Le défi Nikolavitch : On dit BD ou Roman Graphique ?
Un article de ALEX NIKOLAVITCH
Illustration de couverture : MATTIE-BOY
1ère publication le 08/07/19 – MAJ le 26/06/22
Chaque mois, Alex Nikolavitch, traducteur, romancier, essayiste, scénariste et contributeur de Bruce Lit est mis au défi de répondre aux plus grandes énigmes de la culture populaire.
J’avais décapsulé deux bières, que j’avais posées sur la table, pile entre nous. C’était dans l’un de ces moments où l’hospitalité permet à l’homme de secouer de son âme les poussières du chemin. Un moment dont la bonhomie ne masque pas tout à fait l’antique sacralité, la forme de communion simple que représente le fait de recevoir sous son toit un commensal, et de le prendre ainsi sous sa protection et sa responsabilité. Je sortis ensuite deux grands verres. J’en posai un devant mon invité, et cérémonieusement, je commençai à l’emplir du liquide pétillant et ambré, quand soudain la magie de l’instant fut brutalement et irrémédiablement rompue.
« Au fait, toi, tu fais de la ‘bande dessinée’ ou du ‘roman graphique’ ? »
La bière cessa de couler. En fait, je vidai d’autorité le reste de la bouteille dans mon propre verre. L’hospitalité a ses limites. Faut pas déconner avec certaines choses, merde. Parce que là, il m’a énervé, le Monsieur Bruce.
Je lui adressai un sourire/rictus pincé à la Cersei Lannister, faisant mine de ne pas avoir compris. Je ne suis pas un sauvage, je laisse toujours une chance à l’adversaire de se rendre compte de son faux pas. Appelé ainsi parce qu’il y a des trucs, faut pas. Non, mais vraiment pas.
« Non, sérieux… ‘BD’ ou ‘roman graphique’ ? »
Il insistait, le bougre.
J’empoignai mon verre et le vidai d’un trait.
Le rot sonore qui s’ensuivit servit de salve liminaire à la longue tirade entrecoupée d’éructations haineuses qui s’ensuivit.
–insérez ici une bordée de jurons, de blasphèmes, de bruits triviaux et d’insanités correspondant à la première partie de mon homélie–
Bon… Non, en vrai, je vais être un peu sérieux, pour une fois. Parce que le sujet est important, dépassant de loin la simple querelle sur les mots. Les plus naïfs d’entre vous vont me demander où est le problème. En fait, il n’y a pas de problème dans l’expression en soi. La dénomination « roman graphique » ne me pose absolument aucun souci. C’est un format tout à fait intéressant et légitime.
J’ai, dans mes étagères, des tas de romans graphiques. Des gens ont considéré que certains trucs que j’ai faits étaient des romans graphiques. Et ils employaient l’expression comme un compliment.
Non, ce qui me gonfle, ce sont les gens qui disent « ah non, confondons pas tout, ça ce n’est pas de la bande dessinée, c’est un roman graphique ». Il y a une place pour eux en enfer, juste à côté de celle de ceux qui disent « je ne fais pas du dessin animé, mais du film d’animation », et de ceux pour qui « la science fiction, c’est vulgaire et puéril, contrairement à l’anticipation ». Que les quarante-deux diables glaireux leur bouffent le foie de l’intérieur. Avec de la harissa pour faire bonne mesure. (mention spéciale à cette mode idiote, il y a une petite vingtaine d’années, consistant à distinguer « le manga » de « la manga », le second, la seconde, pardon, étant vu.e comme noble et de bon goût par opposition aux outrances du premier).
Mais élargissons le champ. Quand je fais des ateliers BD avec des jeunes, ils viennent souvent « faire du manga ». Et quand ils m’entendent dire « en bande dessinée, on fait comme ci et comme ça », ils me disent « oui, mais en manga ? »
Et je leur réponds : ma définition de la BD est la suivante : « un art séquentiel, narratif et graphique », qui s’applique aussi bien au Franco-belge qu’aux Fumetti, au Manhwa, au Manga, aux Comics et ainsi de suite. La base est la même, et c’est sur le détail des outils (codes narratifs, par exemple, bien plus d’ailleurs que sur les codes graphiques) que se fera la différence. J’envisage la bande dessinée en tant que média, en m’intéressant plus aux invariants de sa construction qu’à ses particularismes (qui répondent de toute façon, essentiellement, à des notions de goût local, de modes du moment, etc.).
