Bone par Jeff Smith
Publié le 01/04/15- Maj le 12/08/18
VO : Cartoon Books
VF : Delcourt
Bone est une série écrite et dessinée par Jeff Smith. Publiée en France chez Delcourt d’abord en noir et blanc, la série a ensuite été intégralement rééditée avec des couleurs magnifiques sur papier glacé. La traduction est irréprochable.
L’histoire lisible à plusieurs niveaux est très accessible à des enfants en âge de lire. Il est indispensable de la lire dans la continuité.
Cet article passe en revue l’ensemble de la série et ses 9 volumes ( plus un hors série).
La série Bone a 20 ans ! Traduite dans 17 pays, auréolée de 40 récompenses à travers le monde, couronnée par le Time dans le Top 10 des meilleurs romans graphiques de tous les temps, Bone reste le mal-aimé des amateurs de comics où ça se bastonne continuellement.
Pour beaucoup le désign simple du personnage fait de Bone un comic book indigne de leur attention et le rélègue à la littérature infantile ou bizarre façon Howard The Duck. Comme ils se trompent ! Vénéré par Frank Miller, Bone synthétise le meilleur de la Bd universelle !
Oui ! Les graphismes de Jeff Smith rappellent aussi bien La bande à Picsou de Carl Barks que la grâce d’Hergé, de Franquin voire d’Uderzo avant de s’achever sur une ambiance furieuse et épique d’Heroic Fantasy. Impossible non plus de ne pas penser au Snoopy de Charles Schultz. Ses personnages ont des gros nez, des points à la place des yeux. Mais en contrepartie , ils ont un langage corporel très élaboré, des expressions à tomber. Et bénéficient d’une identité visuelle travaillée immédiatement reconnaissable.
Et la série bénéficie d’une galerie de personnages incroyable, où tous gardent un rôle équilibré du début à la fin. Notre héros, Fone Bone est l’archétype du héros pur et sans âge même s’il n’ a pas les moyens physiques de son courage. Smiley Bone est le rigolo de service dont l’auto-satisfaction permanente est à rapprocher de Seraphin Lampion.
Et puis l’impayable Phoney Bone, arnaqueur au petit pied, cupide, menteur, capable de construire un orphelinat sur une usine de déchets toxiques pour bénéficier d’exonérations d’impôts ! Via le Bone à l’étoile de Shérif, Jeff Smith installe un comique de répétition irrésistible : Phoney ( à rapprocher de Phony en anglais signifiant Faux, Hypocrite ), c’est le type qui va se faire jeter de partout et par tout le monde.Un personnage qui bénéficie de son jour férié à Boneville pour que les gamins puissent le caillasser sans louper l’école !
Un personnage pourtant incroyablement attachant et à l’importance fondamentale ; si Vador est à l’origine de la chute et de la renaissance des Jedi de Star Wars, Phoney Bone est présenté comme le messie de la vallée et va y déclencher bien malgré lui la guerre. Il lui arrive pourtant d’être vaillant, raisonnable et toujours prêt à aider ses cousins.
Les Bone sont aidés par des humains : Lucius Down ressemble avec ses traits bourrus à Haddock (il tient une taverne !). Il représente l’honnêteté un peu rustre qui va être remise en cause par les magouilles séduisante de Phoney Bone.
Mamie Ben détient un sixième sens et une force herculéenne qui rappelle l’antique Tartine. Plus la série progresse, plus le personnage devient sombre et tourmenté. Comme Obi Wan, elle est celle qui protège le héros en lui mentant pour son bien.
Enfin, l’héroïne, puisque les femmes ont le beau rôle dans la série. La douce Thorn commence comme une villageoise ingénue, terriblement sensuelle sous ses haillons. La série va la voir se métamorphoser en une courageuse guerrière au conflit oedipien.
Les méchants ne sont pas en reste : une vilaine assez terrifiante dont le corps est composé de criquets, un esprit maléfique façon Sauron, et surtout les rats garous, plus bêtes que méchants toujours en duo qui évoquent les Dupondt. La série les met en scène dans un sempiternel comique de répétition où ils poursuivent les Bone façon Tex Avery. Obsédés par la….quiche Loraine, chacune des poursuites se termine de manière catastrophique et hilarante.
