Renato Jone One % Season 1 par Kare Andrews
Article de PRESENCE
VO : Image Comics
VF : Akileos
1ère publication le 4/06/20- MAJ le 06/06/22
Ce tome est le premier d’une série indépendante de toute autre. Il comprend les 5 épisodes de la première saison, initialement parus en 2016, écrits, dessinés, encrés et mis en couleurs par Kaare Kyle Andrews, avec un lettrage réalisé par Jeff Powell. L’histoire continue dans la deuxième saison : Renato Jones Season Two: The Freelancer réalisée par les mêmes auteurs. Le tome s’ouvre avec une introduction d’une page rédigée par Andrews, incitant chaque lecteur à créer, sans se cantonner à ressasser ou à refaire, mais en utilisant les idées originales de chacun.
Dans la propriété des Jones, une grande fête est donnée pour l’anniversaire de Renato Jones qui vient d’atteindre sa majorité et d’hériter du fonds financier mis en place pour lui. Il s’est isolé au loin sur la pelouse. Il est rejoint par Bliss Chambers, une demoiselle de son âge, son amie d’enfance. Elle lui ramène un part de gâteau avec une bougie sur le dessus, et le fait souffler. Renato se souvient d’un moment de son enfance quand ses 2 parents ont été abattus devant lui par un intrus maniant un fusil à pompe, alors qu’il serrait fort son ours en peluche contre lui. Au temps présent, Renato Jones arrive en hélicoptère sur le yacht privé de Douglas Bradley, yacht qui est de la taille d’un paquebot. Il s’assoit à table avec Bradley, mais une serveuse (Cameron Bradey) renverse du vin sur sa chemise à mille dollars. Bradley la renvoie séance tenante. La page de titre arrive stipulant que depuis 20 ans les 1% se sont employés à assassiner la classe ouvrière, minimisant les salaires, détruisant les bénéfices, tuant l’emploi. Ils ont conduit l’économie à la ruine, détruit des familles et volé leur maison. Ils ont appauvri la classe moyenne et criminalisé et les pauvres. Pourtant aucun d’entre n’a jamais été condamné. Coupure avec une page de pub pour un parfum.
Sur le paquebot de Douglas Bradely, un intrus masqué sème la panique : le Freelancer. Bradley s’est réfugié dans sa pièce sécurisée (panic room) avec Renato Jones pour échapper au justicier masqué. Juste en y entrant, il repousse la serveuse Ming-Ming dehors, lui en interdisant l’accès. Renato Jones se souvient de son enfance à Jakarta, en Indonésie, pauvre orphelin des rues, dont la sœur a été abattue à bout portant sous ses yeux. Interrogé par la police, il finit par donner le nom d’un des enfants dont les avis de recherche placardent les murs : Renato Jones. L’usurpation d’identité passe comme une lettre à la poste, et il est accueilli à bras ouvert par Church (le frère du père de Renato) et par sa grand-mère tout de rose vêtue. Une vie de milliardaire s’offre à lui, avec l’amitié de la petite voisine Bliss, également future héritière de la famille Chambers, riche à millions.
La couverture ne laisse pas beaucoup de doute quant à la radicalité du propos de l’auteur. Le justicier en couverture (le Freelancer) s’attaque aux 1%, c’est-à-dire ceux qui forment le groupe des 1% d’individus les plus riches de la planète et qui concentrent en leurs mains près de 50% de la richesse mondiale, à la fin des années 2010. Ce justicier a revêtu un costume noir avec chemise blanche et masque assorti. Il utilise un gros flingue, et il tient une belle pépée dans ses bras, avec des billets volant au vent et des individus grassouillets à ses pieds. Kaare Kyle Andrews fait usage de licence artistique pour donner plus d’impact à son propos, mais aussi pour réaliser un récit qui rentre dans la catégorie du divertissement. S’il restait des doutes au lecteur, ils sont levés avec les origines de l’indépendant (freelancer) : un jeune garçon qui voit ses parents assassinés sous yeux comme Bruce Wayne, et qui dispose d’une fortune sans fin comme Bruce Wayne. Pour lever tout risque d’incompréhension, l’auteur illustre ces pages dans un noir & blanc (avec une nuance de gris) qui évoque fortement la radicalité des dessins de Frank Miller pour Batman: The Dark Knight Returns (1986). Mais voilà, Renato Jones n’est pas né dans le monde des ultra-riches, c’est une pièce rapportée.
