Les aventures deTintin – Le Sceptre d’Ottokar par Hergé
Un article de : JP NGUYEN
VF : Casterman,
Editions Moulinsart
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1ère publication le 07/01/2016 – MAJ le 23/10/21
Il y a quelques temps, le Boss (au sens Rastapopoulos et Allan ? -Ndr) avait sondé la Team pour chroniquer des albums de Tintin. J’ai choisi celui-ci car c’est l’un des premiers que j’ai lu, et l’un des seuls que j’ai eu dans ma bibliothèque, avant qu’il ne disparaisse dans un déménagement. Alors venez, je vous emmène pour un voyage en Syldavie et aussi dans le temps…
Le Sceptre d’Ottokar, c’est l’histoire d’un objet historique, symbole du pouvoir dans le royaume de Syldavie (une contrée imaginaire des Balkans), qui va être dérobé par des comploteurs venus de Bordurie (le pays voisin) et retrouvé par Tintin, qui au passage empêchera un putsch et l’annexion de la Syldavie par la Bordurie.
En récompense, il se verra décoré de l’ordre du Pélican d’Or. Mais que venait faire Tintin en Syldavie ? Oh, c’est simple… il avait accompagné le professeur Halambique, l’expert en sigillographie!
Je devais avoir une dizaine d’années lorsque je découvris ce récit d’aventure, dans la bibliothèque municipale à laquelle m’emmenait ma sœur ainée, certains samedis après-midi. Plus tard, Les bijoux de la Castafiore et Le Sceptre d’Ottokar furent les deux seuls albums de Tintin qui ornèrent ma modeste collection de BD, dominée par Lucky Luke et Astérix, avant que l’homme sans peur ou l’homme-araignée ne s’imposent sur mes étagères.
A l’époque, Tintin et consorts me procuraient un alibi bienvenu pour échapper aux austères livres sans image de la bibliothèque rose ou verte (bizarrement, ce prétexte ne fonctionnerait pas plus tard au lycée pour Stendhal ou Zola). Avec la BD, je pouvais faire valoir du temps de lecture tout en gagnant du temps de rêve. Toutefois, mon père exerçait une sorte de censure, ou du moins ne pouvait s’empêcher de formuler des jugements de valeur à l’égard des justiciers costumés. Tintin était quant à lui auréolé d’une certaine aura de respectabilité. Je ne me privais d’ailleurs jamais pour mentionner tout le vocabulaire et les connaissances acquises dans les BD, pour valider les bienfaits de mes lectures imagées.
Cet album de Tintin m’apprit ce qu’était un sceptre (que je prononçais « spectre » dans les premiers temps… dyslexie ou influence subliminale de James Bond ?) et la sigillographie (l’étude des sceaux, aussi dur à recaser dans une cour d’école que dans une discussion de salon). Le côté toc du nom d’Ottokar (et tous les jeux de mots en général) ne m’avait pas vraiment effleuré et j’apprenais consciencieusement l’histoire de la Syldavie (ce qui ne me servit jamais en cours d’histoire-géo, cela avait du être sorti du programme…).
J’ignorais aussi que, malgré la date de 1947 figurant au dos de la BD (année de parution de la version couleur), l’histoire avait été réalisée par Hergé en 1938-1939, et constituait donc une œuvre engagée en réaction aux graves évènements survenant alors en Europe. Du reste, le chef militaire derrière la tentative de putsch était nommé Müsstler, une contraction des noms de dictateurs allemand et italien qui sévissaient alors en Europe…
Mais au-delà de ce contexte historique, qui a quand même renforcé mon respect pour l’œuvre d’Hergé, que reste-t-il aujourd’hui ? Et bien, si ce n’est l’absence du capitaine Haddock, c’est du Tintin dans toute sa splendeur.
L’intrigue se déroule de façon millimétrée, les péripéties s’enchaînent et le hasard, omniprésent, fait souvent bien les choses. La rencontre de Tintin avec le professeur Halambique est purement fortuite, tout comme sa découverte des prémices du complot bordure, qui le décideront à accepter d’accompagner le professeur en Syldavie en qualité de secrétaire.
Autres heureuses coïncidences : la rencontre avec la Castafiore, qui fait là sa première apparition et qui l’aide à semer ses poursuivants ou encore la rencontre avec le roi de Syldavie, Muskar XII, dont la voiture renverse Tintin dans une rue de Klow, la capitale.
