Encyclopegeek : Crossing Crusader -1ère partie : Batman/Marvel
Première publication le 07/10/15- Mise à jour le 13/05/17
AUTEURS : PRÉSENCE et JP NGUYEN
VO : DC/Marvel
VF : Semic/Panini
Cet article vous propose une rétrospective des crossovers où Batman partage l’affiche avec un héros de Marvel Comics. Les rencontres de la chauve souris avec des personnages d’autres compagnies (Dark Horse, Image, Top Cow, Wildstorm, Comico) seront abordées dans un autre article.
Et pour mener l’analyse des succès ou des échecs de ces différents partenariats, Bruce Lit a, pour l’occasion, mis sur le coup une paire de contributeurs : Présence et JP Nguyen.
Des duos dynamiques dans un marché en crise
Si l’on excepte le premier crossover Batman/Hulk de 1981, l’ensemble des autres associations du Caped Crusader avec un héros Marvel furent publiées entre 1994 et 2000, soit une période assez agitée pour le marché des comics, victime de l’éclatement d’une bulle spéculative en 1993. L’éditeur Marvel connut de grosses difficultés financières qui culminèrent avec la mise sous protection du Chapter 11 en janvier 1997 (une sorte de redressement judiciaire light propre au système légal américain).
L’éditeur avait aussi été secoué en 1992 par l’arrivée de l’éditeur Image, fondé par des artistes souhaitant prendre leur indépendance et créant de nouveaux personnages et de nouvelles séries. Cela étant posé, on peut voir la cascade de crossovers inter-compagnies produits à cette époque comme une tactique payante pour capitaliser sur l’aura de personnages ayant plusieurs décennies d’existence, et parmi ceux-ci, le plus iconique est bien évidemment Batman. Du coup, associer un héros Marvel un peu connu à Batman, c’était la quasi-assurance de ventes élevées. D’ailleurs, lorsque Marvel ira mieux, à partir de l’ère Jemas / Quesada, les crossovers DC/Marvel ne verront plus le jour, à l’exception de JLA/Avengers, qui était un projet assez ancien, porté par des auteurs amoureux de leurs personnages (Kurt Busiek et Georges Perez).
Découverte et lecture : je vous parle d’un temps…
JP : Pour ma part, la plupart de ces lectures s’est faite par le truchement des fascicules vendus en kiosque; à une époque où Batman et DC Comics n’étaient que peu présents en VF. Ces crossovers étaient pour moi l’occasion de lire du Batman tout en restant en terrain un peu connu, vu qu’à chaque fois, il faisait équipe avec un héros du Marvel Universe, qui m’était bien plus familier. A l’époque, déjà, j’abordais ces récits comme un plaisir coupable, étant entendu qu’aucun changement majeur du statuquo ne pouvait survenir dans ces récits se déroulant dans une sorte de monde parallèle (le concept des Elseworlds ne m’était pas encore connu…) Pour un lecteur s’évertuant à suivre la « continuité » Marvelienne, entre l’Age d’Apocalypse et le méga-crossover Onslaught, l’investissement dans ces one-shots était un effort financier qui confinait au superflu (surtout pour un budget étudiant). Mais le pouvoir d’attraction de la chauve-souris et de ses comparses fut le plus fort et je fis l’acquisition de la quasi-totalité de ces crossovers…
Présence : dans les années 1980, étant accro à Strange, Spécial Strange, Titans, Nova et quelques albums Arédit / Artima, j’avais beaucoup de mal à trouver des histoires de superhéros DC, et quand je mettais la main sur un magazine je découvrais des récits qui semblaient s’adresser à un public beaucoup plus jeune. La parution du Combat du siècle chez Présence de l’avenir était l’occasion de découvrir Superman (personnage que je ne connaissais qu’à travers le premier film) face à Spider-Man (une valeur sûre) dans un album grand format impressionnant. Après être passé à la VO (et avoir pris conscience de la différence et de la partition entre les univers de Marvel et de DC), les différents crossovers inter-éditeurs étaient avant tout un événement à caractère exceptionnel : un team-up totalement inédit et imprévisible. Qui serait pioché dans la continuité de l’un et de l’autre ? Comment allaient-ils réagir en se trouvant face à face ?