Donc les distinctions sur le strip, l’album, le roman graphique… Ce sont des catégories internes à ce média. Et comme toutes les catégories de ce genre, elles sont d’une grande utilité (tout comme l’anticipation dans le cadre de la SF, aux côtés du space opera, de la speculative fiction, de l’uchronie, etc.).
L’intérêt, quand on raisonne en termes de média, c’est que fatalement on ne peut plus faire l’économie d’une réflexion sur les formats. C’est très McLuhanien : le format choisi va conditionner la narration, la façon de raconter, et donc peu ou prou ce que l’on raconte. Le même récit, développé au départ pour un format strip quotidien, ou sur deux pages hebdomadaires, sur quatre pages hebdomadaires, sur un manga en revue de vingt pages hebdomadaires, sur un comics de vingt-deux pages mensuelles ou un album de quarante-quatre pages à suivre, ou un roman graphique en one shot de deux cent pages verra ses chevilles narratives réparties différemment, ses cliffhangers éventuels rythmés complètement différemment aussi. Même la taille de la page joue sur la façon dont on construit le récit. Sans qu’une manière soit meilleure qu’une autre. Elle est simplement plus adaptée à un format qu’à un autre.
Et donc, à partir de là, poser la supériorité sur « roman graphique » sur tout le reste est une absurdité. C’est une modalité, c’est tout. D’autant qu’au fil du temps, l’expression a désigné des choses très différentes.
Elle a été crée en anglais (« graphic novel ») entre la fin des années 60 et le début des années 70 pour désigner des formats nouveaux, et s’est imposée à l’époque où Will Eisner sortait son Contrat. D’autres expressions concurrentes ont existé, dont « visual novel », pour certaines expériences de Gil Kane.
En France, dans les années 80, la collection « à suivre » accola l’expression « roman à suivre » à des albums d’un format nouveau, plus épais, en N&B, contenant des récits nettement plus adultes, avec dans le tas les Corto Maltese d’Hugo Pratt, le Chninkel de Rosinsky et Van Hamme, le Silence de Comes, l’Ici Même de Forrest et Tardi. Tout un tas d’histoires dont les premières publications s’étaient pourtant faites en magazine, avec les contraintes formelles que cela supposait. Mais ce format a ravi l’intelligentsia, et a permis à la BD d’obtenir une reconnaissance académique et sociale. Un ministre pouvait sans déchoir s’afficher avec un Corto.
D’ailleurs, parlons-en un peu de Corto. Ce fer de lance d’une BD « romangraphiquesque » plus élégante, plus intelligente, etc. Corto, à la base, c’est du récit d’aventures chimiquement pur, dans la droite ligne de bandes plus anciennes comme Ramenez-les vivants, et globalement dans la grande tradition italienne de la BD populaire de divertissement, celle des Tex Willer, Martin Mystère, etc. Il y a de la romance, du suspense, la dose convenable de violence et de sadisme, des références historiques et géographiques. Sur La Ballade de la Mer Salée, la première histoire publiée de la série, on sent bien que l’auteur navigue à vue sur le principe non du roman graphique, mais du roman-feuilleton, un peu à la manière d’un Alexandre Dumas. D’où le caractère parfois décousu de l’ensemble et l’évolution parfois étrange de certains personnages (qu’on ne s’y méprenne pas, je vénère cet album. Mais l’évolution des persos évoque exactement ce qu’on retrouve dans les comics, quand il faut dix ou vingt numéros pour que le personnage trouve sa forme « classique).
