Encyclopegeek: la philosophie de Walking Dead
AUTEUR:THIERRY ARAUD
L’article que vous vous apprêtez à lire est atypique à plus d’un titre. En 2014, sur Amazon, alors que je doutais pour la première fois de la capacité de Robert Kirkman à faire évoluer Walking Dead, un gentleman du nom de Thierry Arraud me démontrait la faillibilité de mon raisonnement sur le manque de portée philosophique de cet arc. Malgré nos désaccords nous gardâmes contact.
Et puis, il y a quelques semaines, je fus pris d’une crampe de l’écrivain ; que dire de plus sur le 24ème volume qui n’avait déjà été dit ? L’idée qu’un autre puisse écrire sur WD me sembla alors lumineuse. Je contactais Thierry pour ce qui devait n’être qu’une simple review. Thierry n’eut mon message que plus tard, une fois l’article bouclé.
Entre-temps une autre idée avait fait son chemin : et si je lui demandais d’approfondir ses arguments sur la richesse philosophique de la série ? Contre toute attente, Thierry accepta avec enthousiasme et je suis très fier de vous présenter ce travail brillant en plus d’un nouveau contributeur !
Ladies and gentlemen: Thierry Araud !
La série The Walking Dead a connu, tout au long de son histoire, de nombreux coups de théâtre. Dernièrement, deux sont intervenus qui ont été perçus plus ou moins bien par ses fidèles lecteurs. Je veux parler de la saga Negan (TPB 17 à 21, soit l’une des plus longue de la série) et du nouveau départ initié par Kirkman avec le numéro 127 (TPB 22 : A new beginning).
Les critiques inquiètes ont plu sur l’arc All out war (TPB 20 et 21). Même si bon nombre de chroniqueurs ont salué le nouvel arc, il me semble que ce segment de la saga de Rick Grimes et de ses amis recèle bien plus de trésors que l’on ne le pense. Je vais tenter de le démontrer en mettant en exergue certains fondements philosophiques voire politiques des lignes narratives à l’œuvre depuis le début de All out war , fondements qui se prolongent et se confirment par opposition avec A new beginning et le début de la saga des chuchoteurs.
Petites précisions utiles avant de rentrer dans le vif du sujet : l’auteur n’est ni prof de philosophie ni politologue. Si certains lecteurs plus aguerris venaient à noter des lacunes ou des erreurs, merci de m’en faire part.
Tout commence avec l’épisode numéro 97, soit le premier épisode de l’arc Something to fear : un gang mystérieux et dangereux croise la route du groupe de Rick.Episode numéro 100 : toute première apparition de Negan et mise à mort de Glenn par Negan. Rien que la progression dramatique, étalée sur 4 numéros, grâce à laquelle Kirkman introduit son personnage aurait dû mettre la puce à l’oreille du lecteur : « celui-ci, il est là pour rester ! » Et effectivement, 46 épisodes plus tard (soit presque 1/3 de la série, Negan est toujours présent et n’a sans doute pas dit son dernier mot…
Au départ, Negan n’a rien de bien nouveau et on pourrait même évoquer un Gouverneur bis. Le projet de Negan est : Le monde est dur, et il faut forger des hommes et des femmes durs car eux seuls pourront survivre. D’où une organisation sociale basée sur la peur, la dictature, le pouvoir sans partage et les besoins ataviques. Surtout les siens d’ailleurs.
Au début de All out war tout cela est bien défini : les volumes 17, 18 et 19 ne sont que la marche inéluctable vers cette guerre inévitable puisqu’elle oppose deux conceptions sociétales incompatibles. Car il est clair depuis pas mal de temps que Rick et son groupe en ont marre de fuir, de se cacher. Il s’agit maintenant de recréer ce qui peut l’être. Non plus de survivre, mais de transformer ce monde autant que faire se peut afin d’y être enfin heureux. S’installer et passer, symboliquement autant que sociétalement d’une période paléolithique (survie, nomadisme) à une période néolithique (ancrage, sédentarisation, redécouverte de l’élevage, de l’agriculture, de la forge…)
En bref, Negan compose avec le monde, Rick veut le reconstruire. Il voit plus loin.