Urban Comics : des partenaires très « street-level » pour Batman
Alors qu’en 1981, les éditeurs avaient opté pour le drôle d’attelage du Titan vert et du chevalier noir (deux héros aux univers fictionnels assez éloignés), les crossovers Batman/Marvel des années 90 firent la part belle aux héros urbains, le justicier de Gotham rencontrant tour à tour le Punisher, Spider-Man, Daredevil et Captain America (avec un match aller et un match retour pour les 3 premiers cités). Voici un survol rapide de ces récits :
Batman vs The Incredible Hulk (1981) par Len Wein et Jose-Luis Garcia Lopez
A Gotham, plusieurs habitants se réveillent en constatant que des éléments de leur rêve se sont matérialiser à leur côté. C’est l’effet de la présence du Shaper of Worlds (un peu malade) qui attend que le Joker lui fournisse les outils dont il a besoin.
L’avis de Présence : Len Wein a été piocher l’ennemi le plus évident de Batman (Joker), et un ennemi plus inattendu chez Hulk. À l’époque, José Garcia Lopez est pressenti comme le digne successeur de Neal Adams. Il réalise des planches encore à destination des enfants, mais avec un bon niveau de détails, et une inspiration piochée chez Salvador Dali pour la planche consacrée au monde selon Joker. Malgré le choix d’un scénariste capable de bâtir une véritable intrigue et d’un dessinateur meilleur que la moyenne de l’époque, la narration est plombée par des textes ampoulés et des mises en scène encore empreintes d’infantilisme (Coucou Tornado). Pourtant scénariste et dessinateur font de leur mieux pour être inventif, en particulier dans les dernières pages où le Joker tente de remodeler le monde en fonction de sa vision.
L’avis de JP : pour celui-là, je donne mon Joker (sic), un survol rapide des planches bavardes m’a dissuadé de me plonger dans la lecture…
Batman/Punisher : Lake of Fire (1994) par Chuck Dixon et Barry Kitson
Jean-Paul Valley, qui a hérité du titre de Batman à la suite de la saga Knightfall, fait le rêve inquiétant d’un lac de feu. En investiguant sur cette vision qu’il pense prémonitoire, il s’associe avec le Punisher, pour coincer Jigsaw et le Joker, qui projettent d’empoisonner le réservoir de Gotham avec un produit inflammable…
L’avis de JP : c’est très quelconque et pourtant, je garde un souvenir assez fort des dernières pensées, un peu grandiloquentes mais pertinentes, de Batman sur la pleine page concluant le récit. « il comprend alors que l’enfer n’est pas forcément un lac de feu. Ce peut être une ville hostile. Et les damnés ne geignent pas toujours, parfois ils souffrent en silence. »
L’avis de Présence : je ne l’ai pas acheté à l’époque parce que ce n’était pas le vrai Batman (Jean-Paul Valley) et que l’équipe créatrice n’avait rien de remarquable, même si Chuck Dixon a longtemps écrit les histoires du Punisher (de 1991 à 1995) et Batman (de 1992 à 1999).
Punisher/Batman : Deadly Knights (1994) par Chuck Dixon et John Romita JR
Le vrai Batman est de retour à Gotham et veut mettre un terme aux agissements d’un nouveau parrain, Jigsaw, également ciblé par un certain Frank Castle.
L’avis de JP : j’aimais bien le style de John Romita JR à cette époque (avec un encrage d’un dénommé Janson) alors je pardonne toutes les faiblesses du récit pour admirer les planches.
