Focus : Uncanny X-men # 161 (1982) par Chris Claremont et Dave Cockrum
Un article de TORNADO
VO : Marvel
VF : Lug, Panini
1ère publication le 06/11/18- MAJ le 26/04/20
Cet article vous propose un focus sur un épisode mythique de la série UNCANNY X-MEN, à savoir le #161 de septembre 1982, publié initialement en VF (en 1985) dans l’album BELASCO de la collection LES ETRANGES X-MEN des éditions Lug.
Pour mémoire, il s’agit du fameux épisode qui dévoilait, aux yeux des lecteurs ébahis, les origines secrètes de la rencontre légendaire entre les sieurs « Charles Xavier » et sa nemesis d’alors, ce bon vieux « Magnus » (il ne s’appelait pas encore Eric Lensherr), alias « Magneto »…
Mon article va sans doute vous paraître surprenant puisque je n’ai jamais rien écrit sur la période classique des X-men (celle de Chris Claremont) en dehors de la SAGA du DARK PHENIX. Et c’est d’ailleurs la troisième fois seulement, à ce jour, que j’écris quelque chose sur les mutants de la Maison des idées (car il y a eu aussi ceci ). Il est donc surprenant qu’un contributeur de Bruce Lit se soit aussi peu arrêté sur un univers qui a, en général, pignon sur rue ici…
Et puis, après avoir écrit un article aussi méchant que celui où je tentais de démonter la Saga du Phénix, il peut paraitre également surprenant que, d’un seul coup, je débarque avec une chronique, cette fois énamourée, d’un épisode de la même période…
Alors laissez-moi vous ramener un peu dans le passé :
Nous sommes en 1985. A cette époque, les éditions Lug publient les X-men de manière très anarchique en les diluant dans Spidey (pour les premiers épisodes de Stan Lee & co.), dans Special Strange (pour les Uncanny de Claremont) et dans une autre collection un peu fourre-tout, en complet décalage, celle des albums LES ETRANGES X-MEN. C’est cette dernière collection qui retient mon attention au moment où, comme beaucoup de jeunes adolescents, je me sens en phase avec ces mutants qui crient leur droit à la différence dans un monde impitoyable qui évoque celui de nos adultes d’alors…
C’est le moment où je décide d’entrer dans le monde des X-men. La SAGA DU PHENIX est passée (dans Special Strange en 1983). DAYS OF THE FUTURE PAST arrivera en 1987, quand j’aurais abandonné les super-héros pour d’autres horizons (raisons pour lesquelles je ne ressens strictement aucune nostalgie pour ces sagas majeures).
Si vous avez lu mon article à charge sur la SAGA DU PHENIX, je vous dois une explication et peut-être même une excuse : Mon article n’était pas sensé blesser les fans. Il était sensé les remuer un peu, certes, mais en rigolant. Toutes les phrases barrées étaient sincèrement barrées : C’est-à-dire que je disais ainsi qu’il n’était pas question pour moi d’écrire ces phrases sérieusement, parce que, si effectivement je trouvais que la SAGA en question était très mauvaise (ce qui est mon droit dans un pays libre), je me défendais de dire que ceux qui l’aimaient étaient débiles. Ainsi naquit cette idée de barrer les phrases qui m’étaient venues à l’esprit de manière pulsionnelle en relisant cette saga. Soit une manière de m’interdire le droit d’insulter ceux qui osaient aimer quelque chose que je n’aimais pas, tout en expliquant malgré tout mon ressenti ! La forme de cet article était donc totalement orientée vers l’exutoire et l’autodérision : Est-ce que je trouve la SAGA DU PHENIX nulle ? Oui ! Est-ce que je pense que ceux qui aiment cette saga mythique sont des débiles ? Bien sûr que non !
Voilà.
N’empêche qu’aujourd’hui, les X-men, je n’en ai strictement plus rien à foutre.
