Jean Frisano, une vie d’artiste par Philippe Fadde, Thomas et Sylvia Frisano
1ère publication le 19/09/17- Mise à jour le 07/04/18 puis le 02/02/20
AUTEUR : MATTIE-BOY
VF : Néofelis Editions
Cet article portera sur le livre Jean Frisano, une vie d’artiste qui, une fois n’est pas coutume, n’est pas une BD mais un artbook/documentaire consacré à l’artiste Jean Frisano, un illustrateur d’origine italienne dont vous avez surement déjà vu le travail même si vous ignoriez son nom. Il est en effet à l’origine d’une grande partie des couvertures des publications Lug ( Strange , Nova , Titans , etc.).
Pour un aperçu fidèle de l’œuvre, les scans de l’article montreront des illustrations que vous pourrez retrouver dans l’album.
Je le confesse je suis assez friand d’artbooks, et en particulier lorsqu’il s’agit de peintures de la culture populaire (affiches de films, couvertures peintes de comics, etc.) Ainsi j’ai chez moi 2 albums consacrés à Frank Frazetta, un album consacré aux couvertures de Vampirella datant des années Warren (toutes des peintures d’artistes principalement espagnols tels Jordi Bernet, Jesús Blasco, Victor de la Fuente, Alfonso Font, Carlos Giménez, etc.).
Et comme je l’ai évoqué dans un autre article, j’ai beau être né à la fin des années 80, j’ai eu entre mes mains pas mal de revues Strange et Titans héritées de mon cousin. Donc le travail de Jean Frisano, j’ai connu. Même si je ne savais pas du tout à l’époque qu’un seul homme se cachait derrière autant d’illustrations. Alors quand j’ai appris l’existence (discrète) de ce livre, je me suis empressé de me le procurer. Quand je parle d’existence discrète, il faut comprendre qu’il s’agit d’un album aujourd’hui uniquement disponible sur le site de la maison d’édition Neofelis. Inutile donc de le chercher sur votre site de vente qui partage son nom avec celui d’un fleuve d’Amérique du sud. J’ai donc bien failli passer à côté avant que son auteur Phillipe Fadde nous fasse coucou sur ce blog. Pas du tout pour faire sa pub d’ailleurs, mais sur des articles dédiés au cinéma. C’est purement ma curiosité (parfois mal placée mais que je ne regrette pas d’avoir eu le cas présent) face à une personne qui signe de son nom complet qui m’a poussé à aller voir si ce n’était pas un auteur. Et si oui, de quel ouvrage.
Avant de parler de ce dernier, je tiens à préciser avant tout que ce qui m’intéresse en général dans ce genre d’album consacré à un illustrateur, ce sont les illustrations. Ça peut paraître bête et frustrant pour l’auteur en charge du reste du travail rédactionnel, mais c’est ainsi. Non pas que je me moque du reste, mais si une bonne partie de l’album n’est pas consacrée à des reproductions d’illustrations (et plus grandes qu’un timbre poste s’il vous plaît !), ça ne m’intéresse pas. C’est le premier cap à franchir lorsque je feuillette rapidement. D’ailleurs je ne peux que saluer la bonne initiative de la vidéo présente sur la page de présentation de l’album sur le site de l’éditeur puisque ça a le mérite d’aider à savoir ce qu’on achète.
J’ai eu des albums de ce genre entre les mains qui m’ont déçu à ce niveau, et aussi au niveau rédactionnel.
Le deuxième point important pour moi, et ça ne relève que de ma préférence personnelle, c’est de nous proposer quelque chose de vivant au niveau du rédactionnel. Certains artbooks, même ceux qui me satisfont pleinement au niveau visuel avec de nombreuses illustrations, choisissent de décrire le travail des auteurs et leur carrière de manière très académique et un peu froide. Les légendes des illustrations sont aussi assez souvent impersonnelles. Sans être catastrophique, cela peut rendre le bouquin un peu austère même lorsqu’il nous ravit les yeux.
Bon évidemment si je dis tout cela malgré la bonne note que vous voyez scintiller en haut de l’article, c’est pour mieux déclarer que dans le cas présent de cet album, ces problèmes ne se posent pas.