Mieux encore, la suite, des récits courts (donc en toute bonne logique des « nouvelles graphiques » plutôt qu’un « roman graphique ») sort au petit bonheur la chance dans Pif Gadget, aux côtés de Doc Justice, de Supermatou et de Rahan, de la pure BD populaire. Et la suite parut dans France Soir, pas un quotidien apôtre du bon goût, c’est rien de le dire. Donc l’antithèse de ce que doit être, dans l’esprit de ceux qui postulent sa supériorité ontologique, le roman graphique.
Fermez le ban, roulement de tambour, rideau. Et un grand coup de cymbales pour la route.
Non, je reviens, en fait. Je n’ai pas fini ma diatribe. Parce que, comme je le disais, le cas n’est pas isolé. Le snobisme de la dénomination qui exclut, on le retrouve partout. Pour la science-fiction, par exemple, j’ai même vu « roman philosophique » pour décrire un bouquin pas mal foutu, mais qui croyait réinventer la poudre alors qu’il ne faisait que recycler des thèmes et des concepts développés au fil des trois décennies précédentes par la SF. Mais l’auteur étant un ancien conseiller présidentiel, ça l’aurait foutu mal qu’il se commette dans la science-fiction. Du coup, il méconnaît le fait que tout bon roman de SF est un roman philosophique : il interroge le réel.
Cela va plus loin, c’est révélateur d’une de ces dichotomies absurdes dont la pensée se repaît. Vers contre prose (oui, précepteur de Monsieur Jourdain, c’est de toi que je cause), matheux contre littéraires (ce qui conduit les gens qui s’inscrivent dans ces deux catégories à méconnaître les cadres de pensée de l’autre, ce qui fait que les bons philosophes des sciences sont rares, et que les questions d’éthique sont systématiquement laissées aux religieux) et surtout, parce que c’est celle qui nous occupe aujourd’hui, haute culture contre culture populaire, avec l’idée voilée mais toujours présente que la seconde soit vulgaire par principe (c’est précisément ce que signifie le terme « vulgaire », d’ailleurs : « ce qui a rapport au peuple », et le glissement de sens actuel en dit long sur la vision du « peuple » qu’ont nos élites).
Qu’il existe une culture savante, nul ne le nie, et moi pas plus que quiconque. Pas mal d’œuvres demandent une éducation un peu poussée pour être pleinement appréciées. C’est vrai en musique, en peinture, en littérature… Qu’il existe des formes ultra-populaires, comme les télé-réalités, c’est également une évidence. Du coup, nul ne mettra dans le même sac la musique de Steve Reich et les émissions d’Hanouna.
Sauf qu’il y a une foultitude de trucs entre les deux. Mieux encore, des choses qui étaient considérées comme faisant partie intégrante d’un des deux bords ont largement glissé, s’installant à cheval sur les deux, avant de basculer de l’autre côté. Les musiques de voyous du début du vingtième siècle, par exemple, comme le tango et le jazz, sont devenus des choses raffinées, voire des plaisirs d’intellectuels. Alexandre Dumas est panthéonisé, considéré comme un des grands écrivains de la langue française, mais culturellement, il se trouvait de son vivant sur le slot occupé de nos jours par des séries télévisées phénomènes du genre Game of Thrones. Il produisait du pur feuilleton de divertissement, avec cliffhangers et coups de théâtre.
Sur l’année et demie écoulée, j’ai participé à plusieurs événements universitaires, tables rondes et colloques, consacrés aux comics et aux pulps, deux formes ultra-populaires et longtemps méprisées, mais qu’on étudie de nos jours avec le plus grand sérieux, reconnaissant leur apport au champ culturel en général.
Les allers-retours entre culture savante et culture populaire sont perpétuels, comme le prouvent le Pop Art, les affiches publicitaires de Mucha considérées à présent comme des œuvres de pur génie, ou l’intérêt médiatique que peut susciter la venue en France d’un Frank Miller ou d’un John Carpenter.