Là encore, il peut paraître surprenant (provocateur !) que j’ose une pareille déclaration sur un blog majoritairement dédié à la franchise « X ». Mais c’est pourtant vrai : Toutes ces décennies de continuité foireuse, indigeste et nauséeuse, tous ces events et crossovers à la noix, tous ces retcons et autres morts/résurrections ont très largement eu raison de mon intérêt pour cet univers de papier. Et j’ai, à l’heure actuelle, quasiment tout revendu en dehors de quelques broutilles (l’album BELASCO ici présent, le magnifique DIEU CREE L’HOMME DETRUIT bien sûr, ainsi que le sublime épisode LIFEDEATH par Chris Claremont & Barry Windsor-Smith, les VIGNETTES de Claremont & Bolton, et bien entendu les magazines que Bruce m’a offerts à notre première rencontre…). Je garde également la période HOUSE OF M, que j’aime beaucoup, avec les mini-séries signées Paul Jenkins. Puis les ASTONISHING X-MEN de Warren Ellis et, bien évidemment, ce qui représente pour moi le sommet de la montagne (Bruce me pardonnera peut-être un jour…) : le run de Grant Morrison (vite mes pilules ! -Ndr).
Il y a donc cet épisode : Le #161 de 1982.
Celui-là, il me tient à cœur.
J’avais déjà été très impressionné par l’épisode précédent avec Belasco et ses limbes, où la jeune Illyana était restée prisonnière pendant des années. Et j’avais d’ailleurs tellement adoré la mini-série qui relatait l’existence de la jeune femme dans les limbes que je ne peux m’empêcher de revenir brièvement dessus :
1983 : Ecrite par Claremont, dessinée par Tom Palmer, Ron Frenz, John et Sal Buscema, MAGIE raconte ce qu’il s’est passé dans les enfers lorsqu’Illyana, la sœur de Colossus, est restée prisonnière du méchant Belasco pendant sept ans. C’est évidemment la suite directe de l’épisode CHUTES & LADDERS (Uncanny X-men N°160, qui donne son titre à l’album Lug BELASCO).
La chose reste aujourd’hui encore très agréable à lire. L’atmosphère y est plus adulte (et violente) que celle des épisodes habituels des X-men. La tonalité du récit est crépusculaire, avec l’apport du style de John Buscema qui, lorsqu’il est aux crayons, nous rappelle qu’il est très fort pour mettre en image des histoires de sorcellerie.
On sent poindre l’influence de Frank Miller dans l’usage des soliloques, qui permet de se débarrasser des insupportables bulles de pensées. Quelques temps auparavant, Claremont & Miller s’étaient associés pour créer la première minisérie consacrée à Wolverine (Je Suis Wolverine ), un monument de découpage séquentiel qui devait beaucoup à Miller, qui de son côté venait de révolutionner le monde des comics avec sa reprise de la série Daredevil .
Claremont, auteur génial pour tout ce qui est des histoires, mais souvent laborieux pour les raconter, en homme humble et intelligent, allait se souvenir du travail de Miller et s’en inspirer. Il utilise donc sur MAGIE le procédé du solliloque (le monologue intérieur) cher à son illustre collègue, offrant au récit une tonalité plus sérieuse et intense que sur les épisodes UNCANNY.
Pour les lecteurs de l’univers des X-men, il s’agit d’ailleurs d’un complément indispensable à la série régulière…
Mais revenons à l’épisode UNCANNY #161 puisque c’est le sujet de notre focus :
Il s’agit ni plus ni moins de la rencontre historique (canonique dirons-nous), sous forme de flashback, entre Xavier & Magneto. Et quelle rencontre !
Il faut dire que nous sommes, à l’époque, nous autres geeks de l’aube, très réceptifs à tout ce qui touche aux « origines secrètes » (qui peut dire, ici, parmi les anciens, qu’il ne se ruait pas sur les STRANGE SPECIAL ORIGINES ? Mmmmh ?).
Mais il y a autre chose. Une autre composante qui fait de cet épisode un événement très particulier…
La Shoah.
Pour un gamin de l’époque, qui avait vaguement entendu parler de la chose et qui pouvait à peine y songer, il était inattendu qu’une bande-dessinée destinée aux adolescents ose l’y confronter.
Evidemment, Chris Claremont nous présentait la Shoah sous forme de fable. Mais justement, c’est là que c’était fort : Alors que l’on avait entendu de loin parler de ces nazis qui tuaient des juifs en les envoyant dans des camps de la mort, Chris Claremont et Dave Cockrum nous chopaient soudain par les tripes en osant tout nous raconter sous le vernis d’une apparente histoire de super-héros !
