Encyclopegeek: Tony Sandoval
Un article de PATRICK 6
1ère publication le 04/05/16- MAJ le 28/05/23
De Gloom Cookie, à Courtney Crumrin les enfants de Tim Burton sont nombreux dans le petit monde de la bande dessinée… Il en est cependant un qui, loin de s’inscrire dans le sillage du maître, aura su s’affranchir de l’héritage du cinéaste pour le transcender de manière toute personnelle…
Tony Sandoval, puisque c’est son nom, fera sa profession de foi de mêler onirisme et réalisme, en mettant en scène de façon quasi systématique des adolescents tourmentés, sur fond de prise de deuil, de rock’n’roll, de sexualité déviante et de céphalopodes mutants !
Tout un programme en somme.
Sandoval est né à Ciudad Obregon au nord ouest du Mexique en 1973. Il se destine initialement à la musique puisqu’il est guitariste dans un groupe de Doom metal ! S’estimant plus doué pour le dessin que pour la six cordes, il abandonnera la musique, même si de toute évidence celle-ci restera très présente à travers son œuvre.
Le jeune Sandoval est un dessinateur autodidacte doté de solides références : Mike Mignola, Dave McKean ou Miguelanxo Prado… Il avoue également avoir été hautement influencé par Jérôme Bosch le peintre Hollandais du 15eme siècle à l’univers tourmenté peuplé de créatures infernales…
Coté littérature ses influences vont plutôt vers les romanciers latino-américains comme Gabriel Garcia Marquez… Bref je n’en rajoute pas, vous l’aurez compris, Sandoval est un lettré !
Ses premières œuvres sont publiées chez Alias en 2005 où il illustre Johnny Caronte the zombie detective & the revolver, comme son nom l’indique une histoire de détective d’outre tombe ! Son style est encore un peu brouillon mais est déjà plus que prometteur…
Une dernière incursion dans le monde du comics aura lieu avec deux épisodes de la série limitée 30 days of night : Spreading the disease chez IDW avant que Sandoval ne quitte les Etats unis au profit de la vieille Europe !
Ironiquement sa première parution en France en 2005 s’appellera Vieilles Amériques ! Une histoire d’aventure écrite par Wander Antunes se déroulant dans l’Amérique du XVIe siècle.
Une nouvelle fois Sandoval démontre qu’il est un très bon illustrateur, mais son style est encore étriqué dans une histoire s’adressant aux plus jeunes. Il lui faut franchir le pas et écrire ses propres histoires…
LE CADAVRE ET LE SOFA
En 2007 pour le premier album dont il assurera aussi bien le dessin que le scénario, Sandoval a l’idée d’une BD qui ressemblerait à un livre d’enfant mais avec une histoire très dure et sombre pour heurter autant que toucher les lecteurs.
Polo un ado s’ennuie doucement en passant l’été à se balader parmi les dunes de son village de campagne. Étrangement tous les jeunes de son âge ne sortent plus depuis que son ami Christian a mystérieusement disparu. Durant ses errances Polo rencontre une étrange jeune fille appelée Sophie. Énigmatique et envoûtante, il ne peut qu’en tomber amoureux ! Ils ne tarderont pas à devenir amants et Polo de vivre ses premiers émois. A partir de là univers étrange va s’offrir à eux mélangeant allègrement Eros et Thanatos ! (d’autant plus qu’insidieusement le doute va naître dans l’esprit de Polo : et si Sophie était un loup-garou ?).
Derrière le trait faussement naïf l’auteur crée une sorte de conte pour adulte, puisque les préoccupations des deux adolescents ont plus à voir avec la découverte de la sexualité qu’avec ceux des parties de chat-perché ! Les deux ados passeront l’été à faire l’amour sur un sofa dans la campagne tout en assistant à la lente décomposition de leur défunt ami ! Bref de quoi interdire ce livre au moins de 16 ans !
Pourtant les adultes étant quasiment absent de cette histoire (le père de Sophie n’est jamais là, curieusement la police ne recherche pas l’enfant disparu…) c’est bel et bien une histoire d’enfants livrés à eux même avec toute la cruauté que cela sous entend. La douceur du trait de Sandoval se prête parfaitement à la nonchalance du rythme et à l’onirisme de l’histoire. Rêve et réalité se mélangent inextricablement. Dans une atmosphère mélancolique et naïve Sandoval illustre le passage de l’enfance à l’âge adulte. Les personnages vivent des moments rares et précieux et s’ouvrant à l’autre autant qu’à eux même.
Plusieurs techniques picturales sont utilisées par Sandoval, le pastel, l’aquarelle aussi bien que la bichromie. La naïveté du trait contrastant grandement avec la dureté de certaines scènes.
L’histoire commence par des aquarelles douces avant de glisser vers le bleu dur et des contrastes plus violents. Cette œuvre sombre et poétique à la fois marquera le début de la notoriété de son auteur.