Cela aurait pu donner un ton utopiste benêt mais en parsemant la route de Rick et des siens de pièges pervers, Kirkman nous montre bien que la solution n’est pas à l’extérieur mais en Rick même. Pour transformer le monde, loin des images d’Epinal du Grand Soir, Rick va devoir se transformer lui-même, utiliser Negan comme un repoussoir.
Et si l’on observe le mode opératoire de cette transformation en cours, il est assez surprenant : Rick va commencer par s’imposer, au tout début de la série, comme un guide, certes, mais sans but précis. Il prend juste la charge du groupe. Puis peu à peu il va s’endurcir et ne pas hésiter à user de violence (voire tuer) pour arriver à ses fins. Il n’hésitera pas à égorger Negan alors que son argumentaire semblait pourtant avoir convaincu ce dernier (quoique, méfions nous de ses faux airs). Ensuite, il accepte sa situation de chef, mais en laissant les autres décider de leur destin.
Dans Ainsi parlait Zarathoustra , Nietzsche nous apprend « Les trois métamorphoses » : C’est trois métamorphoses de l’esprit que je vous nomme : comment l’esprit devient chameau, et le lion le chameau et, pour finir, enfant le lion.
Soit, pour Rick : le guide prenant le groupe à sa charge (chameau) ; Rick prêt à tout, même à tuer (Lion) ; et Rick arrivant à la réalisation de son rêve et délaissant ses « incarnations » précédentes (enfant).
Ces trois métamorphoses sont, selon le philosophe, la voie qui mène au surhomme. Attention, rien à voir avec une certaine idée du surhomme récupérée et absolument pas comprise, puisque en contradiction totale avec la conception nietzschéenne, par les nazis.
Selon Nietzsche, le surhomme est celui qui connaît le déclin. Or, Rick va décliner à tous les niveaux : déjà amputé d’une main, il doit composer avec une patte folle, a perdu pas mal d’illusions et d’amis chers et, cerise sur le gâteau, va voir son fils unique partir loin de lui pour vivre sa vie.
Le Rick d’aujourd’hui est certes plus sage, mais blessé par toutes les épreuves vécues. Il mène sa communauté, mais débarrassé de ses oripeaux de guerrier, de général, pour n’être plus qu’un homme qui privilégie l’organisation à l’action. Il y a, à n’en pas douter, une dimension nietzschéenne dans le personnage de Rick Grimes puisque pour Nietzsche, le surhumain souligne l’idée de dépassement. Mais pas celui de l’homme, ni de son essence mais bel et bien du type de vie humaine prédominant dans une culture ascétique et nihiliste.
Il me semble d’ailleurs que les prémices de cette dimension se sont formés (peut être inconsciemment) dès l’épisode avec les cannibales. Gabriel Stokes, le prêtre du groupe a été violemment traumatisé par le massacre perpétré par Rick. Or, plus de nouvelles de lui (ou si peu) par la suite. Kirkman ne jetait-il pas les bases de ce dépassement à travers la dévalorisation des valeurs sociétales anciennes que Nietzsche (encore lui) résumait dans la formule « dieu est mort » ?
Ce qui nous amène bel et bien au changement de paradigme instauré brillamment par l’épisode 127 et le début de l’arc Une autre vie . Jusque là, les « méchants » rencontrés par le groupe de Rick avaient tout de même un point commun : ils cherchaient à survivre dans ce qui pouvait le plus rappeler le monde d’avant. Sans plus. Se cacher, manger, boire, éventuellement se reproduire, mais sans projet social et politique à long terme, ni même à court terme d’ailleurs. J’impose ma loi parce que je suis le plus fort et c’est très bien comme ça. Si je te rencontre, tu reconnais ma domination et tu te plies à mes règles sinon, je t’élimine. La loi du plus fort.
Rick et chacun des siens ont su s’en sortir à chaque fois. Plus forts et plus déterminés à reconstruire ce qui pouvait l’être. Ils ont réussi.
Le petit Eden compte plusieurs communautés toutes indépendantes, subvenant à leurs besoins et produisant de quoi troquer ce qui leur manque. Aucun pouvoir centralisé ou centralisateur. Chacun est maître chez soi et ne dépend des autres que dans la mesure où il y consent. La civilisation est en train de se reconstruire.
Bien sûr, cette reconstruction comporte des risques à long terme : en réinventant un début d’économie, le risque est grand de creuser un fossé entre ceux qui possèdent les moyens de production et ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre. Bref, un retour à une société capitaliste et donc à un Etat organisé et centralisé.