L’épisode (intitulé GOLD RUSH en VO) démarre pourtant mollement : Nous sommes à l’époque en pleine SAGA DES BROODS et, même si j’aime encore beaucoup cette dernière (en grande partie par nostalgie mais pas seulement), je ne peux m’empêcher d’être navré par les tics d’écriture de Claremont qui débute le récit par une confrontation soap des plus redondantes entre Cyclope et Tornade. Les deux jeunes gens tergiversent à l’envie sur la nécessité pour Cyclope de reprendre du poil de la bête, afin de redevenir le leader du groupe. Soit la même chose en boucle, depuis des lustres, lourdement toujours et encore, pimentée par des dialogues d’une navrante naïveté. Et c’est extrêmement lourdingue caricatural (désolé, j’ai fait une rechute…). On enfonce le clou avec la reine Lilandra qui crie son amour sur le lit de Xavier, lequel tente de survivre à son coma (baille)…
Jusqu’à ce qu’enfin, le Charles nous emmène dans ses souvenirs de jeunesse, vingt ans auparavant…
Bien avant que je ne découvre les œuvres phares sur les horreurs de la Shoah, avant NUIT ET BROUILLARD, LA LISTE DE SCHINDLER ou LE PIANISTE, avant que je ne lise BELLE DU SEIGNEUR, avant que je prenne véritablement conscience, horrifié, des affres de la solution finale, il y a eu cet épisode des X-men.
Pour un gamin de l’époque, Chris Claremont écrit ici un idéal de récit à la fois métaphorique et percutant, qui parvient à s’inscrire dans une veine littéraire où coïncident la fiction et le devoir de mémoire, le fantastique et l’investigation.
Le scénariste va néanmoins droit au but : Dès que Xavier rencontre Magneto, celui-ci lui présente une patiente (Gabrielle) traumatisée par les camps de la mort, isolée depuis dans une catatonie totale. Le Professeur X s’empresse alors de pénétrer le subconscient de la jeune femme. Il commence évidemment par rencontrer un mur, défendu par des monstres. Jusque là, rien de bien anormal pour un lecteur adolescent de 1985. Sauf que Xavier nous annonce la couleur : « Cette barrière doit protéger Gabrielle d’un monde trop horrible à supporter… Il est donc temps, pour le jeune lecteur, de remonter le temps plus loin encore…
En seulement une planche et demie, Chris Claremont parvient à raconter un périple d’une densité assez ébouriffante : En s’attardant sur la nécessité de sa patiente de lui résister (elle qui lui oppose ses monstres), il met ainsi un pied dans la psychanalyse (si je puis m’exprimer ainsi), tout en mettant l’accent sur la personnalité du professeur, toujours à l’écoute de son prochain, qui s’inquiète ici de savoir s’il faut, oui ou non, briser la paix intérieure de Gabrielle et ainsi décider à sa place de ses choix personnels.
Mais c’est avec la huitième planche que le récit prend véritablement toute sa dimension.
Claremont démarre avec une vignette lumineuse qui n’est quasiment composée que de texte. Il cite la Bhagavad-Gita, mêlant ainsi la pensée hindouiste à son récit comme pour lui donner une dimension plus spirituelle encore.
Et là, il lâche sa bombe : Il relate les horreurs des camps de la mort, représente les nazis sous les traits d’affreux croquemitaines (John Landis nous montrait déjà les mêmes représentations dans Le Loup-garou de Londres en 1981), atténuant à peine l’horreur de ce qu’il nous raconte, à nous les enfants…
Tout y passe : Le fourgon bondé à craquer (« si bondé que les morts tiennent debout, soutenus par les autres jusqu’à l’ouverture des portes »). La chambre à gaz. La mort des proches. Et le viol, seulement suggéré, bien sûr. Mais la métaphore, ici encore, est terrible : « Elle est traînée devant le commandant, qui pointe sur elle une baguette magique, vocifère une formule obscène… et la transforme en statue d’or ! »…
Une planche incroyable, qui m’a marqué au fer rouge, à tout jamais !
Le reste de l’épisode est en dessous de ce passage exceptionnel. Il s’agit avant tout d’une aventure exotique avec chasse au trésor mais, en toile de fond, se joue néanmoins la rencontre séminale entre les deux frères ennemis Xavier & Magneto avec, de manière éclatante, une rivalité appelée à durer, sur les aléas de la mutanité.
