ÇA – Part 1, par Andrés Muschietti
Par : TORNADO
Cet article portera sur la première partie du film Ça, réalisée en 2017 par Andrés Muschietti, d’après le roman éponyme de Stephen King.
1ère publication le 31/10/17- MAJ le 07/09/19
Nous avons déjà consacré un article entier, ici, à la figure de Stephen King et aux nombreuses adaptations cinématographiques et télévisuelles de son œuvre.
Si vous faites un détour par l’article en question, vous y trouverez un passage entier dédié au téléfilm en deux parties (éponyme lui aussi) réalisé en 1990 par Tommy Lee Wallace. Nous en reparlerons aujourd’hui quoiqu’il en soit, puisqu’il apparait évident que la comparaison s’impose entre les deux adaptations.
Qui ne connait pas encore Ça, le récit fondateur de l’œuvre de Stephen King aux accents autobiographiques égrainés sur pas moins de onze-cents pages ?
Le pitch est le suivant : A Derry (petite ville imaginaire de l’état du Maine que l’on retrouvera dans d’autres romans de l’auteur, notamment The Dreamcatcher), en 1958, le petit Georgie disparait mystérieusement alors qu’il était parti jouer sous la pluie avec le bateau en papier que lui avait fabriqué son grand frère Bill.
Après ce terrible événement, d’autres enfants semblent subir le même sort.
Un peu plus tard, nous retrouvons Bill et ses six amis de onze ans (ils sont en tout six garçons et une fille), surnommés « les sept ratés » puisqu’ils sont la risée des jeunes de leur quartier à cause de leur « différence » respective (l’un est le bègue, les autres sont le gros, le binoclard, le juif, le noir, l’asthmatique chétif et la perdue sociale, qui vit avec un père alcoolique). Tous ont rencontré le clown Grippe-sou à un moment ou à un autre. Ce dernier est en réalité un démon qui hante le réseau d’égouts de la ville, et qui prend l’apparence d’un clown afin d’attirer les enfants esseulés dans le but pur et simple de les dévorer…
Grippe-sou : le clown le moins drôle du monde…
Les sept ratés vont l’affronter et lui résister grâce à leur union (puisqu’il est entendu que c’est l’union qui fait la force), malgré toutes les tentatives de celui qu’ils surnomment « Ça » de les isoler, puisqu’il cherche à incarner leurs plus obscures frayeurs, afin de les dominer. S’ils parviennent à le vaincre cette année là, ils ne le tuent pas pour autant. Il est en réalité parti se terrer dans son antre, sous une vieille maison abandonnée, d’où il revient à chaque fois, tous les trente ans…
Dans la seconde partie, nous retrouvons les sept amis trente ans plus tard. Ils vivent tous dans des endroits différents, loin de Derry. Sauf Mike. Celui-ci entre alors en contact avec les six autres en leur demandant de revenir dans la ville de leur enfance afin de respecter leur promesse de se réunir de nouveau, au cas où « Ça » serait de retour…
Ce premier chapitre du film d’André Muschietti, plutôt que de reprendre la structure éclatée du roman de Stephen King, prend le parti d’un découpage du récit en deux parties chronologiques distinctes. Ainsi, nous suivons les sept ratés l’année de leurs onze ans, contrairement au téléfilm de 1990 qui débutait avec les adultes et faisait des bons dans le passé sous forme de longs flashbacks.
Avouons qu’il était attendu, ce film. Les rumeurs d’une adaptation cinématographique à la hauteur du sujet circulaient depuis plusieurs années et plus d’un fan de Stephen King s’interdisait d’aimer le téléfilm de Tommy Lee Wallace en le brûlant sur l’autel du kitsch qui « fait même pas peur ».
C’est injuste car, comme nous l’avons vu dans l’article idoine, cette première adaptation était aussi bien écrite que réalisée, s’écoulant pendant trois heures qui semblaient n’en durer qu’une. Certes, elle souffrait du poids de l’âge et de sa forme télévisuelle, mais elle parvenait à retranscrire l’essentiel d’une œuvre fleuve aux multiples niveaux de lecture.
Il n’empêche que les puristes souhaitaient que le roman soit adapté en bonne et due forme, avec les moyens d’un blockbuster…
C’est au début de l’année 2017 que l’excitation est montée d’un cran : En pleine postproduction de la première partie, Stephen King en personne assiste à une séance privée et s’empresse de relayer son enthousiasme sur les réseaux sociaux en répétant à qui veut bien l’entendre qu’il faut être rassuré, car le film est d’ors et déjà une réussite !
