Focus : Jane B par Serge Gainsbourg et Frederic Chopin
Article de BRUCE LIT
Dessins de EDWIGE DUPONT
1ère publication le 07/03/18-MAJ le 02/01/19
Gainsbourg a t’il sa place sur un site consacré à la BD ? Oui ! Car Serge était un personnage de roman russe tout comme un héros de BD et dont la vie à souvent été adaptée en bulles, le réalisateur de sa biographie à l’écran n’étant pas moins que Joann Sfarr.
Un premier volume consacré à Lemon Incest est paru ici. Ça vous a plu hein ? Vous en voulez encore ? Alors, voici l’histoire de Jane B, une chanson qui me touche bien plus que Je t’aime moi non plus dont je n’ai jamais aimé la mélodie trop Procol Harum. Il bénéficie encore des illustrations de l’artiste Edwige Dupont dont je ne saurais que trop vous conseiller de découvrir son travail sur son site.
Jane B est une chanson de 1969 interprétée par Jane Birkin et composée par Serge Gainsbourg sur une mélodie de Chopin (prélude en mi mineur). Pour comprendre la portée et la signification de la chanson, autorisons nous une brève incursion dans la vie tourmentée de Gainsbourg.
https://www.youtube.com/watch?v=ef-4Bv5Ng0w
Initiales : BB
Lorsque Serge Gainsbourg rencontre celle qui sera son égérie légendaire, son moral n’est pas au beau fixe. A la fin de 1967, le petit Juif complexé par son physique et raillé pour sa supposée laideur au point qu’il arrêta la scène pour ne plus être insulté, s’affiche aux bras de la plus belle femme du monde : Brigitte Bardot ! Les deux s’étaient déjà rencontrés 5 ans auparavant au moment où Serge lui composa L’appareil à sous, mais il faudra attendre sa Harley Davidson écrite pour une émission tv pour que naisse une passion éclair dont Bardot au soir de sa vie, et désormais clairement affiliée au Front National (un parti pas franchement réputé pour aimer les Juifs…), se souvient encore.
Bardot est alors mariée à Gunther Sachs, un mari qui la délaisse. En travaillant avec Gainsbourg, elle découvre un homme plein d’esprit, de culture et dont la timidité n’a d’égale qu’une profonde gentillesse. A ces côtés, elle rit beaucoup (Gainsbourg était un vrai pitre en privé) et fait la fête. Serge est fou ! Il présente Bardot à ses parents qui n’en reviennent pas de croiser un mythe du cinéma dans la chambre étudiante de leur fils.
Une nuit, la légende veut que Bardot lui demande de lui enregistrer sa plus belle chanson d’amour. Gainsbourg reprend une vieille mélodie et écrit les paroles sulfureuses de Je t’aime…moi non plus, un aphorisme emprunté à son idole Salvadore Dali : Picasso est espagnol, moi aussi. Picasso est un génie, moi aussi. Picasso est communiste, moi non plus. Terrifié par la chanson qu’il a écrite, Serge peine a enregistrer sa voix. Il faut que Bardot demande à baisser les lumières du studio et l’enlace pour que cette chanson légendaire soit gravée. Et oubliée pendant 20 ans !
Car Gunther Sachs est peut-être cocu mais n’apprécie pas plus que ça que sa femme jouisse sur les ondes européennes….Bardot ramenée à la réalité d’un procès qui pourraient la ruiner supplie Serge de ne pas sortir le disque. Elle part ensuite tourner à Almeria actant ainsi la fin de leur idylle. Digne (Gainsbourg ne blâmera jamais publiquement les femmes de sa vie qui l’ont quitté) mais le cœur brisé, Gainsbourg écrit alors Initials BB où il sublime sa douleur sur la Symphonie du Nouveau monde de Dvorak.
Le film de Sfar, la chambre universitaire et l’artiste aux pieds de sa muse. Compose moi ta plus belle chanson d’amour !
Jane Qui ?
Arrive alors le tournage du film Slogan où il a le premier rôle. Serge vient au bout d’essai de l’actrice qui lui donnera la réplique en faisant la gueule : on lui avait promis qu’il tournerait avec Marisa Berenson et il se retrouve face à une gamine de 20 ans, une anglaise sans poitrine plaquée par John Barry qui parle à peine français : Jane Birkin. Mauvais, il se montre odieux avec elle en la faisant pleurer : il la traite de boudin, elle de salaud !