En effet son auteur Philippe Fadde a choisi une approche différente. Ce dernier, qui est conférencier sur le cinéma, professeur d’histoire et grand amateur de bandes dessinées (auteur d’une étude sur John Byrne et Iron Fist), semble bien s’entendre avec les enfants Frisano au point de les considérer comme ses amis. Cette camaraderie lui permet d’adopter une approche plus conviviale éloignée du pavé de texte imbuvable plein de dates (pourtant ils aiment ça les profs d’histoire, non ?) en utilisant ses entretiens avec les enfants de Jean Frisano pour nous dresser un portrait de l’illustrateur en question. C’est donc principalement au travers d’un dialogue qu’on pourra apprécier le travail, les inspirations de Jean Frisano et la manière dont la société de son époque a influencé sa vie et son travail. Parmi ses interlocuteurs, il y a donc Thomas (également illustrateur) et Silvia Frisano, ainsi que d’autres amis de la famille. Des entretiens qu’on devine faits dans la bonne humeur tant la préface et la postface auxquelles participent Philippe Fadde et Thomas Frisano ressemblent à une discussion entre deux potes (bourrés) qui déconnent ensemble. L’interview aussi est parsemée d’anecdotes amusantes.
Bien sûr, des légendes précises et très formelles en dessous des illustrations, vous en aurez. Heureusement dans un sens, c’est tout de même un des objectifs de ce genre d’ouvrage d’informer. Mais comme elles s’insèrent au fil d’une discussion et suivent la progression de l’entretien et des périodes évoquées, c’est tout de suite plus fluide et agréable à lire.
Le livre nous propose donc de découvrir un auteur et ses centres d’intérêt, l’influence qu’a eu sur lui l’époque dans laquelle il vivait (la guerre, la pauvreté, le racisme, etc.) Ainsi on découvre un homme passionné de cinéma (un admirateur de Tarzan et de westerns américains) mais qui a pas mal rejeté la culture française à cause du racisme dont il fut victime dans son enfance. Comme je l’ai mentionné, même s’il est né en France, il avait des racines italiennes et on ne s’est visiblement pas privé de lui rappeler quand il était gamin. Un partie de l’album est également consacrée à des extraits de lettres dans lesquelles il exprime certaines opinions acerbes sur la politique, le sport, le cinéma. J’ai trouvé particulièrement amusante sa pique envers le football et le fait qu’une défaite soit quasiment assimilée à un véritable deuil alors que lui au contraire trouvait ça marrant et allait jusqu’à souhaiter voir la France se prendre une branlée plus souvent pour se délecter de ces moments absurdes.
Mais c’était aussi selon son fils un homme fragile qui ne s’est jamais remis de la mort de sa femme (âgée alors seulement de 42 ans). J’avoue que, ne connaissant rien à son histoire avant d’ouvrir ce livre, je me suis figé d’effroi lorsque, dans l’interview de Thomas Frisano, ce dernier évoque le suicide au gaz de son père après des années de chagrin. Je me suis imaginé un instant à la place de son fils qui a du soutenir son père alors qu’il était seulement âgé de 16 ans et qui n’a finalement pas pu l’empêcher d’en finir des années plus tard. Sans avoir vécu la même chose, ceci ne m’est pas totalement étranger non plus et ne m’a pas laissé indifférent lors de ma lecture.
En tant qu’auteur, Jean Frisano était un homme assez discret qui tenait à sa tranquillité, ce qui explique qu’il est resté méconnu longtemps, jusqu’à ce que Semic contacte sa famille dans les années 90 pour réaliser un portfolio. L’artiste ne souhaitait pas être crédité sur les parutions Lug et en l’absence de retours de fans (à l’époque, il n’y avait pas Internet pour exprimer ses avis, juste le courrier des lecteurs de Lug), il est mort sans savoir si ses dessins plaisaient. Seul John Buscema lors d’une visite en France lui a dédicacé un album Conan le conquérant en lui disant qu’il avait aimé sa couverture.
Jean Frisano était d’ailleurs un grand admirateur de Buscema, en particulier lorsqu’il était associé à l’encreur Alfredo Alcala sur Savage sword of Conan (comme je le comprends !). En complément de cela, nous aurons le détail des auteurs qu’il admirait (comme Frank Frazetta) et d’autres dont il n’aimait pas le dessin mais admirait l’esprit créatif (comme Jack Kirby).
