Le défi Nikolavitch : La Batcave se rebiffe
AUTEUR ALEX NIKOLAVITCH
1ère publication le 13/02/19 – MAJ le 31/01/20
Où notre ami de FB et membre du blog COMICS ODITIES Frederic Steinmetz assure l’intérim de l’illustrateur officiel du Défi, Mattie Boy.
Nous étions accoudés au bar, sirotant nos consommations en échangeant des banalités sur Brian Bendis (bon, on racontait des saloperies sur lui, pour parler clair) quand Monsieur Bruce a lâché, comme ça, à la volée « hé, c’est quoi tout ce foutoir dans la Batcave ? »
J’ai jeté un regard circulaire autour de moi, me suis rendu compte qu’on n’était pas dans la Batcave, mais entre le fait que j’avais lâché le comptoir et que j’avais tourné brusquement la tête, j’ai failli me vautrer. C’est là que j’ai pris conscience du nombre de consos qu’on s’était enfilés.
Une fois rentré chez moi et dûment nanti d’une bouillotte remplie de glaçons pour calmer les trépidations infernales sous mon crâne (vous savez, « cette machine dans ma tête, machine sourde et tempête », ce genre de trucs), je me suis posé devant mon clavier et j’ai réfléchi à la question.
C’est vrai que l’inventaire de la Batcave, c’est vite tentaculaire (non, Batman n’est pourtant pas une créature lovecraftienne, ni un petit cousin d’Otto Octavius).
J’ai été chercher les plans de la Batcave, du coup.
Alfred n’a jamais été fichu d’y mettre de l’ordre.
© DC comics
Et là, première surprise (en fait, non, je n’étais pas surpris du tout, je dis ça juste pour l’effet dramatique, c’est une astuce rhétorique un peu moisie, mais qui marche toujours) : si, pour ce qui concerne par exemple le Baxter Building, les plans ultérieurs se conforment généralement à la pin-up initiale dessinée par Kirby avec les étages, les labos, le tube lance fusée, etc. Pour la Batcave, y a des tas de versions alternatives. Saloperie de DC Universe avec ses continuités enchevêtrées, la Batcave de Terre Un, celle de l’autre Terre Un, celle de Terre Deux, celle Nu Earth, celle de Nioufiftitou, plus les Batcaves de rechange, etc.
Le mieux, c’est de faire un synthèse, de retrouver le fourbi qui se propage d’une Batcave à l’autre.
On mettra de côté le(s) Bat-ordinateur(s) et la Batmobile. L’ordinateur fait partie, de nos jours, des outils de base du détective. Certes, on n’est plus à l’époque où Batman se devait d’avoir non pas un, mais DEUX ordinateurs Cray II (à l’époque de sa création, cette machine tournait à 283 MHz et embarquait jusqu’à 4Go de RAM. Je suis pas certain que de nos jours, on puisse même faire tourner Fortnite dessus), mais le Dark Knight reste bien équipé. Simplement, de nos jours, les scénaristes se gardent bien d’être trop spécifiques sur la nature de la machine.
Un peu cheap et rapiat, au départ. Mais c’est ça, aussi, l’effet Bob Kane.
© DC Comics
La Batmobile, c’est déjà plus compliqué. Parfois, tel le Tony Stark moyen, Batounet conserve un garage plein des anciens modèles. Et ça fait tout de suite un bazar pas possible, surtout quand on y ajoute les Bat-copters, Bat-planes, Bat-boats, Bat-subs et autres. Y a du volume de rangement, là-dedans, quand même. Y a aussi une penderie géante pour toutes les versions du costume, d’ailleurs.
Dans fourbi improbable, il y a aussi une station de métro désaffectée. C’est pas tout le monde qui peut se permettre ce genre d’excentricités, je crois.
Mais surtout, il y a dans la Batcave une salle des trophées. Ou plutôt une salle des souvenirs. Parfois, elle se trouve dans la salle principale, parfois elle est séparée (selon les auteurs, les terres, les époques). Mais certains bazars s’y retrouvent d’une fois sur l’autre ou presque.
L’un des trophées iconiques, c’est le costume de Robin/Jason Todd après sa mort. Mis en vitrine, il sert d’hommage et d’avertissement. Là, on est en plein « gloom and doom », dans le côté dépressif du Batman. La vitrine a disparu, vu que Jason va mieux.
La collection de bagnoles bien m’a-tu-vu, quand même. Ce qui le sauve, c’est qu’il n’y a pas une seule Audi.