NOCTURNO
Sandoval enchaînera ensuite diverses collaborations, au scénario pour Gris dessiné par Betteo Patricio, ou simplement en tant que coloriste pour les séries New-Messiah.com et Le Passeur. Son prochain album dont il assurera le scénario et dessin sera Nocturno. Paru initialement en 2008 en deux volumes distincts, il sera ensuite réédité sous forme d’une intégrale. Un fois de plus il s’agit d’un conte initiatique et métaphorique. Au décès de ses parents, Seck se retrouve à vivre chez son oncle, un homme aussi antipathique que violent. Le garçon se réfugie dans la musique. Il forme avec son meilleur ami, Rojo, un groupe de métal appelé Kraneus et s’inscrit à un concours musical réputé. Il remporte un beau succès auprès du public mais aussi d’une jolie journaliste dénommée Karen.
Il se heurte malheureusement à la jalousie maladive de musiciens concurrents qui se mettent en tête de vouloir l’assassiner !
Pour survivre , le garçon pourra compter sur les conseils d’outre-tombe de son défunt père ainsi que sur l’aide de son double obscur…
Sur cet album l’atmosphère l’emportera sur l’histoire, parfois un peu ésotérique.
En effet graphiquement Sandoval s’en donne à cœur joie sur cet album encore plus expérimental que Le Cadavre et le sofa. L’artiste alternera différentes techniques d’illustration : des hachures au crayon à papier, des traits fins à l’encre de chine, des aquarelles, le noir et blanc, passant du clair-obscur aux couleurs vives… bref d’une page sur l’autre on a parfois le l’impression de ne pas avoir affaire au même dessinateur !
Dans un style qui n’appartient qu’à lui Sandoval met en image l’intangible : la voix, la musique, le vent… Du grand art.
Encore une histoire de romantisme noir et de poésie macabre parfaitement fascinante !
DOOMBOY
En 2011, après un recueil plutôt anecdotique Les bêtises de Xinophixerox, Sandoval produira un de ses meilleurs albums : Doomboy ! Cette œuvre sera du reste nominée pour le Eisner award dans la catégorie « Best publication for teens » (Pour ados vraiment ? Mince les môme US vont morfler !).
Initialement la BD a été éditée au format horizontal. Contre toute attente Doomboy sera réédité en 2013 au format portrait ! La pagination s’en trouvera modifiée (recadrement et ajout de certaines cases) à tel point qu’on se demandera quelles étaient les intentions initiales de l’auteur ! A t-il dessiné pour la verticalité ou l’horizontalité ? Dans tous les cas, la transition est parfaitement bien réalisée et à titre personnel je ne peux pas décider lequel des deux formats est le plus adapté !
Dans une ville de bord de mer, un garçon prénommé D doit faire face au décès tragique de sa petite amie, Anny. Terrassé par le chagrin l’adolescent tente de se consoler à travers la musique.
Une audition désastreuse en tant que guitariste d’un groupe de rock lui fait comprendre qu’il n’est vraiment pas prêt pour la vie en collectivité (et pour cause le casting se finit à coup de guitare dans la tronche !).
En lieu et place de groupe il préférera organiser chaque vendredi soir des sessions où il interprète seul ses propres compositions face à l’océan.
D n’a d’autre espoir que de communiquer par sa musique jusqu’à l’au-delà avec son amoureuse défunte. En conséquence sa musique est déchirante et désespérée. Seul témoin de ces moments de grâce, son ami Sep qui s’occupe de l’aspect technique des sessions, notamment de sa diffusion sur les ondes FM. Grace à cette radio pirate il deviendra, sans le savoir, une légende parmi les amateurs de rock sous le nom de Doomboy !
Les troubles de l’adolescence sont à nouveau au rendez-vous pour cet album, entre rivalité amoureuse, passion créatrice, recherche de sa sexualité, jalousie, fidélité et trahisons… Bref c’est une véritable tempête de sentiments !
Si la musique est toujours Metalleuse, le rock’n’roll-circus lié au mouvement hard-rock est cette fois-ci moins présent que sur Nocturno. (Dieu merci).
Si dans cette BD il est avant tout question de deuil, il est aussi question de la relation qu’un musicien entretient avec son instrument comme moyen de sublimation de ses pulsions ! Lorsque D joue de son instrument ses doigts s’enflamment, des monstres sortent de sa guitare… Vous l’aurez compris la souffrance est mise en avant comme moteur de la créativité !
Éternelle constante dans l’œuvre du dessinateur Mexicain, l’onirisme et le surnaturel sont au rendez-vous, à commencer par le trou béant dans la poitrine du garçon qui symbolise sa peine et son désespoir. Comme d’habitude graphiquement le travail fourni est impressionnant : des traits fins et des couleurs sombres lorsqu’il est question de violence ou de tristesse, des couleurs plus claires et chaleureuses lorsqu’il s’agit d’amour.
Comme d’habitude, l’auteur flirte avec la mort, l’adolescence et le fantastique… La Sandoval touch est en place !.
TROP DE SANDOVAL TUE LE SANDOVAL ?
