Black Panther par Ryan Coogler
Une critique de Eddy Vanleffe
Un dialogue imaginé sur le film Black Panther des studios Marvel/Disney sorti le 14 février 2018 en France et deux jours plus tard aux Etats-Unis.
C’était un soir tranquille, je regardais un film à la télé, confortablement installé dans mon canapé, encastré entre mon chat et mon clebs. Je n’avais pas d’autre ambition que d’oublier mes 900 grammes de cervelle devant un blockbuster lorsque la part la plus médisante et la plus contrariante de mon être s’échappa comme un vulgaire pet nauséabond.
-Putain! T’es qui toi? M’écriai-je sous l’effet de la surprise et du bol de Uby que je tenais à la main.
-Homo Polémicus, enchanté!
-Ouais, t’as l’air de vouloir te friter toi.
-Ouais! J’ai un compte Twitter et je n’hésiterai pas à m’en servir. Qu’est-ce que tu regardes? me demanda-t-il en se servant une rasade de vin du sud-ouest.
-Un Marvel!
-Merde!
-Quoi?
-Rien je viens de résumer ta critique pour Bruce Lit en un seul mot, je suis un gars concis.
-Mais je ne veux pas faire de critique pour Bruce…
-Pas encore, insinua cet être pernicieux.
Messenger retentit soudain et il me suffit d’un bref coup d’œil vers l’écran blafard pour y voir le point vert de la connexion.
Bruce: Je n’ai plus rien en stock. T’as un truc prévu….?
Je soupirai de désespoir. N’arrivant pas à surmonter le démon de ma fainéantise, je me plaignais déjà.
-Mais qu’est-ce que je vais dire sur ce film qui n’a pas déjà écrit deux cents fois par de vrais journaleux?
-C’est quoi ton nanar? Me redemanda mon double goguenard.
-Black Panther.
– Qu’est-ce que tu comptes raconter?
-Ben… que c’est un film super important pour la communauté noire internationale…que les persos sont trop cooools…
-Et vachement trop fasciste aussi!
-Quoi?
-Ben ouais, quand t’auras fini de te secouer la nouille sur les jolis SFX qui racontent la back story du Wakanda, tu constateras que c’est une monarchie assez autoritaire qui place le pouvoir dans les mains d’un élu mystique pour maîtriser un système autarcique à mort! Le Wakanda est de plus le seul État africain préservé de la colonisation grâce à la manne que représente le gisement infini de Vibranium sur lequel le pays repose. Riches et libres les Wakandais ne voient du tout d’un mauvais œil que le reste du continent sombre à moitié dans l’esclavage. Ce sont des gens sympa quoi!
https://www.youtube.com/watch?v=rrT_EfOsZcY
Aah la démocratie, quand le pouvoir s’obtient par le fight..
-Mais le héros va changer tout ça, non?
-Ben au début, il engueule sa copine parce qu’elle a trop de compassion. Sauver des femmes prisonnières, c’est un peu borderline comme attitude, il ne manquerait plus qu’elle soit altermondialiste.
-Il va avoir une révélation et changer le monde…
-Il va bien falloir parce que le film soit explicite sur ce coup-là. Au début le frère du roi-le père du héros- est convaincu de traîtrise parce qu’il a fait du trafic d’armes pour aider les afro-américains du ghetto à se défendre. Pour le punir, ce n’est pas un procès, une lourde peine, ou une punition qu’il aura, non c’est une exécution sur place. Boum! On ne partage pas les secrets militaires du Wakanda impunément! Le Vibranium ne sort pas des frontières, point!
– Il n’est pas en Vibranium le bouclier de Captain America?
-Aha! Si, et à moins qu’ils l’aient chouré, les Wakandais préfèrent vendre un échantillon de Vibranium à des blancs en pleine ségrégation des années 40 qu’à des blacks du ghetto! ils sont pas supers les héros là-dedans?
-Ne tire pas de conclusions hâtives, on ne sait pas bien comment le père de Stark a obtenu le Vibranium…
-Non, par ce que le film dès qu’il pose une question qui pourrait gêner, fait du rétropédalage pour revenir au discours qu’on peut entendre dans n’importe quelle chanson de rap…
-Tu digresses, le film aborde plein de thèmes grinçants, comme la scène du musée.
-Ouais, c’est rigolo, une vanne sur le pillage culturel de l’Afrique, et qu’est-ce qui l’intéresse le méchant? Une poterie, une peinture ou une mosaïque? Non, une arme! On sent la conviction du propos.
