LES DAMNES DE LA COMMUNE Vol.1 A la recherche de Lavalette par Raphaël Meyssan
Article de 6 PATRICK FAIVRE
1ère publication le 15/05/18- MAJ en le 13/04/19
VF : Delcourt
©Meyssan/Delcourt
Cet article portera sur la BD LES DAMNES DE LA COMMUNE Vol.1 A la recherche de Lavalette publié en 2017, écrite et non-dessinée par Raphaël Meyssan.
Cette BD est de loin l’œuvre la plus originale que j’ai lue ces 15 dernières années !
Par son thème tout d’abord, les œuvres sur la Commune (la révolution de 1871) ne sont pas si courantes que cela après tout ! La dernière en date est, à ma connaissance, celle de Tardi Le cri du peuple (chacun des fixettes Patrick- Ndr).
Ensuite visuellement parlant l’ouvrage est tout simplement époustouflant ! Entièrement basé sur des illustrations du XIXème siècle, l’œuvre mélange témoignage historique et enquête policière…
Tout commence donc par un homme, Raphaël Meyssan, graphiste de profession, qui découvre un jour que l’immeuble dans lequel il réside (à Belleville) a eu pour habitant un célèbre inconnu : Gilbert Lavalette ! Bon ok le nom ne vous dira probablement rien (pas plus qu’à moi d’ailleurs) et pourtant il fut l’une des figures de proue de la Commune ! L’histoire étant écrite par les vainqueurs son nom fut effacé de l’Histoire et il finit par tomber dans l’oubli…
Peu à peu Raphaël Meyssan devient fasciné par cet homme et par l’idée que l’Histoire (avec un grand H) se soit passée sur le pas de sa porte (au sens premier du terme). Il s’empare alors du destin de Lavalette, retrace son histoire, après une enquête aussi minutieuse que difficile, et décide d’en faire une BD !
Seul problème : l’auteur ne sait absolument pas dessiner ! (ce qui est quand même assez ballot quand on veut faire une BD il faut l’avouer). Vous me direz, qu’à cela ne tienne, il n’a qu’à faire appel à un dessinateur ! Mais non l’auteur ne l’entend pas de cette oreille ! Il tient absolument à ce que cette histoire reste SON œuvre et ne peut admettre que quelqu’un d’autre n’y mette son nez ! A partir de là une seule solution s’impose à lui : puisqu’au cours de son enquête sur Lavalette il a amassé une quantité impressionnante de documents (notamment des milliers de gravures parues dans des journaux d’époque ou dans des livres), il décide donc de les assembler pour illustrer le fil de son histoire. Ici commence son travail de titan (ou de fourmi au choix) : numériser plus de 15.000 gravures, les classer chronologiquement, les redimensionner et finalement les intégrer à son histoire ! Cette tâche ne lui prendra pas moins de 6 ans de sa vie !
Ce qui aurait pu être un résultat aussi fastidieux que rebutant à lire, grâce au talent de conteur de Meyssan, devient tout à fait léger et aérien. Servi par un très beau noir et blanc, l’auteur utilise des cadrages très variés et dynamiques ainsi qu’un découpage savant donnant une réelle impression de mouvement. Le travail du graphisme est tout simplement impressionnant.
Les images collent si bien à l’histoire qu’avant d’écrire cet article j’étais convaincu que des dessins originaux se glissaient malgré tout dans ce recueil. Mais non, il n’en est rien, toutes les illustrations datent du 19ème siècle ! (les sources de toutes les gravures sont du reste indiquées dans les dernières pages du recueil).
L’auteur prend le contrepied du Cri du peuple, puisque pour Tardi il s’agissant avant tout de raconter une histoire romanesque ayant pour cadre historique la Commune de 1871. Meyssan lui au contraire se raconte lui-même enquêtant sur le Paris post-Second Empire. Ainsi donc sa démarche est à mi-chemin entre le documentaire historique et le jeu de piste.
Le quotidien des protagonistes est parfaitement rendu. On ressent la frustration et la colère des Parisiens de voir leur belle ville assiégée par les Prussiens, ainsi que la famine qui les frappe durement. La réalité du marché noir est à ce titre très bien retranscrite, notamment avec l’anecdote du lait coupé avec de l’eau et… du plâtre ! Une scène qui ne manquera pas de se reproduire 70 ans plus tard alors que Paris est à nouveau envahi par les Allemands !