Ce postulat déchaîne les passions et, plusieurs semaines avant la sortie, le long métrage se pare d’une superbe réputation quand personne encore ne l’a vu ! Mieux : il parait qu’il est « vraiment flippant » ! C’est en tout cas suffisant pour lui assurer le succès. Et je peux d’ailleurs témoigner que la salle était pleine à craquer lorsque je suis allé le voir, puisque des dizaines de spectateurs arrivaient en panique pour occuper les dernières places dans les coins !
Ainsi donc cette adaptation serait à ranger dans le simple « nouveau film d’horreur qui fait sensation » chez les ados en mal de frissons primaires ? Ce serait quand même dommage de se contenter d’un tel raccourci quand on connait la richesse de l’œuvre originelle ! Et à partir de là, j’ai presque envie de dire que la question de savoir si le film fait peur ou non, qu’est-ce qu’on s’en tape !
A l’origine, Ça est une magnifique histoire sur la difficulté de grandir, une parabole proprement géniale sur le long et tortueux chemin qui mène de l’enfance à l’âge adulte, le tout mâtiné d’une réflexion profonde sur la cécité de nos sociétés modernes quant à ce même sujet. Et puis, surtout, Ça est un condensé des thèmes récurrents qui jalonnent l’œuvre du King, que ce soit l’Enfance, la Peur de grandir, la Séparation entre le monde des adultes et celui des enfants, les Dissonances au sein de la cellule familiale, la Critique sociale par le biais de la vie dans les petites villes, la Maison maudite entant que réceptacle de la décrépitude des hommes, le Mal qui s’immisce dans le quotidien d’une bourgade, la Forêt comme métaphore de la peur de l’inconnu, ou encore la Fragilité de l’équilibre social américain, ils sont tous là.
Derrière cette malédiction qui s’abat tous les trente ans sur cette petite ville du Maine se cache donc, en substance, une redoutable parabole sur la Difficulté de Grandir, surtout lorsque l’on est différent. Il est ainsi montré que les habitants de Derry se détournent du mal lorsqu’ils le voient, notamment sous sa forme la plus anodine, préférant ignorer les vies objectivement sinistres de nos sept petits héros en laissant le mal s’immiscer dans les endroits où cela ne se voit pas trop (et les héros en questions n’échapperont d’ailleurs pas à la formule consacrée puisqu’ils seront eux-mêmes, pendant trente ans, soumis au même déni en oubliant leur propre passé !)…
Le démon en forme de clown incarne donc aussi bien la Peur de Grandir dans un monde cruel qui écrase les êtres un tant soit peu différents, que la Cécité d’une Société qui s’est détournée des valeurs humaines élémentaires que sont la bienveillance, l’altruisme, l’entraide et la protection du plus faible. En se réfugiant dans l’ignorance et l’aveuglement par pure lâcheté, les habitants de Derry ont ainsi laissé grandir le mal, qui a pris la forme d’un démon qui se nourrit des êtres les plus fragiles. « Ça » n’est en définitive que la matérialisation d’un mal domestique, tapi en chacun des habitants, qui s’abreuve à la source des maux les plus bénins, afin de grandir et de gagner en puissance à chaque nouvelle apparition chronique…
Sur la question de cette toile de fond, il convient de reconnaître que le film d’Andrés Muschietti, du moins dans cette première partie pourtant essentielle à ce niveau, rate un peu le coche. Tandis que le téléfilm de 1990 multipliait les plans mettant en scène des adultes refusant de voir le mal (au sens propre comme au sens figuré) s’emparer des enfants de leur entourage, cette nouvelle adaptation préfère développer l’affrontement qui oppose le démon aux « sept ratés », en alignant les séquences où le clown se transforme, matérialisant in fine leurs peurs les plus intimes. Ce parti-pris, certainement plus spectaculaire sur le principe, débouche sur une succession de plans qui finissent par devenir répétitifs, notamment lors du climax dans la maison maudite. Qui plus-est, la mise en scène regorge d’effets de jump-scare aujourd’hui tellement ressassés qu’ils en deviennent presque gênants, un peu comme si l’on tentait d’effrayer le public en lui ressortant sans cesse les mêmes formules d’épouvante.