Mais pour le moment l’organisation fait plus penser à l’idée de Fédéralisme, niant l’existence d’un Etat central, défendue par Joseph Proudhon : une organisation qui ne part pas de présupposés idéologiques mais se plaque sur la réalité de l’existence des populations organisées. Une société vue comme un ensemble vivant, complexe et mouvant. Plus même : les contradictions dont elle est parcourue sont la condition de son existence. « Se distinguer, se définir, c’est être ; de même que se confondre et s’absorber, c’est se perdre. »
Une belle petite utopie qui a des chances de survivre si elle ne s’étend pas trop. Le danger aurait pu venir de là. D’ailleurs dès le début de l’arc narratif, un groupe d’inconnus est sauvé et ramené au sein de la communauté et la question se pose : vont-ils s’intégrer ? La mayonnaise va-t-elle prendre ? Le loup est-il dans la bergerie ?
Et comme souvent avec Robert Kirkman, le danger arrive là où on ne l’attendait pas. Dans un premier temps on nous laisse à penser que les rôdeurs auraient appris à manier l’arme blanche et même recouvré le don de parole.
Très vite la vérité apparaît : en fait il s’agit d’une nouvelle communauté qui, pour survivre, porte sur le visage la peau de celui d’un rôdeur et vit au milieu de ceux-ci.
En opposition au retour de la civilisation organisée, de l’enracinement dans la période « néolithique » de Rick et des siens, Kirkman leur oppose non pas une survie mais une « sousvie » niant l’individu (le masque qui oblitère le visage et donc l’identité mais qui permet aussi l’incognito) basée sur l’idée de nature non plus immanente mais imminente, c’est à dire la nature telle qu’elle est à présent. Pour survivre parmi les bêtes sauvages, devenons nous mêmes des bêtes sauvages et régressons à leur niveau : vie en meute (d’ailleurs le chef de la meute se nomme Alpha comme le couple dominant dans une meute de loups !), vivons de notre cueillette ou des restes laissés par les rôdeurs… Bref, une période d’avant la période paléolithique où l’homme vivait certes de cueillette mais aussi de chasse.
Plus fort encore, Kirkman récupère la notion de nihilisme actif de Nietzsche (dépassement) mais en la tordant dans la direction inverse (nihilisme passif) : puisqu’il n’y a plus de société à dépasser, pourquoi se comporter en animal social ? Soyons juste des animaux ni plus ni moins. La société ancienne est morte, l’homme est mort, dieu est mort, les règles sont mortes. Tout ce que la société interdisait est désormais permis : le viol, le meurtre.
On se retrouve en plein dans la philosophie sadienne. Le divin marquis n’a-t-il pas écrit : La nature, nous dictant également des vices et des vertus, en raison de notre organisation, ou plus philosophiquement encore, en raison du besoin qu’elle a de l’une et de l’autre, ce qu’elle nous inspire deviendrait une mesure très incertaine pour régler avec précision ce qui est bien ou ce qui est mal.
Seules demeurent les notions de territoire et, corollaire, de protection voire même de destruction de modèles sociétaux considérés comme potentiellement dangereux… D’un côté comme de l’autre.
Quelques soient les adversaires que Rick rencontre, lui et eux sont souvent l’avers et le revers de la même pièce. Cette ambivalence se joue à tous les niveaux : moral, sociétal, humain. Et c’est l’une des principales richesses d’une lecture qui recèle des strates d’interprétation que cet article ne prétend pas avoir épuisées. Une série qu’il n’est définitivement plus permis de voir seulement comme un comic de genre, une histoire de morts-vivants. Mais qui en doutait encore ?
Tout d’abord bienvenue à Thierry Araud ! Je me doutais que Bruce te collerait une flèche comme symbole, c’est un petit taquin… nous chroniqueras-tu un jour Green Arrow ou Hawkeye ?
Bon, je n’ai toujours aucune attirance pour les Zombies (quand je tape, j’écris souvent zobi avant de corriger, si c’est pas un message de l’inconscient, ça…).
