je suis la série Walking Dead depuis le 1er jour. J’ai, plusieurs fois, failli ne plus la suivre, me disant qu’il n’y avait plus grand chose a dire ou à faire avec cette série. Les intrigues devenant répétitives avec toujours les mêmes ressorts narratifs.
Malgré tout je n’ai jamais arrêté car, tome après tome, Kirkman réussissait encore à m’étonner grâce a la caractérisation de ses personnages et l’intelligence avec laquelle il mettait en scène leurs relations humaines.
Car, en définitive, Walking Dead est bien sûr un comic de zombies mais avant tout, un drame social. Les morts vivants n’étant qu’un prétexte à une analyse profonde de la nature humaine. c’est, selon moi, ce qui fait son principal attrait.
Kirkman a décidé de mettre fin à la série. Je trouve que c’est une décision courageuse.
Elle n’a pas du être simple à prendre vu le succès commercial de la série !
@Surfer : c’est effectivement ce que je tente d’expliquer dans mon préambule : WD prouve qu’il est possible d’être une réussite à la fois commerciale et critique. Que l’on peut vendre et très bien vendre et garder son intégrité. L’humanité et les principes de Kirkman ne dérogent pas avec ce qu’il a prêché dans son oeuvre, et vraiment ça fait plaisir.
Il y a un peu moins d’un an, je décidai de lire le premier TPB de WD pour me faire une idée, impossible de passer complètement à côté.
Résultat je me suis tout enquillé, le tout parfaitement raccord pour lire la conclusion de la série quasiment à sa sortie. Merci Bob!
Après, engloutir 16 ans de série en quelques mois ne permet pas de bien tout digérer, mais le moins qu’on puisse dire est que je n’ai pas été déçu.
Après, engloutir 16 ans de série en quelques mois ne permet pas de bien tout digérer
D’autant, et je ne l’ai remarqué que récemment les dialogues de Kirkman sont parfois parfaitement inutiles.
Je n’ai lu aucun numéro de TWD, et je me suis spoilé la fin avec grand plaisir grâce à cet article !
Ça donne presque envie de lire juste le dernier tome (oui parce que rattraper 193 numéros, je ne suis pas sûre d’avoir le courage…)
La conclusion a l’air d’être à la hauteur de la série (comics, j’entends, parce que TV, ça a l’air mal parti).
J’essaye de m’imaginer l’impact du dernier épisode sans avoir lu ce qui précède, et à mon avis tu te gâcherais l’expérience. 193 épisodes, ça a l’air de faire beaucoup, mais donc, d’expérience : ça se lit vite 🙂
Très belle conclusion Bruce. Tu soulèves un point que j’avais raté : « La mort de Rick n’est pas sans rappeler celle de Jesse James par le lâche Robert Ford. En donnant à son héros une dimension légendaire, Kirkman évoque clairement LIBERTY VALANCE. Et en terminant son récit avec la finalisation d’un nouveau chemin de fer, on est quasiment dans le final de ONCE UPON A TIME IN THE WEST. »
C’est tout à fait ça. Tiens, je viens de revoir SILVERADO dont je n’avais aucun souvenir, c’est un excellent western pas du tout crépusculaire et très respectueux du genre. De l’aventure, de la vraie.
Moi aussi j’ai pensé à Bendis devant cette double planche remplie de cases de têtes silencieuses. Ton article complète bien celui de Présence, puisque tu remets la série à sa place dans la culture mondiale. Ce n’est pas pour rien que Kirkman cite GAME OF THRONES dans sa postface…
Oui, oui, Bendis évidemment.
J’y ai aussi vu un subtil clin d’oeil aux têtes collectionnées par Le Gouverneur.
@Présence : j’en suis au tome 13 de INVICIBLE, et c’est toujours aussi bien.