La réalité brute, c’est qu’il n’existe pas de distinction franche entre haute culture et culture de rue, qu’elles existent dans un continuum mouvant. Vouloir se couper des racines populaires du roman graphique est une absurdité. Bien sûr, il existe une BD très conceptuel, comme peuvent le prouver l’Oubapo (équivalent bédéistique de ce qu’a pu être l’Oulipo de Queneau, Calvino et consorts) et les expériences narratives de Jochen Gerner (son TNT en Amérique reprend l’album d’Hergé en le narrant à l’aide de pictogrammes). Mazzucchelli, au départ auteur de comics de super-héros mainstream, fait désormais de l’intimiste expérimental.
Et puis quelle bande dessinée populaire, au juste ? Pour un Titeuf, un XIII ou un Astérix dont les chiffres sont d’un ordre de grandeur du demi-million, combien de séries ultra-mainstream dans la forme arrivent-elles péniblement à vendre dix mille exemplaires, voire plafonnent à cinq mille ? Combien de mangas, genre ultra grand public par excellence, puisqu’il représente en volume près de la moitié des ventes du secteur BD en France, ne dépassent pas les deux mille ?
Et revenons sur les œuvres demandant une éducation pour être appréciées. Tout genre demande l’assimilation de ses codes et de sa nature pour être pleinement compris. Que ce soit le polar, la SF, le roman à l’eau de rose. En bande dessinée, la chose est compliquée par l’interaction texte-image. Rien que le sens de lecture n’a rien d’évident en soi. C’est l’habitude prise dans le jeune âge qui permet d’apprécier les jeux narratifs et formels d’un Alan Moore, d’un Andreas ou d’un Taniguchi. Le Pluto d’Urasawa prend tout son sens quand on connaît Astroboy. Collez From Hell dans les pattes de quelqu’un qui n’a jamais lu de BD de sa vie, et la réaction risque d’être intéressante, entre l’incompréhension et le rejet, au même titre qu’une représentation de L’Opéra de Quat’Sous pour quelqu’un qui n’aurait jamais vu un opéra de sa vie. Ces personnes n’auraient tout simplement pas les codes pour apprécier ces œuvres. Borges raconte un phénomène de ce genre dans La Quête d’Averroès : un voyageur arabe doit expliquer la représentation théâtrale à laquelle il a assisté à l’autre bout du monde à des amis, pourtant fin lettrés, qui ignorent tout du théâtre. Ironiquement, l’un d’entre eux traduit et commente La Poétique d’Aristote, qui ne parle que de théâtre et de la façon dont on écrit et structure une pièce et ne parvient pas à faire le rapprochement entre ce texte, qui lui semble énigmatique, et l’étrange spectacle qu’essaie de lui raconter son camarade.
Beaucoup de ces distinctions sont artificielles et ressortent de problèmes mal posés. Parfois délibérément mal posés, d’ailleurs. Il est toujours confortable de s’auto-proclamer ayatollah (ou grand mamamouchi, grand timonier ou référence suprême) d’un champ qu’on a soi-même artificiellement défini.
« Ah, tu t’es souvenu que je ne buvais pas de bière », me glisse Monsieur Bruce.
Avec un soupir, je sors une bouteille de pinard de derrière les fagots. C’est vrai que ça fait prolo, la bière. C’est pas une boisson de gens sérieux. Mais c’est pas plus mal, ça m’en fera plus pour moi.
—-
La BO du jour
D’un côté j’applaudis de l’autre je réajuste mon monocle en soupirant d’aise. Merci pour la démonstration. Je me souviens de l’affaire LE ou LA Manga, la deuxième était chiante parce qu’il fallait tout accorder…et moi et les accords…
super fun lire et très juste…
Je commente l’article tout à l’heure.
Juste pour féliciter et remercier en core Matt pour ses dessins d’illustrations. Celui-ci sera mon préféré, en espérant que Alex ne teigne pas en roux. Une pochette conceptuelle qui fonctionne du tonnerre (de Brest).
ah, c’est que je suis très bien, en rousse flamboyante !!
(j’ose jamais remercier Matt, j’ai toujours peur qu’il en profite pour m’en mettre encore plus dans la tête à chaque fois)
(mais merci, Matt)
Ah ben c’est sûr que c’est une bonne technique pour me décourager de ne rien dire^^
Imaginez si JP n’avait jamais de commentaires sur ses Figure Replay. Il aurait déjà arrêté je crois.