Mais l’article parle de Nietzsche, et c’est un de mes philosophes de prédilection…
Petite interrogation sur la forme : la citation du chameau/lion/enfant me parait bizarrement présentée dans l’ordre des mots :
« comment l’esprit devient chameau, et le lion le chameau et, pour finir, enfant le lion »
dans ma compréhension, j’aurais inversé l’ordre des mots : « le chameau le lion et pour finir le lion l’enfant » (car c’est bien le chameau qui devient lion et le lion qui devient enfant..) Enfin bref, c’est secondaire, et peut-être que la citation d’origine est gaulée comme ça…
Dans Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche écrit : « l’homme est ce qui doit être dépassé ». Il évoque aussi la nécessité « d’avoir encore du chaos en soi » et aussi son mépris pour « le dernier homme » (qui ne cherche que le plaisir et le confort, même dans la mort). Pour autant, je n’interprète pas ces propos comme une caution pour le retour à l’état sauvage et primaire comme peuvent l’être les rôdeurs (mais peut-être me trompe-je, je ne lis pas la série…). Je le voyais plus comme une incitation pour chaque homme à se dépasser, à sortir de sa zone de confort, à aller vers l’inconnu en surmontant son instinct grégaire… Du coup, il me semble que Nietzsche prônait quelque part un certain individualisme, peu compatible avec la démarche de reconstruction sociétale de Rick et compagnie…
Anyway, cet article ne me fera pas lire la série (mon allergie zombique est sans traitement connu par la médecine moderne) mais c’est une belle démonstration de la richesse de son sous texte. Dead on target, « Arrow » !
Bonjour,
A un moment Bruce m’avais même proposé de mettre une flèche verte (je suis stéphanois) !!!
Entièrement d’accord avec le résumé d’une certaine partie de la pensée de Nietzsche en ce qui concerne la théorie du surhomme qui en est un point fondamental avec la notion d’éternel retour.
Pour la citation j’ai effectivement commis une petite erreur sur le temps du verbe : « C’est trois métamorphoses de l’esprit que je vous ai nommées… ». Ma référence est l’édition Folio essai de 1985 dans une traduction de Maurice de Gandillac.
la traduction Jean Lacoste et Henri Albert (Bouquins 20103) est plus compréhensible, moins alambiquée et va tout à fait dans le sens que tu préconises. J’aurais dû choisir cette dernière.
Rebonjour, ou bonsoir,
Je relis ton mail à un moment un petit peu plus calme pour y répondre plus « profondément ». Me viennent alors quelques réflexions dont je te remercie.
« L’homme doit être dépassé ». Mais oui. c’est le fondement de la pensée Nietzschéenne. Mais qu’entendre par dépassement ? Et en quoi ce dépassement sous-entend obligatoirement une part de chaos ?
Le dernier homme que tu évoques, je l’ai toujours lu, peut-être à tort comme l’émanation suprême du sur-homme.
Dans la notion même du déclin, qui est élémentaire, il me semble à toute la thématique Nietzschéenne : Sur-homme; Volonté de puissance, mort de dieu, éternel retour, Nietzsche évoque le même paradigme. Du moins il me semble, il n’y a, tu as parfaitement raison nul appel à un retour à l’état sauvage.
Et c’est en cela que l’apparition des chuchoteurs arrive à un moment clé : pour souligner la nullité d’un retour à l’état sauvage. Et donc par négation, le retour à un état grégaire. Et c’est là la force de Kirkman : ne pas imposer des évidences, juste poser des questions pertinentes.
Alors oui, au crépuscule du 13 novembre, Kirkman pose, peut-être des questions qui méritent d’être débattues.
Hmm, il me semble que le dernier homme, selon Nietzsche, c’est au contraire la négation du surhumain, c’est l’archétype de l’homme qui aurait renoncé à se dépasser pour se complaire dans un certain confort…
Sinon, pour preuve de ma volonté de dépassement (des clivages), sache que je suis lyonnais et que je ne me force pas pour te parler, à toi, « ami » stéphanois 😉
Très bel article, j’aime quand les comics sont matière à réflexion philosophique, même si je ne connais pas très bien Nietzsche, la démonstration est particulièrement brillante, bravo !
Je note bien que Thierry évoque toujours « le groupe de Rick », « Rick et les siens », « Rick et les autres », voilà ce qui me gène dans cette série : cette personnalité écrasante et étouffante d’un leader qui permet assez peu aux autres caractères de s’épanouir et de se révéler pleinement. C’est pour moi, plus que le fait qu’on peut penser que la série piétine, le point de déception majeur concernant cette série que je suis pourtant toujours. Je rêve de la disparition de Rick qui permettrait au scénariste de réinventer autre chose et de proposer d’autres pistes.