L’histoire en apparence n ‘a pourtant rien de transcendante: trois cousins perdus dans la forêt cherchent à revenir au village dont ils ont été bannis. Entre temps ils seront au centre d’une prophétie annonçant l’arrivée d’un messie ( Phoney Bone donc- il s’agit en fait d’un de ses ballons électoral…) dans une vallée déchirée par une guerre entre créatures fantastiques.
L’originalité se fait dans le traitement de l’histoire : Les Dragons sont de gros paresseux qui traînent leur ennui ! Un arc est centré autour d’une course de vaches! Mais aussi un tigre géant, des villageois manipulables, des factions irréconciliables et des enjeux écologiques. Et notre héros qui sert de tampons entre tout ce petit monde. Ça ne vous rappelle rien les copains ? Miyazaki ? Princesse Mononoké ?
Bone reste l’épopée initiatique d’une bande d’amis passant de l’âge de l’innocence à celui de la souffrance. Même si l’histoire n’est pas aussi violente que la majorité des comics qui usent et abusent des effets guerriers, nos amis vont quitter le monde champêtre pour être couverts de bleus, de bosses, de sang.
La douce princesse-paysanne Thorn si rieuse va progressivement acquérir un regard est dur, motivé, décidé. Dans le dernier épisode, maquillée comme une guerrière, les pieds meurtris, ses dents brisées, la princesse en haillons joue l’avenir de sa vallée au mépris du danger. Car Bone , c’est aussi ça : la possibilité pour le lecteur lambda d’y trouver ce qu’il cherche en fonction de ses attentes : de l’action, du rire, de l’émotion et de l’exotisme.
Jusqu’au final de la série, Smith va au bout de ces ambitions. Et le lecteur qui a crée un lien unique avec ces personnages tremble pour leurs vies. Quant à la détermination de Phone Bone à sauver son amie envers et contre tout, au delà de ses limites physiques et du bon sens, son abnégation n’est pas sans rappeler celle de Tintin envers Tchang dans le légendaire Tintin au Tibet .
Après des montagnes russes de fous rires et de réelles frayeurs, l’épilogue retrouve la fraîcheur de la série et chaque personnage a sa séquence finale entre humour et émotion. Et la dernière page renvoie à la première séquence de la série ! C’est beau , c’est sobre, c’est Bone. Un série qui mettra d’accord tous les amateurs de Comics et de franco-belge qui se donneront la peine d’aller au delà des appréhensions liées au design du personnage. Sublime !
Ben dis donc, toi aussi, t’es pas mauvais pour vendre des BDs… 😉
Tu as adressé une de mes craintes concernant le look un peu simple des personnages Bone. Ton parallèle avec Tintin est surprenant. Je vais ajouter la série à mes essais à faire en médiathèque.
Et comme Cyrille m’a donné un prétexte hier pour refaire des jeux de mots, je te donne les titres alternatifs suivants :
La Bone aventure (on vous dira tout)
Bone Grand Cru
Bone pioche
Merci Bruce de m’avoir convaincu de lire cette série.
JP Nuguyen faisait observer hier que Loisel et Le Tendre avaient dépassé les archétypes pour leur récit, il en est de même pour Jeff Smith. En particulier, comme tu le mets en avant : « les femmes ont le beau rôle dans la série ».
Cette série constitue un conte plutôt pour enfant, sur fond dans le genre « Sword & Fantasy », avec de nombreux passages parlant aux adultes. Les personnages principaux se partagent en 2 groupes : d’un côté 2 femmes (ce qui dénote fortement par rapport à ce type de littérature plutôt pour adolescent mâle), de l’autre 3 individus aux traits simples. Jeff Smith a pris le temps de concevoir une intrigue se déroulant sur plusieurs générations, montrant les conséquences des actes des générations passées sur celles du présent. Il a même inclus une origine du monde sous forme de conte très bien troussé..
Les 3 Bone arborent des expressions et mimiques aussi drôles qu’épatantes. En fonction des mouvements du récit, ces protagonistes disposent de plus ou moins de personnalité, ce qui affadit certaines séquences. Jeff Smith est aussi à l’aise dans les moments comiques (l’incroyable expressivité des Bone), que dans les passages où les personnages gagnent en maturité. Par contre l’intrigue de fond avec un grand finale spectaculaire est peut-être un peu convenue.
Jeff Smith évite également une autre convention : celle du héros tout puissant. pendant les 8 premiers tomes, les personnages principaux sont baladés d’événement en événement sans avoir aucune prise sur le déroulement, sans pouvoir en changer leur orientation.
