Punisher : Bullseye & Frank par Jason Aaron et Steve Dillon
1ère publication le 06/10/15- Mise à jour le 14/05/18
VO : Marvel
VF : Panini
AUTEURS : BRUCE LIT + TORNADO
Tous les scans de cet article : ©Marvel Comics
Cet article écrit à quatre mains synthétisera les deux arcs Bullseye et Frank de la série Punisher Max, soient les épisodes US # 6 à 16. Tout est écrit par Jason Aaron et dessiné par Steve Dillon.
Attention, cet article dévoile le secret de Frank Castle révélé dans l’arc Frank.
Après un premier arc , plutôt bancal, Jason Aaron écrivait ici rien de moins que la chute brutale et définitive du Punisher. Tout du moins celui de l’univers MAX, débarrassé des super héros. A ce tableau, Aaron ajoute les figures historiques des super-vilains Marvel les plus réalistes et accessoirement les principaux ennemis de Daredevil. Tous sont revus à la sauce simplifiée du réalisme et de l’épure : Pas de costumes, pas de pouvoirs, mais une obsession pour le but qu’ils se sont fixé.
Il met ainsi en scène Bullseye mandaté par le Caïd afin d’éradiquer la menace que représente le Punisher pour le monde du crime. Comme un profiler, Bullseye se met à la place de Castle, découvre ses planques, dort sur la tombe de sa famille, épluche les livres écrits sur lui dont Valley Forge, et va jusqu’à assassiner des familles entières pour comprendre sa douleur.
Jason Aaron conceptualise la série selon un schéma simple et épuré : Le Punisher demeure le psychopathe ivre de vengeance qu’a défini Garth Ennis. Il a juré de mener une guerre sans merci au crime mais il est lui-même un sociopathe ultime, faisant « fructifier » son besoin de tuer en le concentrant sur les criminels de toute sorte. Un Dexter avant l’heure, en quelque sorte…
La force de cette histoire tient dans la pulvérisation du statu quo entretenu par Ennis. La traque de Bullseye est subtile et notre anti-héros passe du statut de prédateur à celui de victime. JAMAIS, même chez Ennis, JAMAIS Frank n’aura jamais été poussé autant à bout. Au terme du plan de Bullseye , Castle pète les plombs, tue un flic et perd son immunité auprès de la police.
Frank n’est plus cette machine à tuer invulnérable. Il peine à guérir de ses blessures et la douleur l’empêche de dormir, son âge commence à se faire sentir, il tombe à pieds joints dans le piège de ses adversaires, et est désormais traqué par le tout New York.
Aaron reprend à son compte le run d’Ennis en y ajoutant des détails qui tuent : si Castle est effectivement un Terminator capable de tenir un siège au Vietnam, pourquoi n ‘a t’il pas pu déceler la présence de tueurs embusqués à Central Park ? Il faut voir la peur pour la première fois depuis The Punisher: Born sur son visage lorsque Bullseye lui suggère sa réponse.
Le parallèle entre les deux personnages est très intéressant : deux psychopathes expérimentés qui assouvissent leurs pulsions de mort de manière méthodique implacable, et qui se comprennent. Les tortures que Castle inflige à ses ennemis n’ont rien à envier à la cruauté de Bullseye. Le talon d’Achille de Castle, celui qui le rend humain, est d’avoir été ce père et ce mari éploré dont aucun scénariste ne s’est jamais risqué à décrire avant Aaron.
A la fin du combat Frank amputé, grièvement blessé, est incarcéré , à la merci des criminels qui veulent sa peau. Castle en prison, ce n’est pas une nouveauté. On se rappellera même qu’il lui arrive de se faire coffrer volontairement histoire de dessouder de la racaille puis de s’évader sans transpirer. Aaron prend encore le contre-pied de ces gimmicks. Castle est hirsute, à moitié paralysé et admet lucidement que dans son état, ce n’est pas le Punisher qui est emprisonné mais Frank Castle. Il est surtout rongé de remords et de mélancolie.
Parallèlement, Aaron explore le passé du Punisher, ce que finalement peu de scénaristes ont fait. Tout son talent éclate dans sa manière de construire son récit. Il emploie pour ce faire une technique redoutable : celle qui consiste à mettre en parallèle les mêmes images et les mêmes situations sous deux angles différents : Celui du passé et celui du présent. Le lecteur vit donc les deux époques consacrées au personnage et prend conscience à quel point les choix et les actions de Frank Castle l’ont inéluctablement mené à son effroyable destin.