L’avis de Présence : À nouveau, c’est Chuck Dixon qui écrit la rencontre entre les 2 personnages (et cette fois-ci avec le vrai Batman). Avec ce crossover, quelques écarts par rapport aux règles commencent à apparaître. Pour commencer, le scénariste est bien en peine de trouver autant de personnage chez le Punisher que chez Batman, d’où un petit avantage pour Batman. Ensuite, Dixon écrit clairement une histoire du Punisher, constat renforcé par le fait que John Romita junior avait collaboré avec Dixon sur la série Punisher War Zone. Il dessine comme sur cette série, avec une bonne cohérence graphique entre le Punisher et les criminels. Par contre il ne sait pas comment traiter Batman, l’affublant de ses longues oreilles gothiques (à la Bernie Wrightson) au lieu d’une apparence à la Frank Miller qui aurait été plus adaptée à cette guerre des gangs. Dixon a également bien du mal à intégrer Batman à cette guerre des gangs, en particulier lorsqu’il laisse le Joker s’enfuir en toute impunité (avec un Frank Castle aussi ahuri que le lecteur devant cette décision). Ensuite, Batman a le dessus sur le Punisher, brisant ainsi la règle d’équité de traitement entre les 2 univers. Par contre cette histoire est une vraie confrontation entre les 2 personnages, à une époque où les lecteurs trouvaient que Batman se rapprochait de plus en plus d’un Punisher en costume de chauve-souris.
Spider-Man and Batman : Disordered Minds (1995) par JM DeMatteis et Mark Bagley
Cletus Kasady aka Carnage sert de cobaye pour une injection de micro-puce dans le cerveau pour neutraliser les psychopathes. L’essai étant apparemment fructueux, le Joker est à son tour traité…
L’avis de JP : une intrigue classique mais qui a oublié d’être bête (malgré la présence de Carnage) avec des séquences introspectives typiques de DeMatteis mais aussi une (petite) interrogation sur le traitement de la démence criminelle.
L’avis de Présence : Alors que le lecteur pouvait supposer que ce crossover entre Marvel et DC serait aussi quelconque que de nombreux autres, il découvre une histoire solide qui ose s’aventurer sur le terrain glissant des valeurs morales, à commencer par la décision de ne pas mettre à mort même les pires criminels. Dans un registre très superhéros, DeMatteis expose avec éloquence l’intelligence morale de ce principe sans tomber dans l’angélisme, la naïveté et ou le prêche. Bagley (bien aidé par des encreurs minutieux) reste également dans un registre très superhéros pour des dessins s’adressant plus à de jeunes adolescents qu’à des adultes, mais assez travaillés pour permettre un bon degré d’immersion.
Batman/Captain America (1996) par John Byrne
Le pitch : Pendant la seconde guerre mondiale, l’État-Major missionne le super-soldat Steve Rogers pour surveiller le milliardaire Bruce Wayne, soupçonné de pactiser avec l’ennemi.
L’avis de JP : Pour moi, c’est le meilleur du lot. Situer l’intrigue pendant la seconde guerre mondiale est une très bonne idée et Byrne s’est appliqué pour façonner un petit bijou « old-school ».
L’avis de Présence : Byrne raconte une histoire premier degré, en imaginant un vol de la première bombe atomique sur le sol américain. Les scènes alternent entre hauts faits des superhéros (dont 2 séquences de voltige aérienne) et travail de déduction de Batman ou Captain America. L’ambiance est vraiment bon enfant, dans la mesure où Robin et Bucky se vannent gentiment pour décrocher le titre de meilleur assistant. Batman et Captain America entrent vite dans une phase d’entraide en les regardant d’un œil bienveillant. Byrne reprend les caractéristiques les plus infantiles de la série Batman : une belle Bat-mobile, une Bat-moto, un Bat-avion, la Joker-Mobile, tout ça estampillé du logo de la chauve-souris, ou du Joker pour le dernier. Il insère également un cliché daté de Batman dans un piège diabolique (ligoté par le méchant, à côté d’une bombe) s’en sortant miraculeusement (l’explication est donnée dans un dialogue qui vaut son pesant de cacahuètes). Il privilégie le grand spectacle dans ses dessins et la présence iconique des superhéros.