Les tentatives de rendre le film effrayant incarnent en définitive le versant le moins réussi de cette nouvelle adaptation. Une recette usée jusqu’à la corde qui échoue à nous mettre mal à l’aise, surtout lorsque l’équilibre entre le fantastique (ce qui demeure hors-champ) et l’horreur (ce que l’on voit ouvertement) finit par basculer sous les effets d’une séduction consensuelle, à travers une esthétique gothico-féérique à la Tim Burton (je pense en particulier à cette vieille maison hantée d’où l’on s’attend presque à voir sortir Edward Aux Mains D’Argent), alors que l’on devrait trembler face à la matérialisation de nos tourments les plus malsains et insondables…
C’est dommage car la première scène du film évitait magistralement cet écueil avec une séquence viscérale aussi choquante qu’efficace, laissant présager une dimension horrifique sans concessions jouant sur les contrastes, entre la figure aimable du clown et la cruauté sans limites de ses actes meurtriers. Une ouverture impressionnante, hélas la seule à ce niveau de terreur…
Et pourtant, malgré ces défauts rédhibitoires, il est impossible de résister à ce film !
Le fait que les événements se déroulent désormais en 1988, et non plus en 1958 comme dans le roman ou dans le téléfilm de Tommy Lee Wallace, doit ainsi nous mettre la puce à l’oreille : A l’époque où était diffusée la première adaptation de Ça à la télévision, on sortait d’une décennie marquée par le cinéma de Steven Spielberg et les films d’ados à l’atmosphère magique et envoûtante. Et le Ça de 1990 était le dernier d’une série de films qui avaient brillamment glorifié l’amitié adolescente en la puisant à la source de formidables aventures romanesques. E.T. l’Extraterrestre , Les Goonies , Explorers et Stand By Me étaient autant de films qui avaient marqué leur époque et toute une génération de jeunes ados, qui se reconnaissaient dans ces personnages en rêvant de vivre les mêmes aventures tout en frissonnant à l’idée d’affronter les mêmes dangers.
Cette nostalgie des années 80 et des films d’ados de cette époque bénie en la matière (on pourrait y ajouter la trilogie Retour Vers le Futur, d’autres adaptations de Stephen King telles que Peur Bleue, ainsi que moult films d’horreur dont il serait laborieux de dresser la liste) a donné lieu à quelques fulgurances, ces dernières années. Cela a démarré officiellement avec Super 8 , le chef d’œuvre de J.J Abrams. Mais ça avait commencé avant si l’on considère également un comic book comme Marvel 1985 comme un hommage à toute cette période. Mais c’est surtout la série TV Stranger Things qui aura achevé ce retour aux sensations d’il y a trente ans, et à la Spielberg/King Touch de l’époque en particulier. Car, oui, on le voit bien avec le recul, ces deux auteurs furent les grands manitous de la littérature et du cinéma fantastique des années 80 et, s’ils n’ont jamais vraiment collaboré (ils ont bien essayé –voir l’article sur Stephen King publié ici même- mais sans succès), leur personnalité respective a clairement pris de l’ascendance sur la culture populaire de l’époque. C’est ce postulat que l’on retrouvait dans Stranger Things, et c’est pareil dans cette nouvelle adaptation de Ça, qui fait la part-belle à cet univers estampillé 80’s.
La filiation entre Ça version 2017 et Stranger Things est d’ailleurs tellement assumée que l’acteur Finn Wolfhard, hier le jeune héros de la série TV phénomène, incarne ici Richie, l’un des sept ratés ! Et non des moindres puisqu’il interprète l’un des personnages les plus charismatiques de ce petit groupe d’ados pas comme les autres !
L’intention est évidente : Tout le sel de cette nouvelle adaptation réside dans l’interprétation sans faille et dans la caractérisation optimale des sept jeunes héros, tous plus formidables et attachants les uns que les autres (même si l’actrice Sophia Lillis, qui interprète la jeune Beverly, est bien trop belle pour nous faire croire qu’elle est l’une des sept ratés !). En ces temps de blockbusters désincarnés, il est précieux de retrouver une telle générosité dans l’écriture de personnages de fiction. Et c’est tout à l’honneur de cette adaptation que de rendre justice au matériau originel puisque c’est précisément sur ce créneau, à savoir la richesse et l’épaisseur des personnages, que Stephen King a toujours excellé entant qu’auteur.