Nous en apprenons aussi beaucoup sur ses conditions de travail pour Lug, ses frustrations parfois en rapport avec la somme de boulot qu’on lui imposait ou la censure de certains de ses travaux. Jean Frisano ne comprenait pas en effet qu’on puisse trouver les super héros choquants ou malsains, il trouvait même cela sympathique et adapté pour les jeunes. La censure de Lug lui échappait. Qu’on se rassure, cela échappait aussi à Lug mais ils n’avaient guère le choix. Frisano ne s’est jamais plaint auprès de son employeur mais certaines de ses couvertures ont été retouchées, comme les cornes de Daredevil supprimées ou les crocs des singes (d’une couverture pour La planète des singes ) effacées.
On aura aussi un tour d’horizon de ses autres travaux ou des peintures qu’il faisait pour son propre plaisir, jamais publiées auparavant, comme des pochettes de disque de Led Zeppelin ou Art Tatum. Il s’amusait aussi à peindre des portraits d’acteurs ou à mélanger différentes itérations d’un personnage populaire comme lorsqu’il peint une créature de Frankenstein avec le visage de Christopher Lee et le front de Boris Karloff pour obtenir une apparence nouvelle. Il était d’ailleurs un grand fan des films de la Universal mais n’a jamais accroché à ceux de la Hammer.
D’ailleurs concernant le cinéma, je dirais que l’album souffre quand même un peu de quelques errements qui s’attardent sur des films pour lesquels Frisano s’est amusé à réaliser des affiches. En effet nous avons carrément droit à de rapides critiques de ces films. Intéressant pour le cinéphile mais je soupçonne l’auteur de s’être laissé emporter par son intérêt pour le cinéma tant il n’était pas nécessaire de chroniquer ces films. Mais cela reste intéressant.
Une section également intéressante est celle consacrée aux secrets des couvertures qui décortique les compositions de Frisano en nous montrant par exemple comment il reprenait certaines scènes tirées des comics et les mélangeaient pour proposer un autre résultat. Il reprenait aussi parfois des poses particulières de certains super héros mais les attribuait à d’autres personnages.
J’ai noté cependant une erreur de référencement lorsqu’un passage nous renvoie page 71 pour un visuel d’une couverture de Conan…qui est en réalité en page 67. La page 71 est en effet consacrée à une peinture du Silver Surfer (un héros que Frisano appréciait au passage). Bref, ce n’est pas bien grave mais je suis là pour faire une analyse du bouquin, non ? Bon…eh bien il y avait boulette là.
J’ai aussi été surpris que ne soit pas mentionnée au rayon des anecdotes sur les travaux à refaire la fameuse erreur sur l’illustration de Spider-man du Strange N°25. Sur cette image, Spider-man se retrouve avec un slip rouge intégral. Lug réclamait parfois à Frisano de corriger ses dessins. Nous ne saurons donc pas si celui-là est resté tel quel parce qu’il a plu à l’éditeur ou parce qu’ils n’ont rien remarqué.
En plus des images disséminées dans la partie rédactionnelle, la partie artbook en fin d’album propose 106 pages de crayonnés, de noirs et blancs, de couvertures de Strange en couleurs, etc. Le tout en grand format. Une belle sélection de ses travaux pour Lug. Mais je l’avoue…pas assez pour mon appétit intarissable. Mais ne prenez pas cela comme un reproche, il y a une bonne centaine de couvertures reproduites. C’est juste que j‘en ai rarement assez. Il y a toujours ce petit côté frustrant quand je referme un tel livre. Sans doute que j’en demande trop. Sans doute aussi qu’aucun album ne peut rivaliser avec le contenu trouvable sur internet en matière d’images (même si c’est plus classe quand c’est joliment réimprimé). Et puis il y a toujours notre couverture préférée qui, par manque de bol, sera reproduite en tout petit sur une page au lieu du grand format qu’on aurait souhaité. Mais ça, c’est inévitable…et complètement subjectif. A moins de réimprimer absolument toutes les illustrations existantes.
Globalement c’est donc un ouvrage fort plaisant qui nous apprend plein de choses sur un artiste qui mérite d’être plus connu. Sa vie discrète et son métier d’illustrateur de commandes dans un domaine pas forcément bien vu à l’époque et surveillé par la censure ne lui ont pas permis d’être reconnu de son vivant et c’est donc avec plaisir qu’on accueille un ouvrage qui lui rend hommage (même quand lui aussi est discret), surtout quand il est bien fichu et plaisant à lire. Bien sûr je n’aurais pas dit non à 100 pages d’illustrations supplémentaires mais j’imagine qu’il faut faire des choix et que tout cela a un coût. Une lecture recommandée si vous êtes un admirateur du monsieur.
