Gen d’Hiroshima Volume 1 à 3 par Nakazawa
Première publication le 29 mai 2014- Mise à jour le 06/08/20
VO : Shûkan Shônen Jump
VF : Vertige Graphique
Gen d’Hiroshima est une série complète publiée en 10 tomes chez Vertige Graphique. Attention ce commentaire révèle la fin du premier tome et des moments clés des trois volumes ! Le sens de lecture est japonais.
Alors que la bombe atomique et le traumatisme qui en découla fut le prétexte à de multiples allégories, à des récits d’horreur, de science fiction ou de super héros (bombe à rayon gamma, araignée radioactive, mutations), on peut s’étonner que peu de bande dessinées aient traité directement d’Hiroshima.
Moins larmoyant que le Tombeau des lucioles, Gen décrit la vie d’un petit garçon après que sa famille ait été décimée par la bombe.
Préfacé par Art Spiegelman, ce premier volume présente les personnages et introduit à chaque page des séquences d’humour permettant au lecteur de supporter l’insupportable. Car le moins que l’on puisse dire, c’est qu’avant l’explosion de la bombe, la vie des japonais était déjà impossible.
Tout au long de ce récit autobiographique, Nakazawa revient sur la famine ravageant le Japon et sa famille. En plus de l’économie en crise, il est montré en effet que la nourriture était impitoyablement rationnée pour nourrir les soldats. Et que, question racisme et bourrage de crâne, le Japon d’Hirohito n’avait pas grand chose a envier à l’Allemagne d’Hitler.
Les meilleures pages de cet opus sont consacrées à la persécution que la famille de Gen subit du fait du pacifisme de son père. Voici un personnage à la droiture admirable, à l’humanisme visionnaire. Si Gen peut être répétitif sur la longueur, la force de l’auteur est de créer une empathie immédiate pour cette famille martyre.Et de multiplier les sous couches de lectures.
Outre la famille de Gen, on peut suivre de longues parenthèses sur la confrontation de nobles idéologies (le pacifisme) à la violence, la capacité à continuer d’aimer malgré la haine, le destin émouvant d’un kamikaze terrifié a l’idée de sa mort prochaine.
Et cette question en filigrane qui choque l’auteur de Mauss en préface : la bombe a t’elle finalement sauvé plus de vie qu’elle en a détruit ? Car à la lecture du fanatisme du gouvernement japonais qui envisageait de sacrifier toutes les vies d’une nation pour sauvegarder l’honneur de son empereur, on aurait bien envie de répondre par l’affirmative ! Des femmes qui se jettent du haut de falaises avec leur bébé, des soldats balançant des grenades sur des enfants pour leur éviter le déshonneur, des kamikazes dont la mort ne sert à rien, des moyens militaires grotesques face à la puissance américaine, la famine des civils, le Japon avant la bombe n’en finit plus de s’auto-mutiler !
Il faudra ce terrible drame pour que le Japon capitule. A ce titre, Spiegelman reproche d’ailleurs à notre auteur son indulgence envers les Etats-Unis alors qu’il charge la mule contre son propre pays. Nakawaza prend aussi une certaine liberté historique en dessinant Einstein lors de l’élaboration de la bombe.
Le style graphique a beaucoup vieilli et tout y est très mignonnet : des yeux énormes, des bouches ouvertes, des expressions faciales angéliques. Pourtant, le lecteur au vu de l’énergie du récit ne peut que se sentir happé par le calvaire de cette famille, qui au moment de l’explosion de la bombe a déjà une vie de souffrances derrière elle.
Ce style propret permet de supporter la violence extrême des événements, notamment la fin où notre ami voit sa famille coincée sous les décombres de sa maison et succomber lentement aux flammes….Les deux autres volumes ne sont pas en reste : après l’explosion, nos amis n’ont pas une minute de repos ! La lutte contre la faim se poursuit.
Dans le volume 2, la mère de Gen accouche et la venue d’une nouvelle vie tourne à la panique : faut il laisser vivre un enfant dans un pays ravagé par la bombe atomique ? Comment nourrir un bébé alors que l’on crève de faim ?
Nakazawaka décrit également l’épouvantable racisme qui règne dans son pays à l’époque : les Coréens vus comme des sous-hommes sont refoulés des hôpitaux qui se réservent le droit de garder leurs médicaments pour les vrais Japonais !