Batman & Spider-Man : New Age Dawning (1997) par John-Marc DeMatteis et Graham Nolan
Ra’s Al Ghul propose un marché au Caïd, dont l’épouse Vanessa semble atteinte d’un mal incurable. Morceau choisi : l’avion logotisé de Ra’s al Ghul.
L’avis de JP : J’avais souvenir d’une histoire un peu cucul la praline mais en le relisant récemment, j’ai davantage apprécié le découpage du récit, avec des transitions entre les scènes assez bien pensées. Néanmoins, ça reste très dispensable.
L’avis de Présence : Cette deuxième rencontre entre Batman et Spider-Man écrite par JM DeMatteis s’avère un peu plus convenue que la première. La thématique de la relation amoureuse en dépit des défauts du partenaire n’est pas aussi bien développée que celle de l’entraide dans la première rencontre. Les dessins de Graham Nolan sont moins criards que ceux de Bagley, mais toujours avec la même touche infantile (même l’avion personnel de Ra’s al Ghul est logotisé avec une tête de démon, discrétion assurée pour cet éco-terroriste). Bien que cette histoire ait été publiée par DC Comics, Spider-Man est plus à l’honneur que Batman, et le véritable personnage principal finit par être Wilson Fisk.
Daredevil and Batman : Eye for an Eye (1997) par DG Chichester et Scott Mc Daniel
Harvey Dent a dérobé la technologie d’une puce neurale développée par WayneTech et l’utilise sur Mister Hyde, dans une équipée meurtrière à New York City.
L’avis de JP : Je suis faible, pour retrouver l’équipe ayant officié sur Fall From Grace, je suis prêt à avaler une intrigue très quelconque (avec quand même quelques fugaces éclairs dans la caractérisation…). Et puis le DD de Chichester, qui prenait les choses en main, défiait l’adversité avec le sourire, est une de mes déclinaisons préférées du personnage.
L’avis de Présence : L’histoire est essentiellement une course-poursuite pour rattraper les 2 criminels avant qu’ils ne commettent l’irréparable, Batman et Daredevil jouant la compétition plutôt que la collaboration pour savoir qui a la plus grosse. Les dessins de Scott McDaniel sont très connotés années 1990, avec des muscles plus expressionnistes qu’anatomiquement corrects, un encrage massif et des compositions de page un peu embrouillées pour faire dense. Une rencontre mineure au rythme de lecture haché. (Wow…Présence a trop mangé de cacahuettes ! -Ndlr)
Batman & Daredevil : King of New York (2000) par Alan Grant et Eduardo Barreto
L’épouvantail veut répandre son gaz terrifiant sur New York et nos deux justiciers nocturnes font appel au Caïd pour le débusquer et faire échouer son plan.
L’avis de JP : Celui-là est assez décevant, notamment quand on connaît le niveau de Barreto. Il livrait là une prestation assez terne, sans aucun plan iconique marquant.
L’avis de Présence : lassé par une série de crossovers sans grande ambition, j’avais jeté l’éponge et fais l’impasse sur celui-ci.
Des récits codifiés et un cadre contraignant
En relisant le premier crossover du genre Le combat du siècle (première rencontre entre Superman et Spider-man), le lecteur constate les contraintes du genre, comme si elles étaient écrites en toute lettre. Pour commencer, un crossover inter-éditeur ne saurait avoir aucune conséquence. D’évidence, pour pouvoir être publié, ce genre de récit fait l’objet d’un contrat très strict entre les 2 éditeurs concernés. En particulier, il s’agit d’une édition conjointe, même si l’un des 2 peut se charger de la partie logistique. Cela implique qu’il ne pourra être réédité que dans une démarche conjointe, fortement dépendante de l’évolution juridique entre les 2 parties, et de leur stratégie marketing. Aujourd’hui on n’imagine pas Disney s’entendre avec Time-Warner pour une opération commune, ce qui sonne le glas des rencontres entre des superhéros DC et des superhéros Marvel.