A la fin le lecteur adulte que je suis a un peu regretté que les références à Moby Dick restent à l’état de dispositif comique, sans réelle profondeur.
Encore un bon article merci. Je connaissais pas Bone, juste de vue comme ça sans plus… Bein cet article m’a donnée envire de le lire et le découvrir plus en profondeur.
Je vais mettre Bone sur la liste des BD à me procurer… ce qui va pas être dur. ;o)
@ Présence : je te trouve dur et critique avec Bone.
» Par contre l’intrigue de fond avec un grand finale spectaculaire est peut-être un peu convenue. » Le grand finale ne tombe pas dans le grand guignol, les héros souffrent, meurent mais les affrontements restent à l’échelle du récit. Il n’est pas spectaculaire, je trouve, bien au contraire, on ne peut pas dire que les dragons fassent une démonstration de force inoubliable.
« Jeff Smith a pris le temps de concevoir une intrigue se déroulant sur plusieurs générations, montrant les conséquences des actes des générations passées sur celles du présent. Il a même inclus une origine du monde sous forme de conte très bien troussé.. » Oui, là on est tout à fait d’accord. Bone raconte les liens tenus entre passé et présent, rêves et réalité. D’ailleurs la trame du seigneur des criquets n’est des plus simples et le récit de Smith reste plutôt ambitieux et résiste à plusieurs niveaux de lecture.
« En fonction des mouvements du récit, ces protagonistes disposent de plus ou moins de personnalité » : alors là, carton rouge !! Les Bone sont des archétypes auto assumés. Rien dans leur présentation de Smith ne montre des êtres enclins au changement, au contraire des humains du récit : Fone et Phoney Bone sont littéralement jumeaux aussi bien physiquement que dans le prénom. Il n’y a que la forme des sourcils qui les différencie comme la moustache des Dupondt. Je pense aussi aux Schtroumpfs de Peyo, dont l’apparence résume le caractère.
Les Bone sont nus mais n’ont pas de sexe, pas d’âge, ils représentent un archétype de héros au caractère invariable comme ….Tintin ou Asterix. Cela ne m’a pas choqué, il est bien expliqué que le changement est incarné par Thorn. Celle ci porte le nom d’épine évoquant une rose ( le prénom de sa grand mère) prête à bourgeonner.
Enfin, les références à Moby Dick sont bien exploitées au contraire ! Bone est une créature fantastique qui côtoie une créature mythologique : le Dragon. Celui-ci déclenche fantasmes ( les villageois), obsession ( Phoney) et convoitise. Tout comme une certaine Baleine Blanche qui incarne le rêve d’élévation de l’humain au delà de ses limites….
Donc, oui, je te trouve incroyablement plus exigeant pour Jeff Smith que pour les, ahem, insérer le mot de votre choix de Millar ou Bendis 🙂
@Serge et JP : toutes les personnes à qui j’ai fait découvrir Bone n ‘ont jamais été déçus. Pas même Présence !
Pour le plaisir de la discussion – Pour commencer je réitère mes remerciements à ton endroit, pour m’avoir convaincu de lire cette série, à laquelle j’attribuerais une note globale de 4,5 étoiles. Effectivement mes critères d’appréciation diffèrent d’une lecture à l’autre, ce qui en dit plus sur mes goûts et ma subjectivité, que sur la valeur intrinsèque de l’histoire.
Je me souviens que Phoney et Smiley sont susceptibles de changer. Smiley est capable d’être sérieux et de dépasser le simple rôle de faire-valoir comique. Il rappelle les valeurs morales à Phoney, ou protège Bartleby. Phoney peut passer lui aussi de faire-valoir comique, à un individu motivé par la cupidité de manière réaliste (tome 4) et flatter certains des bas instincts de l’être humain pour en tirer profit, devenant ainsi antipathique et même détestable.
Ce qui m’a un peu déçu par rapport à Moby Dick, c’est qu’il aurait pu s’agir d’un autre roman de la littérature, ça n’aurait pas eu d’incidence sur l’histoire. Jeff Smith s’en sert pour mettre en scène le plaisir de la lecture, et pour affubler Fone d’un habit de marin, mais guère plus. Il n’y a pas de transposition de la rébellion du Capitaine Achab, de la métaphore de Moby Dick comme rapport au sacré.