A la manière d’Alan Moore avec son Killing Joke, Aaron invite le lecteur à contempler un maximum de planches dans lesquelles se succèdent, comme dans un fondu enchaîné, les mêmes images à des époques différentes, et ainsi voit se lier de manière imparable les causes du passé avec les conséquences du présent…
Les flashbacks commencent directement après The Punisher: Born. Frank retrouve sa famille après ses blessures de Valley Forge. On y voit notre héros jeune mener un vie de famille, chercher du boulot pour se réinsérer. Aaron multiplie habilement les parallèles: l’entrée en prison de Castle est superposée à son retour en famille et ce froid désespoir qui l’étreint alors : impossible de mener une vie normale.
Castle est un fauve en cage incapable d’oublier le goût du sang. Cet arc est souvent poignant dans la description du personnage qui lutte contre sa nature . Il est incapable d’avoir un geste, un mot d’amour pour sa femme et ses enfants. Ces efforts pour vouloir redevenir normal vont l’amener à prendre l’initiative d’un pique nique funeste. Cette sortie n’est plus celle d’un père aimant déconnecté des horreurs qu’il a commit, mais le choix d’ une embuscade morale où Castle annonce à sa femme qu’il la quitte ! Avec le visage en larmes de Maria juste avant sa mort , Aaron confère à Castle une véritable dimension tragique à un personnage peu sympathique.
Pour Aaron, sa carrière de justicier qui le conduira inévitablement à la mort, est sa manière de se punir lui-même . Cet éclairage pertinent permet de comprendre l’obstination du personnage à ne jamais s’arrêter. Le Punisher d’Aaron n’est plus seulement un justicier rendu fou par la soif de vengeance, il est surtout un pénitent damné, rongé par le remord. Le scénariste transfigure son icone, qui bascule soudain de sa simple position de justicier à celle de personnage Shakespearien !
Aaron prend ici des risques fous même si tout n’est pas parfait ! Il donne des clefs précieuses pour comprendre le personnage mais retire en même temps l’aura mystérieuse qui l’entoure. Et les personnage de Maria et des enfants auraient sans doute mérités plus de consistance. Ce parti-pris laconique permet de ne pas trop sombrer dans le larmoyant et évite de traumatiser un lecteur déjà bien malmené, en même temps qu’il confère au récit un rythme percutant.
Dillon continue de faire du Dillon : son style cartoon n’est pas le plus approprié à l’univers Max. Passe encore que tous ces personnages aient la même tête, mais il ne réussit jamais à transcender le récit. Son style ne sonne jamais juste : soit il est trop clinique et trop lisse pour susciter la moindre émotion chez le lecteur, soit il est trop caricatural -voire simpliste- pour susciter une implication viscérale. Et surtout, il demeure beaucoup trop vulgaire pour élever le débat et pêche par un excès d’effets « Grand-Guignol ». Ainsi, certaines scènes de violence, qui pourraient se donner des airs « Tarantinesques », finissent par n’être que laides et vulgaires, parce que sans aucun apport « esthétisant », sans aucun style.
Comme à son habitude, le bonhomme cadre ses personnages en plan américain et zoome à fond sur les visages, histoire d’éviter de travailler mouvements et décors, deux notions qu’il ne maîtrise absolument pas. Par dessus le marché, ses tics comiques viennent amoindrir toute scène viscérale, notamment les scènes de violence, qui tombent immédiatement dans le grotesque avec ces giclures de sang dignes d’un film produit par Andy Warhol. Néanmoins, il s’est tout de même appliqué sur deux points : Le visage du Punisher n’a pas plus d’une seule expression. Mais il apparaît jeune et vieux avec une belle constante. Ensuite, l’histoire ne portant pas vraiment sur la rigolade, les tics comiques sont plus discrets qu’à l’accoutumée.
Avec le run d’Aaron , Frank Castle retrouve ses lettres de noblesse pour une franchise qui sait exploiter l’âge et les échecs de son héros. Plus que jamais, Frank Castle est un justicier que nous n’aimerions pas être. Cet arc rappelle par moment le premier Rambo qui explorait l’impossible réinsertion des soldats post vietnam et le masochisme de Jake La Motta dans Raging Bull qui se faisait tabasser sur un ring en expiation des coups qu’il filait à sa femme à la maison.