Donc première contrainte : pas d’histoire qui compte (il n’y aura qu’une seule exception à cette règle le crossover Spawn / Batman réalisé par Frank Miller et Todd McFarlane). Deuxième règle d’or : autant de cases consacrées à un personnage qu’à l’autre, et des séquences qui préservent une forme d’égalité de traitement, afin que l’un n’ait pas l’air supérieur, ou meilleur que l’autre. Troisième règle : autant de personnages d’un univers que de l’autre. Au début cette règle est appliquée mécaniquement. Quand Peter Parker rencontre Clark Kent, la rédaction du Daily Buggle rencontre celle du Daily Planet, à nombre égal. Dès le deuxième crossover Superman / Spider-Man, Jim Shooter (le scénariste) fait usage de la possibilité d’inclure d’autres personnages. C’est ainsi que Wonder Woman et Hulk y font de la figuration.
Par la suite cette troisième règle implique également que le scénariste dispose de plus de liberté pour piocher le supercriminel dans la galerie du superhéros. C’est un atout quand ce dernier n’a pas d’ennemi très emblématique, ou alors qu’ils sont trop ridicules. C’est comme ça que le lecteur voit apparaître Shaper of Worlds, Jigsaw (le seul ennemi récurrent du Punisher qui a exécuté tous les autres), ou encore Mister Hyde (certainement inconnu des lecteurs DC).
La quatrième règle réside dans le mode de production du récit : il doit être validé par 2 équipes éditoriales, celle de DC et celle de Marvel, qui vont demander tout un tas de modifications diverses et variées, mineures comme majeures. C’est un véritable exploit qu’il subsiste une histoire cohérente à l’issue de ce processus aussi long que frustrant pour l’équipe créatrice (je n’ose imaginer le nombre d’aller-retour nécessaire pour aboutir à un produit validé).
Dans les crossovers avec les personnages Marvel, plus encore que dans ceux avec les autres compagnies, on perçoit que le héros de Gotham et son compère d’un jour doivent rester dans des sentiers bien balisés. La figure imposée la plus courante est la confrontation (physique et/ou verbale) entre les deux justiciers avant qu’il ne réalise que leur alliance est nécessaire. Cet élément d’intrigue est très convenu mais c’est son traitement qui permet plus ou moins de faire passer la pilule.
Des réussites graphiques et parfois scénaristiques
A l’époque de leur sortie, certains dessinateurs étaient estampillés Marvel et n’avaient encore jamais eu l’occasion de dessiner le petit Batounet. Pour le fan, pouvoir contempler le chevalier noir sous le trait de Mark Bagley ou, surtout, de John Romita JR était une friandise à laquelle il était difficile de résister. Cela se perçoit dans certaines appréciations rapides ci-dessus. Globalement, tous les dessins de ces crossovers sont de bon voire très bon niveau, les deux prestations les plus en retrait étant, selon moi, celles de Barry Kitson et de Eduardo Barreto. Quant à mes préférés, j’ai un faible pour JR Jr et John Byrne.
Les scénarios n’étaient pas très sophistiqués mais fournissaient souvent un bon support/prétexte pour des études de caractères, que ce soit côté héros ou vilains. Et bien sûr, le contexte du crossover facilitait parfois les parallèles et les jeux de miroir. Par exemple, lorsque De Matteis narre les origines de Bats et Spidey, l’enchaînement perte de la figure parentale / vengeance est commun mais vécu différemment par chaque héros. Autre exemple, lorsque Two-Face débarque à New York, son passé d’étudiant en droit puis de procureur fournit un contrepoint intéressant à Matt Murdock, l’avocat de la défense.