Du reste, puisque l’on en parle, collant avec la réalité historique, l’auteur souligne à juste titre qu’en déclarant la guerre à la Prusse en 1870, Napoléon III mit involontairement en marche les pires horreurs du siècle : « Bientôt l’humiliante déroute (de 1870) poussera les Français à prendre leur revanche et à se jeter la fleur au fusil dans la première guerre mondiale. La défaite de 1918 conduira les Allemands vers les horreurs de la seconde guerre mondiale… »
Les trois personnages principaux de l’histoire sont tout d’abord Lavalette, un gazier Bellevillois, membre du comité central de la Garde Nationale qui fut aux sources de l’insurrection.
Il y a ensuite Victorine dont nous suivons le destin funeste (ses deux enfants meurent tragiquement). C’est une Communarde connue grâce à son livre de mémoire publié en 1909.
Et enfin il y a le narrateur lui-même, Raphaël Meyssan, qui a 150 ans de distance, s’implique totalement dans cette histoire, au point d’en devenir partie-prenante.
Du reste qu’on ne s’y trompe pas, l’auteur n’est nullement un historien, il raconte les événements de la Commune avec passion, mais de manière forcément partiale.
Il ne faut donc pas attendre de cet ouvrage un regard particulièrement critique sur la Commune (dans ce premier volume elle est abordée avec une extrême bienveillance). Ce regard « impliqué » n’est cependant nullement gênant, sauf lorsque cela conduit l’auteur a certains raccourcis historique, comme par exemple lorsqu’il va chanter « L’internationale » le poing levé devant la tombe de Lavalette. La Commune a certainement servi d’inspiration à Karl Marx, pour autant les points communs s’arrêtent là et la révolte Parisienne ne peut pas assimilé au Communisme.
Bon puisqu’on est au rayon défaut restons-y (je ne peux pas non plus passer tout mon article à dire que cette BD est un chef d’œuvre ! Même si c’est le cas. Qui aime bien châtie bien comme on dit).
La forme même de ce livre (uniquement constitué d’illustrations d’époque) conduit à une certaine dépersonnalisation de l’histoire, on ne voit jamais les protagonistes qui ne sont présent que dans les cases de textes. Ce qui les rend plus difficilement « aimable ». Cette BD est plus cérébrale qu’incarnée.
Par ailleurs les passages contemporains, ceux où l’auteur part à la recherche d’information sur Lavalette (aux Archives notamment), sont eux aussi illustrés par des gravures du XIXème siècle. Il faut donc au lecteur fournir un effort de concentration pour déterminer à quelle époque l’action se passe !
Cependant si le lecteur est décontenancé dans les premières pages, il s’habitue assez vite à cette gymnastique intellectuelle.
Bref ne pinaillons pas, le plaisir de cette lecture est certain et l’immersion totale. Mêlant atmosphère tragique et réalité historique (on sent bien la monté de tensions dans la poudrière qu’est devenue Paris) l’auteur parvient à surprendre autant qu’à captiver son lecteur.
Le livre se termine le 18 mars 1871, soit le premier jour de l’insurrection. Après ce volume consacré aux prémices de la Commune, on attend avec impatience la suite de cette histoire pleine de bruit et de fureur, mais au combien captivante ! A suivre….
Pour finir, ceux qui souhaiteraient marcher sur les traces de la Commune à travers Paris peuvent se référer à mon reportage Avant/Après que vous trouverez ici-même.
Et de manière plus ludique ceux qui veulent en savoir sur la BO ci-dessous peuvent cliquer là ! (Je fais ma pub).
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Comment faire une bande dessinée sur La commune de Paris quand….on ne sait pas dessiner ? Raphael Meyssan a la réponse : compiler et assembler des gravures de l’époque pendant 6 ans et accoucher d’un album ludique et original que Patrick Faivre vous fait découvrir chez Bruce Lit.
La BO du jour : archive 80’s quand tu nous tiens !
Je reconnais bien le goût de Patrick pour l’alternatif au sens du non conventionnel. C’est une bien étrange découverte que tu partages avec nous Patrick. Je suis partagé sur mon envie de le lire : j’aime beaucoup l’histoire de France contemporaine (qui commence pour moi à partir de la révolution française). Je me rappelle même avoir fait un exposé à la FAC sur l’impact social de la politique de Napoléon III qui n’était pas que le connard décrit par Hugo.
Mais d’un autre côté, une BD conceptuelle et désincarnée….Non merci, on a déjà Grant Morrison pour ça.
Quant à rendre Napoléon III à l’origine des deux guerres mondiales, il me semble que l’on va un peu vite en besogne.