Walking Dead n’est certes pas une série de Zombies mais une série évoquant la restructuration des groupes humains après une apocalypse, mais je suis frustrée de ne rien savoir des causes de cette dernière, de la genèse de tout ceci et j’aimerais qu’on progresse aussi dans cette direction.
Merci en tous les cas pour cet éclairage philosophique tout à fait passionnant
J’adore ! L’avantage de créer son blog, c’était de rêver d’articles comme celui-là que l’on pourrait lire nulle part ailleurs. Bienvenue Thierry donc, content que tu poursuives l’expérience. Même si c’est le philosophe le plus rock qui soit (Antechrist Superstar de Marilyn Manson est totalement bâti dessus), la pensée de Nieztsche ne jamais séduit. Je le résume à quelques slogans célèbres comme ceux de Warhol, ce qui est bien insuffisant. De manière globale, j’aime les humanistes comme Rousseau, Voltaire ou Alain. Et la philosophie me reste une matière que j’ai pas mal pratiquée durant mes études. Et j’affirme lui préférer définitivement la littérature ou le théâtre forts en mythologie et/ou histoire.
Il est possible de se divertir en lisant Camus, Auster, ou Celine tout en dissertant sur la race humaine. La philosophie reste une discipline un peu austère, ardue, prêtant à confusion comme les pensées de Nietzsche ou Schopenhauer.
Magnifique article en tout cas. Superbe coup d’essai, hélas complètement approprié à ce que notre pays traverse.
@Sonia: les Comics, même celui de Kirkman qui sort du lot, ne sont pas friands de démocratie. Les Comics ont souvent comme Decorum la violence et la crise imposant des décisions d’urgences drastiques avec des débats limités. Dans ce contexte, le chef charismatique s’impose aux bavardages de la démocratie. Encore une fois, c’est la loi d’urgence tous les jours pour WD. Il y aurait d’ailleurs des concordances intéressantes à écrire entre Scott Summers et Rick Grimes: deux leaders qui protègent leur peuple. Il faudrait que je me penche là dessus…
Cette question de représentation du pouvoir reste pertinente Sonia, et je remarque qu’elle émerge…d’une femme !
Oui Bruce, tu as trouvé : il existe un fort parallèle entre Scott et Rick, c’est sans doute pourquoi les deux m’horripilent autant. Je ne parle pas forcément de démocratie comme alternative mais d’éventuelles contestations. Si on lit l’ensemble de la série, les choix de Rick ne sont pas toujours cohérents et amènent parfois le groupe à une catastrophe et mériteraient d’être mis en cause. Si on revient au début de la série, je trouve qu’un type comme Shane aurait eu plus sa place en temps que leader que Rick par exemple – oui, j’ai bien conscience que les puristes vont me sauter dessus, j’assume. Personnellement, je ne trouve pas que Rick soit charismatique. En plus, il ne va pas forcément au bout des choses (pourquoi ne pas directement éliminer Negan au risque de créer un danger pour le groupe?).
Shane: Ce n’est pas Rick qui le tue mais Carl. La mort de Shane tué par un enfant symbolise la fin d’une époque où l’adulte règne sur les enfants. Tout est inversé et il n’est pas un jour exclu que le fils tue le père. WD est définitivement, comme un jeu de rôle, une série sur nos choix, nos marges de manoeuvre en situation de crise. Dans ces moments Rick Grimes est acculé au delà du bien et du mal, il veut juste survivre. Tout comme Scott Summers sur Utopia. Je ne crois pas qu’il faille admirer Rick Grimes pour sa personnalité mais pour sa perspicacité à rester vivant et voir plus loin. Le refus de tuer Negan est la maturation des morts faciles de Shane et du Gouverneur. Et disons le , si la série occasionne ces débats passionnants, c’est que le contenu reste exceptionnel pour du mainstream.
Non, Bruce, désolé de te contredire, mais la philo n’est pas austère. Même si, majoritairement elle est enseignée par des gens austères (et je reprends tes mots à défaut d’utiliser les miens…). Je dois à une prof de philo de terminale (j’avais donc 19 ans, la découverte de Proudhon, Platon, Marx, Bakounine, Nietszche et de bien d’autres qui m’ont sans doute moins marqué…. Quant à Voltaire et Rousseau, hé ! Ne sont ils pas des philosophes ?). Qu’il me soit en tout cas permis de te remercier de ta confiance.
