Tigre de Ahn Soo-Gil
AUTEUR : MAT MATICIEN
Un chef d’œuvre de la BD coréenne , voilà ce qu’annonce fièrement la couverture de l’album « Tigre ».
Il est vrai que cette couverture attire le regard : un superbe félidé se repose sur un lit de roche le regard mi-nostalgique mi curieux.
Ce livre publié en France en deux tomes chez Clair de lune est un manhwa, c’est à dire une BD coréenne*.
Il raconte, cela ne surprendra personne, l’histoire d’un tigre. Composé de 19 chapitres, il s’ouvre logiquement avec la naissance de notre héros dans les montagnes de la péninsule coréenne.
Dès le chapitre 2 intitulé « vie et mort » le ton est donné. Il va y avoir des pertes.
La vie sauvage n’est pas un long fleuve tranquille même si l’on est situé en haut de la chaine alimentaire.
Pour preuve, le tigre va rapidement se trouver confronter à un animal plus fort que lui, un tigre blanc qui fait des carnages…
Cet animal fait basculer le récit d’un naturalisme bienveillant à une aventure plus classique avec notamment les bons et les méchants.
Notre héros a désormais une quête : il doit se venger de ce tigre. Il lui faudra 400 pages pour retrouver, je cite, le titre du dernier chapitre « la paix intérieure ».
Deux éléments justifient l’intérêt du lecteur. D’une part le dessin est époustouflant. Il est celui d’un véritable passionné, Ahn Soo-Gil qui a consacré 10 ans de sa vie à ne travailler que sur les tigres. Il les représente dans toutes les situations, ne s’épargnant aucun angle de vue. Le trait est précis comme celui d’un naturaliste.
Certaines expressions sont très réussies et donnent une profondeur à ce « personnage » ou ces paysages à la manière des peintures coréennes anciennes. Malheureusement, les expressions deviennent parfois, pour les besoins de l’histoire, plus caricaturales : yeux écarquillés, perles de sueur, pupilles dilatées. Mais il faut reconnaître que le dessin est ici virtuose. Dans une préface-hommage, nous apprenons que l’exigence d’Ahn Soo-Gil était telle « qu’il ne pouvait dessiner plus d’un ou deux plans par jour » et qu’il refusait de simplifier son trait ou même de recourir à des assistants.
D’autre part, une certaine mythologie semble entourer ce récit. L’auteur, décédé prématurément à 42 ans, était entré dans une relation fusionnelle avec son sujet. Au delà de la bande dessinée, cet auteur a participé à des colloques, rédigé de nombreux articles sur les tigres… La préface dit qu’il avait fini par « ressembler lui-même à un tigre. Son large visage aux angles arrondis arborait de grands yeux à fleur de tête et une barbe hirsute ».
Mais alors ce livre est-il un chef d’œuvre comme le promet la couverture ? Il faut l’avouer maintenant Tigre est un brin soporifique. Notre tigre est certes mignon mais un scénario faible, beaucoup trop linéaire et convenu (tigre rayé contre tigre blanc) ne parvient pas à maintenir éveillé notre intérêt. Ce récit perd selon moi toute crédibilité lorsque le tigre principal se met à parler / penser.J’ai eu l’impression d’avoir accès à l’inconscient de Tigrou. Si, si Tigrou, l’ami de Winnie ! Je vous livre quelques puissantes pensées de ce félin qui vous inspireront peut-être des sourires : « quelle tuile ! je voulais seulement m’amuser un peu« ou encore « j’ai appris aujourd’hui qu’une nourriture obtenue sans effort n’apportait que des ennuis« . Bref Porcinet et sa morale ne sont jamais bien loin.
On regrette que l’auteur n’ait pas suivi le choix de Masashi Tanaka dans Gon et livré une BD sans paroles. L’ouvrage aurait sans doute été plus convaincant. Si j’étais acide, je dirais qu’au fil des 470 pages, on comprend un peu mieux pourquoi ces seigneurs des montagnes ont disparu : ils n’étaient peut-être pas assez malins.
En synthèse, feuilleter l’ouvrage est intéressant mais le lire est une expérience pénible pour un adulte. La virtuosité du dessin ne parvient pas malheureusement à compenser les faiblesses évoquées ci-dessus. Ce livre pourrait en revanche être adapté à un jeune public. L’éditeur a fait le choix de laisser quelques onomatopées en coréen. Si cela a un petit côté exotique, cela nuit peut nuire à la bonne compréhension de certaines scènes d’action.
* Les coréens composent leur récit dans le sens occidental de lecture ce qui facilite leur adaptation. Le terme manga est réservé à la BD japonaise.
Je l’ai vu hier à Gibert. J’ai failli le prendre pour les dessins et je me suis rappelé que tu m’avais promis de me parler d’un manga qui t’avait déplu avec un tigre ! Ouf !
Je vois que tu n’as plus rien à m’envier en terme de légende. Le Frosty m’ a bien fait rire !
Je suis désolé d’avoir empêché un achat impulsif chef Gibert (cela mène souvent à des pépites) mais ton inconscient a selon moi bien fait de te retenir au dernier moment.
J’ai aussi été très attiré par le dessin mais la virtuosité ne suffit pas. La contemplation des tigres sur le papier est ruinée par la faiblesse des textes et l’anthropomorphisme fait ici des victimes.
Les 2 premières images sont magnifiques. Je me demande combien de temps un dessinateur peut passer sur une telle case pour mettre autant de traits, et arriver à reproduire un pelage avec une telle complexité.
Dans une préface hommage rédigée par un autre dessinateur, on apprend qu’Ahn Soo-Gil passait un jour pour dessiner un ou deux plans. Je ne sais pas si un plan correspond à une case ou une page mais à raison de 470 pages pour cette histoire cela laisse envisager une somme de travail considérable et plusieurs années de labeur.
Son exigence est telle qu’il s’est toujours refusé à déléguer à des assistants et j’imagine que c’est là son point faible. Ce relatif isolement créatif explique peut-être la faiblesse du scénario et la naïveté des sentiments prêtés aux tigres.
Pour conserver le plaisir des dessins, peut-être faut-il mieux s’orienter vers l’Artbook Tigre publié par la même maison d’édition en juillet 2012 mais je ne l’ai pas encore feuilleté.
Et oui, c’est selon moi le paradoxe de cet auteur qui d’un côté rend hommage aux tigres et de l’autre les anthropomorphise allant jusqu’à faire sourire, pleurer ces animaux pourtant si réalistes sur le papier…
Et il est mort de quoi ?
Je ne sais pas et je n’arrive pas à trouver l’information… si quelqu’un sait ?
Débrouille toi , apprends le coréen ! C’est ton article, ta responsabilité mec !
Signé : Le Chef impitoyable mais juste !
C’est vrai que le dessin donne envie… Merci pour le commentaire, donc ! Et j’aime beaucoup les légendes aussi 🙂
Forfait chef… Même sur google.co.kr je ne trouve pas. J’arrive à écrire les titres des livres en coréen mais pas son nom… Je compte sur vous chef pour trouver la réponse. Vous êtes fort chef !
Pendant que parcourais ta chronique je n’est pas cessé de pensé « dans mon commentaire je vais faire la comparaison avec GON ». Et puis PAF! Tu l’a déjà fait! Bon bah tu m’a volé mon commentaire du coup.
En tout cas merci, car j ‘aurait sauté sur le bouquin aussi si jamais il me passé devant les yeux!
Attention Xabaris, c’est un livre sur les tigres pas les loups. Cela pourrait faire des jaloux 😉 désolé pour le Dino mais je devais rendre hommage à la critique de Bruce.