Harbinger : Death of a renegadepar Joshua Dysart & Clayton Henry
AUTEUR : Présence
VO : Valiant
VF : Bliss
Ce tome fait suite à Perfect day (épisodes 15 à 19) qu’il faut avoir lu avant.
Il contient les épisodes 20 à 25, initialement parus en 2014, tous écrits par Joshua Dysart. Les épisodes 20 à 22 sont dessinés et encrés par Clayton Henry. L’épisode 23 est dessiné par Clayton Henry et Khari Evans. Ce dernier dessine et encre les épisodes 24 et 25. La série Harbinger continue dans Armor Hunters: Harbinger, toujours écrite par Joshua Dysart.
Le récit s’ouvre avec un présage sinistre d’un futur proche, montrant Toyo Harada accompagné de 2 psiots (individus disposant de capacités psychiques) atterrissant sur un porte-avion stationné dans des eaux internationales, et révélant l’étendue de ses pouvoirs en expliquant qu’il se voit contraint de révéler sa vraie nature au grand jour, et qu’il va prendre en main une partie du futur de l’humanité.
Avant ces événements, les renégats (les psiots menés par Peter Stanchek et Kris Hathaway) ne restent pas les bras ballants. Ils commencent par intervenir pour sauver @X, un hackeur ayant mis en ligne les dossiers confidentiels ayant trait au Projet Rising Spirit, c’est-à-dire l’organisation gouvernementale ayant travaillé pour créer des psiots (la Génération Zéro qui s’est rebellée dans Harbinger Wars). @X (de son vrai nom Octavio Gonzales) est accueilli dans leur base souterraine, par Kris Hathaway, Peter Stanchek, Faith Herbert, John Torkelson, Charlene Dupre, et Monica Jim (Animalia). Avec lui, ils conçoivent un stratagème pour exposer la véritable nature des actions de la multinationale Harada Global Conglomerates.
Depuis les Harbinger Wars, le lecteur se demande quelle direction générale Joshua Dysart va donner à la série. Dans les 3 premiers tomes, il a présenté les forces en présence, essentiellement Peter Stanchek et les Renégats d’un côté, Toyo Harada et sa fondation Harbinger de l’autre, avec quelques factions de moindre importance comme le Projet Rising Spirit, l’équipe Génération Zéro, ou encore les Hard Corps. Au fur et à mesure des épisodes, il apparaît que les forces en place sont trop importantes pour que le secret de l’existence des psiots puissent perdurer. Mais d’un autre côté, le scénariste n’a pas les mains totalement libres puisqu’il doit préserver l’intégrité d’un monde assez semblable au nôtre, pour que les autres héros de l’univers partagé Valiant puissent continuer à y évoluer. Cette position inconfortable entre 2 chaises perdure dans ce tome, et le lecteur a parfois l’impression que Joshua Dysart joue la montre repoussant sans cesse le moment où l’irréparable se produira.
En découvrant la scène d’introduction, le lecteur n’est pas entièrement convaincu. Le scénariste peut-il vraiment rompre l’équilibre fragile avec la réalité du lecteur, et modifier l’ordre mondial d’une telle manière ? La suite de l’histoire montre que la réponse est à la fois oui (il y a bien une avancée significative dans la situation de Toyo Harada aux yeux du monde), et non il n’y a pas de conflit ouvert. Mais la narration de Dysart recèle bien d’autres éléments. Du point de vue des personnages, Joshua Dysart accomplit une nouvelle fois un travail remarquable en les développant, en faisant évoluer leurs relations, en montrant les conséquences de leurs actions et des réactions qu’elles suscitent, sur leur état d’esprit, sur leur motivation, sur leurs convictions.
Le scénariste ne met pas en scène des individus taillés d’un seul bloc, soit totalement altruistes, soit irrémédiablement corrompus par leur pouvoir. Dans les 2 camps, le doute existe, conduisant certains à s’interroger sur le bien-fondé de leurs actions, sur les choix qu’ils font. Depuis 4 tomes, Dysart a su montrer toute l’ambiguïté de la démarche de Toyo Harada, mais aussi les limites des actions des Renégats, plus dans la rébellion de principe que dans la construction. L’introduction d’un hacker fait écho à l’ambiguïté d’une action qui consiste à révéler au grand jour des informations tenues secrètes. D’un côté, il s’agit de porter à la connaissance du grand public des malversations ; de l’autre côté, il s’agit de détruire une entreprise, sans proposition d’alternative. Le scénariste a l’intelligence de ne pas grossir le trait, de ne pas favoriser un camp aux dépends de l’autre, de ne pas prendre son lecteur pour un idiot.