Merci
@Thierry ARAUD
Bienvenue sur ce blog, et chapeau bas pour cette entrée en scène magistrale.
Cette analyse de la série m’a passionné de bout en bout, car il n’est pas besoin d’avoir lu Walking Dead pour la comprendre. En particulier elle fournit une grille de lecture qui permet de se déconnecter de la forme narrative pour se concentrer sur le fond. Du coup, peu importe la manière dont Robert Kirkman manipule les outils narratifs : peu importe si oui ou non il relance l’intérêt du lecteur ou la tension de son récit par des scènes chocs positionnées à intervalle régulier (une critique qui lui est régulièrement adressée), ou si le portrait psychologique de Rick Grimes est consistant et cohérent.
En lisant cet article, je ne peux pas m’empêcher de me demander si Kirkman a voulu tout ce qui est mis en lumière. C’est peut-être mesquin ou hors sujet, mais je me demande s’il dispose de ces connaissances politiques et philosophiques, clairement exposées, expliquées et étayées dans l’article.
Je suis entièrement convaincu par l’analyse de Thierry, et ravi d’avoir pu élargir ma culture avec ses explications (je me coucherai moins bête ce soir, même si je ne retiens pas tout). J’ai le sentiment que Kirkman doit avoir une approche plus empirique ou pragmatique et moins dogmatique, de la construction de la structure de son récit. Si j’ai bien compris le passage sur le fédéralisme, il semblerait que le scénariste ait plus que quelques notions de politiques pour avoir proposé ce modèle pas si simple que ça.
En ayant suivi les commentaires de Bruce (et de quelques autres) sur la série, je me dis que cette évolution de la direction générale du récit n’a rien de transcendante ou de très pénétrante. Elle est reste très pragmatique : survivre aux zombies, survivre à d’autres groupes aux organisations totalitaires, puis essayer de s’installer pour regagner un ou deux niveaux dans la pyramide des besoins de Maslow.
De même pour que la série puisse durer, il était inéluctable que le personnage principal y laisse des plumes (plutôt une main si j’en crois les images), et qu’il finisse par vouloir s’installer (parce que sinon son espérance de vie aurait été réduite). Cela n’enlève rien à Kirkman qui a su planifier les étapes de l’évolution générale, ce que cet article met en lumière avec élégance et culture.
Du coup, la richesse de cette lecture que Thierry développe fait peser des attentes encore plus déraisonnables sur Robert Kirkman. Sera-t-il à la hauteur de l’ambition de son récit ? Peut-il développer au travers de cette histoire un modèle politique différent de celui du capitalisme (évoqué par Thierry) ? Ou passera-t-il en revue les différents types de régime ayant déjà existé ? En tant que lecteur, suis-je en droit d’attendre d’une BD qu’elle constitue une thèse politique et une analyse du fonctionnement d’une société ?
Aïe aïe aïe… Si Kirkman ne s’avère pas à la hauteur, vais-je être tenu pour responsable ?
@Présence : Merci. Quant à la prochaine évolution « politique » de la série, j’ai moi-même bien des inquiétudes. Mais en fan absolu de Kirkman (et en lecteur mensuel de la série) je ne l’avouerai pas… Même sous la torture. En tous les cas, le problème que tu évoques dans le dernier paragraphe me semble bel et bien être le résumé absolu de l’avenir de la série. Kirkman est vraiment à un tournant. Mais j’aime cette démarche récurrente chez l’artiste : sa capacité à faire douter de lui.
Cette démarche récurrente chez l’artiste : sa capacité à faire douter de lui. – Cette formulation m’est apparue d’une pertinence pénétrante, car au bout de près de 150 épisodes, le cycle des critiques correspond exactement à cette maxime.
D’un côté, c’est imputable au mode d’écriture de Kirkman qui parsème des scènes chocs régulièrement dans ses chapitres. De l’autre, c’est ce que tu fais apparaître : la construction de ses chapitres exige du temps pour pouvoir mettre en place ces systèmes politiques. Finalement, est-ce que les lecteurs de Walking Dead sont à la hauteur de l’auteur ?