Mais au diable le pinaillage ! Pour l’enfant que j’étais et l’adulte bienveillant que je suis aujourd’hui, cette BD fonctionne très bien. Les scènes d’action, en particulier les poursuites (à pied, à moto, en charrette ou en avion…), sont très prenantes, avec leur lot de coups chanceux, de sauvetages miraculeux et de réussites in-extremis, à l’instar de la récupération du sceptre par Tintin à la frontière Syldave.
Et puis, il y a de l’humour dans ce récit d’espionnage, avec, au début de l’album, un running gag sur le bris de vitre de la fenêtre de l’appartement de Tintin et bien sûr la présence des Dupondt, toujours si joyeusement inefficaces. La scène où les espions bordures interrogent un paysan bègue sur sa charrette m’a également fait sourire à la relecture. C’est tout l’humour d’une certaine époque qui ressurgit et il fonctionne étonnamment bien.
Alors bien sûr, le sceptre tant convoité fait figure de MacGuffin et cet aspect de l’intrigue apparaît un peu désuet et décalé : étant donné l’ampleur du complot Bordure, pourquoi s’escrimer à récupérer ce fichu bâton décoratif quand des manœuvres militaires seraient nécessaires et suffisantes ? Peut-être était-ce là la réaction de l’artiste face aux bruits de bottes qui se faisaient de plus en plus audibles dans l’Europe d’alors. Conférer à un simple objet d’apparat un côté sacré, lui accorder le statut de symbole divin pour parer à la folie des hommes ?
Avec le Sceptre d’Ottokar, je découvrais mon premier récit d’espionnage. Bien d’autres allaient suivre, avec des héros plus costauds et plus stylés. En BD, avec un colonel borgne, un amnésique marqué du nombre 13 ou une rouquine russe. Au cinéma, avec un britannique en smoking, un assassin sévèrement Bourné ou des sagas impossibles en plusieurs Tom(es). Il n’empêche, le sceptre a ouvert la voie, en participant à développer mon goût pour les histoires improbables ou le héros doit sauver le monde et y parvient au bout d’un concours de circonstances incroyables. Monté un peu par hasard dans cet Ottokar, je n’en suis jamais vraiment redescendu…
A la fin de l’article, je voulais en savoir davantage sur ces « JP : Special origins ». Donc l’article est trop court…
J’ai un peu honte avec le recul car JP est le seul qui ait relevé le défi de chroniquer un album de Tintin. Il suffisait de relire un album et ce n’était pas compliqué !
D’un autre côté, je suis bien content que ce soit le « Sceptre d’Ottokar », parce que c’est peut-être le dernier auquel j’aurais pensé ! Lorsque j’étais gamin, c’était l’un des albums que je trouvais le plus pénible (beaucoup de parlote) et le moins directement divertissant.
Cela-dit, remis dans le contexte de ses « origines », on comprend très bien comment il a pu marquer un enfant comme le petit JP, soumis à une rude exigence parentale en matière de lecture.
Ma collection de BDs, quand j’étais petit, comportait tous les Astérix, tous les Lucky Luke ET tous les Tinitin. Côté magazines il y avait les Pif et les Picsou. Les super-héros sont arrivés peu après, autour de 9/10 ans.
Un peu d’émotions quand même pour cette séquence Les souffrances du jeune Nguyen. Avec beaucoup d’échos de ce que pouvait susciter la lecture de BD vis à vis des grands. Je pense que beaucoup de lecteurs se reconnaîtront dans ce portrait. Et j’aime quand les articles parlent autant des oeuvres que les échos qu’ils suscitèrent en nous. C’est même, à mon avis, la seule possibilité d’aborder Tintin aujourd’hui tellement tant a été écrit sur le gamin à la houppe.
Choix insolite quand même de commencer par cette histoire, dont je trouve que la couverture est la moins réussie de la saga en ce qu’en voyant Tintin sortir d’un palais, on n’en sait pas plus ce sur ce qu’il doit être en train de se passer.
Tintin, je les aime tous à l’exception des Soviets vraiment chiant dans son enchevêtrement de gags ! Même le Congo a ses bons moments. Rien que de voir la séquence des Dupondt m’a fait mourir de rire. Toutefois j’ai une nette préférence pour les albums après l’arrivée de mon personnage comique préféré avec Gaston : Haddock ! Enfant, je voulais être Haddock ! Je connaissais la séquence du Désert du Crabe au Pince d’Or par coeur, je me la récitai dans la cour de récréation.