C’est une lecture légèrement en deçà du run d’Ennis mais qui reste dans le haut de gamme par son audace et son inventivité. Le Punisher voit son destin scellé dans le dernier acte : Punisher Max: Homeless.
« Bruce Lit teamup » 1/4
Aujourd’hui la Punisher Task Force composée de Tornado et votre serviteur vous racontent les derniers jours du Punisher MAX. Sa confrontation avec Bullseye, son retour du Vitenam et surtout la raison de ce funeste pique nique… Une histoire sombre, désespérée, tragique…
La BO du jour : la vie de Frank Castle est une suite interrompue de remords et de tourments. Sa vie, un long suicide planifié. Comme celle de Daniel Darc, poète maudit, qui reprend ici Rondeau de Nino Ferrer, chanson masquée sur le désespoir…Au fil de l’eau, les jours s’en vont, un jour, un autre et la semaine après ce pique nique maudit …https://www.youtube.com/watch?v=nxXwDOTn_C0 (si vous n’aimez pas cette chanson, vous n’avez pas de coeur….).
Un excellent run avec une fin qui reste en mémoire.
C’est vrai que sur le plan graphique (et cela même si je ne déteste pas le style de Dillon) qu’il aurait mieux valu quelqu’un avec un style plus brut, comme Roland Boschi, avec qui Aaron a fait un très bon one-shot spécial Noël sur le personnage.
J’ai beaucoup apprécié les 2 paragraphes consacrés à Steve Dillon (celui qui commence par « Dillon continue de faire du Dillon » et le suivant). Je soupçonne qu’ils aient été écrits par Tornado, et je trouve qu’ils expliquent avec clarté tout ce qu’il lui reproche, des visages en gros plan jusqu’à l’apparence trop propre sur elle, en passant par les giclées de sang.
Si mes souvenirs sont bons, Ennis sous-entendait la capacité de Castle à tuer, mais sans aller jusqu’à une incapacité à aimer. De même, le Punisher d’Ennis est un individu qui se punit pour supporter la culpabilité du survivant, mais sans aller jusqu’à sous-entendre une forme de passivité à l’approche de la menace pendant le pique-nique.
J’ai également bien apprécié le choix des images, en particulier celle avec Bullseye et la mise en situation de pique-nique, et celle avec le parallèle entre l’entrée dans le pavillon de banlieue et l’entrée en prison.
Quant à celle avec Castle alité à l’hôpital, j’ai l’impression que Dillon a repris une orthèse déjà utilisée dans le retour de Ma Gnucci.
La capacité d’aimer de Castle : en fait, c’est plus subtil. Aaron explore ce qu’Ennis a laissé en page blanche. On voit clairement dans le run de l’irlandais que Castle aime sa famille. Sauf que cet amour n’arrive qu’après coup (de feu dans Central Park). Lors de Punisher BOrn, on ne peut pas dire d’ailleurs qu’il soit obsédé par ses retrouvailles avec Maria et les enfants. L’explication de Jason Aaron : « Le punisher n’a pas su protéger sa famille car il avait déjà renoncer à elle » est cruelle mais me convient amplement.
Durant le run d’Ennis, il n’est jamais question d’amour ou d’amitié mais de compagnonnage de combat ou sexuel. C’est flagrant avec O’Brien.
J’ai lu ce run en ligne, en faisant l’économie d’acheter les versions papier. Même si je reconnais du mérite à Aaron (il a apporté quelque chose de nouveau tout en étant plus ou moins raccord avec le reste de la série MAX), je n’ai pas vraiment apprécié ces épisodes.
Pour moi c’est une bonne suite à un run qui n’en avait pas besoin.
Comme le dit l’article, le Punisher disparait au profit de Frank Castle, l’homme vieux, fatigué et usé… et vu les traumatismes subis pendant toutes ces années, ce serait normal. Mais justement, j’ai besoin d’un peu plus de « super » dans mes histoires de super-héros. Et même si le Punisher d’Ennis n’était pas officiellement un surhomme, il était « larger than life », un monstre parmi les hommes pour perpétrer un mal nécessaire. Avec Aaron, ce n’est qu’un psycho de plus, au même niveau que Bullseye.