-Bon ça suffit de persifler, tu vois bien le phénomène que ça a engendré. C’est le premier film Marvel et peut-être même film tout court à présenter des personnages noirs et africains sous un jour aussi positif. Ça fait du bien tout ça, ça permet l’expression de tout un pan de l’humanité, la mise en valeur décomplexée de la diversité dans un cinéma bien trop stéréotypé.
-C’est faux!
-Comment ça?
-BLADE !
-Qu’est-ce que tu racontes?
-BLADE date de 1999 et reprend avec une roublardise très ironique les standards des blockbusters américains des années 80-90. A savoir un héros blanc combat des blancs avec son meilleur ami noir qui meurt (souvent). Les méchants ont souvent aussi un sbire noir dans une certaine façon de remixer le yin et le yang. Dans BLADE, tous les héros sont noirs, sauf un (qui meurt) et tous les méchants sont blancs, sauf un. Porté par un Wesley Snipes totalement en roue libre, le film fut un succès générant deux suites, et surtout il est sorti avant Spider-man et les X-Men. C’est un film qui rend hommage de manière flagrante aux blaxpoitations des années 70, d’où était plus ou moins issu d’ailleurs le modèle papier. Mais il est vrai que la question des minorités est bien plus sensible à l’heure actuelle dans un monde où Trump fait figure d’épouvantail. Le film devient symboliquement un pied de nez, alors qu’il est le digne successeur de la façon de faire qu’avait déjà Stan Lee dans les années 60, qui avait bien mieux compris que n’importe lequel de ses concurrents, l’Amérique de Kennedy et qui a nommé par pure coïncidence son premier super héros africain Black Panther. Il a ainsi comprimé une réalité complexe en un slogan de t-shirt. En cela ce film est génial.
-Ah quand même! Un compliment, ça fait du bien… et puis t’en connais beaucoup des films qui se passent comme ça en Afrique?
-Threuh… Trerrheuu! Arglh! Ourkh!
-Quoi encore?
-Rien je ne pensais pas que l’Afrique, c’était un fond vert…
-Elle est facile celle-là!
-Sans rire, le boulot de pré-production concernant les décors, les costumes genre techno-Massaï , la musique urbaine-africaine, les monuments ou le langage inspiré du Buntu sont pharaoniques et très réussis. Mais la réalisation reste finalement très extérieure et se cantonne à nous décrire une société très SF dépendante du Vibranium. De plus, plusieurs scènes américaines ou britanniques amoindrissent l’impact et surtout, surtout: la plus grosse scène d’action se passe dans un casino à la James Bond en…Chine. On évite tout détour par un pays africain existant, un paysage réel et immersif…quelque chose d’organique, ce qui me fait dire que c’est un film Afro, mais surtout américain. Avec le swag propre aux quartiers… C’est vrai que faisait le Wakanda pendant l’Apartheid? La guerre au Rwanda? Ou n’importe quel conflit africain. Quel discours découvre t’on sur les intérêts européens néocoloniaux? Que dalle! La morale du film, c’est qu’il faut plus de panier de baskets dans les cours en banlieue. Un peu court jeune homme non? Une chose est sûre, ils sont peut-être bien riches, mais je ne suis pas sûr de vouloir déménager là-bas. Une métaphore du Qatar? Je plaisante évidemment.
-Tu me démoralises à la fin! Le propos est quand même osé pour un blockbuster de ce genre…ils dénoncent plein de trucs…
-Oui, c’est vrai d’ailleurs, mais c’est le méchant qui la le plus de corps dans le film. Killmonger, au-delà de son interprète joue le rôle d’un gosse injustement orphelin et exilé, qui grandit dans un pays qui lui chie dessus. Il n’a rien demandé le môme. Il revient au pays et il tombe sur les empereurs des égoïstes face à un gars tout benêt qui porte l’uniforme de La Panthère Noire parce qu’il est l’élu, beau gosse et élégant dans ses fringues? Il est le seul qui ait une vraie raison d’agir dans ce film.
– Qu’est-ce qui te gènes là-dedans?
-Et bien comme c’est le méchant et qu’il propose quand même une solution radicale, cela a tendance quand même à invalider son propos jusqu’à le noyer sous un certain consensus, à base de «Tu as raison, mais pas sur les moyens…». Je trouve que le fait de trouver un discours justifiable chez les fous fanatiques et une résignation complaisante chez les garants de la démocratie devient vraiment dangereux au sein des films de la pop culture. A un moment on valide les idées borderlines et on condamne la voie médiante-passive. Çà mène vers quoi à ton avis? Le film peut s’interpréter des deux façons, une jolie manière de ne s’engager qu’en surface…
Une bande annonce pleine de swag.
