Superman for all seasons par Jeph Loeb et Tim Sale
Un article de : PRÉSENCE
Première publication le 22 mai 2014. Mise à jour le 05/02/23
VO : DC
VF : Semic, Urban
Un Superman massif ©DC Comics / Urban Comics
Ce tome regroupe les 4 épisodes de la minisérie écrite par Jeph Loeb, dessinée et encrée par Tim Sale, et mise en couleurs par Bjarne Hansen, initialement parue en 1998. Loeb & Sale ont réalisé cette histoire entre The long halloween (1996) et Dark victory (1999).
Chacun des 4 épisodes a pour titre une des 4 saisons ; ils forment une histoire complète et assez indépendante de la continuité du personnage.
L’histoire commence au printemps, alors que Clark Kent n’est pas encore Superman. Jonathan Kent (son père) est en train de labourer un champ avec son tracteur quand la herse butte sur un roc. Clark aide son père en le déplaçant à main nue.
Ils rejoignent ensuite la ferme, où Martha Kent a préparé le repas auquel ils ont invité Lana Lang et sa tante Ruth.
Dans cette première partie, Clark se rend également au café de Smallville pour y partager un verre (sans alcool bien sûr) avec Lana et Pete Ross. Il prend conscience que la fin du lycée arrivant, il va devoir choisir quelle direction prendre dans sa vie.
La suite du récit se situe au début de la carrière de Superman à Metropolis, période au cours de laquelle il revient régulièrement à Smallville.
Après le succès de Long halloween, Loeb et Sale décident de renouveler l’expérience en transposant leur approche au personnage solaire de l’univers partagé DC. Il y a bien sûr un monde d’écart entre la noirceur de Gotham et son chevalier noir urbain, et la luminosité rutilante de Metropolis et son défenseur issu de l’Amérique profonde. Cela se ressent dès la première page avec le choix des teintes utilisées pour la mise en couleurs. Cette dernière a été effectuée par Bjarne Hansen qui utilise des teintes pastel douces (à l’exception du rouge et du jaune vifs du costume du Superman) appliquées à l’aquarelle ou peut être aux crayons pastel.
Le résultat confère une apparence intemporelle à chaque page et un peu surannée, comme s’il s’agissait d’un âge d’or vu avec le recul des années, juste une légère patine sans verser dans le passéisme. Cela se ressent également dans le choix de la mise en page : de 2 à 4 cases par page, le plus souvent 3, avec régulièrement des dessins occupant une pleine page et même s’étalant sur une double page.
Ce choix transcrit à la fois la dimension plus grande que nature de Superman, dont toutes les actions s’inscrivent dans une échelle plus grande que celle de l’activité humaine, et à la fois l’importance donnée aux grands espaces, au ciel ouvert, mais aussi à la hauteur des buildings. D’un coté ce parti pris aéré rend la lecture rapide, de l’autre il donner une impression incomparable d’espace et de majesté.
Dès les premières images, le lecteur constate qu’il plonge dans un univers visuel qui n’appartient qu’à Tim Sale, pour une expérience graphique qui sort des sentiers battus. Derrière l’apparente évidence des dessins, il y a une science de la composition peu commune. La première page contient 3 cases qui forment un traveling avant sur le S de Superman s’achevant sur une case comprenant 1 tâche de jaune et 2 tâches de rouge, composition totalement abstraite lorsqu’elle est déconnectée des 2 images précédentes. Loeb & Sale ont l’ambition de faire approcher le lecteur au plus près du personnage.
Il s’ensuit une double page composée de 2 cases superposées. Celle qui occupe les 2 tiers de cette double page positionne le lecteur sous l’auvent devant la porte de la ferme des Kent, avec une grange en arrière plan et Clark de dos observant un champ.
Il est facile de dire que Sale s’est fortement inspiré de Norman Rockwell pour dessiner une Amérique rurale légèrement fantasmée, mais c’est aussi diminuer la qualité de son travail. Cette première case place le lecteur dans un lieu réel, habité, utilisé, accueillant. Il y a bien sûr le cliché de la tarte (apple pie) refroidissant sur le rebord de la fenêtre, mais aussi le chien couché attentif aux gestes de son maître, la balancelle avec les coussins pour la rendre plus douillette, les gros croquenots laissés à l’extérieur pour éviter les odeurs, le carton de produits dangereux, les poules qui picorent, etc.
Pour chaque endroit, Tim Sale crée un décor détaillé, réaliste, où il est possible de distinguer les traces des activités de ses occupants. Parmi les endroits les plus remarquables, il est possible de citer la chambre de Clark, le drugstore de Smalville avec ses étagères chargées de produits en tout genre, la salle des journalistes du Daily Planet, l’appartement révélateur de l’obsession de Jenny Vaughn, l’opulence chaleureuse de la table dressée par Ma Kent.
La force graphique de cette histoire ne se limite pas à ces endroits exceptionnels. La deuxième case représente uniquement le buste de Clark en train d’appeler son père, avec 3 oiseaux vaguement esquissés en arrière plan. Sale utilise de manière pertinente la possibilité de limiter le nombre d’éléments dans une case. Ici le lecteur perçoit la chaleur de cette fin d’après-midi dans la couleur du ciel, ainsi que l’immensité de cet espace ouvert, grâce à la savante mise en couleurs d’Hansen.
