Carnage par Gerry Conway et Mike Perkins
par Eddy Vanleffe
VO : Marvel
VF : Panini
1ère publication le 21/06/18- MAJ le 12/01/19
Cet article portera sur la série Carnage (2015) scénarisé par Gerry Conway et dessiné par Mike Perkins dans trois numéros du magazine Spider-Man universe.
Tous les scans sont donc la propriété de MarvelComics.
Existe-t-il une recette pour obtenir un comics de qualité supérieure à coup sûr?
Bien sûr, on serait tenté de constituer une équipe d’auteurs talentueux pour que le tour soit joué, mais on a vu que bien souvent, c’était plus compliqué que cela.
Il existe un cas d’école particulier au comics de super héros en univers partagé. Des personnages que personne ne veut, qu’on donne à un scénariste dont personne ne connaît le nom et dont chaque idée est validée par un éditorial qui se dit: «Bof, pourquoi pas? On’a plus rien à perdre!» . Vous obtenez ainsi, Les X-Men de Claremont, Le Daredevil de Frank Miller, le Warlock de Jim Starlin, les New Teen Titans de Wolfman et Perez ou au bout de la chaîne le Swamp Thing d’Alan Moore. Cette façon de procéder est le miracle du «Bronze age» of comics.
Il est tentant de croire que cette pirouette peut fonctionner indéfiniment ou de manière aléatoire, au gré de l’histoire.
Nous avons vécu depuis les fameux «grimm and gritty», la montée en puissance de Vertigo et de ses auteurs renommés et enfin nous survivons à l’ère des Events iconoclastes. Conscient d’être parvenu à l’extrémité d’un cycle, Marvel tente d’être original sans se mouiller de trop. Être novateur sans vraiment oser. Souffler le chaud et le froid, servir de laboratoire en vue de franchiser pour le cinéma ou la télévision. Secret Wars servit d’ailleurs à ça. Voir ce qui plaît ou pas. Ainsi le Weird world piqua la curiosité, le mariage de Spider-Man revint par la petite porte et X-Men 92 annonça la nostalgie 90 du nouveau run de Guggenheim.
Il est donc difficile pour l’éditeur de parvenir à faire éclore de nouvelles séries cultes et passionnantes qui s’inscrivent dans la durée à la fois des parutions et dans la mémoire.
Alors pourquoi et surtout comment sans crier gare, cette nouvelle série Carnage est-elle parvenue sur les étals de poissons pas frais des comics lambda?
Fulgurance?
Hasard?
Pari perdu?
A défaut d’un jeune premier voulant percer sur «Avenging Avengers of the West Coast academy season 2», nous avons le vieux Routard Gerry Conway aux manettes du scénario. Ce dernier est surtout célèbre pour avoir pété les cervicales de Gwen la cruche qui a jamais compris que son copain était Spider-Man. Certains plus attentifs savent que les deux ans de son run sur Amazing Spider-Man valait quand même son pesant de cacahuètes vintages et que bien plus tard il livra de nouveau une prestation modeste mais très «roller coaster» au tisseur sur Spectacular Spider-Man. Mais bon, on est loin d’un auteur en vue, surtout par la génération «Quesada». Dans ses pattes on collera le dessinateur Mike Perkins qui lui non plus n’a pas le CV blindé de hits. Il a toutefois déjà mis en image un titre d’horreur pour Marvel. Il s’agissait de l’adaptation de The Stand (Le Fléau) de Stephen King. Le point commun des deux bonhommes, c’est d’être de solides artisans et des artistes compétents.
Déjà Gerry avait plus ou moins essayé de glisser quelques références vers l’occultisme, mais le tisseur s’accommode assez mal de tout ce décorum.
Carnage est donc l’occasion de faire peau neuve à plus d’un titre.
Déjà, pour commencer: CE N’EST PAS UN TITRE DE SUPER-HEROS. CECI EST UN COMICS D’HORREUR!
Certes, Carnage reste un psychopathe soudé à un symbiote particulièrement dégueulasse, certes encore la sacro-sainte continuité de l’univers partagé est prise en compte, mais la démarche consistera à limiter ces aspects à leurs portions les plus congrues.
Pitché au départ comme une course au vampire avec Carnage à la place du monstre, Conway avoue avoir retrouvé le plaisir de bosser.
Nous avons donc à faire cette fois à une équipe spéciale du F.B.I qui est chargé de traquer les criminels spéciaux comme Kletus Cassady le fameux serial-killer associé au symbiote Carnage. Cette équipe est dirigée par Claire Dixon intrépide inspectrice que les scrupules n’étouffent pas trop.