Enfin, il aborde l’effroyable mesquinerie des îles survivantes non touchées par la bombe qui traitent les victimes de la bombe comme des parias en les traitant de monstres, de rebuts génétiques et de mendiants ! Gen et sa famille sont rackettés, humiliés, expulsés !
Dans le volume 3, Gen accepte de s’occuper d’un mourant irradié mis au ban par sa famille. S’ensuit alors une magnifique histoire d’amitié drôle et tragique, qui à elle seule, pourrait faire le sujet d’un film.
Et curieusement les amateurs de Walking Dead se sentiront chez eux avec ce récit survivaliste où la vraie nature de l’être humain se révèle lorsque la société s’écroule avec des humains transformés en… zombies. Nul doute que le monde post-atomique engendrera par la suite ces récits de morts vivants à la recherche d’espoir, d’amour ou de nourriture ! Tout n’est pas sombre en permanence heureusement : l’humour bouffon à la japonaise est là, Gen est une figure généreuse, courageuse auquel le lecteur peut facilement s’identifier et l’humanisme de son auteur suinte à chaque page.
Moins profond et philosophique que les oeuvres de Tezuka de la même époque, Gen, malgré le pathos de certaines situations et un graphisme à la ramasse, reste une lecture de haute volée à la fois grave et, oui, très divertissante ! Magie du 9 ème art….
Le sujet très dur m’a toujours dissuadé de tenter cette lecture. Ce fut donc un vrai plaisir que de pouvoir en découvrir toutes les facettes au travers de ton commentaire qui aborde aussi bien les aspects sociologique (les irradiés au ban de la société, la place des coréens), qu’économiques (la pénurie de nourriture, la pénurie de médicaments), et même graphiques. Merci beaucoup.
J’ai toujours été gêné par le décalage entre ce que tu appelles le style propret et la tragédie qui se joue. Je m’étais donc arrêté dans ma lecture en cours de tome 1. J’ai sans doute les mêmes difficultés avec les Tezuka un peu sombres que tu as chroniqués.
Cependant ta chronique me donne envie de retenter une lecture d’autant plus que depuis la dernière fois que j’ai tenté de lire Gen je me suis rendu à Hiroshima. Je m’attendais à trouver une ville martyre, un peu figée dans sa douleur, en questionnement sur ce qui ressemble à une punition divine ; et j’ai trouvé une ville axée sur un mémorial pour la paix. Sans doute, ce pacifisme que défend déjà la famille de Gen…
Auschwitz, Hiroshima. Je te propose Stalingrad pour prochaine destination !
Heureusement Nakazawa dédramatise cette terrible tragédie » ce pauvre Gen », avec ce coup de crayon très grossier.
J’ai fini les tomes 1,2,3 assez dégouttée de l’humanité d’autant plus qu’on apprend que c’est un témoignage réel….
On aborde toujours la lecture d’un manga avec légèreté mais Nakazawa nous donne des gifles au fur et à mesure de cette lecture, c’est dur mais je suis contente que des auteurs comme lui abordent la folie de la guerre ainsi. Il ne faut jamais oublier.
Je suis entrain de lire la suite avec l’espoir que les choses s’arrangent pour Gen………..
Bonjour Prudence,
Une lectrice à des heures si tardives ! La preuve que Bruce Lit fonctionne 24 h sur 24 et 7 jours sur 7 !
L’avantage de mettre en scène un enfant permet de garder une certaine fraicheur sur les horreurs décrites. Le mérite de Gen est de pouvoir continuer à être un enfant, ce n’est pas la moindre des défaites !
Une excellente lecture. L’un de mes premiers mangas disons « adulte ». Nakazawa, à travers les yeux d’un enfant, et par ses dessins « grossiers » arrivent à traiter un sujet lourd. Et l’on plonge vite dans cette terrible réalité, et l’on se prend claque après claque. Le genre de lecture qui fait un excellent travail de mémoire.
Tout pareil que Mlle Prudence. Je viens de terminer le tome 4. Je suis malgré tout reconnaissant du travail graphique (que je n’aime pas trop) car il permet une distanciation de l’horreur totale qui y est décrite.