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Tout les lecteurs de Lug l’aiment sans forcément le connaître : Jean Frisano, l’homme qui illustra la plupart des Strange et autres Titans. Un livre de Philippe Fadde vient de sortir pour mettre en lumière cet homme de l’ombre. Mattie Boy s’est procuré et vous commente ce livre déjà collector.
La BO du jour ; un autre Italien ombrageux et sous estimé qui a mit fin à ses jours. Comme Nino, nous ne vous oublions pas Monsieur Frisano :
https://www.youtube.com/watch?v=DilClUPAtjg
Même si l’on peut reprocher à cet ouvrage quelque petit défauts : Le format des illustrations et forcément le fait que notre couverture préférée de strange n’y figure pas on ne peut que saluer cette réalisation et remercier les artisans du projet.
Enfin un livre sur l’illustrateur des couvertures des BD de mon enfance. Qu’est-ce qu’il m’aura fait rêver. C’est bien simple, dans les années 70 tout mon argent de poche partait dans les magazines des éditions LUG. Et pour cela il a fallu que je me prive de bonbons. C’est mon dentiste qui n’est pas contant, il ne me voit que pour un détartrage annuel.
Et comme j’étais un enfant soigneux et méticuleux, j’ai encore toute ma collection et notamment les stranges du N° 2 au N° 164. Donc quasiment toutes les illustrations de Mr Frisano.
Un artiste salué par l’immense John Buscema (comme précisé dans l’article)… ce n’est pas rien.
Ouh les premiers Strange, s’ils sont en bon état, ça doit valoir des sous ça^^
@Matt
Ils ne sont pas à vendre. Ils peuvent éventuellement être utilisés pour des Scans si le projet en vaut la peine ou pour des expos. J’aime partager mais pas spéculer. D’ailleurs cette collection vient des économies de mon enfance. Bizarrement je n’ai pas acheté un seul numéro d’occasion adulte alors que j’ai un peu plus les moyens. J’achète encore aujourd’hui énormément de comics/BD mais quasiment que du neuf. Le problème c’est que cela occupe beaucoup de place et ma femme n’est pas contente :-(. Elle m’a d’ailleurs indiqué à plusieurs reprises la cave, j’ai essayé de lui expliqué que la cave c’était mieux pour le vin. Elle n’a pas compris !!!… J’ai failli divorcer.
J’ai souvent vu les vieux Strange (notamment les N°2, 3 et 4) sur les étals de plusieurs festivals de BD. Si j’avais été un voleur, je n’avais qu’à tendre la main pour les chiper : Ils étaient là, presque à l’abandon ! Bon, en fait je ne suis pas preneur, ils sont quand même moches comme fascicules, dans l’absolu (tout petits, usés, élimés, bichromes !) ! 😀
Je préfère les N° qui ont bercé ma jeunesse (et que j’ai toujours (en gros entre le N°105 et le 210)).
@Tornado,
Les miens sont en très bon état. Mais je te l’accorde ils ne sont pas « beaux ». (Petit format et bichromie vert et rouge). Malheureusement à l’époque on n’avait pas le choix ! Lug avait lancé les Super-héros avec FANTASK qui lui était un magazine tout en couleurs. La censure est passé par là et ils ont estimé que les couleurs vives pouvaient choquer la jeunesse de l’époque !
Les premiers Stranges valent pour leur coté historique et le témoignage d’une époque ;-).
Mon amour pour Strange, n’a pas vraiment commencé avec ces premiers numéros mais avec le N°11. Lug revenait aux couleurs en grand format. Et puis il y avait un poster du Surfer d’argent…. UNE VERITABLE CLAQUE !!!!
C(‘est assez troublant de voir que Frisano cristalise de par son parcours, son oeuvre, notre nostalgie la plus pure…
ces illustrations que d’aucun pourraient qualifier de « swipe » possédaient une grâce qui s’imprima à jamais dans nos rétines afin d’aiguiser notre idée même du beau…
Grâce à lui, nous apprîmes à aimer Frazetta, Boris Vallejo etc…
Né en 1972, je fais partie de la génération de kids des 70s pour laquelle les couvertures de Jean Frisano ont beaucoup comptés.
