Older par George Michael
Par : JP NGUYEN
Quand la Team a lancé l’idée d’écrire sur des pochettes de disque, je pensais que ce serait un article collectif où chacun écrirait deux ou trois paragraphes. Du coup, je pensais déblatérer sur Cambodia, de Kim Wilde, un titre marquant de mon enfance car correspondant au règne du tourne-disque dans la maison familiale, dont la programmation était préemptée par mes deux grandes sœurs.
Et puis, horreur, il s’avéra que chacun devait pondre un article en entier ! Moi qui suis une tanche pour causer musique, j’étais mal barré. En fait, je complexe beaucoup au niveau culture musicale par rapport à plusieurs membres de la Team, dont les références sont assez pointues et me sont, la plupart du temps, inconnues. Il y a pourtant quelques artistes dont je connais assez bien la discographie, plus que le pékin moyen, dirons-nous. Certes, ce sont plutôt des artistes mainstream, squatteurs de la bande FM dans les années 80-90 mais, de la pop-rock à la pop-culture, il n’y a qu’un pas que je vais m’empresser de franchir furtivement, façon ninja.
Ce qui nous amène à George Michael, pop-star dont la carrière débuta en 1981 avec Andrew Ridgeley pour former le duo Wham! (une onomatopée digne d’un comicbook, non ?) qui deviendra une machine à tubes, associant les mélodies sirupeuses aux refrains catchy. L’ami George était l’âme du groupe, écrivant et composant la plupart des morceaux. Son brushing impeccable et sa barbe de trois jours encadraient un visage de jeune premier dont l’aura de sex-symbol allait fatalement éclipser celle de son comparse et c’est tout naturellement qu’il se lança dans une carrière solo à partir de 1987. Son premier album, Faith, sera un vrai carton (25 millions d’exemplaires vendus) mais le second, Listen Without Prejudice, Volume 1 (1990), fera un relatif flop, ne s’écoulant qu’à 7 millions, entraînant des frictions entre le chanteur et sa maison de disques, CBS Records qui devient Sony Music Entertainment en 1991. Pour le coup, le volume 2 ne sortira jamais.
Il faudra attendre 1996 pour son troisième album, Older; le bien-nommé, puisqu’il s’agit de l’album de la maturité, sorti chez Virgin en Europe, où il fut un succès, tandis qu’outre-Atlantique, il fut loin de casser la baraque. A Noël dernier (2016), lorsque le chanteur tira sa révérence, ce furent souvent les chansons Last Christmas, Careless Whispers ou Faith voire I want your sex que les medias grand public choisirent pour lui rendre hommage. Pourtant, à titre personnel, Olderest l’album que je préfère. Bien que mélangeant plusieurs genres (jazz, R&B, soul et électro), il possède une véritable atmosphère, un son propre qui rend plaisante l’écoute intégrale de l’album et ne le limite pas à une simple enfilade de tubes.
Au départ, on était sensé parler de la pochette. Offert par ma sœur Christine (qu’elle en soit remerciée ici) pour mon anniversaire, Older fait partie des albums que j’apprécie de posséder sous format physique. Le livret est chouette. En vis-à-vis des paroles de chaque chanson, de très belles photos, dont beaucoup en noir et blanc, au diapason de l’atmosphère générale se dégageant de l’œuvre. Une sorte de mélancolie/nostalgie apaisée, pour un homme ayant pris de la bouteille et regardant le monde sans cynisme mais avec bienveillance. Ce regard perçant du cher George illumine la cover du CD, son iris vert profond étant la seule touche de couleur d’un portrait en clair-obscur, cadré en gros plan. Le côté droit de son visage est dans l’ombre et donne un côté Two-Face à GM, comme un écho à la dualité du chanteur, qui se déclarait alors bisexuel, ou encore comme la marque d’une double identité (secrète) de l’artiste, qui fera son coming-out en 1998.