Elle met au point une stratégie afin d’atteindre son but: Elle loue à l’armée une arme expérimentale: un canon sonique surpuissant qui sera sous la bonne garde du commandant John Jameson, responsable de la maintenance du matériel militaire et accessoirement, la victime d’une étrange malédiction. L’agent Dixon détient également l’homme qui connaît probablement le mieux le psychopathe à savoir Eddie Brock lui-même. Ce dernier privé de son propre symbiote Venom, est devenu une marionnette pour l’unité spéciale du F.B.I. Il est jumelé à présent à une autre entité; Toxin, mais sous le contrôle absolu de l’inspectrice qui croit ainsi pouvoir le tenir en laisse. Brock accepte néanmoins de bonne grâce son nouveau statut, espérant pouvoir régler ses comptes avec son rival.
Par ailleurs, une jeune femme a miraculeusement survécu à l’une des premières attaques du tueur écarlate: Manuela Calderon. Elle est devenu depuis la responsable de la sécurité d’une vieille mine en fin d’activité.
Claire passe un accord avec le propriétaire de la mine, Barry Gleason pour attirer le monstre, irrémédiablement attiré par une salve d’informations pour terminer sa besogne.
Le plan peut paraître grossier mais il recèle une forme d’astuce assez malsaine, si l’on tient compte que l’agent Dixon espère que chacun de ses pions succombe à ses instincts les plus primaire et que les événement lui donnent souvent raison.
C’est donc dans une ambiance, à cheval entre la série X-Files (si l’on considère toutes les aberrations Marvel comme des affaires non-classées) et le film The Cell pour la course-poursuite d’un tueur en série donnant dans le fantastique, que la série prend ses marques. S’il est en effet bourré de références à l’univers régulier de Spider-Man, ce comics se borne à citer explicitement ce qui est nécessaire à la compréhension de l’intrigue et à en détourner les codes comme le fait de faire de Claire Dixon la principale protagoniste de la nouvelle série. En effet, celle-ci étant une simple flic ambitieuse, complètement étrangère aux collants permet par une astucieuse identification de pouvoir se passer du reste, allant jusqu’à presque considérer la série comme une sorte «poche» à part comme Old man Logan, ou End of Days…
Graphiquement les ombres omniprésentes débarrassent également les personnages de leur traitement habituel qui consiste souvent à habilement dessiner différemment les super-héros des autres protagonistes. Ici Brock, n’est plus le colosse de Mac Farlane tout en gardant sa brosse caractéristique et Man-Wolf ressemble davantage à un figurant, rendant sa métamorphose plus saisissante et plus douloureuse.
La mission deviendra comme l’on pourrait s’en douter un bordel monumental, car si le canon sonique fait bien s’écrouler les différents couloirs de la mine sur Carnage, la moitié de l’équipe est prise au piège de ce gigantesque coup de grisou. C’est là que le deuxième scénario commence.
Un temple d’un culte ancien est soudainement mis à jour. Le culte de Ch’thon qui manipule Carnage lui donne la possibilité de pouvoir évoluer d’une manière jusque là inédite et booster sa manière de se reproduire. Et si tout depuis le départ avait été prémédité?
Ce premier arc est assez réussi, avec une bonne ambiance de film à la fois catastrophe, adoptant un ton sombre, premier degré dans sa façon d’aborder l’horreur et le fantastique. Mais Conway va opérer un tournant à 90° dès le suivant.
Suite au fiasco dans la mine, le bilan pour l’équipe de Claire est sinistre. Raillée par ses supérieurs, elle est à deux doigt de jeter l’éponge, avant de trouver un autre élan. Si Dixon et les siens sont responsables de la sortie de terre d’un culte dangereux, celui-ci a des ennemis qui le traque depuis la nuit des temps: Les enfants de la nuit. Dirigée par la mystérieuse Victoria Montesi et son fidèle indien Singh, sage, prêtre, guérisseur, bref le mec utile. Cette nouvelle organisation est à la fois une force et une faiblesse pour la série. Force, parce que les personnages sont excellents et redonnent une nouvelles dynamique, et parce qu’aussi le scénario rebondit sur d’autres pistes passionnantes, mais faiblesse parce que voilà:Les enfants de la nuits font office de «mac guffin» permanent avec tout ce pognon et ce savoir sorti d’on ne sait où sans plus d’explication que: Nous sommes là depuis le début et nous pouvons passer à l’échelle supérieure. C’est agaçant. Mais heureusement Conway, comme un chef pâtissier qui sait qu’il n’a pas utilisé le bon ingrédient, va réussir à le faire oublier en maintenant un tempo impressionnant.