Du point de vue de la vie personnelle des personnages, ce tome est riche en émotion et en évolution. Les liens affectifs se développent, jusqu’à aboutir à des relations physiques entre individus s’appréciant. À nouveau, Joshua Dysart ne parle pas d’amour romantique. Il met en scène des individus se côtoyant et s’apprivoisant, se rapprochant en fonction de leurs atomes crochus, de leur état d’esprit, de leur sentiment, sans jugement de valeur, sans niaiserie.
Du point de vue de l’intrigue, Joshua Dysart se montre très malin dans la manière dont il met en scène une variation des wikileaks, avec leur effet destructeur pour les individus concernés. Ce grand déballage ne se fait pas tout seul. Il faut des individus courageux pour le faire, des moyens, des prises de risque et une véritable stratégie. Tout ça constitue un récit d’aventures bien troussé, haletant, et viscéral. Finalement le lecteur oublie la contrainte relative au statu quo pour apprécier un thriller intelligent, reflétant des préoccupations du monde réel, avec des personnages qui existent, complexes, touchants et humains.
Ce n’est pas avec un grand enthousiasme que le lecteur découvre que Clayton Henry a dessiné les 3 premiers épisodes. Toutefois sa prestation est moins insipide que dans les épisodes précédents. Le niveau de détails a augmenté, y compris dans les arrière-plans des cases. Cet artiste continue à dessiner des personnages avec une morphologie normale, ce qui ajoute de la crédibilité aux situations. Il sait les mettre en scène pour qu’ils apparaissent normaux, et il utilise des mises en scène en retenue pour les séquences de relations interpersonnelles, ce qui leur confèrent une grande justesse, et une forme de pudeur appréciable. En particulier le rapprochement physique de 2 Renégats est émouvant sans être voyeuriste.
Même si les personnages restent un peu lisses et trop propres sur eux, l’artiste réalise des dessins avec une densité d’informations visuelles qui compense pour partie l’approche hygiénique. La mise en scène est également assez fonctionnelle, ne réussissant pas à transporter le lecteur dans la séquence au milieu des personnages. Il reste sur l’impression d’être un simple observateur. Mais elle présente assez de tact pour ne pas matraquer les évidences ou se reposer uniquement sur les effets chocs, avec des angles de vue dramatisant chaque moment.
Le lecteur se sent plus impliqué avec les dessins de Khari Evans qui montrent que les personnages ne sont pas lisses, grâce à un encrage de contour moins régulier. La densité d’arrière-plans est sensiblement la même que celle d’Henry, avec un rendu plus texturé. De ce fait le lecteur ressent l’impression d’une immersion plus proche des personnages, avec une vision plus aigüe de l’incidence de ce qui leur arrive ou ce qu’ils subissent.
Ce tome se termine avec 4 histoires courtes écrites par d’autres scénaristes (Vivek J. Tiwari, Justin Jordan, Dan Goldman et Lucy Knisley) et dessinées par d’autres artistes (Lewis Larosa, Rafer Roberts, Clayton Henry et Lucy Knisley). La première revient sur l’amitié entre Peter Stanchek et Joe (Joseph Irons), la seconde voit les Renégats découvrir la première histoire de fan fiction écrite sur eux. La troisième revient sur la découverte du corps de Joe par Peter, et la dernière (en 1 page) montre la bonne humeur de Faith Herbert. Les 4 se lisent facilement, sans déplaisir, mais sans avoir l’intensité de celles de Joshua Dysart.
Il y a encore la reproduction (en taille minuscule) de toutes les couvertures des comics ayant eu pour titre Harbinger, y compris la série initiale de 1992 (soit 72 au total), et 7 couvertures variantes réalisées par Khari Evans (*2), Barry Kitson, Zack Montoya, Clayton Henry, Sean Chen, et Gilbert Hernandez.
À l’issue de ce tome, le lecteur ressent encore cet exercice sur la corde raide, pour réussir à faire avancer l’intrigue à la hauteur des forces en présence, sans compromettre la possibilité que l’histoire se déroule dans un monde dont l’évolution suit celle du nôtre. Il grimace donc un peu en voyant le deus ex machina auquel le scénariste recourt pour différer à nouveau une résolution tranchée. Néanmoins il pardonne à Joshua Dysart cet exercice d’équilibriste pas toujours très gracieux, au vu de la délicatesse et la sensibilité avec laquelle il s’attache à développer ses personnages et leurs relations. Il lui rend grâce de se tenir à l’écart d’un manichéisme primaire opposant les bons contre les méchants. Finalement Joshua Dysart met en scène une équipe de jeunes adultes, avec des superpouvoirs qui pourraient les faire assimiler à des mutants, face à un ennemi qui veut le bien de l’humanité et une place pour les psiots, avec des relations interpersonnelles respectant et développant les personnages. Au vu de ce bilan, le lecteur comprend que la critique américaine ait établi une comparaison flatteuse entre cette série et les meilleurs moments de celle des X-Men.