© DC Comics
Dans le même esprit, il y a eu une vitrine Batgirl, avec le costard de Barbara Gordon, qui n’était pas morte, mais sérieusement handicapée. Depuis qu’elle remarche, le costume n’est plus exposé.
Dans les deux cas, ça a quand même duré entre vingt et trente ans, ce qui n’est pas rien.
Mais quand on pense aux trophées, bien sûr, on n’évoque pas avant tout les souvenirs d’échecs cuisants.
Et donc, on a par exemple une carte géante avec un Joker dessus. Bien entendu, c’est un trophée ramassé lors d’une confrontation avec le Joker, le méchant le plus emblématique de toutes les aventures de Batman. Forcément, il est normal qu’il ait laissé des traces. Et cette trace-là est bien visible.
Dans le genre, des vitrines contiennent des chapeaux du Chapelier, des parapluies du Pingouin, etc.
La pièce géante est une curiosité. J’ai longtemps cru qu’elle provenant d’une aventure contre Doube-Face. Eh bien non.
Le méchant en cause, c’est le Pillard au Penny (Penny Plunderer). On est là face à un champion de l’obscurité. Il n’y aurait pas sa pièce dans la Cave, il serait complètement oublié, et il n’y aurait que Bendis pour se croire très malin en le ressortant pour faire un arc dessus, genre. Larry le Gaucher est à peine moins obscur.
Il a un bat-gps pour s’y retrouver ?
© DC Comics
Le téléphone sonne. C’est Monsieur Bruce, à l’autre bout du fil. À sa voix pâteuse, je devine qu’il ne s’est pas encore remis de nos agapes.
« Mrrffl. Gnéé ?
— Bruce ?
— Hein ? Oui, c’est moi.
— Tu veux quoi ?
— Gmpmpffllbllbl… Pourquoi un putain de T-Rex, hein ? Pourqwaaaaaaaah ? »
Et il me raccroche au blair.
Mais même si je le trouve malpoli, je crois qu’il a raison. Parce que hein ? Pourquoi ?
Est-ce que Batou est un fan de Jurassic Park ? Veut-il montrer qu’il est plus fort que StarLord et Bishop quand il s’agit de dresser des dinos ? Tire-t-il ses superpouvoirs de la consommation effrénée de steak de saurien (mais qu’il mange à même la bête, pas dans des boites William Saurien parce que sinon, c’est mort pour les vitamines) ?
En fait, la réalité est tout autre et plutôt prosaïque, vu qu’il remonte à Batman n°35, publié en 1946, c’est quasiment l’un des plus vieux fourbis qu’on trouve dans les sous-sols du Manoir Wayne.
Ce t-rex est un fake. Une animatronique ramassée dans un parc d’attractions créé par Murray Wilson Hart, un méchant d’une totale obscurité lui aussi (c’est sans doute sa seule apparition).
C’est une déception, quand même. Bon, l’avantage de l’animatronique, c’est qu’il est pilotable et qu’on peut s’en servir pour écrabouiller des fâcheux qui s’introduiraient dans la Batcave. Alfred s’en est déjà donné à cœur joie comme ça.
Pour quelques penny, Annie… » (Air connu)
©DC Comics
C’est curieux, quand même, cette manie d’entasser du bordel (bon, ceux qui ont vu mon bureau me trouveront gonflé de reprocher ce travers à qui que ce soit) (Je confirme : j’ai retrouvé lors de ma dernière visite la madeleine qu’Alex m’avait offert et que j’ai posé sur son bureau lorsqu’il m’a fait un solo sur Green Lantern, il y a trois ans, déjà….Ndr).
Mais est-ce une compulsion ? Une variante du syndrome de Diogène ? Voire de l’Oncle Picsou ? (est-ce que les Robin sont l’équivalent batmanesque des neveux dans l’univers Disney ?).
En fait, celui qui a mis le doigt dessus c’est le Joker version Nicholson, dans le Batman de Burton. « Pourquoi est-ce que c’est lui qui a les plus beaux jouets ? » demande-t-il en voyant passer le Batplane.
Et c’est exactement ça. Certains scénaristes de Batman ont glosé sur le fait que Bruce Wayne est un gamin dont le développement a été arrêté net. Qu’il continue les jeux de déguisements, d’oppositions pour rire et l’accumulation de jouets. Il lui faut les meilleurs jouets. C’est non seulement un gosse, mais un gosse de riche, terrorisé à l’idée de perdre ce qu’il lui reste (d’où des histoires à la Tour de Babel, dans lesquelles il a mis en place des protocoles de protection délirants, qui se retournent contre lui) et dont le rapport à la paternité et à la famille reste difficile.
La Batcave ?
C’est une chambre d’ado.
