Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes ? par Zidrou et Roger
Speciale Guest MO’
VF :Gallimard
1ère publication le 30/03/16 -MAJ le 21/08/19
Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes ? est un one shot scénarisé par Zidrou et dessiné par Roger publié chez Gallimard en 2013.
J’ai rencontré Mo’ sur Internet. Je cherchais des illustrations pour mon article de Yossel et tombais sur un site sympa, dirigé et écrit par une femme férue de Bande Dessinée ! Quelques messages de félicitions pour la qualité de ses articles, une invitation Facebook fin novembre 2014, juste avant mon entretien d’embauche pour le poste que j’occupe maintenant et où j’apprends que Mo’ est également assistante sociale ! Le monde étant décidément petit, il était évident que le chemin de Mo’ finirait par croiser celui de Bruce Lit.
Alors que je lui piquais pour la énième fois quelques images pour mon article pour Ce n’est pas toi que j’attendais, l’idée me vint de l’inviter histoire de vous faire connaître sa jolie plume et son blog. Et aussi pour vous parler d’un auteur qui nous tient à coeur : Zidrou, l’homme derrière Ducobu mais aussi de La belle histoire et de Folies Bergères appréciées ici.
Ladies and Gentleman : Mo’ ! -Bruce Lit
Une fois n’est pas coutume, Madame Hubeau s’offre une journée. Elle qui, habituellement, se consacre entièrement à son fils handicapé. Elle qui est à l’œuvre dès le matin pour lui préparer le petit-déjeuner, disposer ses vêtements dans un ordre bien particulier pour qu’il puisse s’habiller, l’accompagner au bus, faire les courses… Mais ce jour-là, elle part seule se balader en ayant pris soin de s’assurer qu’en son absence tout se passera au mieux. Elle a besoin de lâcher-prise. Quitter ces responsabilités l’espace d’une journée.
Pourtant, il lui est difficile de profiter pleinement de l’instant. Depuis son accident de la route, son fils Michel a changé. Il a régressé. Incapable de se défaire de rituels qui bordent son quotidien. Incapable de vivre seul, il habite désormais chez sa mère. Cette dernière veille à tout, anticipe les crises de colère, les crises d’angoisse, les caprices, les risques d’énurésie…
« – Comment va Michel ?
– Bien. Enfin ! Mieux qu’on ne l’aurait jamais espéré. Il vit sa vie quoi ! Avec ses petites misères et ses grandes joies.
– Et vous Madame Hubeau ?
– Moi aussi… je vis sa vie »
Le postulat de départ du scenario est assez classique : un accident marque un temps d’arrêt et redistribue complètement les cartes familiales. Zidrou parle du handicap avec justesse sans omettre quelques pointes d’humour qui évitent de tomber dans le mélodrame. Il montre également l’importance des rituels quotidiens : l’émission télévision que Michel regarde à heure fixe, les questions récurrentes qu’il pose pour s’apaiser, le même tee-shirt (sorte d’objet fétiche, de doudou qui lui colle à la peau) qu’il porte tous les jours, des parties de Puissance 4 qu’il joue quotidiennement, des visites régulières de la famille…
A 40 ans, cet homme est redevenu un enfant, totalement dépendant de la bienveillance et de la présence de son entourage, incapable de prendre la moindre initiative, envahit d’angoisse quand il ne retrouve pas les choses à leur place. L’auteur montre enfin ses instants touchants de lucidité. Durant ces moments, les souvenirs de Michel lui reviennent en mémoire, il a conscience de sa nouvelle situation et la réalité fait mal… oui, il y avait une vie avant l’accident, une vie « normale », une vie avec un avenir professionnel et sentimental. Une vie où il était possible de choisir de prendre la voiture ou d’aller voir des amis. Aujourd’hui, il ne reste rien de tout cela ou du moins, l’horizon des possibles est celui d’un petit enfant à qui l’on prend la main pour marcher dans la rue.
Trois ans après Lydie , Zidrou revient sur le thème du handicap mental. De la même manière, il aborde le sujet avec douceur, conférant à l’univers un peu de poésie, un brin de nonchalance. Comme les tout-petits, Lydie et Michel accordent un intérêt démesuré à leur ressenti et parviennent difficilement à canaliser leurs émotions qu’ils calment souvent en allant se lover dans les bras de leurs proches. Zidrou prend le temps de décrire la richesse de leur monde imaginaire, montre à quel point leur monde intérieur est en ébullition. Mais si Lydie montre davantage la perception que l’adulte en situation de handicap peut avoir de la réalité, si cet album nous permet de nous représenter le poids de ce prisme qui tort sa représentation du monde… Pendant que le Roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes ? se penche davantage sur les impacts que le handicap mental peut avoir sur les membres de la famille.