En fait, les histoires les plus réussies sont celles où les auteurs parviennent à saisir l’essence des héros, pour offrir au lecteur une rencontre qui aura (éventuellement) été fantasmée. Quelque part, c’est du fan-service. Mais la prouesse de certains est de donner au lectorat ce qu’il veut tout en ménageant de petites surprises ou des variations de ton inattendues. Ainsi, lorsque le Joker découvre que Crâne Rouge est un nazi, le clown se rebiffe car il se voit comme un psychopathe mais aussi comme un patriote !
Des montagnes accouchant souvent de (chauve) souris
D’un autre côté, ces rencontres entre superhéros issus de 2 éditeurs différents et concurrents constituaient des événements d’exception pour les lecteurs, des événements extraordinaires même, du fait de leur rareté et de leur fragilité (combien de temps DC et Marvel allaient-ils pouvoir s’entendre ? Y en aurait-il un autre, et dans combien de temps ?). Cette rareté créait un niveau d’attente très élevé. Force est de constater que pour les responsables éditoriaux, il ne s’agissait que de réaliser un comics de plus, dans un cadre très contraint et limitatif. Par la force de choses, ces histoires ne pouvaient pas être confiées à un artiste ayant sortant du moule, incontrôlable et ingérable, qu’il s’agisse du scénariste et du dessinateur. Ce mode de gestion ne pouvait qu’aboutir à un comics de plus, lisse et industriel.
De ce point de vue, on peut apprécier la force créatrice de John-Marc DeMatteis pour la première rencontre entre Batman et Spider-Man qui réussit à développer une thématique délicate, en dépit de tous les obstacles narratifs. Le récit de John Byrne (Batman / Captain America) déjoue également bon nombre des poncifs en faisant le choix de s’adresser à un public plus jeune, et d’utiliser des versions inattendues des personnages, c’est-à-dire celles de leurs origines dans les années 1940 (conformément à l’époque où se déroule le récit). De ce point de vue, cette rencontre présente une cohérence narrative remarquable, mais s’adresse aux enfants.
Un bilan mitigé
JP : Puisque tu parles d’histoires s’adressant aux enfants, Présence, je dois bien l’assumer, j’aime ces histoires pour leur côté simple et reposant. Toutefois, comme évoqué plus haut, il me semble qu’un dessinateur inspiré et/ou un scénariste malin peuvent élever ces récits au-delà du simple exercice de style. Et puis, pour avoir traversé les années de la décompression Bendisiennes, il est parfois agréable de se replonger dans des one-shots où l’on a presque jamais le temps de s’ennuyer !
Présence : je reste bloqué sur la promesse contenue dans ces rencontres exceptionnelles que peu de créateurs ont su mettre à profit. JM DeMatteis a su y apposer sa personnalité en y intégrant ses réflexions teintées de spiritualité. Chuck Dixon a fait un travail étonnant avec la rencontre entre le Punisher et le vrai Batman, mettant en évidence la différence entre les superhéros DC et Marvel. Il a écrit une histoire sévèrement burnée du Punisher comme il en avait le secret, prouvant séquence après séquence que Batman n’était pas et ne serait jamais un Punisher. John Byrne est celui qui s’est montré le plus inventif en respectant à la lettre toutes les règles, et pourtant en créant un récit défiant tous les poncifs. Pourtant ces rencontres furent plutôt bien pensées quand on les compare à la nullité que fut Marvel versus DC par Peter David, Ron Marz, Dan Jurgens et Claudio Castellini.
Présence : Pour en revenir au point de départ, estimes-tu que Batman en ressorte grandi, ou que les superhéros Marvel en ont plus profité ?
JP : La constante de ces récits, c’est bien Batman. Le fait de l’associer à tous ces héros renforce sa dimension universelle ou plutôt « multiverselle ». Batman est LE super-héros urbain, auquel tous les autres sont fatalement comparés mais qui demeureront toujours dans son ombre.
Présence : Quel autre superhéros Marvel aurais-tu souhaité voir confronté à Batman ?