Oui bien sûr. Mais ce cher Bon s’y entend comme pas deux pour les faire douter. Et n’est-ce pas là l’essence particulière de son talent ? Et je pense que même si Nietzsche n’y participe pas, la série est vraiment PENSEE. CE qui nous change de pas mal d’autres séries, même si, non, je ne citerais personne… (et surtout pas Bendis…) Oups
Félicitations pour ce bel article Thierry ! En particulier pour une première, bravo ! C’est courageux et réjouissant de voir une personne qui t’explique en profondeur un arc tant décrié ! Et injustement d’ailleurs à mes yeux…un des plus beaux passages de la série se situe dans cet arc ou Carl est prisonnier dans le repaire de Negan, ou asphyxié par la violence environnante, le lecteur assiste à une discussion fascinante des protagonistes et ou le barbare fou devient un idéaliste paternel…En ce qui concerne l’aspect philosophique j’y mettrai certaines réserves…Kirkman a-t-il été happé par son récit et a été obligé de l’amener ici ou tout était calculé ? voulu ?…Je mettrais une autre série en parallèle pour étayer cela: Vagabond de Inoue car là on a un fourmillement de réflexions religio-philosophiques qui sont recherchés dès le départ et ou le protagoniste évolue pour se rapprocher de l’humanité, au départ c’est une bête (à mes yeux Grimes, lui, subit l’évolution inverse, ce qui est tout aussi captivant…jusqu’ou Kirkman ira avec lui, le ciment de sa série ?) mais en comparant ces deux lectures, car ton article m’y a fait songer, je vois WD plus comme une série qui fonctionne à l’instinct, ou tout n’est pas pensé à l’avance et donc pas forcément charger de beaucoup de messages. Mais bref…un superbe premier article qui fait réfléchir…et ça c’est toujours bon !
Bonsoir,
Et merci.
Mon article n’a pas valeur de vérité absolue. Il propose une lecture personnelle er que j’espère factuelle de la série.
Ceci dit, je suis d’accord, les passages/échanges entre Carl et Negan sont superbes et démontrent à quel point Kirkman est capable de nous offrir des dialogues finement ciselés. Le rapport entre Negan et Carl va sans doute s’avérer important au vu de l’évolution de la série dans les derniers numéros. Que Carl prenne le large et que Rick se retrouve dans une situation qu’il ne domine plus ne pourrait-il pas (là, j’extrapole) redéfinir les rapports père/fils redistribués entre Carl et… Negan ? Wait and see
Ce qui m’inquiète le plus (au niveau narratif) c’est le titre du n° 150 : Betrayed. Je veux dire : va-t-on assister à un basculement des rapports père/fils, haine /amour entre Carl, Rick et… Negan ? MOi, je dis ça, je dis rien…
T’as fait du sacré bon boulot Thierry et mon avis n’en est qu’un parmi des millions sur cette série ! En espérant te lire avec plaisir de nouveau !
Thierry est à fond: en préparation un article sur Les bijoux de la castafiore et un autre sur Gwen Stacy. Il y aurait du Crumb aussi dans les cartons ! Stay Tuned ! (si c’est pas du teaser ça…).
Tom Petty comme Southside Johnny sont deux artistes américains injustement sous-estimés. Au même titre que John Mellencamp. Hop là, 3 pour le prix de 2.
Petty se situe un peu dans la mouvance des Byrds (période « Mister Tambourine Man »). Je te conseille leur dernier album en date (à m connaissance) : MOJO ou encore, mais là, c’est très perso, les deux par lesquels j’ai commencé : « Heartbreakers » et « Full Moon Fever » (dont est issue « Zombie Zoo »). Evite « Southernan accents »…
Waow ! Tout d’abord bravo Thierry pour ce pertinent article ! Le simple fait qu’un comics (qui, il n’y a pas si longtemps encore, était considère comme un médium infantile) puisse amener ce genre de réflexion est déjà en soi-même miraculeux !
Ceci dit comme il a déjà été dit dans les commentaires précédents on peut douter que Kirkman ait vraiment réfléchi à ces différents aspects en écrivant son scénario… Mais finalement peu importe qui était le premier, l’œuf ou la poule, l’être ou l’essence, puisque le résultat est là !