Il me semble que le processus de Deus Ex Machina que tu décris JP fait partie intégrante de l’écriture de Tintin. Bon, c’est quand même de la BD qui a quoi ? 80 ans ? Rien qu’en regardant tes scans, je me sens complètement entraîné par le soin apporté aux décors, aux costumes , à la mise en scène de la poursuite.
Tintin une oeuvre d’art inscrite au patrimoine de l’humanité des lecteurs avec ce que devrait être toute bonne BD : du divertissement pur et jouissif, de l’humour et de multiples niveaux de lectures. Et ton allusion à DD est magnifique !!!!
Merci JP, sûrement le premier d’une longue série d’articles sur Tintin.
@Tornado : on attend ton article ! Il y a plein d’autres albums !
Je le trouve pas si bavard que ça, ce sceptre. Il y a de beaux morceaux d’action (la poursuite avec le scan « il était moins cinq », je trouve ce scan magnifique).
@Bruce : l’angle perso s’est imposé car je ne me vois vraiment pas comme un expert de Tintin ou Hergé. En revanche, mon ressenti, je pouvais le partager. C’est à nouveau fort subjectif avec un petit côté « je raconte ma vie » mais je pense que j’arrive encore à canaliser ce côté « JP Special Origins ». Et puis, ta remarque comme quoi tu peux comprendre ce jugement des adultes de l’époque par rapport à la BD me rassure un peu.
Je fais un peu ma thérapie gratuite sur Bruce Lit, en fait (oups, j’aurais du me taire, le Boss va m’envoyer une facture…)
Comment ça ? Je ne peux pas y croire : la Bordurie et la Syldavie seraient des pays fictifs ? Mais c’est la seule leçon d’histoire que j’ai retenue de toute ma vie !
Par contre, l’image avec le verre Securit a tout de suite fait remonter en moi le souvenir d’avoir chercher le même sur les vitres de la voiture paternelle.
Je crains que JP ne soit en pleine phase de déni concernant les jeux de mots dans Tintin. Je me demande même s’il ne faut pas y voir la naissance d’une vocation chez lui…
Pour l’inspiration sur les jeux de mots, il faudrait plutôt regarder du côté d’Astérix…
« Il ne faut jamais parler sèchement à un Numide… » j’ai mis des années à la comprendre, celle-là…
Le Teaser de Présence :
« Oppression » 3/4
Jean-Pascal Nguyen vous invite à un article souvenir en Bordurie et en Syldavie, à la recherche du sceptre d’Ottokar.
@Présence : on a loupé le coche pour charrier JP. Le plus célèbre ami de Tintin est là (vivement recommandé)…
@ JP : Taulier moi ? Je préfère boss si ça vous dérange pas ! Taulier, c’est le surnom de Johnny quoi….
Ah ! Pour revenir à ton article, la remarque sur l’apprentissage de mots savants est très pertinente ! Que ceux qui n’ont jamais cherché à savoir ce qu’étaient un Bachi Bouzouk, un satrape, un marsouin ou un anthropophage lèvent le doigt. Je me rappelle d’ailleurs que Sebastien Carletti racontait dans ses années Strange qu’il avait appris la signification du mot « Sardonique » grâce au rire de Fatalis.
Quant à moi, le vocable de la Coulomb continue de me fasciner : pas rachtèque le gars….
Je n’ai jamais vraiment aimé Tintin, et la récente relecture de Tintin au Tibet n’a toujours pas changé cet état de fait. Mais merci pour l’article, JP, que je trouve très réussi et très éloigné de ceux que tu écris d’habitude. Réussi car je me rends compte en voyant les scans que l’humour marcherait sans doute plus sur moi désormais, surtout le scan avec la Castafiore. D’ailleurs, mon album favori a toujours été Les bijoux de la Castafiore, avec ses faux articles de journaux people et son running gag de la boucherie Sanzot. J’avais tellement oublié Ottokar que je ne me rends compte que maintenant du jeu de mot ! C’était pourtant évident.
Je devrai redonner sa chance à Tintin même si certains aspects (le manque de personnage féminin et le sérieux désespérant de son héros, surtout) m’empêcheront toujours d’être un fan de cette série.
Allez, encore huit articles à lire et commenter.
Qu reproche tu à Tibet ?
Des longueurs, des courses-poursuites inutiles. Un ventre mou, une fin un peu abrupte.