C’est sûr que c’est toi la star des défis mais bon…
Mais ça va, je te ridiculise pas trop quand même, si ?^^
Pour la version Tintin Nikolavitch, j’ai changé l’absence de cheveux en houppette en plus, j’suis gentil^^
marrant, à l’école de pharma, mes camarades me surnommaient « Tintin », justement
Un vrai débat s’est instauré d’ailleurs : Tintin est roux ou blond ?
En fait, plus que Tintin, ça a un côté Adam Savage…
Hello,
Et merci pour cette démonstration éloquente. L’art et la manière de définir le propos tout en restant très pédagogique…
J’aurai appris plein de choses aujourd’hui !
D’abord, je n’ai jamais entendu parler de cette histoire de LE manga ou LA manga…
Ensuite, j’aime quand on casse le snobisme. Et ici c’est fait de manière très instructive et irréfutable. Et avec la pointe d’humour caractéristique qu’on aime.
C’est top de faire des ateliers bande dessinée.
J’ai une nièce férue de dessin, pour l’instant style manga, et je trouve ce genre de discours trop rare, malheureusement. Le style manga ferme encore des portes… Alors qu’elle est talentueuse (enfin je trouve 😉 )
Bravo à Matt pour la couverture !
après, il ne faut pas qu’elle s’enferme dans un style. même son style manga progressera si elle fait des pas de côtés, si elle s’abreuve aussi à d’autres traditions graphiques.
En découvrant le thème de cette chronique, je me suis dit que ça n’allait pas beaucoup m’intéresser ce coupage de cheveux en quatre, sur une question aussi artificielle. Je commence par voir le dessin, et là déjà je souris franchement devant ces 2 images accolées, jouant sur l’opposition dans le pourtour habituel, une forme d’art séquentiel, narratif et graphique.
Je me rends compte de la suffisance de mon a priori, en découvrant que justement Alex n’hésite pas un seul instant à donner sa définition de la bande dessinée, un exercice d’une complexité insoupçonnée, ce qui me renvoie immédiatement à L’art invisible (1992) de Scott McCloud, et je m’aperçois qu’on y retrouve les mêmes caractéristiques, la réaction esthétique se cachant dans le mot Art. Bon, j’étais complètement à côté de la plaque et ça va être un article inspiré, tout en pédagogie élégante et humoristique.
Le format choisi va conditionner la narration. – Mince, et moi qui vient tout juste de découvrir Marshall McLuhan cette année, dans l’introduction de The One de Rick Veitch, j’aurais mieux fait de ne pas la ramener. J’ai pris un énorme plaisir à découvrir l’historique de l’utilisation du terme Roman graphique en France, n’ayant aucune idée de la manière dont il avait été utilisé au fil des décennies. La mise en perspective dans l’opposition Culture populaire / Haute culture est très édifiante.
Merci beaucoup pour cette présentation de haute volée.
Merci de préciser qui est McLuhan : encore de la culture ! Et qui me parle, a l’air extrêmement intéressant. Plein de trucs que j’oublierai sans doute ! C’est horrible.
McLuhan est le fameux théoricien qui a inventé la sociologie des médias et prophétisé que nous vivrions dans un village global .
Très inspiré sur ce coup, Alex ! Je partage ton point de vue (merde, comment va-t-on pouvoir débattre et polémiquer si on est tous d’accord ?)
Ceci dit, ce défi était moins délirant que d’autres, ça se voit que tu n’avais pris qu’une bière !
Et Bruce ne boit pas de mousse ? C’est vrai ça ? Quel snob, celui-là 😉 !
on n’a qu’à polémiquer sur bière, pinard et autres poisons
Un article très intéressant qui allait m’intéresser, je le sentais. Je me doutais que ça parlerait de modes, de snobisme avec de jolis mots pour que les gens aient l’air moins cons. J’ai donc particulièrement apprécié de voir que certains « romans graphiques » respectés étaient issus de magazines pas du tout respectés^^ Comme quoi ça veut juste rien dire, c’est histoire de se la péter un peu.
