La dernière maison sur la gauche par Wes Craven
1ère publication le 06/10/16- MAJ le 29/08/18
AUTEUR : BRUCE LIT
DVD : Wild Side
La dernière maison sur la gauche est le premier film officiel de Wes Craven, le papa de Freddy et et de Scream (il aurait réalisé auparavant un porno resté inédit).
Il s’agit d’un film quasi amateur avec des acteurs inconnus (et qui le sont restés) datant de 1972 qui s’inspire de La Source de Bergman de 1960 selon une légende du moyen-âge où un paysan vengeait sa fille violée.
Apparemment inspirée d’une histoire vraie, le film a été victime d’une censure impitoyable avant de ressortir en 2002. Un remake de 2009 a été tourné par un certain Denis Iliadis.
Attention ! Film culte ! Celui qui avec Massacre à la tronçonneuse eut l’infime privilège d’être massacré par la censure de 1972 et interdit au Royaume Uni pendant ….30 ans ! Ceci est le premier film de Wes Craven associé à Sean Cunningham qui réalisera ensuite Vendredi 13.
En lisant le synopsis, on peut comprendre que le film avait de quoi choquer : Deux adolescentes sont kidnappées par un quatuor de criminels qui en 24 heures vont les torturer, les violer puis les assassiner. En fuite, ils vont trouver refuge sans le savoir chez les parents de l’une des victimes qui vont la venger ! Sauvagement….A coups de dents, de couteau et de tronçonneuse…
Précurseur, La dernière maison sur la gauche est à bien des égards un film fascinant malgré de nombreuses tares. Filmé avec 3 bouts de ficelles, avec des acteurs de quatrième zone et une image VHS, la direction de Wes Craven, même débutante, même de son propre aveu plus qu’hasardeuse, reste un vrai film d’auteur.
Nous sommes en 1972. L’ère Hippie est morte et enterrée : D’abord à Altamont en 69 où un concert des Stones se finit dans le sang puis en 71 avec Charles Manson. Altamont voyait un jeune noir assassiné par le service d’ordre des Stones constitué de Hell’s Angels tandis que Charles Manson avait manipulé mentalement sa bande pour massacrer Sharon Tate, l’épouse de Polanski, sous fond de suprématie de la race blanche et d’apocalypse dont les Beatles seraient les 4 cavaliers… De ces événements dont on a dit qu’ils tuèrent les sixties, il restait à faire un film constatant la fin de l’amour libre et des idéaux de paix et d’amour.
Mari est la fille de ces Hippies. Avant le drame elle se rend à un concert de Hard Rock où l’on décapite les poulets. L’allusion à Alice Cooper est à la fois charmante et éloquente; Wes Craven est fan et multipliera les allusions au rocker dans ses films : les Meurtres dans les rêves de Freddy rappellent le concept de Welcome to my nightmare, il en incarnera le père dans le volume 6 tandis que Shocker lui adressera de nombreux clins d’oeil (Alice avait produit le film !). Sur scène, le chanteur maquillé au prénom de fille était réputé pour avoir, avec Iggy Pop et Lou Reed , réintroduit de la méchanceté, du sang et du sperme dans un rock enfumé.
Mari et Philly sont deux héroïnes virginales victimes de leurs bourreaux mais aussi d’une époque. Mari, c’est aussi bien le nom de la Vierge, mère de….mais aussi l’appelation de la Marijuana, la drogue des hippies justement, celle pour laquelle nos héroïnes s’écartent de leur programme initial comme les enfants des chemins de conte. Comme Hitchcok pour Psychose, Craven laisse le temps aux deux adolescentes d’exister avant de les assassiner. Mais contrairement aux slashers des années 80, ce ne sont pas des personnages stupides dont la mort fait rigoler. Mari vit un calvaire toujours aussi éprouvant tandis que Philly fait montre d’un authentique courage et d’un mépris insolent envers ses bourreaux.
Craven brode une fable sur la sexualité brimée malgré des années de relâchement. La scène du viol de Mari reste encore très éprouvante, bien plus que celle d’Orange mécanique. Craven refuse d’érotiser ce moment. Rien n’est montré, mais la suggestion est bien suffisante. Mari est filmée comme la victime d’un meurtre : celui de sa chair et de son âme, celle qui lui ordonne d’abandonner toute résistance pour survivre. Ce regard poignant qui s’éteint pendant cet acte de barbarie justifie à lui seul la portée artistique du film. Ainsi que cette scène muette où la victime suivie par ses agresseurs silencieux décide de se purifier dans un lac gelé avant d’y mourir.
Et le film reste insolite après toute ces années. Craven a veillé à ce que celui-ci reste « divertissant ». De nombreuses séquences d’humour absurde autour de flics minables qui portent secours à leurs victimes à pied parce qu’ils n’ont plus d’essence, transforme l’histoire en tragi-comédie : d’un côté l’horreur, de l’autre les bouffons d’un ordre qui, par son inefficacité, est aussi coupable que les criminels. Enfin citons la musique composée par David Hess qui joue également le vilain Krug. Son folk est mélancolique lorsque nos amies sont insouciantes comme une prémonition de leur funeste destin. Sa musique devient ensuite plus enjouée durant les scènes violentes pour laisser une porte de sortie au public, un exutoire humain auquel s’accrocher.
