Logicomix par Collectif
Première publication le 23 mars 2014. Mise à jour le 27 février 2015.
AUTEUR : MAT MATICIEN
Logicomix est un succès de librairie, critiques et lecteurs l’ont acclamé. Mais cela reste un objet trop rare dans le paysage de la BD actuelle. Le défi que choisit de relever le scénariste à l’origine du projet, Apostolos Doxiadis, est insolite voire inconscient. Il souhaite réaliser un roman graphique sur … la quête du fondement des mathématiques (Aïe. J’ai peur de perdre mon lecteur).
Le sujet pourrait apparaître démesuré, complexe, aride… il n’en est rien. Nous rentrons avec ce récit dans l’intimité du monde des mathématiques mais surtout celui des mathématiciens. Le livre n’est pas un ouvrage de vulgarisation. C’est un récit palpitant sur la vie et les recherches d’une poignée d’hommes qui ont mené une percée majeure dans un champ de la connaissance, celui de la logique… parfois au prix de leur vie.
L’aventure commence en septembre 1939 juste après l’invasion par Hitler de la Pologne. Alors que le monde commence à sombrer dans la guerre et l’horreur, le professeur Bertrand Russell s’apprête à donner une conférence sur… « Le rôle de la logique dans les affaire humaines » (sic !). Le professeur entreprend le récit de sa vie consacrée à prouver une intuition : les mathématiques doivent reposer sur des bases stables et non sur des axiomes indémontrables (Aïe. J’ai perdu mon lecteur !).
En fait, soyons clairs, il s’agit d’une histoire de « superhéros ». Les logiciens et le premier d’entre eux Bertrand Russell, dont la biographie est le centre de ce récit, ont une mission : sauver le monde des mathématiques – mais aussi notre monde – de la décomposition et du non-sens. Il faut imaginer un commandant de bataillon dire à ses troupes « Tout se délite, le centre ne tient pas… l’anarchie se déchaîne sur le monde ».Ce sont les vers de W.B. Yeats cités dans la BD pour illustrer l’état d’esprit de Russell.
La première grande découverte de Russell est un paradoxe très simple et très savoureux que je vous laisse découvrir dans le texte. Ce paradoxe met à terre toutes les recherches de cette époque sur les fondements des mathématiques et de la logique (Lecteur, es-tu là ?). Russell devient donc un logicien en détruisant tout le travail des autres logiciens. Pourra-t-il contourner ce paradoxe qui porte son nom ? Sa quête a-t-elle une réponse ? Son disciple, le célèbre Wittgenstein, choisira finalement de mener sa recherche en philosophie. Il aura sur les champs de bataille de la seconde guerre mondiale une révélation qui impactera significativement les travaux de Russell…
Le scénariste, qui se met en scène tout au long du récit avec son équipe, confesse que ses amis l’ ont pris pour un cinglé lorsqu’il a exposé son idée. On le comprend. Cette douce folie qui l’anime le rapproche des logiciens dont certains sont devenus fous. Mais la folie est aussi un instrument qui dans cette aventure permet la pugnacité, l’abnégation nécessaire à cette quête. N’oublions pas que pour démontrer que 1+1 =2, Russell passera plusieurs années et écrira une démonstration de 362 pages ! La forme de ce récit entrelacé, où Russel laisse régulièrement la place aux créateurs de la BD, est très judicieuse.
Elle permet des éclairages scientifiques, fait prendre de la distance face aux événements présentés et crée un récit autoréférentiel ce qui n’est pas sans lien avec le paradoxe de Russell. La forme est une alliée essentielle qui nous permet de rester connectés à cette aventure sans jamais décrocher.
Personnellement (je crois que je peux y aller, tous les lecteurs sont partis…), j’ai aimé m’identifier à ce héros moderne qui ne combat que par l’esprit, qui ne comprend pas grand-chose au monde des femmes et des sentiments, qui éprouve des fulgurances splendides et des rages homériques. Ce héros imparfait qui cherchait à rendre le monde logique et qui verra émerger au sortir de la guerre le mouvement dadaïste et l’absurde en réponse à cette époque tourmentée.
Découvrir en 300 pages cette aventure prométhéenne est un des bonheurs que notre époque nous apporte. D’autant que ce livre sera surement votre seul contact avec la logique et ses fondateurs… à moins bien sûr que vous ne soyez l’un d’eux.
Lu hier soir. Ambitieux, foisonnant, complexe, fascinant et, par moment, vertigineux. Mais aussi, à mon avis, pas toujours bien rythmé, découpé et raconté.
Ce que je retiendrai, c’est que les logiciens, s’adonnant à la discipline la plus rationnelle qui soit, ont été capables de comportements totalement irrationnels. Et que la vérité ultime échappe toujours aux hommes qui tentent vainement de la percer à jour pour écrire leur nom dans le grand livre de l’histoire. Ce récit nous renvoie à notre insignifiance et notre… incomplétude.
Dans le prolongement de ton commentaire, pourrons nous compte tenu des limites de nos capacités physiques et cognitives accéder à une vérité supérieure ? Ou bien la vérité supérieure telle que nous nous la représentons comme objet de quête et de savoir est elle une construction de notre esprit loin de la nature de ce qu’il y a comprendre? Ce livre met bien en lumière certaines échelles de compréhension.
Je n’ai pas vu les ruptures de construction que tu évoques tellement j’ai été happé par cette aventure intellectuelle. Ce livre a aussi le mérite d’être précurseur.