Tony Chu # 8 par John Layman & Rob Guillory
PRESENCE
VO : Image
VF : Delcourt
Ce tome fait suite à Bad apples (épisodes 31 à 35) qu’il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé avec le premier tome de la série car il s’agit d’une complète en 60 épisodes, regroupés en 12 tomes.
Celui-ci contient les épisodes 36 à 40, initialement parus en 2013/2014, écrits et lettrés par John Layman, dessinés, encrés et mis en couleurs par Rob Guillory.
Il y a quelques mois, Antonnelle Chu (Toni, la sœur de Tony) se tenait au chevet de son frère Tony inconscient sur son lit d’hôpital et voyait arriver Amelia Mintz qui s’étonnait de la voir claudiquer. Amelia lui demande alors ce qui s’est passé, et Toni Chu revoit en pensée son acte dans les toilettes, interrompu par l’arrivée de sa sœur Sage Chu qui est cibovoyante, c’est-à-dire qu’elle peut voir les pensées des individus qui mangent le même plat qu’elle. Elle vient demander l’aide de sa sœur car elle a vu les pensées d’un exécuteur professionnel. Toni requiert l’aide de Paneer Sharma. Cet épisode 36 comprend également un dessin en double page consacré à un combat de Poyo.
Épisodes 37 à 40 – John Colby rend visite à Mason Savoy qui est en prison. Il passe le portique de détection, mais c’est un autre visiteur qui se fait prendre avec une lecture subversive interdite : le dernier numéro du magazine Food Luv. C’est également l’occasion de découvrir quelques-unes des interventions de Mason Savoy quand il faisait partie de la Food and Drugs Administration. De son côté, Tony Chu se retrouve à nouveau à manger des parties humaines, ce qui lui occasionne le souvenir désagréable de la première fois où ses parents ont fait l’amour, sur la banquette arrière d’une voiture. Sa dégustation est interrompue par l’arrivée de Chow Chu qui s’est fait piéger par Kenneth Keebler, le photographe du magazine Food Luv, qui dispose lui aussi d’un pouvoir en relation avec la nourriture.
C’est toujours un plaisir sans égal que de retrouver Anthony (Tony) Chu et sa famille, de découvrir de nouveaux pouvoirs liés à la nourriture, et de participer à la découverte et à l’assemblage des pièces du puzzle, tout ça dans un humour absurde qui rehausse le plaisir de la lecture, sans nuire à la narration. Tony Chu est enfin remis sur pied et il va pouvoir reprendre son enquête. Mais le scénariste ne le transforme pas en héros d’action infaillible et doté de capacités extraordinaires En fait il est encore sous le choc du décès dans sa famille (le lecteur aussi), sans réelle prise sur les événements. John Layman montre les conséquences du décès, à court et à moyen terme. Il montre son personnage désemparé, ne trouvant la motivation que quand elle est apportée par les autres, comme tout être humain réconforté par ses proches. Ce principe de codépendance se retrouve dans la forme même de la narration qui ne met pas en scène un unique héros dans 80% des scènes, mais qui développe de nombreux personnages. Le lecteur retrouve avec plaisir John Colby, Olive Chu, Poyo (même si ce n’est que le temps d’une seule image) et l’inénarrable Mike Applebee.
La personnalité de certains protagonistes ressort plus, parce que le scénariste leur donne plus de temps sur la page. D’autres ne servent que de faire-valoir (Caesar Valenzano et l’agent Vorhees dans ce tome), ou de ressort comique (le toujours très réussi Mike Applebee). Les dessins de Rob Guillory n’ont en rien baissé dans leur force comique. Par exemple, Applebee est toujours dessiné avec ses discrètes (mais bien présentes) auréoles sous les bras, et des expressions exagérées pour faire ressortir toute la joie que lui procure le fait de surprendre Tony Chu en pleine erreur professionnelle. Les autres expressions des visages sont également majoritairement exagérées pour obtenir un effet comique quant à la franchise des sentiments qui animent les personnages. Il y a la même exagération dans les postures et les mouvements quand le scénario prend la tangente de la parodie.