C’est même une réflexion qui peut s’étendre aux films. Même si de la même façon il y a des films plus intello et d’autres purement divertissants (et débiles), la notion de cinéma de genre si longtemps mal vue est aujourd’hui plus respectée. Et les films sur lesquelles la critique crachait dans les années 1970 car trop violents, ou vulgaires ou « dangereux pour la jeunesse » sont aujourd’hui étudiés comme des précurseurs de films modernes plus respectés. Y’a encore du boulot parce que bon…tout n’a pas encore droit au respect qu’il mérite, mais c’est intéressant de voir ces changements de points de vue, de tendances.
sur le ciné, voir par exemple Tarantino qui fait du post-modernisme à partir de genres méprisés ou « mineurs » comme le film de kung-fu ou le shambara
Oui, et ce qui est « marrant » c’est aussi que Tarantino devient moins populaire et que les vieux films sont exhumés^^
ça ne veut pas dire que ce sont tous des chef d’œuvre hein, c’est du cinéma populaire parfois fauché mais on leur redonne une place en les voyant ressortir en DVD ou blu-ray avec des restaurations.
Le truc, c’est que tout type d’art se nourrit de ce qui a déjà été fait, parfois de films ou BD populaires, et qu’il est impossible de se dire que les grands auteurs seraient devenus ce qu’ils sont si les œuvres « mineures » n’avaient pas existé. Tout a une importance en fait. On peut être influencé par n’importe quoi, même un truc raté qui nous a fait rêver gamin.
ça ne veut pas dire que tout se vaut (je vois venir le Tornado là^^) mais que tout a son importance dans l’évolution d’un art. Car même un truc raté peut donner des idées qui seront mieux exploitées par la suite. Et parfois ceux qui osent des trucs en premier ne sont pas ceux qui réussissent le mieux. Mais le fait d’avoir osé peut en inspirer d’autres.
Les films aux effets spéciaux de Ray Harryhausen par exemple, ce ne sont pas des chef d’œuvre. Pour moi certains sont de très bons films d’aventures, mais ça s’arrête là (et d’autres sont un peu ratés et bien kitsch^^) mais le nombre de réalisateurs et de créateurs d’effets que ce mec a inspiré est impressionnant.
Super boulot de vulgarisation. Je suis d’accord sur tout, absolument tout. Et aussi sur la réussite du dessin de Matt (mon préféré aussi).
L’image du ministre avec un Corto sous le bras est très parlante. Je connais dans mon entourage des intellos qui se gargarisent d’avoir acheté le dernier Bilal, mais qui t’envoie une oeillade condescendante si tu leur dit que tu lui as préféré un comics…
Quant à moi j’aime le vin et la bière, et même la gnole. Mais attention, là dedans, tout ne se vaut pas ! 😀 (je veux dire qu’une Cronenbourg ça vaut pas une bonne bière brassée artisanale et qu’une bouteille de Villageoise vaut pas un Meursault…(c’est évident, non ? (et merci à Alex pour le passage idoine))).
La même problématique sévit au Québec.
J’ai été appelé, il y a quelques mois, à faire un exposé auprès des employés d’une librairie qui se posaient justement la question «Comment distinguer les romans graphiques des BD dites plus traditionnelles?»
Je suis très heureux de constater que ma réponse de passionné amateur est allé exactement dans le même sens que la vôtre!! La construction de ma présentation suivait exactement le même plan que votre billet!!
J’ai, moi aussi, commencé par établir que c’est une question de format (strips, comics, manga, récit à suivre, roman graphique… tous sont des BD). Puis, j’ai complété avec l’élément populisme vs intellectualisme (musique pop vs musique classique / graffitis vs art contemporain ou classique / best seller vs prix Goncourt / block buster hollywoodien vs film d’auteur…), ce qui teinte le débat d’un manichéisme déplorable (l’un est moins bon, inférieur, donc l’autre est obligatoirement supérieur, meilleur!).