C’est assez bien vu, original, ça ne répète pas des schémas déjà-vus et ça ne singe pas Ennis mais… ça ne me plait pas (et of course it is « juste mon avis », peace everybody et tout ça…)
Et puis… Steve Dillon versus Leandro Fernandez et Goran Parlov ? Y’a pas vraiment match.
En revanche, les covers de Dave Johnson, c’est de la balle !
@JP : je comprends parfaitement ton sentiment. J’aime aussi généralement mes héros en pleine possession de leurs moyens. Ce qui m’a plu dans ce run, c’est justement le Frank derrière le Castle….Tout simplement parce que le Punisher n’a pas de double identité, de double vie et qu’il n’est pas si simple de l’écrire…Je ne le trouve pas plus psycho que chez Ennis. Simplement, de la même manière que Born Again délaissait DD pour Matt Murdock, Aaron s’interesse à l’homme derrière la légende. C’est une démarche que je trouve passionnante si ce n’est la toute dernière image de fin, mais nous en reparlerons….
Et bien je n’ai pas aimé la dernière partie de ce run, raison pour laquelle je réfléchis toujours à m’en séparer. C’est aussi pour ça que j’aimerais bien faire un dernier article avec Bruce sur le sujet, mais séparé en deux cette fois, avec une partie « POUR » et une partie « CONTRE ».
ah ben pour une fois que j’ai envie de lire une BD MAX (pour moi ce lambel est une purge)
« (pour moi ce label est une purge) »
En quoi ? Tu fais références aux autres séries que celles d’Ennis, à la qualité très variable ?
Je n’ai rien lu de ce label Max.
Rien ne me fait envie en fait parmi les personnages qui ont droit à leur série.
Le seul que j’aimerais lire c’est le truc avec Man-Thing qui donne l’impression avec les couvertures de faire une référence aux EC comics :
http://www.bulledair.com/index.php?rubrique=album&album=vo_dead_night_ft_manthing1
La liste du label Max :
https://en.wikipedia.org/wiki/Max_(comics)
Juste le fait que ce label était extrêmement racoleur, un peu de cul, des hectolitres d’hémoglobine et voilà, c’est mature.
le contenu était souvent juste débile et provocant pour le buzz.
Ennis faisait du Ennis donc pour lui pas de problème, il pouvait évoluer en dehors des super héros mais le reste pardon!
Pour moi, le label MAX est une des meilleures choses qui soit arrivées à Marvel. Rien que pour le Punisher d’Ennis, déjà, c’est un miracle. Ensuite, j’ai beaucoup aimé des trucs comme les « Dead of Night Featuring » auxquels Matt faisait allusion, « Alias » de Bendis est un grand moment aussi (je ne trouve pas ça racoleur du tout au passage, juste percutant mais c’est mon truc), « Les Eternels » de Gaiman et même la suite par Knauf, « Hood » de Vaughan, « Powerless » qui est une mini-série magnifique, les autres comics d’Ennis, et il y a aussi « Supreme Power », série que je n’ai pas lue, mais à propos de laquelle Presence ne tarit pas d’éloges.
Tu les as lu comment les Dead of Night Tornado ? Ce n’est pas publié en VF il me semble. Tu as lu ça en VO ?
@Tornado : « Supreme Power » par Straz et Gary Frank, c’est une super-série. Juste dommage que les auteurs soient partis avant de vraiment boucler la fin.
Le Nighthawk apparu dans Supreme Power a eu droit à des mini-séries et l’une d’entre elles m’a été offerte par Présence pour mon anniv’. Je le remercie d’ailleurs pour ces excellents choix.
Nighthawk fournit une occasion pour les auteurs de réagir à l’actualité américaine, avec le nombre important de bavures policières dont les noirs sont victimes. C’est une très bonne mini, même si la fin fait un peu expédiée. Si j’avais le temps, j’en ferais bien une chro…
J’étais dans ma période plus c’est Dark mieux c’est et j’ai tout pris au début…mais je me suis rendu compte que c’étais tout ce que j’aimais pas lire. C’est tout. ce Label se pare du manteau respectable de la maturité pour en retenir que l’outrance et la superficialité.
pas de contenu politique, pas de contenu sérieux ou vraiment grave…des effets d’annonce mais rien en dessous.