Kaare Kyle Andrews continue de forcer le trait avec le mode de vie des riches et puissants. À part Renato Jones, ils se livrent tous à des actes abominables, méprisent le peuple, et traitent les autres comme des objets jetables uniquement bons à les servir ou à servir de victimes pour assouvir leurs plaisirs décadents. Freelancer fait observer que pour ces 1% le monde est un buffet à volonté, sans limite, sans conséquence à assumer. Le lecteur comprend donc bien qu’il est dans un récit de nature parodique où la justice est aussi expéditive que cathartique, à l’opposé d’un reportage ou d’un essai à charge. Le résultat est purement jouissif, proposant des solutions simples et définitives à des problèmes présentés comme simples et tranchés. Avec ce parti pris à l’esprit, le lecteur peut apprécier le récit pour ce qu’il est, et se laisser aller.
Le lecteur se laisse emporter par la fougue des dessins : les 3 dessins en double page montrant le meurtre des parents du vrai Renato Jones, le dessin en double page servant de générique, l’exécution à bout portant de Douglas Bradley, l’approche du jet privé du Freelancer sous forme d’un point noir sur fond blanc. L’artiste s’amuse avec la mise en page, gérant comme il l’entend sa pagination. Comme il l’avait déjà fait dans Spider-Man: Reign (2007), et encore plus dans Iron Fist: The Living Weapon il détoure les personnages avec un trait d’épaisseur unie, irrégulier comme s’il était mal ébarbé, ou comme si l’artiste s’était laissé emporter par l’inspiration et sa fougue, sans chercher à maîtriser son trait. Il n’hésite pas à exagérer un peu les morphologies et les visages, ce qui s’avère une réussite, tant en termes d’expressivité que pour représenter la vivacité des enfants et l’intensité de leurs émotions. Il n’hésite pas à franchir la frontière de la caricature pour la silhouette énorme de grand-mère Jones, ou pour la dentition carnassière des ultra-riches.
Alors que les dessins utilisent avec intelligence l’expressivité des exagérations, la mise en couleurs reste dans un registre plus naturaliste. Les seules exceptions à ce parti pris résident dans les froides exécutions où le noir & blanc s’impose, et dans les scènes du passé pour lesquelles l’artiste surimpose une trame de points comme s’il utilisait la technologie obsolète de la quadrichromie pour imprimer la marque du passé. Le lecteur s’amuse de cette narration baroque jouant sur l’exagération du mouvement, les effets dramatiques, la tension, l’exubérance des formes, la grandeur parfois pompeuse et le contraste. Dans le même temps, il ne peut pas complètement ignorer la réalité des thèmes dont l’auteur a nourri son scénario. L’exubérance de la narration visuelle se marie bien avec l’énormité des actes piochés directement dans les scandales qui font les gros titres : concentration des richesses, appauvrissement des classes ouvrières, justice à 2 vitesses, et bien pire encore.
L’impact du récit est multiplié par le fait que Kaare Kyle Andrews ne se contente pas de reprendre les gros titres provoquant l’indignation du peuple et de les enfiler. Il met également en scène des situations moins évidentes, et il en montre toujours l’impact sur les personnages. Dans l’histoire, les riches et puissants se comportent comme des porcs jouisseurs totalement oublieux de toute responsabilité. Il en va différemment des autres personnages. Le lecteur peut suivre Cameron Bradley à la recherche d’un emploi à la suite de son licenciement du yacht, et la fausse solidarité de son voisin aisé Bill. Il peut voir l’insécurité de Bliss Chambers faire surface dès qu’elle sent une menace peser sur sa source de financement.
Par ailleurs, l’auteur intègre des formes d’oppression moins outrancières qu’un trafic organisé de pédophilie. Cela commence par la conduite d’une Lamborghini dorée qui rappelle qu’il existe des individus assez fortunés pour pouvoir s’en payer une. Ça continue avec Christopher Baal qui tient sa fortune de gestion alternative (hedge funds), un mode de gestion de portefeuille appliqué par certains fonds d’investissement de type fonds spéculatifs ouverts uniquement aux investisseurs institutionnels ou aux grandes fortunes, et inaccessibles au grand public, donc réservés à l’élite des grandes fortunes. Il est encore possible de citer en exemple le discours hypocrite de Nicola Chambers (un des 1%) à fond dans la démagogie et l’empathie factice pour les gens du peuple, ou encore l’obsolescence programmée des systèmes d’exploitation des téléphones. Ces états de fait très concrets rappellent au lecteur que les dés sont bel et bien pipés, et que l’exagération narrative repose sur des inégalités et des abus bien réels.