JP : En fait, plus que le héros, c’est l’équipe d’auteurs qui rendrait le crossover intéressant. Un Batman/Moon Knight par Ellis et Shalvey, ça me botterait. Batman/Ghost Rider par Doug Moench et Kelley Jones, ça pourrait valoir le détour. Batman/Iron Man, par Joe Casey et un bon dessinateur, ça serait sans doute croustillant. Et je pourrais en citer d’autres… Tu vois, c’est la force iconique de Batman qui donne envie de le voir associer à d’autres personnages de fiction… Et ça ne se limite pas à l’univers Marvel, mais ça, on en reparlera dans un autre article…
(To be continued…)
Superbe ! je n’ai plus qu’à vous laisser les gars ! Plus besoin d’édito, ou de ligne directrice, les chroniqueurs de Bruce Lit écrivent ensemble des articles pointus. N’ayant investi dans aucune de ces histoires pour cause d’aversions Bruce Waynesques, j’ai néanmoins été captivé par l’immersion que proposent chacun de vos focus sur l’histoire. Puisque tu parles du budget étudiant JP, je n’achetais jamais ce genre de truc, peut être Rahnne de Terra chez les Xmen mais au final cet exercice s’inscrivant hors continuité ne m’intéressait pas. Car, à l’époque la continuité Marvel n’était pas un gros mot mais le synonyme de l’évolution d’un personnage.
je ne suis pas surpris d’apprendre que JM de Matteis fut l’un des rares à tirer son épingle du jeu du crossover. Comme nous l’avions évoqué à propos de Jason Aaron et ses Xmen, il est possible pour un grand auteur de parvenir à tirer quelque chose de ces events. Je me rappelle que les meilleurs pages de l’interminable Maximum carnage était signée JM de Matteis. De mémmoir, c’est lui qui signe aussi la fin de la saga du clone (ou serait-ce Howard Mackie ?).
En fin le cahier des charges des crossover m’a passionné et rappelle tout le volet pognon de ces événements. Ce même volet qui désormais me désintéresse presque totalement du devenir de Marvel, de ces events à la con (on annonce Civil War 2!), de savoir s’il faut rebooter une troisième fois Spider Man, s’il pourra apparaître ou pas chez les Vengeurs, toutes ces affaires de contrats, d’actions, de gros sous, de réalisateurs virés où les avocats bossent finalement plus que les artistes sont assez sinistres….et je ne parle pas ici de Nathan Essex…
Merci en tout cas pour cette initiative. Et pour ceux qui ont aimé cet article, le meilleur est encore à venir avec la suite dans quelques jours : Batman Vs indies (Judge Dredd, Spawn, Grendel etc.).
Je souhaite remercier JP car ma partie fut d’une facilité déconcertante à écrire, grâce à son cadrage et la structure qu’il avait préparée. Il a réussi à me faire sortir des chemins bien balisés de mode de construction d’articles, pour un résultat plus vivant et plus léger (à mes yeux).
Me replonger dans ces histoires m’a fait espérer que Marvel réédite les Punisher de Chuck Dixon et John Romita junior, et que DC publie un omnibus des Batman/Superman Generations.
Merci à Présence d’avoir accepté de jouer avec moi. Et merci à Bruce pour accepter mes articles de vieux fan de la chauve-souris.
Et pour en remettre une couche de teasing, celui sur les indés sera effectivement plus fun !
J’ai tardé car… J’avais gardé ça pour ce soir, à tête reposée…
Et ben les gars je me suis régalé ! L’article est d’autant plus croustillant et délicieux qu’il est atypique, ou en tout cas différent des articles habituels !
J’ai pris un plaisir complet à parcourir tous ces chapitres, ces avis comparés, ces questions/réponses, etc. Je me suis aperçu que mes passages préférés étaient aussi les plus courts (du genre 1) l’avis de JP/ 2) l’avis de Présence), donnant raison à Bruce sur ce point là, lui qui m’encourage toujours à faire court !
Tout cela apporte une respiration à l’article, qui est incroyablement riche en mélangeant souvenirs, critiques et analyses pointues (les « secret origins » de Présence, cool ! 😀 ).