Ainsi les exploits de Mason Savoy sont montrés sur un ton parodique, tournant en dérision les clichés des aventures d’espionnage, et mettant en scène un individu avec un embonpoint prononcé. Rob Guillory accomplit toujours le prodige de réaliser des compositions qui racontent l’histoire au premier degré, sur un ton humoristique, sans que la deuxième caractéristique ne nuise à la première. En outre, le lecteur constate scène après scène que les 2 auteurs (scénariste & artiste) travaillent en complémentarité, les délires proposés par le scénariste prenant une dimension plus grande avec l’interprétation picturale.
La coordination entre les 2 créateurs est telle que bien souvent le lecteur a l’impression qu’il s’agit d’un même et unique auteur. La double page consacrée à Poyo ne fonctionne que par l’alliance de la démesure du dessin (une scène absurde) avec les mentions délirantes qui l’accompagnent. De même ces mentions n’auraient pas le même impact sans la force de l’illustration. De la même manière, la réaction d’un lecteur de la page centrale du magazine Food Luv ne fonctionne que par l’intelligence entre la parodie d’un magazine de charme et l’explication du contenu réel. Tout du long de ces épisodes, le lecteur se repaît de la richesse et de la variété de la narration picturale.
Rob Guillory réalise une narration essentiellement descriptive (sans tenir compte des exagérations comiques), avec des cases sagement rectangulaires. Mais le lecteur observe également qu’il créée des leitmotivs visuels discrets, telle que la mise en page de l’afflux de souvenirs chez Tony Chu quand il croque dans un orteil, qui est la même que celle du premier épisode. Comme dans les tomes précédents, le lecteur sait qu’il peut aussi prendre le temps de détailler les dessins pour savourer de discrets détails. Il y a toujours les inscriptions sur les murs qui agissent comme des slogans moqueurs (ou la mention Made in China, sur l’oreille artificielle de Tony). Il est possible aussi d’apprécier le dessin sur les différents teeshirts d’Olive Chu qui sont des clins d’œil aux séries Saga (de Brian K. Vaughan & Fiona Stapples), Ghosted (de Joshua Williamson & Davide Gianfelice) et God hates astronauts (de Ryan Browne).
S’il est gratifiant de ne voir en cette histoire qu’une excellente série d’humour, ce serait passer à côté de bien d’autres ingrédients. Les dessins de Rob Guillory insistent sur les émotions appuyées des personnages pour l’effet comique. Mais ils ne masquent pas complètement la dimension horrifique qui accompagne certains actes. Il peut s’agir d’une horreur de situation, comme 2 personnages s’apprêtant à réduire en purée des chogs (croisement entre des poulets et des grenouilles d’Amazonie) dans un mixer, le lecteur étant poussé à imaginer la souffrance de ces petites bêtes, et la boucherie qui en résultera. Les auteurs inventent à chaque tome de nouveaux pouvoirs liés à la nourriture, dans une inventivité à chaque fois renouvelée. Ils ont choisi de ne pas se servir de ses pouvoirs comme de commentaires sur l’économie de l’alimentation.
Mais en y prêtant attention, il apparaît que la cibopathie s’apparente à une forme de cannibalisme au premier degré, et à une forme de de vampirisme psychique à un deuxième niveau. De même, la capacité de Sage Chu l’oblige à commander des plats improbables qui défient le bon goût, jouant sur les conventions culturelles qui régissent les conventions culinaires. À un deuxième niveau, il s’agit d’un commentaire sur le poids que peut ressentir un individu à l’empathie trop développée. De même le magazine Food Luv évoque la puissance du plaisir physique, provoqué par un stimulus artificiel.