Le dernier épisode se déroule en Chine et au Japon, et la dénonciation du système capitaliste profitant aux 1% prend encore de l’envergure. Kaare Kyle Andrews évoque 2 phénomènes : le Nyotaimori (corps sushi) et Karō-jisatsu (suicide dû au stress). La première pratique montre que les riches et puissants peuvent payer pour le corps d’autres êtres humains, servant en l’occurrence de plateau pour nourriture. La deuxième pratique montre que la pression capitaliste peut mener des individus au suicide. Cela fait apparaître une autre facette du capitalisme, pas simplement un petit nombre auquel profite le système, mais aussi une forme d’esclavagisme du plus grand nombre, soumis aux diktats de l’emploi, à la fois dans leurs corps, à la fois dans leur esprit. Finalement Bliss Chambers incarne bien cet esclavagisme, servant de fille trophée pour son père, à l’instar d’Ivanka Trump pour le sien, et dont la vie est entièrement dictée par la nécessité de se maintenir dans sa position, n’hésitant pas à jouer de la séduction pour y parvenir, sans aucune considération pour ses conquêtes amoureuses. Sa situation est encore aggravée par la conscience qu’elle en a, ayant compris dès son plus jeune âge qu’elle n’avait été adoptée que pour les avantages fiscaux associés à cette prise en charge.
Avec cette première saison, Kaare Kyle Andrews fait la démonstration éclatante qu’il est possible de créer un récit de divertissement, tout en tenant un discours social et adulte percutant, mêlant humour noir et indignation révoltée contre un système hors de contrôle, sous la forme d’une farce macabre, exaltée et tonitruante, une œuvre littéraire ambitieuse et hors norme.
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La BO du jour : Bouffe ça !
Je n’ai pas lu l’introduction de Kare Andrews, mais je pense être d’accord avec ce qu’il écrit.
La créativité est l’apanage des plus grands. Cela relève du génie! A la différence de ce que peut produire un bon technicien qui est facilement réalisable avec un minimum de talent et beaucoup de travail.
La créativité dans l’art sous toutes ses formes m’a toujours fasciné !
Par contre je ne vois pas trop le rapport entre l’introduction et l’œuvre proposée !
Son comic-book ressemble à quelque chose de très politisé et anti capitaliste.
L’approche critique triviale de l’auteur semble intéressante. En plus il a l’air de vouloir passer ses messages avec humour. Ce qui a l’avantage de rendre les propos agréables et compréhensifs.
La BD étant, en plus, un vecteur ludique à sa satire.
Je remarque que Kare Andrews s’est encore inspiré du Dark Knight Returns de Miller comme il l’avait déjà fait avec son Iron Fist.
Cela doit être son livre de chevet ! Tu me diras, il y a pire comme influence 😉
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J’ai interprété l’introduction comme étant une déclaration de l’auteur de faire autre chose que du superhéros, de ne pas se cantonner à ressasser les mêmes affrontements entre propriétés intellectuelles de DC ou de Marvel.
Kaare Andrews s’était également inspiré de Dark Knight returns pour Spider-Man: Reign (2006), Spider-Man L’empire en VF.
j’ai celui-là.
je n’ai pas accroché plus que cela…
bien sûr le message punk est clairement assumé, j’ai aussi beaucoup apprécié la forme tout à fait brillante à base de fausses pubs, de scénarios divers pour dénoncer toujours la même chose. la corruption d’un monde hyper capitaliste où l’homme exploite l’homme. malgré tout la forme bride un fond qui pourrait être bien plus corrosif et mordant en jouant la carte de la caricature de caricature , diluant le message et le réduisant à une simple pantalonnade comme Les films American nightmare diluent leur propos politiques sous le thriller tout à fait conventionnel.
J’ai beaucoup apprécié que Kaare Kyle Andrews sache transcrire visuellement la fureur née de son indignation par un tel ordre mondial qui ne connaît plus que le profit et la loi de celui qui parle le plus fort.
J’ai lu et apprécié les deux premières saisons. Sans plus. 3 Etoiles pour moi.
L’exubérance et le changement de style à chaque page m’a vite fatigué. Je préfère l’homogénéité d’un Laurent Lefeuvre par exemple. De mémoire, Renato Jones me semblait être un personnage assez fade au vu des ambitions politiques de Andrews.