L’auteur permet au lecteur d’entrer doucement dans cette histoire en focalisant sur le personnage principal (la vieille dame). Il décrit comment la prise en charge de ces adultes handicapés transforme du tout au tout le quotidien de leurs proches. Il s’attarde sur l’importance des choses insignifiantes pour quelqu’un de « normal ». L’accumulation des rituels, la répétition de phrases toutes faites pour apaiser une angoisse naissante, l’omniprésence et l’omnipotence nécessaires au bien-être de l’adulte en situation de handicap. Il en parle si bien que c’est à se demander s’il n’y est pas lui-même confronté. Ses mots se posent en douceur, son scénario ne juge pas, il ne se moque pas. Il ne caricature pas quand il parle de la fragilité et de l’hyper-sensibilité qui caractérisent les adultes handicapés. Il n’exagère pas quand il s’agit de parler de la cohabitation avec le handicap. Zidrou ne perd jamais de vue son sujet. Ainsi, cette mère symbolise toutes ces familles qui doivent s’armer de patience, accepter de répéter chaque jour les mêmes mots, les mêmes phrases, les mêmes gestes. Accepter de mettre sa vie entre parenthèse, de stagner, de ne plus attendre le moindre progrès de la part de leur enfant. Accepter d’être là, simplement. Veiller et se contenter de petits bonheurs simples sans baisser les bras.
Roger (Jazz Maynard ) illustre cet univers avec beaucoup de douceur. Ses choix de couleurs servent l’histoire à merveille, tout en retenue pour faire ressentir l’affection débordante de cette mère pour son fils. Les couleurs sont vives, permettant également de ressentir tous les contrastes de cette vie, toute la fragilité de cet homme dont la vie a basculé du jour au lendemain, plus que jamais dépendant de ses proches et soumis aux débordements de ses propres émotions.
Splendide, touchant, juste, tendre… un album à mettre dans toutes les mains.
Je n’ai jamais lu de Zidrou, mais il va falloir si ça continue… Je ne reconnais pas non plus le trait de Jazz Maynard ici, même si je ne les ai pas lus, et enfin, lire une invitée est rafraîchissant : que de surprises aujourd’hui !
Merci donc à Mo’ pour m’avoir fait découvrir un album que j’avais aperçu sans tenter d’en savoir plus. Je vais aller jeter un oeil à ton blog.
Oui, le trait de Roger est ici beaucoup plus rond que ce qu’il avait réalisé sur « Jazz Maynard ». Et ça marche bien je trouve, il parvient à transmettre tout un tas d’émotions de façon subtile. Il utilise aussi très bien les non-dit, les silences… non vraiment, très fluide cet album.
Arrivé à la fin de l’article, la question principale reste entière : mais c’est quoi ce titre ? Je subodore que cela a à voir avec les phrases à répétition.
A lire cet article très touchant, il se produit un phénomène bizarre pour le parent que je suis : une remise en question du déroulement naturel des choses, de la prise d’autonomie des enfants, mais aussi une prise conscience qu’il est idiot pour un parent de regretter que son enfant acquiert cette autonomie, qu’il ne soit plus dépendant de l’omniprésence et de l’omnipotence nécessaires au bien-être (très jolie formule). C’est également très angoissant de penser à ce qu’il arrivera à cet homme après la mort de sa mère.
Je garde à l’esprit cet album pour offrir, merci pour cette découverte.
Je crois que c’est le point fort de cet album : que la fiction permette au lecteur de s’interroger sur ces questions sans qu’il soit trop mis à mal. Pourtant, effectivement, on ne peut pas s’empêcher de ramener la question à soi. « Et si » ça arrivait à mes gamins… Mais c’est Zidrou et il caresse le sujet plus qu’il ne l’approfondit. Comme dans « Lydie », il enrobe l’histoire avec beaucoup de tendresse et le dessin de Roger saupoudre le tout d’un petit-je-ne-sais-quoi de poésie. L’ambiance est sereine et finalement assez calme. Bref, malgré le thème de l’album, cette lecture reste un divertissement.
La guerre( Les folies Bergères), la mort d’un enfant (La belle vie) et maintenant le handicap. Et si Zidrou était un scénariste de la résilience, de la vie qui continue malgré tout ?
Je vois Zidrou dans un rôle d’observateur. Il scrute, il regarde ce qui l’entoure, il écoute, attentif à ses pairs et à son époque. Altruiste, humaniste, il sait montrer ce qui est bon en chacun. Résilience oui. L’individu encaisse et s’adapte en permanence.
C’est un bel article pour une BD semble-t-il de qualité. Mais je passe mon tour car je lis assez peu de chroniques sociales. Je recherche en général davantage d’évasion dans mes lectures (la honte soit sur moi, je sais…)
Ah ! Mais si tu veux de l’évasion, je peux te conseiller un road-movie où un couple d’adultes handicapés fuguent de leur foyer pour vivre leur idylle. Alors, tenté ? (je suis joueuse 🙂 )
Une belle plume, c’est vrai. Un sujet naturaliste qui n’attire pas trop mon gros côté geek parce que je préfère les lectures qui me sortent de mon quotidien. Mais ça a l’air vraiment charmant et fin. Je le garde également à l’esprit pour un éventuel conseil/cadeau. 🙂
C’est charmant et reposant.
De mon côté, j’aime aller vers des albums qui traitent des sujets de société. Celui de Zidrou est agréable mais un peu (trop) doux, je te rejoins sur ce point
Je suis d’accord, Zidrou est irrégulier mais celui-ci me tente beaucoup.
Zidrou sort entre quatre et six albums à l’année… je trouve ça énorme pour un scénariste européen (même si ses productions tournent toujours autour d’une cinquantaine voire d’une soixantaine de pages). Mais en touchant à tous les genres narratifs, comment garantir un minimum de régularité dans la qualité des publications ? Mais il sait rendre un personnage touchant et sympathique et ce « Roi de Prusse » en est un bel exemple