John Layman & Rob Guillory ne font donc pas que d’amuser la galerie (avec un rare talent), ils évoquent aussi de manière sous-jacente l’horreur de la condition humaine. Mais ils sont également (à part égale) les conteurs d’une histoire pleine de mystère et de suspense. Le passage à la deuxième moitié du récit (avec le tome précédent) avait marqué une inversion de la proportion nouveaux mystères / explications. C’est avec grand plaisir que le lecteur assemble de nouvelles pièces du puzzle comme les motivations de Mason Savoy, ou des explications supplémentaires sur l’écriture dans le ciel. C’est avec le même plaisir qu’il voit comment des éléments plus anciens reviennent : les fruits Gallsaberry (ou Gallus Sapadillo en provenance de l’île de Yamapalu), ou encore la capacité de sculpter n’importe quoi dans du chocolat.
Ce huitième tome confirme l’excellence de cette série hors norme, réalisée par 2 créateurs en totale symbiose, prenant des risques qui payent (l’incroyable intervention sous substance psychédélique de l’épisode 40), offrant une intrigue prenante, habitée par des personnages attachants, avec un humour irrésistible.
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« Scary Monsters » 1/5
Un détective cannibale ? Un coq plus dangereux que Wolverine ? Un cyborg, des aliens et un vampire ? Ne cherchez plus, vous êtes dans l’univers délirant de Tony Chu. Vous en prendrez bien une bouchée ? allez….une cuillère pour Présence.
La BO du jour : LA CHANSON de Gainsbourg sur le cannibalisme…sur un air de Mambo. Aussi dingue que Tony Chu !
Je n’ai aucun souvenir de ce made in china sur l’oreille de Tony ! Mince, faudrait il que je relise toute la série pour l’apercevoir.
Chew est une série exceptionnelle (vous voyez que je fais pas que de râler depuis une semaine….) malgré des défauts bien réels que j’aborderai demain pour la conclusion de la série.
Pour commencer, aucun des personnages n’a de vraie personnalité ; chacun est réductible à 2 ou 3 stéréotypes. Il est donc difficile de ressentir quelque chose pour ces individus superficiels. j’imagine que tu es revenu sur ton jugement de ton premier article ?
Le premier tome était suffisamment accrocheur pour que je continue à lire cette série. Les tomes suivants ont révélé plus de saveurs au fur et à mesure. Il m’arrive rarement d’être enthousiasmé dès le premier tome d’une série.
La suite m’a effectivement fait changer d’avis, et mon jugement de valeur sur l’ensemble de la série (à la fin de la lecture du tome 12) est qu’elle est à ranger parmi les exceptionnelles comme tu le dis. C’est le jeu de la lecture tome par tome, avec un avis pour chacun d’entre eux.
Le Made in China figure dans ce tome 8.
ça a l’air sympa mais je n’ai jamais osé franchir le pas. Maintenant que je sais que la série fait 60 épisodes, je crains de ne jamais tenter.
Je ne suis pas vraiment fan des dessins. C’est un style humoristique qui a l’air de fonctionner mais qui rend quand même tous les personnages moches. Je peux apprécier le style mais pas forcément sur 60 épisodes, encore une fois…
Les dessins ne sont pas beaux, ou plutôt leur esthétique à quelque chose d’exagéré et de pas lissé. Mais, comme le dit Bruce, ils apportent beaucoup à la narration, faisant de cet artiste un créateur à qui il revient une partie de l’identité de la série, en tant qu’auteur.
@Matt: à première vue les dessins ne sont effectivement pas des plus ragoutants. Mais ils sauvent parfois le scénario de l’inertie, j’en reparle demain.
Et je n’ai qu’une hâte : lire le nouveau projet de ces deux joyeux lurons !
Je suis resté à distance de cette série, dont la longueur (12 tomes !) m’a découragé par avance. Etant donné qu’elle fait l’unanimité, je guette une éventuelle réédition en intégrale (3 volumes, par exemple). Mais Delcourt n’a pas encore proposé ce type de réédition, en dehors des séries Star Wars.
Je ne me prendrais pas les 12 tomes. Je n’ai plus de place !