Ayant déjà eu l’occasion de lire plusieurs récits de Kaare Kyle Anrews (Spider-Man, Astonishing X-Men avec Warren Ellis, Iron Fist), j’ai choisi de lire ce récit, d’abord pour son exubérance graphique. Je n’ai pas été déçu. 🙂
Arf. Dommage que les copains aient refroidi mes ardeurs car j’étais sorti de la lecture de l’article avec une énorme envie de me lire ça !
Le pitch me plait beaucoup : Une sorte de PUNISHER qui ne s’en prend pas aux malfrats mais plutôt aux plus riches de la planète qui se gardent tout pour eux, en leur en faisant baver, j’aime beaucoup le principe cathartique !
Du coup j’hésite, j’hésite… Persuadé que j’allais adorer son IRON FIST, je l’avais feuilleté et immédiatement reposé sur les rayons du libraire tellement le visuel graphique ne me plaisait pas !
Je tâcherais de feuilleter celui-là aussi. En VF uniquement, bien sûr…
Les 2 tomes sont disponibles en VF, publiés par Akileos en 2018.
La narration visuelle de Renato Jones est au moins aussi radicale et tranchée que celle d’Iron Fist, si ce n’est plus.
Oui, j’ai vu sur les scans. Mais je me disais que peut-être ça me dérangerait moins par rapport à la teneur du récit. Ce n’est pas le genre super-héros Marvel ici. Je ne sais pas. Faut voir…
Au fait, la BO : Je n’accroche pas du tout. Je n’ai jamais réussi à aimer Megadeth : Trop basique et trop sale. Pabo…
MOTORHEAD, Tornado…MOTORHEAD
Je pense que Andrews est un dessinateur talentueux, mais en effet son style n’est clairement pas pour tout le monde. mais il sait changer de style, en imiter d’autres, etc. C’est un mec qui connait son affaire.
Après…ça ne m’attire pas des masses. Il est en effet très exubérant et caricatural.
Les dessins de Kaare Andrews m’ont attiré l’œil la première fois avec la série de couvertures qu’il a faites pour es épisodes d’Incredible Hulk (38 à 54) écrits par Bruce Jones.
Aveu coupable : j’avais acheté et lu la saison 1. Mitigé, je l’ai refilé à Bruce lors d’un trip sur Paris… Au final, je vois que son avis rejoint le mien.
Comme souvent, Présence met très bien en valeur les qualités de l’oeuvre, notamment la partie graphique mais pour moi, il manquait quelque chose au scénar et aux persos pour que la mayo monte vraiment.
Dommage, car le fond du sujet m’intéresse (les ultra-riches qui pourrissent le monde).
Je vais finir par croire que je suis un trop bon client, ou qu’avec l’âge je deviens moins exigeant. 🙂
La lutte des classes revue et corrigée en comics ! Voilà un programme qui a tout pour m’intéresser ! En plus si j’en juge par les scans de l’article les dessins ont l’air pour le moins décalés et décapants !
Bref levé c’est pesé, tu me l’as bien vendu 😉
Hum question : la BO c’est toi ou Bruce ?
Comme j’assure la BO du soir, Bruce se charge du choix de la BO de mes articles. Je suis innocent. 🙂
Première constatation : j’aime bien les dessins. Je ne savais pas que c’était sorti en VF, un bon point ça.
Le thème me plaît et tu donnes toutes les cartes pour apprécier ce crachat punk. Je vais jeter un oeil si je tombe dessus parce que ça me parle. Ton paragraphe sur l’hypocrisie et le rôle à jouer de la fille de Trump est remarquable. J’ajouterai qu’au Japon, la pression est déjà énorme dès l’école, leur taux de suicide d’adolescents ayant même augmenté.
http://japanization.org/pourquoi-tant-de-jeunes-japonais-se-suicident/
La BO est donc parfaitement choisie. C’est marrant, je l’entends ou le voit souvent, cette phrase (Eat The Rich, pas la chanson), en ce moment, dans les séries télé : je l’ai entendue dans SNOWPIERCER et vue en graffiti de chambre d’ado dans DARK. Je n’ai jamais vraiment écouté Motorhead même si j’aime bien. Selon un pote qui les a vus en concert, il n’avait jamais entendu de concert au volume aussi élevé. Pour ma part, j’aurai mis sans hésiter du Dead Kennedys : https://www.youtube.com/watch?v=L8zhNb8ANe8
C’est une bande dessinée d’indigné qui dispose d’un énorme talent de bédéaste : ça fait du bien de hurler contre ces injustices systémiques.