Et hop, voilà ! je suis arrivé à caser une référence aux comics dans un article consacré à un album pop ! Je ne compte d’ailleurs pas m’arrêter là, puisque la suite de cet article abordera d’autres liens que mon imaginaire a tissé entre l’ambiance musicale de Older et un certain héros masqué. Non, non, je n’affirme pas du tout que telle était l’intention initiale de l’artiste. George Michael a composé une partie de cet album en effectuant un travail de deuil, celui de son compagnon Anselmo Feleppa, décédé en 1993 du SIDA, à qui l’album est dédié.
L’autre dédicace figurant sur le livret est adressée à Antonio Carlos Jobim, un des pères de la Bossa Nova. Et même si toutes les chansons de l’album ne sont pas des tire-larmes, l’ensemble est traversé par un sentiment ressemblant à la saudade lusitanienne. Avec une telle ambiance, l’écoute de certains morceaux a fini par m’évoquer des passages marquants de la vie d’un certain diable masqué en collants rouges. Quoi ??? Daredevil et George Michael ??? Y’en a vraiment qui doutent de rien !
A nouveau, je précise que ces parallèles ne prétendent pas identifier un sous-texte intentionnel de l’auteur mais bien des ponts, des ramifications créées après des écoutes répétées de la part d’un auditeur également fan de Daredevil. Bien que non-religieux, George Michael usait volontiers de symboliques chrétiennes (Dieu, le Diable, les anges, Jésus…) dans ses textes. Mais plus que ces références sporadiques, c’est le thème récurrent de l’amour contrarié conduisant au bord de la dépression qui prédisposait son œuvre à se relier à la vie fictionnelle de Matt Murdock grand lover-loser sous les plumes de Miller, Bendis, Smith ou Brubaker.
« Jesus to a child » : une ode à un amour perdu, que Matt pourrait écouter seul dans sa chambre après avoir perdu Karen Page , tuée dans… une église ( !) en sauvant… un enfant ! (Certes, étant donné sa carrière cinématographique, Karen serait plus proche de Marie Madeleine que de Jésus, mais bon…). Matt a perdu Karen mais conserve son souvenir en son cœur à tout jamais.
« Spinning the wheel » : une relation déséquilibrée, avec un amoureux se morfondant jusqu’au petit matin en attendant le retour de l’autre, l’image d’amants sous la pluie au bord de la rupture, soit un décalque quasi-parfait de la relation entre Matt et Milla Donovan pendant le run de Bendis , alors que son successeur, Ed Brubaker , avait écrit Milla comme une femme attirée par les bad boys et les hommes dangereux. Et qu’entend-on dans la chanson de George ?
You’ve got a thing about danger, baby
I guess the hungry just can’t see
(…)
Oh yeah, we’re standing in the rain
(Baby love) And I will not accept this as a part of my life
(Save me, love) I will not live in fear of what may be
Et on peut encore s’amuser pas mal à faire répondre les textes de Older avec les affaires de cœur de l’homme sans peur.
« Fastlove » : un condensé de l’état d’esprit des dragueurs impénitents adeptes des histoires sans lendemain. Comment, « les coups d’un soir, ce n’est pas le genre de Matt Murdock » ? Allez dire ça à Dakota North ou encore à la cliente de Nelson&Murdock dans Elektra Lives Again … Ce one-shot à l’ambiance onirique pourrait fort bien trouver sa BO avec The Strangest Thing » : une chanson onirique qui rappelle le Murdock insomniaque mis en scène par Frank Miller et Lynn Varley.
There’s a liar in my head
There’s a thief upon my bed
And the strangest thing
Is I cannot seem to get my eyes open
Et quand Matt étreint en rêve son égérie grecque dans un décor de flammes, la scène pourrait faire écho au dernier couplet :
Give me something I can hold
Give me something to believe in
I am frightened for my soul
Please, please make love to me
Send love through me
Heal me with your crime
The only one who ever knew me
We’ve waisted so much time, so much time
« To be forgiven » : un individu qui se sent s’enfoncer dans la dépression et qui appelle à l’aide, ce titre m’évoque Kristen MadDuffie qui vole au secours de Matt dans le story-arc l’opposant au Purple Man , écrit par Mark Waid et dessiné par Chris Samnee. Car malgré ses échecs répétés, Matt Murdock ne baisse pas les bras : c’est l’homme du Never Give Up . Sa résilience pourrait tout à fait s’illustrer avec « Move On » la huitième piste de l’album, la plus résolument optimiste.