Nous trouvons ainsi un Magnus déjà pugnace qui n’a de cesse de prévenir Xavier que le futur des mutants sera de souffrir face au refus du droit à la différence, faisant directement le lien avec la Shoah…
Qu’à cela ne tienne, le Charles lui réplique que, s’il a tué lors de la guerre de Corée, c’est qu’il n’avait pas le choix, mais que ces tueries le hanteront jusqu’à la fin de sa vie. De l’humanisme face à la vindicte existentielle…
Hélas, la seconde moitié de l’épisode nous montre l’Hydra qui vient jouer les néo-nazis en essayant de mettre la Main (!) sur l’ancien trésor nazi en Israël (en liant l’air de rien la continuité de l’univers Marvel sur la question de l’ennemi fasciste). On retombe donc dans de la BD enfantine, même si, par moment, on perçoit bien la métaphore qui dessine en sous-texte une certaine pensée critique. Et d’ailleurs, entre les lignes, on peut être amenés à se poser la question du bien fondé de la pensée sioniste, étant donné que ni Xavier, ni Magnéto, ne semblent avoir foi en un avenir radieux pour la terre promise…Au final, on reste époustouflé face à la richesse d’un tel épisode (qui pose également les jalons du passé tragique de Magneto, lui aussi enfant de la Shoah), unique en son genre dans l’amas de sagas mutantes qui ont vu le jour depuis l’apparition des X-men.
Contrairement à ce que j’ai déjà pu lire, je ne dirais pas que c’est bien écrit. Car à mon sens, l’écriture tient davantage de la forme que du fond. C’est certes très bien pensé, mais au contraire, c’est assez laborieusement écrit : Les personnages semblent nous parler comme s’ils nous braquaient un haut-parleur dans l’oreille, histoire d’être sûrs d’être bien compris. Ils surjouent, se comportent de manière théâtrale et n’ont rien à envier aux acteurs des pires soap-opéras télévisuels, en nous assommant, en plus, de bulles de pensées pachidermiques…
Toujours est-il que cet épisode, là, est à jamais gravé dans mon ADN tant il m’a forgé l’esprit sur la terrible question de la Shoah et de l’humanisme. Et ça, ce n’est pas la moindre de choses qu’on peut attribuer à Chris Claremont.
Depuis, le sujet me hante et j’ai toujours cherché à essayer de comprendre les raisons qui ont pu mener un peuple à la Solution Finale.
De la chanson de Jean-Jacques Goldman (NE EN 17 A LEIDENSTADT) aux DAMNES de Luchino Visconti, toutes les œuvres qui traitent de la Shoah ou de la montée du nazisme me ramènent virtuellement à cet épisode des X-men et aux terribles images de la huitième planche, ancrées pour l’éternité dans ma mémoire…
Pour terminer, je tiens à dire une ou deux choses sur le dessin, car je trouve un peu injuste que l’on sacrifie sans cesse le talent de Dave Cockrum sur l’autel de John Byrne. Certes, le Cockrum est en dessous du Byrne et ses épisodes de 1975/1977 ne sont pas reluisants. Mais son retour en 1982 est extrêmement honorable, quand bien même il bénéficie de l’encrage brillant de Bob Wiacek. Ses planches sont élégantes, denses, rythmées et découpées de manière variée et inventive. De l’excellent travail de bande-dessinée old-school. Ainsi, cette série d’épisodes qui va de 1982 à 1984 me tient à cœur. C’est ma préférée de l’histoire des X-men classiques et la seule que j’aime me relire (La SAGA DES BROODS et son côté ALIEN chez les X-men, c’est chouette !). Et c’est Dave Cockrum à la barre la plupart du temps…
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Les origines de Magneto dans les camps de la mort et sa rencontre avec Xavier insérées dans l’album LUG Belasco. Un récit qui a su amadouer Tornado ennemi assumé du comics old school et des Xmen en particulier. Découvrez pourquoi chez Bruce Lit.
BO : Tindersticks : Sweet Memory
Parfois, les souvenirs, même quand c’est triste, c’est beau…
C’est sur Superman qu’il bosse à présent. Et d’après ce que j’ai compris c’est largement aussi pourri que ce qu’il faisait dernièrement chez la concurence…