« Ça a débuté comme ça. » (Ça aussi, air connu)
© DC Comics
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Encore et toujours un très bon article sur des questions pertinentes qui pourraient nous empêcher de dormir.
J’aime les explications simples et clair que tu donnes.
Excellent boulot comme toujours ( purée, j’adore ce blog)
Le dessin intérimaire est très chouette, dans un esprit totalement différent je trouve. Heureusement que Mattie va mieux oui !
Sinon comme d’hab super article marrant et érudit, j’apprends tellement de trucs… j’ai ri lorsque tu parles de la « première surprise » et que tu fais référence au Cargo du nuit de Axel Bauer.
En y réfléchissant, cette Batcave est un peu la copie de la forteresse de solitude de Superman, mais aussi la pièce fantasmée de Sherlock Holmes dont je parle dans mon dernier article. Et là c’est vraiment du Batman détective dont il s’agirait avant tout : une pièce pour travailler.
Je me suis aussi retrouvé dans la description de l’obsessionnel décrit hier par Omac, et cette collectionnite afférente…
Sinon il y a un scan avec un copyright Marvel c’est normal ?
La BO : bien vu mais Cloclo, non.
Tant de choses à dire :
-Un titre à la Audiard et des clins d’oeil à Céline et à Gainsbourg. Rigolo, cette synchronicité puisque il y a un an paraissait jour pour jour notre spécial VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT. Serait-ce un acte manqué de ma part ? je déteste l’hiver et souhaite en sortir au plus vite !
-Le dessin de Frederic : je suis content qu’il te plaise Matt puisque élaboré pendant tes turpitudes hivernales. Sachez le fans : sans Mattie Boy pour l’illustrer , pas de Défi Nikolavitch ! Un grand merci donc à Fréderic qui a assuré l’interim avec brio et enthousiasme avec effectivement ce cahier des charges : en foutre plein la trogne à ce bon vieux Alex, qui en plus dans ce numéro se permet de sortir nos dossiers d’ébriété à l’absinthe. A mon tour de révéler que durant ces soirées arrosées, il a tapé (!) le boeuf avec Benalla avec le groupe local qui massacrait le UN AUTRE MONDE de Téléphone….
Pour le reste je me suis régalé sur cet inventaire à la Prévert du bordel de la Batcave. J’apprends donc que ce T Rex est une reproduction et que 7 bat flèches ne suffisent pas à abattre un Dino Jaune. j’adore ton choix d’illustrations et me pose avec Cyrille cette question que cet article m’inspire : mais au fait le hangar de Goldorak avec robot caché dans un vide ordure, c’est aussi une Batcave non ?
Quant au choix de BO, tu as beau jeu de traiter Manoeuvre d’imposteur et de me foutre du Claude François en BO alors que tout T Rex était dispo.
PS Alex : lis l’article d’hier sur la psychologie de Batman. Vos articles se regroupent vraiment.
confonds pas imposteur et troll, voyons.
Un article indispensable dans lequel j’ai appris plein d’informations sur des éléments que je tenais pour acquis. Je ne connaissais ni l’origine du dinosaure, ni celle de la pièce géante. Je vais me coucher moins bête de soir. Le dessin de Bob Kane (avec sa légende ironique) est également est très édifiant.
Le dessin de Bob Kane (avec sa légende ironique) est également est très édifiant.
C’est à dire ?
Un peu cheap et rapiat, au départ, un écho de la réputation de l’artiste ?
Ah c’est pas la première fois que j’entends ça. Il faut dire que je ne connais rien de Bob Kane.
il a escroqué Bill Finger, cocréateur de Batounet, et s’est comporté comme une enflure avec à peu près tout le monde.
Génial. Je me suis autant marré (comme d’hab) que j’ai appris des trucs essentiels : Punaise ça va faire des décennies que je me demande d’où vient ce T-rex qu’on voit tout le temps dans la Batcave ! Merci 😀
Et quand même quand on y pense…comment il a fait rentrer ce truc dans la Batcave ? Il a reconstruit autour ? En mode super discret sans personne pour voir qu’il y avait une énorme grotte secrète plein de trucs à Batman ?^^
Ah mais s’il faut trouver quelqu’un pour insulter Morrison, (voix d’Alain Bashung), moi chuis volontaire !
Ceci dit, je pense un peu comme lui ; à trop vouloir rationaliser le super héros, on fait du Millar….(comment Xavier finance son école ? Les Xmen ont de l’argent de poche ? Comment Gambit paie t’il ses cigarettes ? ).