C’est curieux de voir que, malgré l’océan qui nous sépare, nous en soyons venus à la même conclusion!! ;^)
Un article magnifique et essentiel lui-même illustré comme une BD ! Je suis très heureux d’en être le ressort comique, même si nous sommes toujours très en deçà de la réalité.
Sur le snobisme, je serai plus indulgent (pour une fois). Heureusement que le snobisme existe, parce que sinon, tout le monde serait d’accord et ce serait pénible. D’ailleurs, comme les cons, nous sommes aussi tous les snobs de quelqu’un non ? Le mec fan de Claydermann ou Patrick Sebastien va, à juste titre, se sentir ostracisé par les admirateurs de Thelonious Monk ou Lenny Bruce.
Comme TOrnado, je pense qu’une hiérarchisation est inévitable chacun ayant son propre panthéon. Un artiste reconnu, c’est celui qui regroupe le maximum de ses panthéons, non ?
J’avoue également un autre péché : si je me place du point de vue du Dandysme, le snobisme a engendré de fort belles choses. Oui, j’aime AC/DC, Alice Cooper, les Ramones ou les Pistols, ce que d’aucuns qualifieront de rock de prolo. MAis comme ton article l’explique, le balancier, c’ets bien aussi. Bowie, Roxy Music, Pulp, Christophe, Bashung, Gainsbourg ont pratiqué avec merveille le snobisme rock. Mais , et c’est la magie d’un Gainsbourg par exemple, c’est de pouvoir écrire MELODY NELSON puis VU DE L’EXTERIEUR et ses chansons sur les pets. Avec le temps, c’est ce dernier que je préfère.
De Melody à des pets des poums,
De la culture geek à la culture tout court,
il n’y a que les ponts entre ces cultures qui soient magiques d’explorer.
Puisque tu parles du format, je me demandais pour un prochain défi : le TPB a’t-il changé la manière d’écrire des comics ?
@JP: + à la bière, oui, mais je n’ai jamais snobé les Mojitos 😉
Nan mais on peut aimer ce qu’on veut. L’erreur c’est de rejeter une partie de la culture populaire comme si c’était de la merde, parce que tout a participé à en arriver à…où on est. Donc évidemment qu’on va trouver certains trucs à chier, que tout n’est pas de qualité égale, mais il ne faut pas coller des étiquettes « truc honteux qui n’aurait jamais du exister » sur des genres ou catégories entiers en prétendant que seuls les « grands » auteurs comptent. Le snobisme c’est ça, c’est cracher à la gueule d’un truc en rejetant tout impact qu’il aurait pu avoir, parce que les snobs ne supportent pas l’idée qu’un truc qu’ils détestent a pu avoir de l’importance.
Excellent article qui pointe l’une des questions existentielles les plus importantes des bédéphiles de ces trente dernières années (au moins) ! 😉
Non content d’attiser les querelles des esthètes du neuvième art, le terme « roman graphique » peut aussi être source de confusion pour le lecteur de proses égaré : il y a deux ou trois ans, à l’occasion d’une formation intitulée « De la BD au roman graphique en Bac Pro », quelques collègues avaient été surpris de découvrir qu’un roman graphique, ce n’était pas un roman « classique » adapté en bande-dessinée ! Bon, il y a des cas de romans adaptés en BD que l’on qualifie de « roman graphique », mais ça n’a quand même rien à voir (et les collègues en question semblaient un peu déconfis après avoir compris que ça parlerait autant de Gros Nez ou de BD reporter à la Joe Sacco que d’adaptation de Flaubert (d’ailleurs il en a été question, mais plus de libre-interprétation que de retranscription puisqu’il s’agissait de Gemma Bovery de Posy Simmonds qui s’inspire du célèbre roman quasi-éponyme de l’ami Gustave)).
Bruce a dit « Puisque tu parles du format, je me demandais pour un prochain défi : le TPB a’t-il changé la manière d’écrire des comics ? », et ce question m’offre un formidable pont vers une seconde anecdote qui témoigne elle d’un mal bien enraciné dans la culture comics : on accole du « graphic novel » sur tout et n’importe quoi, du moment que ça fait « classe » ou « sérieux ».