Après avoir vécu si heureux sous le règne de Bone, l’un de vous a-t-il lu la trilogie RASL, dont le dernier tome est paru il y a peu chez Delcourt?
Ton conseil de lecture a permis à Présence de produire une série d’articles fluviaux au long cours sur la série dont il a le secret (et celle en cours sur Vagabond est passionante…).
Pour la version VF, Delcourt a eu la curieuse idée de concevoir un découpage différent (en 3 tomes) de la VO (4 tomes). C’est la raison pour laquelle je n’ai pas dupliqué mes commentaires, mais tu peux les trouver pour la VO.
Il s’agit d’un thriller mâtiné de science-fiction agréable à lire, mais Jeff Smith a du mal à être complètement convaincant en tant qu’auteur hardboiled.
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Banco, ta référence à Nikola Tesla m’a remémoré David Bowie incarnant le personnage dans mon film préféré de Chrstopher Nolan: Le Prestige.. Adapation polémique du bouquin d’un de mes auteurs de SF favoris, Christopher Priest. Autant d’associations toutes subjectives qui m’incitent à découvrir RASL.
Merci Présence
Bon, je vais mettre des sous de côté…
J’y viendrai inéluctablement, un jour… Assez d’ici…
Phoney Bone : marrant ! Smiley m’est plus antipathique que Phoney. Smiley représente à mes yeux le type qui change de camp, sans aucune conviction morale. Il participe de manière indifférenciée aux arnaques de Phoney ou la quête de justice de Phone BOne. Mais ce que tu dis de lui reste très juste. Et pour des raisons incompréhensible, je trouve Phoney très attachant malgré lui….
Moby Dick : tu n’as pas tort : on aurait pu choisir Stevenson ou Jules Verne que le résultat n’eut pas été différent effectivement. Si ce n’est le choix de lecture de Bone qui suggère l’exotisme et l’aventure.
Je n’avais jamais songé à considérer le comportement de Smiley sous cet angle. Ta remarque me fait prendre conscience de son comportement inconséquent, et effectivement de son manque total de considération morale ou de regard critique quant aux projets auxquels il participe, en particulier l’arnaque à l’occasion de la course de vaches quand il se fait le complice de Phoney.
L’impression que j’avais conservé de Smiley est de quelqu’un d’un peu simple d’esprit qui ne se rend pas compte des conséquences, c’est la raison pour laquelle j’ai tendance à l’excuser, alors que Phoney agit en toute connaissance de cause quand il se montre démagogue vis-à-vis des clients du bar pour récupérer la moitié de Lucius, ou quand il joue sur la peur des villageois pour se proclamer chef du village. Avec ce comportement et cet état d’esprit en tête, je suis porté à croire qu’il y a un fond de vérité à l’histoire de l’orphelinat sur un décharge de déchets toxiques.
La manipulation est un thème important de Bone en fait. L’esprit maléfique manipule le seigneur des criquets qui manipule le roi des rats garous. Mamie Ben manipule Thorn, et Phoney tout le monde. A ce titre Phoney est un salaud qui peut se comporter de manière héroïque ( son attachement à ses cousins est sans équivoque) tandis que Smiley un le type sympa avec tout le monde sans aucune conviction. Personnellement, j’ai d’avantage de mal avec ce genre de personnalité.
Et ben… Je vais dire la même chose que les copains : Bien obligé de m’y mettre après un tel commentaire ! 😉
Tes références vont droit au coeur : Hergé, Carl Barks, Miyasaki. Tu ne m’as rien épargné…
Star Wars, Hergé, Carl Barks, Miyasaki. Tu ne m’as rien épargné… 😉
Je ne suis pas très fan des dessins de Bone (à part pour les décors). C’est précisément pour cette raison que je ne me suis pas encore décidé à lire cette série.
Mais tu as raison d’insister. Je ne compte plus le nombre de fois où des dessins qui m’avaient rebuté en feuilletant un album, ont fini par me plaire au fur et à mesure de la lecture.
Et voilà, je me sens encore plus coupable qu’avant de ne toujours pas avoir lu Bone… Quelle version faut-il privilégier, la couleur ou la n&b ?
La couleur. Indubitablement Marti !
@ Lone Sloane : non , je n’ai pas lu RASL, les critiques sont plutôt tiède non ? Présence ?