La meilleure solution pour lire Walking Dead : les emprunter à un copain (c’est Bruce qui m’approvisionne, merci chef). 🙂
Le fait de savoir que Walking Dead était une série sans fin programmée (à plus de 15 euros le tome) est le principal critère que j’ai retenu pour ne pas la lire…
Je crois que j’avais lu cette chronique à l’époque sur la zone. Je suis fan, autant de l’analyse de Présence que de cette série. C’est vrai que le dessin n’est pas harmonieux ou joli, mais il fait partie de l’essence de la série, sans lui elle ne serait plus pareille. D’ailleurs c’est tout à fait vrai de dire que l’on croit que c’est l’oeuvre d’une seule personne.
Le premier tome m’avait plu car très original et très drôle, même si effectivement les personnages n’étaient pas trop fouillés. Mais par la suite, on se rend compte que rien n’est laissé au hasard et que tout le monde a le droit à un développement sérieux voire tragique, tout en restant très drôle.
Par contre je ne sais plus à quel numéro je me suis arrêté : c’est une amie qui les achète, et je crois qu’elle a pas mal de retard. C’est avec elle que j’aimerai échanger tous mes Walking Dead (que je n’achète plus, mais je dois avoir 20 tomes. C’est elle qui a acheté les suivants.) contre tous les Chew. Pour l’instant, elle n’a pas dit oui.
Quant à la chanson de Gainsbourg je ne la connaissais pas. Elle est sur quel album (à coup sûr, un des premiers) ?
@Jyrille : la chanson de Gainsbourg est tiré de Gainsbourg volume 4 qui marque la fin de sa période mambo/ rythme cubain. La pochette est restée célèbre je crois….
J’aime bien Black Trombone.
j’ADORE Black Trombone. Je me la suis écouté au moins 10 fois aujourdhui. Je ne me lasse jamais de cette chanson. Une classe inégalée.
Black trombone est aussi une de mes préférées, avec Je Bois (de la même époque).
Le titre de la chanson Je Bois est Intoxicated Man, en fait.
A l’issue de la lecture du premier tome (en février 2011), je trouvais que les dessins de Rob Guillory étaient vivants, mais qu’ils manquaient de finition, qu’ils auraient gagné en qualité avec des contours plus harmonieux, et des arrière-plans un peu plus consistants. Avec le temps, j’ai fini par me résoudre à les accepter comme ils sont. En fait, cet artiste propose une vision très cohérente de tous les éléments hétéroclites que comprend la série, avec des expressions de visage impayables, une veine humoristique énorme, capable de faire passer les comportements les plus absurdes, comme faisant partie intégrante de l’histoire, sans créer une solution de continuité dans l’intrigue C’est un incroyable tour de force.
L’intégrale de la série va me suivre au pays du soleil levant ! Ce qui fait le defaut de la série à priori finit par en faire le charme : son graphisme décalé et son thème surréaliste !
Je n’appellerai pas ça un défaut personnellement, juste un style personnel de dessin. Pour moi, le trait de Rob Guillory est celui d’un Gotlib ou d’un Edika, qui a sciemment décidé d’aller dans l’exagération, de s’éloigner du réalisme.
Des références tout à fait judicieuses.
C’est vrai que depuis Gotlib, jamais les grimaces dessinées ne m’avaient fait tant rire….
C’est une série que je n’ai pas achetée mais que je suis vaguement en l’empruntant à des potes ou en médiathèque. Pourtant, je l’aime bien, voire beaucoup, mais peut-être que le format, au final assez volumineux à cause de la reliure cartonnée, m’a un peu dissuadé de me lancer dans la collection. L’édition VO mentionnée par Présence aurait pu me tenter mais le prix (100 boules par tome) est… un peu dur à avaler…
Toutefois, connaissant la suite du programme de la quinzaine, je bénis la présence de Chew parmi les articles, car cela m’inspire une bonne fournée de gags pour le prochain Figure Replay…