Xavier, c’est pas un gosse de riche à la base ? Un blindé de thune qui possède son manoir à la naissance ?
Merci Bruce! J’espère ne pas avoir choqué les puristes qui savent que Batman a rarement la tête à l’envers! Je tiens à préciser que je n’ai pas beaucoup de mérites pour ce dessin. Je n’ai eu qu’à suivre les bases de Matt, et suivre les photos fournies par Bruce de cette fameuse soirée: je n’avais plus qu’à reprendre la tenue que portait Nikolavitch de ce soir là.
J’ai appris l’origine de certaines pièces de collection de Batman, et le twist final m’a renversé! Plus rien ne sera comme avant. Merci!
Article plein d’érudition mais sans se la péter, comme de coutume pour Mr Nikolavitch. Le niveau de « connaissances » me ramène à l’époque où j’allais encore sur CBR pour lire les Comic Books Legends Revealed…
D’ailleurs, en bonus, après recherche rapide, j’en ai retrouvé un qui trace l’origine de la Batcave en lien avec la série télé de 1943, avec une réutilisation par la suite dans la BD.
https://www.cbr.com/comic-book-legends-revealed-279/
J’ai emprunté à la médiathèque le recueil BATMAN MYTHOLOGY : LA BATCAVE.
Du coup j’ai pu enfin découvrir ce fameux épisode de 1946 sur « l’île aux dinosaures » depuis laquelle Batou a ramené sont T-rex.
L’épisode ne fait que 15 pages et il n’est nulle question de rapporter un dinosaure. Ce n’est que dans l’épisode suivant du recueil (WORLD’S FINEST COMICS #30 de 1947) où l’on visite la Batcave et toute sa collection de souvenirs, que l’on apprend que le dino (qui n’est alors pas un T-rex mais… un diplodocus !) provient de « l’île aux dinosaures ».
Bon, ces épisodes sont des oldies pour enfant de 5 ans. Là encore je trouve complètement absurde d’établir une continuité entre ces machins et des comics pour adultes à la Frank Miller et ce qui a pu se faire ensuite. De mon point de vue externe (je ne suis pas fan de ces comics old-school), c’est n’importe quoi d’établir une telle continuité.
Pour ce qui est de la qualité de ces vieux épisodes également je suis largué. Ce sont des purges infantiles. Comme je l’avais écrit dans l’article sur l’anthologie JE SUIS DR STRANGE, je ne vois strictement aucune différence de qualité entre ces vieux comics et les dessins animés de notre enfance aujourd’hui irregardables, comme MIGHTOR ou SANSON & GOLIATH.
Reste que je suis content d’avoir découvert ces épisodes pour ma culture personnelle. Ça oui.
Une continuité entre ces machins et des comics pour adultes à la Frank Miller : quand je vois le tyrannosaure dans la Batcave dans un comics adulte, avec ma sensibilité, j’y vois une forme de déférence de l’auteur à ceux qui l’ont précédé y compris dans les années 1950, ainsi qu’une forme d’acceptation qu’un individu qui s’habille en chauve-souris exige autant de suspension d’incrédulité consentie que la présence d’un dinosaure dans une grotte sous le manoir d’un milliardaire.
La déférence de l’auteur à ceux qui l’ont précédé y compris dans les années 1950 : Moi j’y vois plus une forme d’aliénation éditoriale.
L’acceptation d’un individu qui s’habille en chauve-souris exige autant de suspension d’incrédulité consentie que la présence d’un dinosaure dans une grotte sous le manoir d’un milliardaire : Notre grille de lecture est trop différente ici. Dans ce même recueil BATMAN MYTHOLOGY : LA BATCAVE ont été ajoutés à la fin un épisode par Scott Snyder issu de LA NUIT DES HIBOUX et un autre de Tom King issu de son run. Dans les deux cas j’ai arrêté au bout de trois pages. Même dans cette version moderne des années 2010/2020, c’est trop orienté super-héros 1° degré et je n’y arrive plus. Les limites de ma suspension d’incrédulité consentie nécessitent un traitement du super-héros nettement moins 1° degré. Il va me falloir une dimension soit poétique, soit métaphorique, soit conceptuelle, mais en tout cas pas aussi frontale. Là je n’y arrive plus du tout. C’est l’allergie pure.
C’est pour ça que je recule de plus en plus l’idée de lire le run de Morrison ou encore certains run que je n’ai pas encore lus comme le SUPERIOR SPIDERMAN. J’ai vraiment peur de tomber sur du mainstream inféodé à la continuité et noyé dans la connexion. Je ne peux plus et ne veux plus lire ça. C’est devenu au-dessus de mes forces.