Pierre Grimblat, le réalisateur flippe sa mère : ces deux-là risquent de lui flinguer son tournage. Il organise alors un repas où les deux sont censés se réconcilier. Il vient sans le savoir de contribuer à la naissance du couple mythique des 70’s. Serge lui parle sans arrêt de Bardot avec agressivité. Birkin, une femme assertive s’il en est, devine que Serge est un homme blessé et accepte d’aller danser avec lui. Meilleur musicien que danseur, il lui écrase les pieds toute la soirée avant de s’écrouler ivre mort à l’hôtel en guise et lieu d’une nuit torride. Ce soir là, Jane tombe éperdument amoureuse d’un homme fragile et arrogant de 20 ans son aîné, une euphorie racontée dans l’enjoué Elisa.
Signalement : amour en danger
Cette passion amoureuse trouve son aboutissement dans l’album Jane et Serge (non, pas l’animé de la 5 bande de geeks !) où figure une nouvelle version, chantée une octave plus haut Je t’aime moi non plus mais aussi des chansons où la joie pure le dispute à l’angoisse de mort. Et c’est ici que nous arrivons à Jane B.
Et nous voici encore une fois dans toute la richesse de la langue du poète. A peine l’amour rencontré que Gainsbourg songe à sa fin. La chanson est en fait un portrait robot de Birkin que Gainsbourg, ancien peintre, esquisserait à la police si elle venait à disparaître. Nous sommes ici en pleine thématique Gainsbouresque : le va et vient, celui sexuel des reins pendant le coït de Je t’aime moi non plus, le sentimental de la rupture amoureuse de Je suis venu te dire que je m’en vais ou le fantasmé de Lemon Incest entre la tendresse et le désir pour sa fille.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce va et vient, c’est aussi la pulsion amoureuse contre la destruction. La vie contre la mort. Donner vie à Birkin en quelques traits pour mieux la tuer en fin de chanson. Là est le génie de Gainsbourg : faire un portrait robot de celle qu’il découvre, la décrire corps et âme, la faire se chanter elle même et chanter les angoisses de Serge de perdre l’amour de sa vie.
Tout est ici une question de contrôle. Gainsbourg, authentique misogyne (on lui doit des aphorismes vachards : « Toutes les femmes sont à prendre, enfin y’en a qui peuvent attendre » « Prendre les femmes pour ce qu’elles ne sont pas et les laisser pour ce qu’elles sont ») dira publiquement aimer cette femme. Sur ce disque, il lui donne la vedette : c’est elle qui apparaît à sa place sur la pochette, c’est elle qui chante la moitié du temps bien avant le Double Fantasy de John et Yoko, un autre couple tout aussi mythique et impudique.
Il y a quelque chose de très pur dans le chant faux de Birkin, une pureté de la simplicité, quelque chose contre laquelle je n’échangerai pas une minute de Birkin contre 20 daubes de Céline Dion ! Un équilibre sur le fil du rasoir. Et de l’amour comme s’il en pleuvait : celui de Birkin capable de chanter sa mort pour son pygmalion et d’enchaîner avec le tournage éprouvant du sublime Je t’aime moi non plus- Un film qui mériterait ici un article.
Jane, morte de trac, chante sa mort à la télé.
Je n’en valais pas la peine, je sais
Prophète, Gainsbourg sait que sa créature finira par lui échapper. Il le dira lors d’une interview télévisée : si elle a du succés, elle m’échappera comme ces ballons qui s’enfuient vers le ciel. Alors, dans un élan aussi bien créateur qu’autodestructeur, Gainsbourg offre à sa muse une célébrité qui sera fatale à son couple douze ans après.
C’est ainsi que pour éviter de la perdre dans les bras d’un autre, Serge entreprend de tuer Jane d’abord ici, puis dans le légendaire Melody Nelson et enfin sous les traits de la Marilou de l’Homme à tête de chou. Il ne restera plus qu’à tirer (sic) le bilan de cet amour-suicide lors des années Gainsbarre dans Sorry Angel : c’est moi qui t’ai suicidée mon amour, sans moi tu as décidé un beau jour que tu t’en allais.