Le deuxième arc est sans doute le plus réussi. Le premier épisode nous présente une toute jeune fille Jubulile Van Scooter en train de faire le tour du monde en solitaire sur son petit voilier. Impossible à ce stade de ne pas penser au film Dagon de Stuart Gordon qui commence de la même manière avant de déchaîner un enfer lovecraftien sur ses héros, ce qui arrive également ici…
Ici débute la chanson d’amour de Conway pour le maître de Providence. Si ce n’était qu’allusif dans la première partie, nous sommes désormais plongés au cœur des anciennes divinités aux noms les plus dingues, à la recherche d’un grimoire ancestral écrit par un taré dans le désert. Une entité Ch’thon (habituellement Némésis des Avengers dans les années 70) menace de revenir faire régner le chaos sur la planète.
Soyons clair, le face à face entre Jubulile Van scooter, dont le métissage Afrikaans/Zoulou donne un background fort intéressant et surprenant et son naufragé Carnage va donner lieu sur une vingtaine de page à un thriller/survival des plus dense,vrai pied de nez à la décompression. Une réussite en soi, un one-shot délicieux glissé entre deux intrigues. Dès lors, il s’agira de comprendre comment Cassady a pu atterrir sur ce bateau.
Gerry Conway connaît bien mais livre une version quelque peu inhabituelle de ses personnages.
Il est à remarquer qu’il insiste plusieurs fois sur le fait que le symbiote Carnage s’est fusionné avec un crétin à moitié inculte incapable de discerner les enjeux de ce en quoi il mis les pieds. Aussi maladroit que violent, il rend le parcours de son hôte particulièrement facile à suivre pour la nouvelle équipe cette fois menée par Montesi qui va le traquer à travers le monde pour lui reprendre son grimoire, jusqu’à croire pouvoir le coincer sur un vieux rafiot. Victoire aussi fugace qu’illusoire dans un climat qui cette fois n’est pas sans rappeler la pessimiste série The Strain.
Brock, comme un chien en laisse ne cesse de proférer ses sarcasmes jusqu’à ce qu’il devienne une sorte d’ange gardien pour la jeune adolescente naufragée. Conway rappelle de manière détournée que l’obsession pour les innocents ne venait pas de Venom mais bien de son avatar humain. Sa recherche pudique de rédemption replace son aspect religieux également.
John Jameson ne maîtrise pas la bête en lui tout en étant un soldat rompu à la discipline. C’est Singh qui parviendra lui rappeler dans les moments les plus sauvage, qui il est vraiment.
Sinon ce sont bien les femmes qui tiennent la barre de la série, Jubulile, Claire, Victoria Montesi ou encore Manuela Calderon ont toutes des caractères bien trempés, pas du tout décidées à se laisser marcher sur les pieds. Les mecs sont réduits aux rôles de serviteur (Singh), animal domestique (Brock) et plan B pas très fiable (John Jameson) sans pour autant les rabaisser. Leur ennemi est quant à lui aussi débile que dangereux.
Si certains se font fort de nous asséner des équipes intégralement féminines, afin de nous faire croire lourdement et artificiellement à une meilleure représentation de la femme dans le comics (A-force), loin des spots, Conway réussit mieux sur tous les plans. Mike Perkins ne joue pas non plus sur les physiques, puisque les circonstances ne s’y prêtent pas. Bref les choses sont naturelles, fluides et à leur place.
Dans le monde d’aujourd’hui, on le sait, une série mineure vit avec une épée de Damoclès dès son sixième numéro. Le premier arc a de bons retours et autorise la mise en place d’un second. L’élan s’essouffle et l’auteur est prié de trouver une conclusion pour le douzième numéro. Ici l’éditeur a soutenu le projet au delà de son espérance de vie en donnant le feu vert pour un dernier arc, forcément bordélique, puisqu’il va falloir, conclure, ranger les jouets et le tout en 6 derniers petits épisodes.
Un jeu d’équilibriste dans lequel Conway perdra quelques plumes, mais saura rester la tête haute.
Nos héros vont donc se confronter à Carnage pour empêcher le retour de Ch’thon sur une île invisible dans la Mer de Timor (peur en latin), mission au cours de laquelle, certains trouveront leur destin.
Conway aura donc l’idée brillante d’opposer le totalement corrompu Cletus à la totalement innocente Jubulile pouvant ainsi contrôler le symbiote et le transcender. La encore le scénariste développe la relation entre les deux personnages de manière très crédible et censée. Jubulile est la fille même de l’amour, le fruit d’une union encore impensable 20 ans en arrière, alors que Cletus est presque condamné dès l’enfance, par la violence, la haine et l’horreur.
Sur certains détails, le scénariste se prend effectivement les pieds dans le tapis. Qu va bien pouvoir devenir Eddie Brock après cela? Et Jubulile? Le chute de l’ensemble se traite sur deux pages et certains disparaissent quasiment «hors champ» comme le personnage principal, lui même… Brock s’en va à la Lucky Luke et voilà.