C’est littéralement le talent de Jean Frisano Sr qui m’a poussé alors à m’ intéresser aux publications Lug qui engloutissaient chaque mois mon maigre argent de poche.
Les jeunes d’aujourd’hui peuvent difficilement imaginer l’émotion qui étreignait les gamins des années 70/début des années 80 au début de chaque mois quand on découvrait les nouvelles couvertures de Strange, Titans, Nova etc réalisées par le maestro Frisano.
Le génie de Jean Frisano résidait dans sa capacité à raconter une histoire par la dramaturgie de ses illustrations. Ses meilleures couvertures furent celles réalisées dans les années 70. Son talent d’artiste transfigurait les super-héros, les faisant accéder au rang de mythologie de papier, une qualité rare qui ne se retrouve à l’heure actuelle que sous le pinceau de l’américain Alex Ross.
Tous les gamins passionnés par les publications Lug/Marvel se demandaient qui était le génie derrière ces couvertures. Si seulement Frisano avait su à quel point ses couvertures avaient de l’importance pour les enfants des années 70 et 80 ……
Je ne peux m’empêcher d’avoir un pincement au cœur chaque fois que je revois les couvertures de Frisano pour les éditions Lug; beaucoup sont associés à des souvenirs d’enfance que je chérie tendrement, comme un goût de paradis perdu.
Mon intérêt pour les publications Lug et les super-héros s’est définitivement émoussé vers 1985, sans doute parce que la magie Frisano sr n’y était plus et parce que les dessinateurs et scénaristes de la Marvel s’orientaient vers un style d’histoires qui ne me parlait plus. Une époque se terminait.
L’aventure Lug et les couvertures géniales de jean Frisano s’inscrivent dans l’esprit stimulant des années 70; c’est toute une époque géniale hautement créative à tous points de vue mais à jamais révolue. Je suis content et fière de l’avoir connu.
Parents, faite connaître à vos enfants le talent génial de Jean Frisano et les publications Lug, c’est le meilleur cadeau que vous puissiez leur faire !
@1972 Kid : merci pour ce témoignage. La suite de cet article est ICI avec une interview de Philippe Fadde qui raconte Frisano.
Cette couverture de Fantask 7 est ma première rencontre avec le monde des super-hėros. J’ai ensuite lu Strange, Special Strange, Nova, Mustang, Spidey et les albums des 4 Fantastiques et de l’Araignée. Frisano m’a accompagné dans mon premier voyage, celui de la VF avant de découvrir la VO au début des années 90. Quand je repense aux années Lug il vient en tête avec ses couvertures ainsi que Ciro Tota et Jean-Yves Mitton. Parfois j’aimerai redécouvrir ces choses avec les mêmes yeux qu’il y a 40 ans…
Sur Facebook, j’ai souvent lu que Frisano était piètre dessinateur.
Partagez-vous cette opinion ?
Non.
Bon…on ne peut pas nier que certaines couvertures sont moins réussies que d’autres, avec parfois un bras ou une jambe étrangement placée, ou un léger souci de proportion. Mais en fait, on ne trouve personne qui ne fait jamais aucune erreur de ce genre. Seuls les dessinateurs qui ont un style très cartoony s’en tirent bien parce que les exagérations et silhouettes tordues font partie de leur style, donc ils ont une marge d’erreur plus importante qui se voit moins facilement.
« piètre dessinateur » c’est encore un terme lancé par quelques détracteurs qui veulent se faire remarquer, non ? Sur Internet, soit c’est génial, soit c’est nul de toutes façons. Jamais de demi mesure. « C’est trop bien, pur chef d’oeuvre » ou « ça pue la merde, rentre chez toi »
Ceux qui disent ça savent-ils de quoi on parle? Il faut comparer ce qui est comparable. Frisano n’était pas un dessinateur, dans le sens où il n’avait pas 20 pages à réaliser tous les mois. C’était un illustrateur c’est un travail différent. Ce serait comme critiquer le travail de Vallejo, Luis Royo ou Joe Jusko. Sur ses qualités propres, il est comme le dit l’article un produit de son époque, les années 70. Les gosses d’aujourd’hui pourraient aussi trouver que Kirby, Gil Kane, Carmine Infantino ou Gene Colan sont mauvais. Comme certains « vieux » ne sont pas très sensibles à Gerardo Sandoval ou Humberto Ramos et leur style manga-compatible.