Move on
Hold it together, move on
Life’s so short, move on
Only time can set you free
Enfin, « Free », morceau quasi-entièrement instrumental qui termine l’album, m’évoque des images du Diable Rouge virevoltant sur les toits de Big Apple. D’ailleurs, la diversité des instruments utilisés (piano, flûte, saxophone…), dont certains joués par George himself, et le son organique de Older donnent une texture toute particulière au monde intérieur de l’artiste, dont les déboires sentimentaux, nous l’avons vu, ne seraient pas si éloignés de ceux de Matt Murdock.
Evidemment, je le répète, je sais bien que Oldern’a pas du tout été écrit avec DD en tête. Et j’aurais bien du mal à relier un tube comme « Star People » à l’univers du diable rouge, pas plus que je ne le peux pour la chanson titre, au demeurant une ballade qui saisit parfaitement un fragment de vie, des retrouvailles qui tournent court entre deux personnes que l’existence a changé mais pas vraiment rapproché.
Reste que l’ambiance générale mélancolique et douce-amère de Older, s’accorde fort bien à plusieurs tranches de vie de Matt Murdock. J’avais environ 20 ans lors de mes premières écoutes de Older et j’en aurai bientôt 40. Maintenant, c’est moi, qui suis « older » alors que cet album de GM (non, pas General Motors !) n’a pas vieilli. Pendant ces 20 dernières années, j’ai connu certaines affres dépeintes dans les chansons de George, notamment avant de rencontrer ma chère et tendre…
J’ai souvenir de soirées où mon blues était atténué par l’écoute de certains albums, dont, évidemment, Older, accompagnée de verres plus ou moins nombreux de whisky single malt. Contrairement aux alcools forts, les hommes ne s’améliorent pas forcément avec les années (peut-être devrait-on essayer de dormir en fûts de chêne ?) mais le monde intérieur qu’on se construit au fil des temps peut nous aider de façon salutaire pour faire face au réel. Pour avoir contribué à la construction de ce monde-là et à l’apaisement de mes coups de blues, à travers cet album et bien d’autres remarquables chansons, je lui dédie respectueusement cet article.
So, this one’s for you, George.
You’ve changed the way I listened to music
And the way I lived through my heartbreaks.
May you rest in peace.
///////
Comics’n’roll 8/10
Notre spécialiste du Diable Rouge, Jean-Pascal Nguyen, se lance dans les spéculations mélomanes : Et si « Older » de George Michael était la bande son idéale de la vie de Matt Murdock ?
Démonstration tout en Murmure Incontrôlé chez Bruce Lit.
La BO du jour :
https://www.youtube.com/watch?v=aM3i2uR9LPM
Je fais le voeu d’un papier écrit par toi sur Cambodia, mon premier 45T et, comme Laurent Voulzy, je me suis ennuyé souvent des nuits sans Kim Wilde.
Mais George et DD, c’est surprenant et tu y mets ce supplément de récit personnel qui donne du relief à ton hommage. Et la légende qu’un groupe de rap marseillais t’a inspiré est poilante…
Ha ben c’est très émouvant -et original !- comme article-hommage. Et assez précis quant à la perception de la valeur humaine du bonhomme. MERCI.
Comme dit dans l’article sur A-ha, j’ai véritablement eu un coup de foudre romantique pour ce gars-là -j’avais treize-quatorze ans et, comme pour toutes les véritables histoires d’amour « rêvées », il ne correspondait EN RIEN à ce que j’imaginais me plaire, à l’époque (je ne flashais que sur des montagnes de chair plus ou moins grasses et poilues, pourvu qu’elles aient une patine « patriarcale » : salut, Bud !). Mais, bien au delà du côté fun-rigolo de la musique, de son look « Farrah Fawcett » (brushing impossible décoloré/bronzage marron -naturel, ici !- et mâchoire animale pleine de quenottes blanches à éblouir), l’énergie positive qui irradiait de lui (délibérément, d’ailleurs : son intenable ambition de réussite associée au message officiel véhiculé par la musique du groupe Wham), ton de la voix compris, m’a complètement tourneboulé et m’a poussé, jusqu’à Older, à acheter ses disques ; alors même qu’il ne chantait plus du tout de la même façon (j’étais moins « transporté ») et que, musicalement, mes enthousiasmes les plus francs m’appelaient ailleurs -pas trop loin, ailleurs, d’accord ; mais quand même.