Les Communards : il m’aura fallu longtemps pour que je m’avoue aimer leurs chansons, surtout à l’adolescence dans le milieu étant le mien où il était suspect d’écouter de la musique d’homo pour les homos. Mais impossible dorénavant de résister à la profonde mélancolie de Smalltown Boy.
Vendu ! Celui-là, il faut que je le lise.
Numériser plus de 15.000 gravures, les classer chronologiquement, les redimensionner et finalement les intégrer à son histoire : je n’arrive même pas à me représenter à quoi ça peut ressembler au quotidien. Et en plus, ai-je bien lu, il y aura plusieurs tomes !!!
J’ai beaucoup apprécié ton article qui explicite de manière claire et parlante l’intention de l’auteur et la façon dont il la réalise.
En ce qui concerne les bandes dessinées sur la Commune, ma préférence va, pour l’instant (parce que je n’en ai pas lu tant que ça), aux Voleurs d’Empires, de Jean Dufaux & Martin Jamar.
Pour aller plus loin sur La Commune, je me suis souvent interrogé sur la nomination de nos rues, de Paris ou d’ailleurs..
Pourquoi pas de rue John Lennon ou, je ne sais pas, Daniel Balavoine, plutôt que des crevures comme Adolphe Thiers qui fit tirer sur les communards…J’ai fait ma scolarité au Collège Robespierre. A défaut d’avoir le coeur léger en ces années ado, j’avais la tête sur les épaules.
Surement parce que la notion de « crevure » dépend de l’époque et du régime politique. Il y a bien eu des rues Adolf Hitler. Qui ont été renommées quand même parce que c’était un peu trop lourd comme héritage.
D’un autre côté si on passait notre temps à les renommer, ce serait compliqué. Déjà que la poste paume la moitié du courrier en temps normal…
@ Bruce : Conceptuelle oui, désincarnée oui dans le sens où les personnages n’apparaissent pas, mais l’histoire elle, par contre, est hautement incarnée, concrète et réaliste. Moralité comme tout ce qui est original, ça passe ou ça ne passe pas 😉
Je pense que tu peux néanmoins t’y risquer si tu le trouves en médiathèque ou autre…
Pour le coup je donne raison à Hugo (qui pourtant n’a aucune sympathie pour la Commune). Napoléon III n’est pas un fin stratège. Si on ne peut pas lui incomber directement les 2 guerres mondiales il a au demeurant bel et bien démarré la spirale de la haine qui explosera au siècle suivant. La guerre déclarée à la Prusse était avant tout un calcul de sa part et ne s’imposait aucunement.
Je préfère nettement The Communards à Bronski beat dont l’album était assez inégal (et n’a pas très bien vieilli, hormis les hits imparables). Les deux albums des Communards, au contraire, ont plutôt bien passé l’épreuve du temps.
@ Présence : oui tu as bien lu, la série comportera 3 volumes !
Bigre ! Je ne connais pas Voleurs d’Empires, de Jean Dufaux & Martin Jamar ! Je vais me renseigner de ce pas. Merci à toi !
@ Matt : Euh il y a vraiment eu des rues Adolf Hitler ? ^^
Quelques mots 🙂 sur la série Les Voleurs d’Empires
https://les-bd-de-presence.blogspot.fr/search/label/Les%20voleurs%20d%27empires
Superbe. voilà qui donne envie de tester cet ouvrage. Article passionnant, instructif et vivant. Je ne suis pas connaisseur de cette période mais j’ai envie d’en savoir plus.
Une fois de plus le 9eme art se dépasse / dépasse la contrainte avec ces gravures. Inspirant.
@ Présence : Ah oui en effet, comme tu dis c’est à peine quelques mots ^^ Bigre je suis très impressionné tu as tenu une semaine avec ça ! 7 volumes, 7 jours, 7 articles fleuves… La classe !
Bref en tous cas tu l’as très bien vendu, et je m’en vais la commander de ce pas !
@ M&M : Oh Matt ça faisait longtemps ! Tu repasses quand au Japon ? 😉 Et autrement oui cette BD est pour toi 😉
Meuh non, ce n’est que le regroupement de commentaires amazon rédigés sur plusieurs semaines.
ah ah. je ne peux pas y retourner .. je n’ai pas le statut de « correspondant Bruce Lit » moi.
La prochaine fois que tu passes à Paris. je t’offre un saké. Étonnant que ce soit notre « coûteux » expat qui nous écrive un texte sur l histoire de France et encore plus sur la commune 😉
« La distance rend l’amitié plus chère, et l’absence la rend plus douce » comme le disait… Personne 😉
Et autrement oui c’est un total paradoxe, d’ailleurs mon identité secrète est Paradox-Man, mais ne le répète surtout pas (nous sommes entre nous aujourd’hui) 😉
C’est pas Jack Beauregard qui dit ça?