N’y allons pas par quatre chemins : cette première partie de Ça version moderne, si elle n’est pas un chef d’œuvre de l’histoire du cinéma, est une très chouette variation de l’œuvre du King à la sauce Spielberg. Bien loin de sa réputation factice de nouveau film d’horreur à sensation, le film d’Andrés Muschietti (au passage brillamment rehaussé par une superbe bande son signée Benjamin Wallfisch) s’impose tout naturellement par sa filiation dans le domaine respectable du cinéma populaire familial, avec une pointe de gore et d’épouvante, quelques notes dépressives et, en contrepoint, une incomparable chaleur humaine communicative en droite ligne des années 80. Et c’est bien là qu’est le drame : Dans la seconde partie, comment allons-nous faire pour nous passer de ces formidables sept « Goonies » ? Leurs relèves adultes respectives ont intérêt à assurer !
https://www.youtube.com/watch?v=pZ1U5vxZCbU
Beverly : Tout le monde est amoureux d’elle (sauf Ça, évidemment…)…
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La BO du jour
https://www.youtube.com/watch?v=WfYOMuX-tH8&fbclid=IwAR2nKCWn9EPSyRsm2PDO-Ul2YCUZeU7dBaKlbJFqHr9yAXqYv8Odkn9i1eU
Film que je n’ai pas vu, et j’avoue, que je n’ai pas envie de voir.
Le téléfilm de M6 avait l’avantage de ne pas être trop flippant.
Il n’y a rien de pire que l’imagination, mais quand même, je suis un public facile à effrayer.
Le livre, je l’ai commencé, mais j’ai été incapable de le finir. J’avais 14 ans (donc ça date d’il y a plus de 25 ans…) et je me rappelle des moindres détails du début, entre la fièvre du grand frère, la lettre à Elise, le bateau, Georgie… Je n’ai aucun souvenir du reste, juste que j’étais incapable d’aller me coucher sans courir jusqu’à mon lit pour me planquer sous la couette…
Il faut que je regarde les bandes-annonces… Mais j’aimais bien Tim Curry en Grippesou…
Du coup je suis un peu de l’avis de Matt. Dans le livre, Grippesou ne se montre pas au début, il appelle Georgie en montrant seulement les ballons… Putain rien que la phrase « ils flottent » me fait flipper lol.
King est vraiment un génie de l’horreur. En entier, je n’ai lu qu’une nouvelle de lui, LE RADEAU, quand j’étais en Seconde, et je m’en rappelle encore…
Ah, j’ai oublié de dire que j’ai toujours détesté les clowns… Ils me faisaient peur déjà quand j’étais gamine…
Mais qu’avez-vous donc, les filles, à avoir peur des clowns !!! 😀
Ah mais j’avais même peur du père Noël (et je voulais aller à l’école le dimanche… pas tout à fait normale, la fille…)…
Il paraît que c’est le fait que le visage soit dissimulé qui angoisse les gosses… et en plus, je n’ai jamais trouvé drôle de faire des bêtises 😉
Moi aussi je trouve les clowns super malsains et surtout pas drôle de tout, je n’ai jamais été friand de l’humour « tarte à la crème »r King, je peux dire que ce n’est pas mon écrivain préféré…j’ai lu Simetierre et Shining et je m’y suis assez fait chier… J’ai bien aimé Salem et Rage et j’ai trouvé Running man très « récréatif » mais pas forcément très bien écrit…J’essaie de lire la part des ténèbres mais j’ai pas le temps….
Par contre j’adorais James Herbert et Peter Straub…
Moi je n’ai toujours pas vu ce film parce que je pense que je n’aimerais pas le bouquin non plus.
J’ai lu de bons trucs de King, mais celui-là ça m’a l’air bien trop WTF et délirant.
Et on m’a dit que la partie 2 sortie récemment ressemblait davantage à un Evil Dead 2 qu’à un film d’horreur inquiétant. Donc euh…bon, je crois que ne vais pas insister.
La 2ème partie sortie récemment ?
Il sort d’où ton contact ? Il faut que tu en changes. Le film sort dans 3 jours, le 11 septembre ! 😀
Ah merdoum, j’aurai dû mettre mon commentaire sur la seconde partie ici et non sur LE ROI DE LA PEUR…