© Marvel studios/Walt Disney
-Putain! T’as vu où tu vas chercher? Mais t’es complètement taré, tu le sais? T’es incapable de regarder un film pour lui-même. T’as pas aimé l’histoire?
-Hyper banale: un héros-élu typé «mâle alpha» a des pouvoirs parce que c’est lui. Un méchant cherche à se venger parce qu’il s’estime spolié. Après une scène d’action où le héros se la pète, il découvre un complot bien plus vaste. Il mange méchamment avant de se remettre en question et de revenir victorieux, délivrer le peuple et rouler une pelle à sa gonzesse… générique… et oui : Scène post générique.
-L’action alors?
– Les petits pois sauteurs qui rebondissent devant des fonds verts?
-Snif, et les personnages, snif…
-Là encore les seconds rôles sauvent les premiers … Les gardes du corps contrebalancent la petite sœur-génie-tête à claque. Le méchant domine le premier rôle. Mais carrément!
-Mais il y a bien un truc que t’as aimé dans le film réclamais-je alors à genoux comme un suppliant du moyen-âge.
-Les acteurs:un florilège Angela basset, putain je l’adore depuis STRANGE DAYS… Martin Freeman déborde de gentillesse encore une fois, on l’adore. Danai Gurira est bad-ass. Lupita Nyonng’o et Winston Duke sont les arguments frais, convainquant et africains du film. Il y a plein de visages et de mimiques à découvrir, c’est réellement agréable. Encore une fois le boulot des créatifs qui ont bossé sur la pré-production du film sont vraiment balèzes. Visuellement, on passe un bon moment.
-Hé bien ouf, j’ai eu peur que tu ne trouves rien de gentil à dire…
-A défaut d’avoir un message profond, le film par l’intermédiaire d’un acteur important de la pop-culture qu’est l’empire Disney donne une visibilité indéniable à l’humanité noire. A ce niveau de notoriété et de rayonnement mondial, c’est la première fois. A ce titre le film devient important. La rumeur veut que le film soit poussé aux Oscars, mais en fait, cette distinction devrait aller à d’autres œuvres plus ambitieuses à la fois dans le message et l’exécution. Non la distinction qui conviendrait à ce film, malgré ses maladresses et ses défauts seraient bien plus de l’ordre d’une distinction en faveur de la paix mondiale. Un prix Nobel? Évidemment cela voudrait dire, que l’apparence est devenue plus importante qu’un fond vraiment concret, mais il faudrait n’avoir pas vécu sur terre ces cinquante dernières années pour nier les faits…
-Bref t’as aimé le film ou pas?
-J’en sais rien encore une fois le truc a beaucoup d’ambition, mais je crois qu’on dit plus de trucs en BD et là je pense à UN3 (Urgence niveau 3) qui parle de la détresse africaine…
-Ouais mais c’est bien aussi d’avoir un truc qui ne passe pas par le point de vue de l’humanitaire, quelque chose qu’on puisse brandir avec fierté…
-ouais, j’imagine.
-T’es un putain de cynique…
-Non TU es un putain de cynique, je n’ai fait qu’ouvrir la vanne des réflexions que TU t’es faite pendant la vision du film… après libre à toit d’en retenir les gadgets à la con de la petite débile qui mâche son chewing-gum… Ce sont tes pensées, tu fais le tri comme tu veux…
-Félicitations, je ne sais plus où j’en suis…T’as d’autres projets comme ça pour ruiner ma journée, espèce de misanthrope…!
-.Là, j’attends Thanos…
C’est alors qu’un Donut géant apparut dans l’espace de l’encadrement de ma fenêtre (en banal pvc, mais tout le monde s’en fout). Je ne sais donc pas si cette chronique vous parviendra un jour…
—–
la BO du jour: une chanson revendicative, populaire et fédératrice.
Que dire?… Bah, rien… A quoi bon?
Oui, ne dis rien. C’est beaucoup mieux comme ça.
R.I.P. Chadwick… (année 2020 de merde, quand même :'( )
Noooooon ! Oh merde 🙁
Ouch ! 43 ans merde !
Je viens de le voir. La fin rattrape un peu le truc mais globalement, je me suis bien fait chier. Maintenant je vais relire l’article.