23 prostituées par Chester Brown
Première publication le 25 mars 2014. Mise à jour le 07 février 2015.
En voici un curieux objet préfacé par Robert Crumb en personne ! L’autobiographie en image de deux ans de la vie sexuelle de Chester Brown auteur et dessinateur. après une rupture amoureuse déjà bien tordue, Brown, quarante ans, décide que le concept d’amour ne lui convient pas.
En gros, sa thèse, intéressante, est que l’amour, le capitalisme et l’esclavagisme partent du même besoin: celui de posséder. Et que pour ce faire, la course à la possession stimule l’appétit, le désir puis la destruction.
Brown décrit par ses amis comme un homme aux émotions de robot, décide que ce chaos de sensations ne lui conviennent pas mais qu’il ne peut pas vivre sans sexualité. Le voila qui entreprend alors de faire appel à une prostituée puis deux puis trois puis…
Amateur d’érotisme, de dépravation, de fantasme sadique et de nuances de gris fuis ! Très loin ! Ce n’est pas ici que tu verras des femmes avilies, des nones, des infirmières bidons ou des hommes se prosternant devant une maîtresse tyrannique.
Les fantasmes de Brown sont tout ce qu’il y a plus ordinaire, si communs que l’homme en est presque rassurant : une petite gâterie, un missionnaire et/ou une levrette dans le meilleur des cas. Quiconque aura lu la biographie de Marilyn Manson rigolera quant au manque d’aventure sexuelle extravagante, dépravée, dangereuse du timide dessinateur.
Brown est l’inverse d’une rock star. En fait, on peut même dire que c’est un gentleman du sexe. Il a pour principe de donner un pourboire même aux filles les moins douées. Il explique en préface avoir changé tous les noms. Toutes ces dames apparaissent masquées pour ne pas être reconnues. Et Brown a gommé toute allusion à leurs vies privées pour qu’elles ne soient pas reconnues. L’effet pervers est du coup que les portraits de ces femmes ayant décidé de sauter le pas (sic) est forcément incomplet voire insatisfaisant.
Et on se rend compte que même si les opinions de Brown sur une dé-criminalisation du plus vieux métier du monde sont controversables, son auteur nous guide dans une aventure atypique. Sous forme de strips, Brown nous raconte le parcours initiatique d’un type se détachant de tout sentiment amoureux pour mieux se découvrir et s’intéresser à ses employées. C’est parfois drôle, lorsque Brown tombe sur des thons ne correspondant pas à ce qu’il attendait, lorsque par excès de prévenance, il passe pour un idiot auprès des prostituées et que ses amis dessinateurs se fichent de lui et débattent avec lui.
Jamais le sexe en BD n’aura été aussi peu bandant: Brown choisi un style sobre, minimaliste voire austère pour représenter ses ébats. Une alternance de plan poitrine (re-sic) pour les dialogues et des plongées pour les coït. Un pénis en gros plan pour 200 pages . Deux paires de seins…Et puis c’est tout ! Certaines pubs pour parfums sont plus osées ! Car ce qui intéresse Brown, c’est d’avantage le volet existentiel de la prostitution : pourquoi condamner une activité qui selon lui n’est pas moins honnête qu’une transaction financière, une activité de dessinateur ?
Pourquoi se prostituer serait moins respectable que de vivre avec quelqu’un que l’on aime plus ? Et la violence est elle l’apanage de la prostitution ou ne se retrouve t’elle pas dans les couples ordinaires ? Brown est plutôt honnête et se mouille en donnant ses réponses ! On l’aura compris, ce livre est écrit pour susciter le débat et poser de vraies questions militantes: pourquoi une relation tarifiée ferait d’une femme l’objet d’un homme alors que c’est souvent le contraire ? Brown brille par son intelligence, une certaine forme d’humanisme et d’altruisme véritable.
Pour avoir travaillé avec de vraies prostituées qui tentaient de s’en sortir, nous dirons que la prostitution que Brown n’est pas forcément la même du terrain social : il n’est jamais question dans son livre de proxénètes, d’épuisement, de peur, de violences ou d’esclavagisme. La prostitution alimentaire n’est jamais abordée, ni la prostitution masculine ou infantile.
Brown aborde brièvement ces points dans sa postface, mais son regard reste très empirique et peut être trop détaché. Car au delà des arguments pour ou contre le désir de vendre son corps, Brown disserte sur l’empirisme des sentiments et autour du fait que le romantisme permet tous les écueils de l’être humain alors que la prostitution propose une version simplifiée des rapports humains.
Pourtant sa vision de la sexualité féminine semble limitée puisque il n’est jamais question du plaisir féminin et du l’orgasme de ses partenaires. L’envie de donner du plaisir à l’autre, c’est pas du luxe non? Voici un OVNI littéraire qui m’ a fait réfléchir par l’intelligence de ces propos, l’humilité et une certaine gentillesse de son auteur. Assurément le bouquin idéal pour lancer un débat passionné à table avec vos amis, où l’on se rend compte qu’il y a autant de manière de se prostituer que d’aimer ou de baiser.
Pardon! Faire l’amour….