À plusieurs reprises, Hansen compose des motifs qui transmettent des impressions mieux que ne le ferait un dessin (une superbe image de prairie ondulant sous le vent). Cette case permet aussi de découvrir l’apparence de Clark Kent : il est très musculeux, massif, un véritable homme fort de cirque, une force de la nature. Ce choix place le récit dans le domaine du conte, plus de celui du récit d’aventures traditionnel.
Clark Kent est le seul individu doté d’une telle morphologie. Sa largeur d’épaule est telle qu’il peut serrer ses 2 parents dans ses bras, en faisant se rejoindre ses mains. Il est le seul individu à avoir une telle carrure et pourtant personne ne se rend compte qu’elle est identique à celle de Superman. Sale effectue également un travail de conception graphique étonnant sur les silhouettes et les visages.
Les tenues vestimentaires présentent également cette allure intemporelle. Le rendu des visages va du dessin le plus minutieux (avec toutes les rides pour les anciens de Smalville), à l’esquisse la plus simple pour le visage de Superman / Clark Kent le transformant en icône.
Coté scénario, Jeph Loeb met en scène la période de transition pour Clark Kent qui passe de Smalville à Metropolis peu de temps après que ses pouvoirs n’apparaissent. Pour les puristes, cette histoire s’entrelace avec la version des origines de 1986 établie par John Byrne dans Man Of steel. Si vous avez lu cette origine, vous repérerez les liens qui les unissent (en particulier le passage en prison de Lex Luthor) ; sinon un ou deux événements vous sembleront déconcertants (les va et vient de Lana Lang). Il s’agit d’une version de Superman dans laquelle ses pouvoirs apparaissent à la fin de l’adolescence, il n’a jamais été Superboy.
Jeph Loeb raconte avec une grande sensibilité le passage à l’âge adulte de Clark Kent et son questionnement sur la façon de mettre à profit ses pouvoirs extraordinaires. À nouveau il vaut mieux prendre ce récit comme un conte (ça aide à accepter que Kent continue de mener une vie d’humain normal comme journaliste, plutôt que de sauver la planète 24 heures sur 24).
Loeb a l’art et la manière pour faire apparaître les doutes de Clark, le prix à payer pour être Superman, ce qu’il abandonne derrière lui, et encore plus émouvant les limites contre lesquelles il se heurte. Sans une once de niaiserie ou de scène tire-larme, Loeb emmène le lecteur à la rencontre d’un jeune homme fragile et attendrissant, trouvant du réconfort auprès de ses parents.
Jeph Loeb et Tim Sale démontrent qu’ils sont capables de s’approprier n’importe quel personnage pour raconter une histoire touchante, et visuellement enchanteresse. Ils s’appuient sur les codes les plus ridicules des récits de superhéros (un clin d’oeil à l’amure verte et violette de Luthor avant 1986) pour évoquer l’émancipation délicate d’un jeune homme dans lequel ses parents ont placé de grands espoirs.
Je n’ai pas résisté à l’envie de le lire juste après l’avoir acquis. C’est merveilleux, très bien écrit et mis en scène. La traduction de Nikolavitch est nickel. On est vraiment devant la variation des Couleurs Marvel du même duo. Superman a donc quatre couleurs, une par saison. Voire toutes : parfois, lorsqu’il n’est dessiné que par des traits représentants sa vitesse, on jurerait que c’est un arc-en-ciel.
Merci, je n’avais pas pensé à envisager les couleurs de cette façon. J’aime beaucoup cette notion d’arc-en-ciel.
Ne connaissant pas les classiques, je n’ai pas pu comprendre pourquoi Luthor est en prison ni la référence à son armure. J’ai un peu été étonné de ne pas voir la forteresse de solitude mais cela arrive sans doute plus tard dans l’origin story du personnage. Sinon totalement d’accord pour l’incroyable capacité de ces auteurs à faire ressentir de l’empathie.
Sans doute déjà dit plus haut, mais sans doue l’une des toutes meilleures histoire de l’Homme D’acier…
POur les éléments de continuité, je crois que Loeb a bricolé pour ça puisse s’intercaler/compléter MAN OF STEEL de Byrne… peut être que c’est pour ça qu’il doit y avoir des éléments un peu « ad res » dans le tas…
Je ne me souviens pas avoir été gêné dans ma compréhension
C’est également le souvenir que j’en garde : des références à la minisérie Man of Steel (1986) de John Byrne & Dick Giordano.
Sup Malabar, en mode bouseux pataud grâce aux dessins joliment Rétro de Tim Sale. Blague à part, c’est une histoire simple et belle, centrée sur une partie de l’entourage proche du héros, à peine perturbée par la présence d’un personnage féminin utilisée comme prétexte.
Faisant suite au principe saisonnier du Long Halloween de Jeph Loeb et Tim Sale, mais sous la forme de chronique hyper tendre plutôt qu’une enquête.
Comme toujours dans ces anthologies là, c’est une étude sur ce que représente le mieux le héros. Mélancolie et espoirs.
Bonjour Flo,
Sup Malabar, en mode bouseux pataud : le début de cette intervention m’a fait peur. 🙂
Chronique hyper tendre plutôt qu’une enquête : j’avais également ressenti cette différence de forme, sans rapport entre l’enquête de Batman et la prise d’autonomie dans la grande ville de Clark.
Une étude sur ce que représente le mieux le héros ; mélancolie et espoirs – Une belle synthèse des deux sensations qui priment à la lecture et qui restent à l’esprit.
Merci beaucoup pour ce regard.