Il y a aussi cette histoire d’amour homosexuelle qui survient à 30 pages de la fin, sans n’avoir aucun rapport, ni incidence sur le récit, comme si un exécutif avait soudain débarqué dans le bureau en s’exclamant «Les gars! On veut de la hype, rajoutez-moi des gays!» Alors, c’est très progressiste etc… mais ça tombe un peu comme un cheveu dans la soupe, à moins que cela soit une blague «méta» sur Bendis et son Iceman?
Au delà de cela, Marvel a eu le cran de nous proposer un comics d’horreur mystique sans costume, sans personnage phare, sans -trop- de gimmicks commerciaux et cela pendant seize épisodes dessinés par le même artiste sans fill-in, qui doit aire figure parmi ses pairs de marathonien. Si l’arrivée peut nous laisser sur sa faim, on aura eu droit à un voyage bien sympathique.
Mais alors pourquoi ce préambule sur la recette du comics exceptionnel?
Ah mais parce qu’on était à deux doigts, putain!
La frontière est parfois mince entre une série moyenne, mais qui a du potentiel et celle qui va vraiment changer les choses.
Si Nick Lowe l’éditeur, avait poussé Conway à lâcher les chevaux, plutôt que de le «baliser» avec cette structure par arches narratives des plus conventionnelles et cette conclusion en demie-teinte, et s’il avait donné le boulot graphique à un artiste moins conventionnel comme par exemple Mike DelMundo qui signe des couvertures bien imaginatives, visuellement marquées et marquantes. Ce comics aurait pu se hisser au rang des titres les plus ambitieux de l’écurie Marvel cette année là.
Au lieu de cela, la peur panique d’être clivant, les cantonne à nager dans les eaux tièdes du «moyen» au «pas mal», donnant comme dans les films de la firme de la bouffe de cantine.
Carnage avait le potentiel d’être le Swamp Thing de Marvel, un truc mémorable, et c’est en fait une petite série «B» faite avec suffisamment de cœur et de ruse pour nous maintenir en haleine, mais sans vraiment nous faire décoller.
Et toujours cet arrière goût de…«On y était presque!»
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Ceci n’est pas un comics Marvel, mais un film d’horreur terrifiant avec Carnage dans le rôle de Ch’tulu ! Pour son dernier article de la saison, Eddy Vanleffe a choisi de vous parler de la mini série disponible en kiosque de Mike Perkins et Gerry Conway !
Le groupe Green Jelly a écrit une chanson sur le personnage pour un jeu video.
Il y a bien longtemps que j’ai cessé de me faire des illusions sur Panini. J’ai l’occasion de lire tout ce qui est publié grâce à mon « réseau », mais il suffit parfois de lire une seule planche pour constater l’ampleur du massacre. Paradoxalement, ce ne sont pas les traducteurs qui sont en faute, mais la nécessité de « produire » beaucoup. Bon, il y a des champollions exécrables, mais même en littérature blanche, on n’est pas à l’abri d’un Lefuneste. Je crois que c’est ACTUSF qui avait proposé un dossier intéressant, il y a quelques années. Alex Nikolavitch y participait et depuis lors, j’ai mis de l’eau dans mon vin avant de critiquer en aval.
Contrairement à certains, je ne comparerai jamais URBAN et PANINI. Il y a de vrais efforts qui sont faits chez le premier pour démocratiser et faire connaître les comics. PANINI se contente trop souvent de recycler ad nauseam les mêmes séries, au fil des années. Alors, oui, c’est cher, mais à choisir j’achète URBAN. PANINI, je pirate, j’emprunte, mais je ne paie pas. Comme pour le porno. C’est dire à quel point je les estime.
Marvel a toujours eu des franchises soporifiques, mais un catalogue aussi riche contient forcément de bons titres, dont un grand nombre reste d’ailleurs inédit. Agents of Atlas, Starr the Slayer pour ne citer que deux exemples qui me tiennent à coeur.
Alors oui paradoxalement les traductions se sont améliorées (avec les gens de chez MAKMA, Edmond Tourriol, à la place de celle-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom) mais il y a toujours du n’importe quoi ailleurs.
Tiens bah vous vous souvenez de l’histoire des couvertures en début de chaque épisode ? ça n’a pas duré longtemps hein. Ou alors c’est quand ils y pensent. J’ai plein de trucs récents ou c’est à nouveau à la fin du bouquin les couvertures.
A croire qu’il y a différentes équipes chez Panini. Une équipe de 10 personnes passionnées qui soignent de beaux albums de temps en temps, et 50 vieux routards la clope au bec qui torchent des livres avec le cul.
Et sinon pour en revenir à Carnage, quelqu’un à lu la mini de Zeb Wells et Clayton Crain dans laquelle Kasady revient justement (après son démembrement par Sentry) ?