Le moins que l’on puisse dire c’est que Sandoval est un auteur prolifique ! Avec la régularité d’un métronome, il sortira désormais au moins un album par an (parfois même deux si l’on compte ses livres spécialement consacrés aux enfants). Si graphiquement les albums sont toujours impressionnants, les histoires ont invariablement des thématiques communes, voire similaires, trop sans doute, donnant parfois une impression de redondance…
De plus sur ses derniers albums lorsque l’on a achevé l’histoire, on est certes forcément étourdi par cette avalanche graphique, mais on n’est cependant pas toujours certain d’avoir tout compris ! L’auteur s’amusera de ce fait en déclarant ne pas vouloir être trop explicatif et laisser le lecteur relier les points entre eux par lui-même, en se faisant sa propre idée au passage… Ma foi voilà qui résume bien des choses et qui m’offre par là même une parfaite conclusion pour cet article !
Très bon panorama de l’oeuvre de cet artiste, que je ne connaissais pas du tout, Patrick.
J’aime bien ses couleurs, surtout ses aquarelles.
Mais son character-design me fait fuir, de même que ses thématiques. En fait, dès le début de l’article avec la filiation évoquée avec Burton, il partait avec un handicap à mes yeux… Alors, je passe mon tour.
Bravo et merci Patrick pour cet article ! De Sandoval, je ne connais que Hope, la craquante chanteuse de Mazzy Star. Je découvre donc des dessins de toute beauté, me rappelant autant Larcenet que Carlos Nine et Bill Plympton. Le scan « doom session » est impressionnant et impossible de ne pas y voir du Dali.
Je vais donc tâcher de me trouver une ou deux oeuvres que tu analyses ici, sans doute le canapé et Doomboy. Merci encore pour la découverte !
@ JP : …Et en plus il y a des zombies !!
@ Jyrille : autant j’avais intuité que Sandoval ne plairait pas à JP autant je me doutais qu’il soulèverait ta curiosité 😉 Pour Dali je n’y avais pas pensé mais oui il y a un peu de ça ! Bien vu.
J’ai encore du mal à me remettre de la bizarrerie de la première image de l’article.
Ne croit pas que je n’ai pas remarqué la petite pique à destination du cirque estampillé hard rock !
Je ne connaissais pas du tout cet artiste, et si je tombe sur Doom boy dans un rayon de la FNAC, je le feuilletterai avec attention. Les images choisies reflètent bien la dimension onirique que tu évoques dans ton article, ainsi que le côté morbide. Je comprends ton dépit à te dire que ce créateur penchait plus côté métal, que côté Ian Curtis.
@ Presence : Ahah en effet Sandoval penche nettement plus du coté métallique que du coté Cold wave, mais j’ai dans l’idée qu’il doit aimer malgré tout Joy division… (On peut rêver)
A noter que le hasard a voulu que je croise Sandoval chez Gibert alors que j’étais venu accompagner une amie à la dédicace d’Anathema le même jour dans le magasin !
Je me suis retrouvé avec deux dédicaces pour le prix d’une ! Que du bonheur 😉
Sandoval était en train de négocier avec les gens du magasin pour qu’ils aillent faire signer ses disques à Anathema pendant qu’il signait ses propres BD :))
Excellent cet article sur un auteur coup de coeur. Je me souviens avoir vu une image dans la presse et M être empressé d’acheter le livre. Merci car je connais qq albums mais je découvre ici son parcours et ses inspirations. Une certaine continuité avec l’article sur Joy Division
On peut en effet noter une certaine constance dans l’idée générale… Un article sur la joie de vivre ce n’est pas encore pour demain :))
J’ai lu Le cadavre et le sofa à sa parution et c’était une lecture bizarre autant qu’étrange.
Le reste de sa production à l’air du même acabit, à te lire, et attendra des jours où je serai en quête d’idées noires. Le dernier scan est une illustration inquiétante de l’allusion à Bill Plympton de Cyrille.
Et ta dédicace à Joe Dassin est heureuse…
C’est sans doute une particularité de mon caractère, mais je n’ai jamais considéré que le glauque, le macabre ou le morbide était des thématiques uniquement destinées aux poètes maudits (du dimanche), aux gothiques ou au thuriféraires du Prozac. Je crois, au contraire, que l’univers de Sandoval est plus authentique que toutes les oeuvres « feel good » qu’on essaie de nous fourguer en librairie, au cinéma ou à la télévision. Je rejette complètement la filiation avec Tim Burton, c’est devenu une étiquette qu’on appose un peu trop facilement. Concernant la redondance, elle n’est pas un obstacle non plus, surtout si les performances artistiques évoluent en parallèle. Alan Moore, Warren Ellis et bien d’autres scénaristes n’ont cessé de revenir sur les mêmes thématiques au fil des ans, mais on n’a jamais l’impression d’un simple copier/coller. Certains peintres se sont focalisés sur un même sujet pendant des mois, des années, sans jamais produire la même chose. Je pense notamment à certains impressionnistes et leurs études de la lumière. Somme toute, la BD ne se cantonne pas à l’histoire, elle interagit avec le dessin, donc on peut avoir cette impression de redondance, mais peut-être qu’une analyse plus poussée montrerait à quelle point chaque album se démarque de ses prédécesseurs. Cela dit, je suis d’accord : mieux vaut consommer Sandoval avec modération.