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La BO du jour
Un Harbinger meurt. La fête est finie…
https://www.youtube.com/watch?v=yGwrSEhk_rQ
Elle a l’air très attachante, cette Mlle Faith.
Vu de l’extérieur, il m’est assez difficile de voir dans cette série autre chose que de la production habituelle (hors super-héros mainstream). L’histoire ne parait pas si exceptionnelle que ça. Limite banale. Limite domestique. Limite aseptisée. Les commentaire de Présence insistent quand même plusieurs fois sur le fait que le scénariste remplit un cahier des charges éditorial, même s’il réussit à tirer l’ensemble vers le haut. Disons que ce survol ne me rend pas particulièrement enthousiaste.
A ce stade j’ai su que j’étais accroc. Je ne trouve pas les personnages lisses du tout.
Et la mort du renégat en question est superbement dramatique et rappelle une certaine Jean Grey non ?
Bien tenté Bruce, mais ne je vois à nouveau que les différences entre la mort de ces 2 rousses avec des flammes autour. 🙂 Décidément, mon esprit est ainsi fait qu’il prend plus de plaisir à ce qui rend quelque chose d’unique, qu’à ce qui le rattache à un schéma déjà vu.
Sur le fond, tu as évidemment raison, puisque Joshua Dysart lui-même a revendiqué la référence aux X-Men.
@Tornado – Les personnages de la série Harbinger sont la propriété intellectuelle de Valiant, donc bien évidemment ces comics sont produits selon le processus habituel, du responsable éditorial au partage des tâches au sein de l’équipe créatrice, avec en plus un turn-over élevé pour les dessinateurs.
Je trouve qu’ici Joshua Dysart réussit à faire entendre sa voix d’auteur, à la fois en faisant vibrer le lecteur au diapason des émotions des personnages, à la fois avec cette intrigue qui met en valeur toutes les nuances d’une situation gentils/méchant, au point d’en supprimer tout manichéisme, le bon étant un violeur (Peter Stanchek), le méchant cherchant à construire une utopie, plutôt que de simplement s’approprier le bien d’autrui. Toyo Harada construit activement un futur meilleur pour le plus grand nombre, mais à sa manière.
J’hésite mais je crois bien que je vais craquer (quand j’aurai le temps de passer chez un dealer). Quant à la BO, j’adore.
Disons que c’est extrêmement intrigant. Mais bon il me faut le tome 5 de Preacher et j’avoue que je me demande ce que vaut la sortie du Gaiman sur les filles en soirée.
J’ai enfin fini cette partie, et pour le moment, je dois avouer que la scène de début qui se répète à plusieurs moments commence à être vraiment trop répétitive. Et je rejoins évidemment Présence sur toutes ces remarques négatives (surtout le dessin), mais également sur le positif : l’évolution des personnages, leurs trajectoires étonnantes et leurs destins parfois funestes, on ne s’ennuie jamais, avec une narration en flashback et parallèle toujours prenante.
Je ne regrette donc pas d’avoir craqué pour cette série qui est une sorte de série de super-héros pour adulte, totalement le contraire d’infantile, et donc pour Tornado ! Par contre, Think Tank est loin d’être mon Blur préféré même si il y a de très bons titres dessus.
Dans l’édition française, entre cet arc et le précédent, il y a un épisode supplémentaires, Vies antérieures (Bleeding Monk 0), uniquement sur le Moine sanglant. Et les deux premiers épisodes de l’arc que tu décris ici (les épisodes 20 et 21) sont nommés Résistance et donc regroupés avant la partie « La mort d’un rénégat ».
Visiblement le découpage est différent entre la VO et la VF, car les épisodes suivants avaient l’objet d’une minisérie spécifique pour la parution mensuelle, et Bleeding Monk (pas très utilise) avait été casé avec, dans le dernier tome pour aboutir à une pagination méritant un recueil.
Harbinger vient d’être relancé en VO avec un nouveau scénariste, et je doute qu’il arrive au niveau de Joshua Dysart. Je lui laisserai encore le bénéfice du doute pour le deuxième tome, avant d’arrêter, parce que je suis malgré tout content de retrouver les personnages. Je suis vraiment très atteint. 🙂
Mais non, je te comprends parfaitement, j’ai moi aussi beaucoup d’attachement à ces personnages. D’ailleurs j’ai acheté le premier tome de Faith… Par contre je ne pense pas continuer la série après avoir fini de lire cette intégrale par Dysart. J’en suis à la fin, l’arc nommé Omégas.
Comme l’indiquait Bruce, la suite de la série se trouve pour partie dans Imperium qui se concentre sur Toyo Harada, et que j’ai trouvé meilleure qu’Harbinger. Il me semble que Bliss Comics a annoncé une parution en intégrale pour octobre 2017.