Très bel article qui, même si ça n’est pas son objectif premier, donne envie de se procurer le recueil -qui semble pas mal fait, d’après ce qu’on peut en voir…).
Quel triste destin que celui de cet homme, cependant : la rédaction Lug s’est manquée, sur ce coup-là, en n’essayant même pas de le promouvoir, d’une manière ou d’une autre. Je ne peux m’empêcher de penser qu’un juste retour sur son travail, de la part de fans potentiels, aurait pu aider à passer au travers de la dépression : le rapport au public, même s’il semble souvent très mercantile, joue de toutes façons sur l’envie de produire. Bien sûr, il est classique pour un artiste d’avoir des hauts et des bas plus marqués que ceux de son entourage, rapport à l’excitation mentale intense qui soutient les périodes de grande créativité, et l’abattement consécutif qui s’ensuit inévitablement, quand la tête se remet du passage de toute cette énergie. Les personnes effectuant des tâches plus physiques ne connaissent pas des changements d’humeurs aussi marqués : la fatigue physique s’estompe avec du repos et l’énergie nerveuse est moins sollicitée (dans l’idéal, bien entendu !).
Même provenant de l’extérieur, une motivation demeure une motivation ; et l’une des clés pour passer au travers de ces terribles moments est de se sentir utile : un constant rappel positif sur la qualité de ses illustrations aurait pu avoir un impact positif sur la partie artiste de cet homme. Il y a bien sûr d’autres aspects à cette tragédie ; mais, étant un tant soit peu créatif -et bien qu’ayant toujours pensé que mes bidouillages se suffisaient en eux-mêmes-, j’ai bien du constater (avec une réelle surprise tant je m’imaginais immunisé !) combien les réactions via le miracle Internet -les bonnes comme les mauvaises, d’ailleurs…- ont boosté mon envie ; ceci entrainant, selon ce que je vivais à tel ou tel autre moment, une nette amélioration de mon état mental.
Bon, évidemment, je ne fait pas de parallèle. Je n’ai rien connu de comparable au drame de cette famille : il s’agit juste un point de vue.
Sinon, toujours en rapport avec l’influence bénéfique de l’extérieur : j’ai lu dans les commentaires que Jean Frisano détestait Rom. Mais, obligé de dessiner ce jouet moche et grotesque (il a superbement ignoré les pieds/palme du pauvre cyborg !), l’artiste s’est carrément dépassé ; et sa première tentative est bien une des plus réussies des couvertures de Strange.
Qu’on apprécie ou pas le style du bonhomme, il est manifeste qu’il était investi dans ses « traductions » des couvertures originales ; et on ne peut que saluer la régularité qualitative de son travail. Très loin de refléter le graphisme punchy des cases de nos mensuels adorés, il redonnait -avant l’heure !- une patine quasi mythologique à des icônes dont le traitement en vogue était plutôt à l’humanisation à tous crins.
En ce qui concerne un avis sur son art, je dois dire que, en tant que gamin lecteur Lambda, ses couvertures ne comptaient que très peu à mes yeux tant je brûlais d’impatience pour le contenu des pages cachées derrière ! Mais leur familiarité est devenue, avec le temps, liée à l’espoir (déçu !) de les trouver quelque part un beau jour, ainsi que l’émerveillement prescient ressenti en les contemplant avec envie, étalées au dos de mes Strange (quelle idée géniale de la part de la maison d’éditions Lyonnaise !).
J’en ai possédé quelques unes très réussies : Phénix versus Magnéto, par exemple, Captain Marvel confronté à Éon, l’arrivée fracassante de Rom… Dans ma dinguerie fanatique, j’avoue -avec un sentiment de perte irréparable et une honte écrasante !- avoir découpé quelques unes de ces dernières pour en coller les personnages sur le mur de ma chambre !! Crime monstrueux, je le reconnais humblement ; et pour lequel je suis cruellement puni chaque fois que j’y pense -quand je remets la main sur les exemplaires mutilés, par exemple… À ma décharge, j’avais déjà la tête en feu, à six-sept ans. Mais je me suis fait bien sermonner par ma mère.
… ET une deuxième fois quand, bien plus tard, j’ai du les enlever pour que mon oncle repeigne : collés avec de la pâte à modeler (il n’y avais jamais ni scotch, ni stylos, chez mes parents !), le pauvre homme a du gratter le béton granuleux pendant une demi-journée entière !! Ça m’a servi de leçon !