C’est une douce résilience que tu nous offres içi, JP. Comme toi, c’est un album que j’ai beaucoup lu enfant, et j’aime toujours l’ambiance balkanique qui s’en dégage. Le contraste entre le faste des costumes de cour et la simplicité des habits paysans.
Les Dupondt sont à l’honneur et c’est un festival de jeu de miroirs gémellaire cocasse que nous offre Hergé. Et lui même, comme Hitchcock en avait le goût, se représente à deux reprises dans les personnages de cour.
Je trouve toujours aussi efficace l’astuce qui permet de subtiliser le sceptre et l’éclair de lucidité qui permet à Tintin de trouver la solution en passant devant un magasin de jouets.
Ton titre est un chouette hommage et me donne envie de poinçonner à nouveau mon ticket pour la Bordurie et la Syldavie.
Article très enlevé comme toujours qui sent bon la madeleine. Choix intéressant car moins évident que d’autres. Je viens de réaliser le jeu de mot ottockar. Je ne l’aurais jamais soupçonné. Merci pour cette agréable lecture
Ah Tintin, que de bons souvenirs, effectivement, ce volume m’interpelle moins que d’autres, mes préférés restant les 7 boules de cristal qui me faisait trembler de peur quand j’étais enfant – à cause de la momie tueuse – et le temple du soleil. Pourtant, je garde un bon souvenir de ce sceptre étant déjà passionnée d’histoire et de sigillographie. D’ailleurs, il me semble que ce volume évoque les archives, ce qui me sera utile pour un autre blog 🙂
Je ne me rappelais pas du contexte politique de production de ce Tintin, ce qui le rend encore plus intéressant. Bon allez, je vais le relire !
Merci JP !!
Je viens de le relire. C’est toujours pas ma tasse de thé mais c’est diablement efficace et superbement dessiné. Par contre je ne supporte toujours pas les coïncidences faciles ni la typographie des phylactères. C’est tout de même assez bavard. Et clairement pour les enfants, même si c’est politiquement plutôt complexe.
Je me rends compte que mon fils a quelques albums de Tintin je vais essayer de les relire.
Pour les tintinophiles, les amateurs de feuilletons radiophoniques et ceux qui veulent innover dans les animations familiales pour les journées pluvieuses, France Culture sort le grand jeu, parce qu’Hergé le vaut bien: http://www.franceculture.fr/emissions/fictions-le-feuilleton/les-cigares-du-pharaon-15-les-aventures-de-tintin
Album pour lequel j’ai toujours eu une grande tendresse. Par bien des côtés, (j’avais cramé le truc avec « Dbrnouk, dans le sud du pays »), la Syldavie, c’était chez moi. et quand l’aspect « raccroché à l’actualité de l’époque » m’est apparu (je devais avoir 11-12 ans, comme pour le Lotus Bleu et l’Affaire Tournesol), j’ai trouvé ça encore plus fort.
J’adore quand les articles sont nourris de ressentis et expériences détaillés : on peut ainsi mieux assimiler les raisons à l’origine des avis formulés et en apprécier la validité : merci pour les confidences, donc.
Je ne me souviens plus à quel moment cet album particulier est arrivé dans mes lectures (avant ou après mon premier Hergé : « On A Marché Sur La Lune » ?!). Je suppose que l’absence du Capitaine avait du me décontenancer, mais la « trotte » inlassable de Tintin et Milou après ce bon sang de sceptre royal m’avait bien plu et, comme tous ceux que je possède -car je ne les ai pas tous !- il a souvent été relu avec, chaque fois, une grande satisfaction à parcourir une histoire qui, pour verbeuse qu’elle semble de prime abord, est néanmoins facile à assimiler car particulièrement bien découpée, entre mise en place et action. Le récit oscille avec autant d’aisance du grave au léger, dans la forme et le fond : la menace de guerre tenue en suspens par la seule volonté du héros -et de son chien !- ainsi que le sérieux des décors somptueux où s’illustrent complaisamment les cabrioles grotesques des Dupondt. Même le « jumeau maléfique » sonne à la fois comique (le coup de la barbe…) et sombre, en ce qu’il sous-entend entre les deux frères ; et ne parlons même pas du sens de l’humour du restaurateur Syldave…
Je lui trouve un ton très adulte, à cette aventure ; et même un peu froid tant elle est dénuée de sentimentalité -sinon les habituels rapports entre le maitre et son animal de compagnie. Mais c’est un grand moment de BD formelle ; encore une fois.