Le fantôme d’Anya par Vera Brogsol
1ère publication 28/07/15 – MAJ le 24/11/19
Une revue Fantôme de BRUCE LIT
VO : Roaring Brook Press
VF: Altercomics
Le fantôme d’Anya est un roman graphique réalisé par l’auteure Vera Brosgol. Celle-ci est russe et naturalisée américaine. Elle travaille dans le domaine de l’animation. Contrairement à ce que les scans de cet article peuvent laisser supposer, ceci n’est pas une BD muette.
Neil Gaiman, a qualifié cette histoire de chef d’oeuvre.
De nos jours aux Etats Unis, Anya, fille d’immigrés russes, traverse sa crise d’adolescence. Elle rejette totalement ses origines pour adopter le mode de vie américain. Elle jette tous les matins en douce les beignets gras ( du cblphnkn ) que lui prépare sa mère, dissimule son accent et ignore le seul camarade russe de son école qui, à force de vouloir s’intégrer, devient la bête noire d’ados boutonneux.
Au début de l’histoire, Anya n’est pas ce qu’il y a de plus sympathique : elle sèche ses cours, triche aux exams, flashe sur le capitaine de l’équipe de basket qui l’ignore, reste constamment sur le mode de l’ironie façon Ghost World. En fait, Anya souffre, elle n’a pas d’amis, pas d’amour et passe son temps à s’auto déprécier. Le lecteur s’attache pourtant assez vite à cette vraie tête à claque nonchalante et terriblement humaine.
Alors que la BD aurait pu se contenter d’une énième variation du teen movie, Brosgol choisit de donner à son histoire un tournant fantastique. En rentrant de l’école, un jour comme un autre, Anya manque de se tuer en tombant dans un trou. Elle se trouve face au squelette d’une ado assassinée 80 ans auparavant. Son fantôme, Emily, lui apparaît et l’aide à s’échapper.
Par un tour de passe-passe, Emily réussit à s’échapper aussi et va devenir l’amie invisible d’Anya : celle qui va lui souffler les réponses pendant les exams, qui va la relooker pour sortir les garçons et être l’amie dont elle rêvait. En vivant cette vie par procuration, la jeune fantôme va progressivement devenir de plus en plus jalouse, dangereuse jusqu’au twist final révélant un terrible secret !
Avec son graphisme faussement simple qui évoquerait la rencontre de Marjanne Satrapi et de Scott Mc Cloud ( d’ailleurs crédité en fin d’album ), on comprend que ce récit ait pu séduire le créateur de Sandman. Voici en effet un conte initiatique où le fantastique est ancré dans le réel et qui parle immédiatement à l’adolescent qui sommeille encore en nous. Comme un fantôme d’une vie passée qui refuserait de mourir. Celui d’Emily en fait.
Comme Coraline,autre conte Gaimanien, le fantastique permet à notre héroïne une vie simplifiée, sans frustration, ni contraintes. Le fantôme d’Anya devient au choix un doudou ou une drogue qui lui permet une réassurance à peu de frais. Mais la facilité a un prix et Anya et comme le Steven de The Last Temptation, Anya apprend à ses dépends que Nothing’s free ! Face aux obstacles que notre jeune amie refusait d’affronter, Anya finit accepter qui elle est et savoir ce qu’elle veut. Il lui aura fallu auparavant ouvrir les yeux sur la fatuité des apparences, comprendre que ses origines n’ont rien de honteuses et tuer ses illusions.
C’est cette illusion que représente Emily la fantôme : celle d’une vie entièrement centrée sur la satisfaction du désir au détriment de la texture de l’existence. Autrement dit, la différence entre la vie virtuelle, fantasmée, inconséquente et celle de la réalité immédiatement moins séduisante, fastidieuse mais la seule dont on dispose.
La dépendance de nos société à la vie internaute crée une caisse de résonance immédiate aux mésaventures de notre amie. Quant aux affres de la double nationalité, on avait également beaucoup apprécié American Born Chinese de la même trempe.
C’est frais, ça se dévore d’une traite et c’est souvent très drôle aux antipodes des ambiances gothiques d’un Tony Sandoval. En fait, cette fantôme d’Anya trouvera une agréable résonance pour tous les admirateurs de la série Locke and Key ( en moins violent tout de même ) qui abordait avec délicatesse sous fond de maison hantée cette période où l’adolescent doit tuer père et mère pour mieux leur revenir ! Une adorable découverte au casting exclusivement féminin, philosophique sans prise de tête, fantastique sans tirer sur le macabre, drôle sans être hilarant. Vera Brosgol aura trouvé à chaque étape de ce roman graphique la juste mesure dont on aurait aimé toutefois un meilleur développement de l’épilogue.
Un bouquin qui plaira indifféremment aux amateurs de comics indépendants comme de franco-belge. Une auteure que Russe Lit suivra désormais assidûment.
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La BO du jour : Elle s’appelle Anna Karina, chante un russe célèbre (Serge Gainsbourg ), la nostalgie et l’envie d’aimer
Bruce tu as fait un afepte ! 😉 si ce n’est pas du Sandoval les quelques images de l’article font un peu penser à Gloom coockies. .. Bref ça bieny de sortir ?
J’adore le graphisme, le sujet me parle, les références me plaisent, bon, va falloir que je me la procure ! Merci pour la découverte !
Ah, oui, ça a l’air très, très chouette. Je le note dans un coin…
Pas facile à prononcer le nom des beignets gras, vu qu’il n’y a pas de voyelle.
L’adolescent qui sommeille encore en nous, comme un fantôme d’une vie passée qui refuserait de mourir – Très, très belle formule. Est-ce vraiment cela de vieillir, s’accrocher à un état antérieur, alors que le temps qui passe nous a déjà transformé en autre chose ? Le passage des jours nous change alors que nous en sommes à chercher à comprendre qui nous étions hier. Comme toujours, ta capacité à rendre apparent ce que sous-entend le récit m’épate.
Le prix à payer (nothing’s free) – Voilà un thème qu’il m’est plus facile de détecter, mais tout aussi inhérent à la vie.
On aimerait bien que Vera publie dans pas trop longtemps un autre bouquin ! Content de voir que Neil G. est d’accord avec moi 😉 (cf. mon commentaire pour Ah ! Ma zone). Mais, du coup, quel stress !
« celle d’une vie entièrement centrée sur la satisfaction du désir au détriment de la texture de l’existence. Autrement dit, la différence entre la vie virtuelle, fantasmée, inconséquente et celle de la réalité immédiatement moins séduisante, fastidieuse mais la seule dont on dispose. »
Moi, c’est ce passage là que je trouve particulièrement bien écrit (le reste est bien aussi, hein…)
Je le mets dans ma liste de trucs à essayer, à l’occase.
@ Stan Fredo : Respect, tu étais là le premier en 2011 !
@ Patrick 6 : l’édition française date de 2014. Facilement trouvable à GIbert en occaz’.
@JP : cette thématique gaimanesque est bien développée dans Coralie.
@Bruce : Je suis d’ailleurs étonné que tu n’aies pas encore fait l’article sur « Coraline » !
Top. Je l’inscrit en haut des priorités à lire. Merci pour cette découverte!
Mignon comme tout : les critiques de l’album par des collégiens: ici