Jane B est plus que le portrait de Birkin, mais celui tout en pointillé d’un artiste inapte au bonheur, qui même à son apogée, voit le début de son histoire d’amour comme le début d’un compte à rebours, un truc qui rime avec Gainsbourg. Malgré l’amour de cette femme exceptionnelle qui aura transformé le chanteur rive droite imberbe en rocker aux cheveux longs et mal rasé, malgré la naissance de sa fille Charlotte puis Lulu qu’il adorait, malgré un succès tardif, Gainsbourg passera sa vie à fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve. En sauvant pas mal d’entre nous à l’occasion.
On raconte qu’il suffisait de frapper à sa porte pour que Gainsbourg pour qu’il vous fasse entrer chez lui, qu’il vous serve à boire et se mette à chanter par dessus ses propres disques. Toc-toc, voici avec 30 ans de retard ce que j’aurais voulu vous dire, Serge.
LE couple français du 20ème siècle
(C) Edwige Dupont
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Il est dit que derrière chaque grand homme se cache une femme. Un adage particulièrement vrai pour Serge Gainsbourg qui , avec la rencontre de Jane Birkin va enfin devenir lui-même. L’histoire de Jane et Serge et la chanson Jane B. dans un article illustré par Edwige Dupont chez Bruce Lit.
Et bien on répond pas ?
Je ne voulais pas vous intimider, votre silence est assourdissant.
Bonjour Melodynelson 1972. Pas d’inquiétude, l’auteur de ces lignes est momentanément absent. Il devrait vous répondre à son retour. 🙂
Et bien j’attends.
Merci.
@Melodynelson :
Ah, Melody ! hue et oh….
Quelle impatience ! Votre défi est tombé durant les 48 heures les plus occupées de mon mois de mars.
Et pour être sincère il n’y a pas grand chose à dire….Si vous m’aviez « provoqué » sur Anna Karina, Petula Clark ou même Isabelle Aubret, oui, pourquoi pas…
Mais un défi sur Gillian Hills. Un de mes premiers fantasmes féminin, une femme remarquable aussi belle que Bardot et aussi talentueuse que Petula ou Hardy réunies. Je peux vous écrire des pages sur les 30 chansons qu’elle a laissé pour la postérité, et sa beauté croissante dans Blowup ou Orange Mécanique.
Mais malgré toute mon adoration pour elle, il faut quand même reconnaître qu’il s’agit plus de caméo que de vrais rôles.
Quant à sa collaboration avec Gainsbourg, elle se limite à « Une petite tasse d’anxiété » une chanson anecdotique de Gainsbourg au sommet de sa muflerie d’à peine 90 secondes….Une seule anecdote : Serge est au moment de enregistrement timide et galant avant de chanter ses horreurs. Gillian racontera elle, avoir apprécié que Gainsbourg fasse référence à son deuxième tube en duo avec Henri Salvador : Cha cha stop (« je ne suis pas celle que vous croyez »).
Voilà, il n’y a rien à dire de plus, votre impatience risque donc d’être frustrée.
Le prochain article (non rédigé à ce jour) portera sans doute sur les tubes pour France Gall où là, il y a plus d’anecdotes.
Et pour finir sur un pied de nez cher ami, en référence à votre pseudo, je vous rappelle que Melody Nelson date de…1971. 😉
Bien à vous
Dont acte
Eh, vous saviez que Antonio Margheriti (le réalisateur de Danse Macabre ou de la soricère sanglante dont je parle dans mon article sur les gothiques italiens ici : http://www.brucetringale.com/barbara-style-la-story-de-barbara-steele/ ) a tourné le film « les diablesses » avec Serge et Jane ?^^
Jamais vu cela dit. Mais au cours de mes pérégrinations sur les sites d’éditions DVD de vieux films, je tombe sur des trucs…^^
Et comme d’hab le titre italien « La morte negli occhi del gatto » traduit littéralement c’était « la mort dans les yeux du chat », ce qui est bien plus beau que « les diablesses »
Bravo à Edwige pour ces superbes dessins…
Je fais partie de ceux/celles qui aiment particulièrement cette chanson. Je préfère d’ailleurs la version studio que celle de la vidéo.
Je ne savais pas qu’il avait écrit SORRY ANGEL en pensant à Jane…
Je préfère d’ailleurs la version studio que celle de la vidéo.
Ben c’est la même
Ah ? Je ne me rappelais pas qu’elle chantait si aigüe !
En te remerciant Kaori… 😉
Edwige ?
De rien, c’est vraiment superbe ce que tu fais, j’ai aussi beaucoup aimé ceux que tu as fait pour l’article sur Charlotte et son prestigieux papa.