Un des tous meilleurs articles du blog, je trouve, alors que le sujet ne m’intéresse que moyennement au départ !
A propos, je n’ai lu aucun de ces crossovers à part Spiderman/Superman quand j’avais 11 ans (aucun souvenir). Je dois avoir acheté « Spawn/Batman » et « Darkness/Batman », uniquement à cause de Frank Miller…
A mon tour d’en rajouter une couche de teaser : la deuxième partie est peut-être encore plus vivante, avec quelques mots sur les 2 crossovers que tu as évoqués…
Ce qui est finalement amusant, c’est de savoir qu’avec le temps et beaucoup de foutage de gueule de Marvel, ce serait désormais ce genre de récit sans conséquences, sans continuité que j’affectionnerai. Time they are A’ changing….
Bravo à vous deux pour ce magistral article à 4 mains, je n’ai lu aucun de ces ouvrages et j’ai appris grâce à vous l’existence du travail de Byrne sur Batman / Captain America. Merci pour ce superbe travail
Concernant cette histoire de Byrne, Presence m’a écrit un jour qu’il regrettait que cet artiste n’ait pas eu l’ambition d’écrire des histoires plus adultes (enfin quelque chose comme ça :)) et clairement, le cross Batman/Captain America en est la parfaite illustration. Les dessins sont au diapason de la légèreté volontaire (enfin j’espère pour lui…) de l’histoire. Avec un brin de nostalgie, j’ai adoré revoir son Captain America très proche de son petit run artistique sur ce personnage des décennies auparavant…
Bref, comme s’il avait écrit/dessiné uniquement pour ses fans de la première heure et c’est bien peut-être cela son drame (et le mien du coup)….
Les Next Men ne sont – ils pas une oeuvre plus sérieuse de Byrne? (c’est la réputation que j’ai en tête mais je ne les ai jamais lus)
@Comics-et-merveilles – C’est bien mon propos. Quand Byrne est parti fonder Legend (chez Dark Horse) avec Frank Miller, Mike Mignola, et Art Adams, je m’attendais à ce qu’il se lance dans quelque chose de plus personnel. Dans les faits il a refait du superhéros, avec les mêmes conventions que celles de Marvel et DC, un vernis plus adulte (mais juste un vernis) et pas de continuité antérieure, rien d’aussi radical que Sin City ou Hellboy.
@JP Nguyen – Plus sérieuse : oui, tout en étant finalement très proche des superhéros traditionnels. Tu peux trouver un commentaire sur chaque tome à l’endroit habituel.
Entièrement d’accord. Le vernis semblait s’arrêter à des coucheries avec malgré tout une grande pudeur.
Merci pour cet article ! D’abord parce que j’apprends plein de choses et ensuite parce que c’est très agréable à lire. J’ai adorę
Je rajouterai une dernière règle : lorsqu’il y a match retour, on inverse l’ordre des noms dans le titre !
Merci pour cet article passionnant ! Le choix de certains team-up de vilains fait assez sens quand on s’attarde dessus : Two-Face et Mr Hyde sont tous les deux des personnages basés sur la dualité, tandis que le Joker et Canarge sont chacun des agents de la mort aveugle et du chaos.
Il est intéressant de voir que l’idée d’un Joker qui détient des pouvoirs omnipotents ne date pas du tout de l’arc Emperor Joker de Jeph Loeb.
Pour l’anecdote, l’index des Terre du Multiverse pré-Crisis pose officiellemnt comme postulat que tous les crossovers entre des héros DC et Marvel (hormis ceux où il est établit qu’il y a un voyage d’un univers à l’autre s’entend) ont lieu sur la Terre-Crossover !
Merci pour ton observation : je n’avais jamais remarqué l’inversion de nom (honte sur moi). Je pense qu’elle est également liée au fait que l’un était publié par Marvel, et l’autre en retour par DC (ou inversement). J’ignorais également que cette Terre crossover était indexée.