Comme tous les plus grands artistes, tous naïfs, il a tout donné à son public (entre autres : il semble y avoir pas mal de bonnes œuvres qui ont bénéficié de sa générosité, aussi.) ; passant sa deuxième partie de carrière à justifier ses succès, obsédé par l’idée de rester incompris et méjugé. N’importe qui d’autre n’en aurait rien eu à faire ; mais LUI, il lui fallait marteler sa vérité, au risque de se faire dézinguer par la presse pour son absolue absence de légèreté. Elton John a affirmé n’avoir jamais rencontré quelqu’un de plus têtu…
Il m’a fallu interpréter son deuil de son ami au travers de ses chansons pour réaliser à quel point j’avais, moi aussi, été dupé par l’image qu’il s’était lui-même imposée d’incarner à ses propres yeux. Tout ce Soleil n’était qu’une flamboyante devanture ; et l’homme derrière (le gosse, véritablement : son histoire avec Anselmo a tout d’un très tardif coup de tête adolescent), fait d’émotions souterraines puissantes et habité d’une mélancolie profonde, s’est trouvé pris à son jeu, obligé de coller à son image, désormais passée étant donné son vécu ; allant jusqu’à s’ auto-caricaturer avec des « tubes » beaucoup moins inspirés que ceux qui ont fait sa renommée (Freeek, pour ne citer que celui-là…).
Je ne suivais pas l’actualité, je n’entendais que ses succès les plus validés, par hasard. C’est un collègue au boulot qui m’a annoncé la nouvelle et j’ai mis près d’une demi-heure pour me ressaisir. Rien compris à ma réaction, sur le coup : ça n’existe pas, un chagrin d’amour aussi immature, à l’aube de la cinquantaine. Et puis j’ai compris que je pleurais pour lui ; pour sa quête illusoire de reconnaissance officielle, pour sa valse-hésitation identitaire (très symptomatique de son caractère fixe), pour toutes ces nécessitées adolescentes, transformées en métier parfaitement maitrisé, qui l’ont poussé à conquérir cet univers fais de fric et de vent, quant il aurait parfaitement pu être très heureux, au coin du feu avec son chat, s’il avait seulement eu ce choix-là. Il m’a fallu deux année pour réussir à le ré-écouter sans fondre en larmes.
Je n’ai jamais eu besoin de validation extérieure pour l’apprécier en tant qu’artiste et, à l’heure d’aujourd’hui, tout le monde s’accorde à reconnaitre son incroyable habileté dans son domaine, au delà de son seul talent d’interprète (son ingénieur du son a affirmé que le titre Older avait quasi été écrit/composé pendant qu’il prenait une pause cigarette !). Mais je suis très heureux que l’entièreté de ceux qui s’expriment maintenant à son sujet, qu’ils aient été des proches ou de simples auditeurs -et même pas fans, qui plus est !- s’accordent pour lui reconnaitre cette véritable dimension humaine, si inadéquate dans ce milieu qu’il s’était choisi (mais qui, je le répète, fait la différence entre les Grands et les simplement très habiles…).
Au delà de l’évident (Careless Whispers, Cowboys & Angels, Etc…) c’est quasi tout ce que j’emporte de lui avec moi ; avec aussi le souvenir de tout ce dynamisme qui, même s’il était un peu « fake », confirme un peu plus la générosité du personnage, puisqu’il lui a bien fallu aller le chercher quelque part, tout ce solaire, pour pouvoir nous le balancer entre les deux yeux -et les deux oreilles !
Et où, sinon loin à l’intérieur ?! Maximum respect, George. And all my love.