Malgré son final kitsch et grand guignolesque , La dernière maison sur la gauche reste une véritable histoire qui mélange habilement horreur, humour et propos sociétal. Un film d’auteur où le cinéaste, contrairement à ce que la censure affirma, filme de manière responsable et morale des actes irresponsables et immoraux.
La violence montrée à l’écran n’est jamais gratuite et vient au contraire notre moralité interne. Krug et sa bande sont des ordures sans noms. Le film ne leur cherche aucune excuse, aucune circonstance atténuante. Pourtant, lorsqu’ils se font massacrer un à un par le père de Mari, un homme bien, le malaise persiste. Ces salopards qui crient, qui menacent, qui supplient avant d’agoniser restent des hommes. Qui ont violé les règles de vie en société mais pour qui, il n’est pas souhaitable d’envier le sort. Et le bourgeois devient à son tour un monstre.
Le DVD propose un son en Mono et l’image est très granuleuse. Un deuxième disque de Bonus agréable montre David Hess à une convention avec le tueur de Massacre à la tronçonneuse. Les deux acteurs, doux comme des agneaux silencieux, s’érigent contre l’injustice d’avoir été interdits et l’analysent comme un acte politique d’un pouvoir sachant ce qu’il convient d’interdire aux classes populaires.
Hess se justifie beaucoup en disant qu’il serait incapable de commettre dans la vie ce qu’il fait à l’écran (le contraire eut été inquiétant…), parle de sa carrière avortée, du fait que les gens l’insultèrent pendant 30 ans en le confondant avec son personnage. Dommage que les victimes passent aux second plan et que personne n’a pensé à recueillir le témoignage des actrices incarnant Mari et Philly. Enfin , il est proposé un montage alternatif du film et des scènes coupées sans son dont une particulièrement dérangeante avec Sadie, l’une brutes qui masse longuement l’intestin de sa victime.
Depuis le cinéma a nettement fait plus violent, plus gore et souvent plus idiot. Ce faisant Wes Craven inventait une partie du cinéma moderne. Et La Maison reste un incontournable film mal aimé à ranger entre Les Chiens de paille et Le Vieux fusil, autres films « respectés » où pacifistes et criminels se retrouvent dans la violence .
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« Ca va charcler » 4/5
Censuré pendant 30 ans, découvrez pourquoi le premier film de Wes Craven est toujours aussi terrifiant ! Pendez la crémaillère par les tripes dans « La dernière maison sur la gauche » sur la Bruce Lit Alley !
La BO du jour :
Au grand désespoir de Patrick Faivre et au grand plaisir de Père Huck, le texte de Johnny à son plus niveau le plus rock est parfaitement approprié au film de Craven.
Pour revenir à la discussion des mises en scène, c’est marrant la subjectivité. Justement moi Lynch me gonfle parce qu’il fait du Lynch. Au lieu de raconter un truc, il fait des expérimentations qui me les cassent.
Winding Refn c’est pareil (à l’exception peut être de Bronson où les délires de mise en scène semblent au moins coller à la folie du personnage). Les histoires sont hyper simples mais vas-y que ça pose, que ça montre des plans fixes de 30 secondes avec un perso muet et immobile éclairé au néon rouge ou rose. Pfiou…
A l’inverse, je ne remarque absolument pas la patte « Soderbergh ». Mais bon j’ai pas vu beaucoup de trucs de lui.
Mais bon après c’est sûr que c’est subjectif tout ça. Certains vont adorer les films plein d’artifices visuels pour rehausser l’intérêt d’une histoire. Des fois j’apprécie aussi, quand c’est pas too much.
Concernant Lynch, son film vraiment expérimental reste Eraserhead,oui.
Pour le reste Blue Velvet, Sailor et Lula, Elephant Man, c’est parfois barré mais intelligible. Même Lost Highway, pardon d’insister, n’est pas si inaccessible. On pleure beaucoup chez ce cinéaste. Ça reste très humain. Beaucoup plus que chez un Kubrick par exemple.
Des moment d’émotions chez Kubrick c’est plus rare effectivement, mais quand il y en a il composent en étant d’autant plus poignant (dans Barry Lyndon, le gamin malade demandant à ses parents, alors à son chevet, s’il va mourir, et eux de s’empresser de mentir en sachant que cela ne fait guère illusion).
Ce qui est poignant dans ces moments c’est l’émotion face au vide, au néant, à la mort qui habite tous les personnages de ce cinéaste. Tu as raison Pierre.
Spartacus n’est généralement pas le préféré des fans du réalisateur (plus un film de commande qu’une oeuvre véritablement personnelle), mais pour le coup il fonctionne bien sur le plan de l’émotion (j’ai toujours bien aimé le « love theme » de la bande son). Kirk Douglas m’a souvent paru plus sympathique que son fils dans ses films, peut-être aussi parce que le second a souvent été abonné aux personnages de salauds.
Oui je suis d’accord sur ceux que tu cites. Lost Highway je pourrais réessayer, ça fait un bail.
Mais sinon c’est pas tellement une absence d’émotion que je reproche, mais une mise en scène qui se fait plus importante que tout le reste. En général c’est pas trop mon truc. Si vous connaissez Winding Refn, vous voyez ce que je veux dire^^