L’infortuné Grey Pigeon du podcast Comicsphere en a fait les frais il y a quelques mois lorsqu’il s’est pris le choux sur Twitter avec un vendeur de comics américain qui lui affirmait que Watchmen, c’était du graphic novel ! J’ai oublié les détails de l’affaire, mais en gros les arguments du connaisseur à l’autorité autoproclamée comme indépassable car il bossait « dans le milieu » tournaient autour de pas grand chose, le type cherchant juste à mettre en valeur certaines oeuvres qui deviendraient plus vendeuses quand on leur accole cette étiquette, et tant pis si Watchmen à la base est sorti en douze numéros comme une bonne grosse maxi-série des familles.
Mais quelque part… est-ce que ça ne pourrait pas marcher si on triture un peu le sens de « graphic novel » comme l’évoque Alex dans son article ? Si on considère qu’un graphic novel est avant tout une BD à l’histoire auto-contenue (voir à l’univers contenu à cette seule histoire, comme c’était le cas lors du Watchmen avant les Before) dont la finalité le mène vers un album unique, Watchmen est-il si loin du graphic novel ? Ou bien est-ce juste un complot des marketteux qui ont bien profité de la bande-annonce du film de 2009 où on nous balançait aussi qu’il s’agissait de l’adaptation du « most celebrated graphic novel of all time » ? Le lecteur moyen de comics au final s’en fout un peu de ces querelles de chapelle, mais peut bien se marrer en se disant que c’est comme grâce à Marvel et à sa ligne des Marvel Graphic Novels que le terme s’est répandu (et pan ! dans les dents du snobisme :-p )
Oui, Watchmen s’est beaucoup plus vendu en recueil qu’en floppies. Donc à la manière d’un Corto publié par épisode et réuni après, on peut le considérer comme un roman graphique en termes de format. mais c’est borderline, comme plein de trucs.
Tu as beau être sérieux, tu m’as fait beaucoup rire !
« Un moment dont la bonhomie ne masque pas tout à fait l’antique sacralité, la forme de communion simple que représente le fait de recevoir sous son toit un commensal » : au-délà de la réflexion très pertinente, tu m’apprends encore un nouveau mot, commensal (compagnon de table). Merci Alex !
Je n’avais jamais entendu parler de distinction entre LE et LA manga. Quelle idiotie.
Pour le fond, je suis totalement raccord avec toi (superbe démonstration sur CORTO), et je suis heureux que tu aies cité ICI MÊME et LE CHNINKEL. J’ai failli m’énerver un jour envers un copain qui me disait que Thorgal c’était nul tout en me disant qu’il lisait L’arabe du futur, sous-entendu de la « vraie bd »… Insupportable.
Mattie, ton dessin est hyper bien fichu, peut-être celui qui m’a le plus marqué depuis le début de cette série d’articles. Les choix de bd sont très pertinentes. D’ailleurs le choix des scans est fantastique, superbe travail d’illustration. Lucky Luke pour le théâtre, génial ! Le Mucha, splendide !
« Du coup, il méconnaît le fait que tout bon roman de SF est un roman philosophique : il interroge le réel. » Mais oui ! C’est pour ça que j’aime la SF (tout en étant extrêmement inculte dans le domaine) et que je préfère relire Moorcock et Dick plutôt que d’essayer les romans France Inter ou les derniers Houellebecq. A part ça, tu parles de la BD de Cédric Vilani faite avec Baudoin ?
« C’est vrai que ça fait prolo, la bière. C’est pas une boisson de gens sérieux. Mais c’est pas plus mal, ça m’en fera plus pour moi. » Viens chez moi ! Je ne bois plus que ça ou presque. Même Patrick a apprécié la Bon Posion apparemment…
La BO : je ne connais pas assez Steve Reich, merci d’en avoir mis ici !
« Roman philosophique », il fallait oser. Quel mépris pour la littérature de genre… Après, on va pas se mentir, le snobisme est partout. Une partie du lectorat préfère les comics indépendants au mainstream, d’autres mettront les 2 dans le même panier et ne jurent que par l’underground.