Tel Romero avant lui qui a utilisé le Zombie comme critique de la société de consommation et de loisir (ah cette scène où les Zombies se laissent distraire par les feux d’artifice tandis que les soldats font leur shoping en ville !) Kirkman utilise le comics pour souligner la fragilité de notre société « civilisée »…
» Se cacher, manger, boire, éventuellement se reproduire, mais sans projet social et politique à long terme » Toute similitude avec notre monde actuel ne serait que fortuite bien sur 😉
Cependant j’aurais envie de souligner que ton article vaut pour l’ensemble de la série WD et non pas spécifiquement pour l’arc Negan qui reste pour moi hélas le moins convaincant du lot…
@Patrick 6: l’arc de Negan a traîné en longueur mais vaut vraiment le coup à la relecture.
Whaou. Je prends enfin le temps de lire cet article dans son intégralité. J’ai beaucoup apprécié l’appareil critique mobilisé pour cette lecture d’une oeuvre que je ne connais qu’à travers quelques commentaires élogieux de Bruce ou de collègues; ) . J’ai aussi apprécié la pédagogie de ce commentaire très clair. Je comprends et rejoins l’interrogation des précédents commentaires sur la volonté délibérée ou non de l’auteur de présenter des thèses ou systèmes politiques. Je dirai que de mon point de vue la richesse d’une oeuvre se voit aussi à travers les variétés des interprétations qu’elle peut engendrer. Tu nous offre une belle interprétation qui ne fait que renforcer la valeur de cette oeuvre. Merci et bienvenue sur Bruce Lit.
Merci.
Je tiens à souligner ton commentaire : ma lecture « philosophique » de The Walking Dead n’est en aucun cas, une vérité. A la lumière de mes propres lectures, elles m’a semblé pouvoir soutenir une certaine interprétation. A la demande de Bruce, je l’ai livrée. Elle est peut être ridicule, ou pas. Et je doute fort que Robert Kirkmlan l’ai composée au gré de ses propres lectures de Sade, Proudhon ou Nietszchze. C’est une interprétation. Mais je suis vraiment ravi qu’elle t’ai plu.
Je suis très en retard mais voilà, BIENVENUE THIERRY ! Pour un premier article, tu fais très fort ! Il brille de mille feux autour de thèmes profondément intéressants et invite des gens que je ne connais que très peu : je n’ai jamais lu de philosophes ou très peu (un Erasme, notamment) et je trouve, comme Bruce, que d’autres vecteurs parlent sans doute plus clairement de thèmes et de concepts complexes. Mais pour autant, je suis toujours fasciné et friand de culture, ton article tombe donc terriblement bien. Dans l’actualité et dans le tournant actuel que prend The Walking Dead.
Pour le reste, je rejoins Présence et Bruce, et salue Sonia d’avoir su pointer un élément important qui nous semble trop évident pour le souligner.
Merci Jyrille,
Il faudrait dans doute que nous, lecteurs de comics cessions de penser que notre passion est une sous-culture. Oui, les comics, les mangas peuvent évoquer des thématiques complexes, et souvent ce média y réussi superbement, loin de l’aridité de la Kulture officielle. Il n’y a qu’à voir tout le mouvement undeground américain des années 60-70 pour s’en convaincre.
A vous tous, merci pour cet accueil chaleureux. J’avoue que je ne m’attendais pas à ça.
Mais c’est sûr, ça donne envie de continuer.
A bientôt donc, pour une aude à la mémoire de Gwen Stacy !
Cerebus ????? Mais pourquoi j’ai pas tout lu attentivement ???
La portée de l’analyse politique de Cerebus… Le comic de mes vertes années…
Comme Cyrille, c’est tardivement que je me réjouis de te lire et d’entendre une nouvelle voix dans l’agora plumitive initiée par Bruce.
Ton article inspiré m’a rappelé qu’un intellectuel contemporain s’est intéressé au comics en son temps, l’italien Umberto Eco, et qu’il avait su l’inscrire dans l’histoire du feuilleton populaire et du (super)héro.
Interpréter, comme tu le fais avec bonheur, un comics aussi populaire que WD sous un angle original, me conforte dans l’idée que Bruce Lit a de beaux mois devant lui.
Bonsoir,
Oui effectivement, il faudrait se pencher sur les écrits théoriques de ce grand écrivain. Il y a beaucoup à en apprendre. Ceci dit, merci pour le commentaire. On va essayer de continuer sur la même voie.
Read you soon