Concernant la BD: quelle arnaque, une BD par un mec qui ne fait pas de dessins! Et pourquoi pas des photos de figurines pendant qu’on y est ? 😉
A la base le sujet m’intéresse peu mais ton enthousiasme est assez communicatif.
Ca a l’air super ! Elle fait combien de planches ? Sincèrement je suis très intrigué, j’ai bien envie d’essayer… On verra. En tout cas je n’en avais jamais entendu parler.
De quelle chanson est tirée la légende en vers dans le premier ou second scan ?
La BO : très jeune, j’étais fan d’un des albums des Communards. Le premier, Communards. J’avais assez vite laissé tomber mais je devrai retenter tiens !
Pour les paroles de la première légende, google me dit qu’il s’agit de la chanson Paris, de Taxi Girl.
Woaouh. Rien que l’idée de compiler chronologiquement et de numériser 15 000 images d’archive donne le tournis…
Le concept est effectivement très original et manifestement virtuose. Une curiosité !
Je n’aurais pas pensé à le mettre en parallèle avec Jimmy Sommerville, mais pourquoi pas ! 😀
@ JP : Oui tout à fait c’est en effet une phrase de Jack Beauregard adressée à Personne 😉
(on reconnait les connaisseurs !)
Ahah voilà cette BD te servira peut-être d’inspiration pour faire ta propre parution… Qui sait ? ^^
@ Jyrille : La BD fait 140 pages, fois 3 volumes je te laisse faire le calcul…
Et oui comme l’a fort pertinemment indiqué Présence il s’agit bien d’une citation de « Paris » par Taxi Girl. Le texte de la page concernée fait étrangement écho à celui de la chanson, l’association d’idée est donc venue toute seule !
@ Tornado : Jimmy Summerville est un dangereux gauchiste ! (ahah)
Merci les copains ! Décidément il faut que j’écoute Taxi Girl. Qui est Jack Beauregard ?
C’est Henry Fonda dans le film « mon nom est personne »^^
Exact ! Mon nom est personne est dans mon Top 10 de mes films préférés haut la main !
Voici le monologue final : youtube.com/watch?v=ZLEeUH48vVg
(copier le lien)
Et pour Daniel Darc et Taxi girl of course Jyrille tu dois les écouter 😉
Houla ! Je n’aurai jamais retrouvé, je n’ai pas vu ce film depuis trente ans je crois 🙂
Sur la Commune j’aime assez Le cri du peuple de Jacques Tardi et Jean Vautrin
Un petit mot qui va faire plaisir à Patrick reçu sur le FB
« Bonjour,
Voici un petit message adressé à Patrick Faivre pour lui dire un très grand merci pour sa critique de mon livre « Les Damnés de la Commune ». L’article est vraiment fouillé, précis, documenté, argumenté… Ça fait vraiment plaisir.
Je voulais aussi apporter une petite précision au sujet de « L’Internationale ». Ce chant a été écrit par un communard : Eugène Pottier était plus qu’un simple communard, c’était l’un des élus de la Commune. Il a écrit une première version des paroles en juin 1871, en pleine répression versaillaise. L’année suivant sa mort, en 1888, ce qui était alors un poème a été mis en musique. « L’Internationale » est ensuite devenu un chant de luttes qui s’est répandu dans le monde entier. Bien plus tard, de 1922 à 1944, il est devenu l’hymne national de l’URSS. Mais il ne peut pas être réduit à l’URSS ou au communisme. Il est toujours aujourd’hui chanté par des militants anarchistes, communistes, socialistes et mêmes sociaux-démocrates… Bref, je n’assimile donc pas la Commune au communisme. Je pense, au contraire, qu’elle est particulièrement intéressante car elle s’est produite juste avant la mise en place des grandes théories qui animeront le XXe siècle.
Voilà… Encore un grand merci pour votre article.
Bonne journée.
Raphaël Meyssan »
Oups ! Je suis à la fois ravi d’avoir été lu par Raphaël Meyssan mais en même temps confus de mon erreur ! J’ai toujours assimilé (manifestement à tort) « L’Internationale » à un chant Communiste, je découvre donc qu’il n’en est rien.
Au temps pour moi, la prochaine fois je tournerais 7 fois ma langue dans ma bouche avant d’écrire un article (ou sinon consulter wikipedia c’est bien aussi) 😉
Je viens de voir que le tome 2 est sorti cette semaine.