Focus: Le rouge et le noir : portraits croisés de Batman et Daredevil
Première publication le 14/04/15. Mise à jour le 20/03/2016
AUTEUR : JP NGUYEN
Cet article a (re)commencé sur Facebook : Bruce m’y demandait si j’étais motivé pour faire un portrait de Matt Murdock aka Daredevil. Je lui ai répondu que ce serait forcément subjectif, chacun possède « sa » vision de ses héros. Pour le coup, je lui proposais même de faire du « deux en un » en parlant aussi de Batman, auquel DD est souvent comparé. J’ai alors exhumé un vieux texte (écrit en français puis traduit en anglais pour mon blog) que j’ai retouché (voire réécrit sur certaines parties), actualisé et complété avec une nouvelle sélection d’illustrations.
Un jour (déjà fort lointain), à la terrasse d’un café parisien, un ami connaissant ma passion pour les comics m’a demandé quel était mon perso préféré. Plus exactement, il m’a demandé dans quel personnage je me reconnaissais le plus. J’ai cité trois noms : Wolverine, Batman et Daredevil (dont je m’empressais de lui montrer un TPB de Frank Miller, dont je venais de faire l’acquisition). Le mutant griffu correspond davantage à mon adolescence : on se croit increvable et on s’énerve facilement en voulant tout casser. Je consacrerai donc mon analyse aux deux icônes que sont Daredevil et Batman. Créatures de la nuit. L’ange de la terreur et le diable sans peur. La comparaison de ces deux mythes étant le prétexte pour explorer la richesse de ces personnages et de leurs univers fictionnels.
Origines
Le jeune Bruce Wayne a assisté au meurtre de ses parents lors d’une agression à la sortie du cinéma. Jurant de venger leur mort et de lutter contre le crime, il a parcouru le monde et s’est entraîné pour devenir un combattant et un détective hors pair. Héritier de la fortune familiale, il a consacré sa vie à lutter contre le crime et a adopté un symbole inquiétant pour devenir une légende urbaine et semer la terreur dans le cœur des criminels.
Le jeune Matt Murdock est devenu aveugle en sauvant un homme qui allait se faire renverser par un camion de déchets radioactifs. A la suite de l’accident, ses autres sens se trouvèrent surdéveloppés. Un maître ninja lui apprit à les maîtriser. Son père, boxeur de seconde zone, fut abattu pour avoir refusé de perdre un match. Il le vengea et s’engagea dans une double carrière d’avocat et de justicier.
En résumant ces deux histoires, il me semble que les origines de DD sont un poil plus complexes. Certes, pour Batman, on pourrait rajouter une chute dans une caverne pendant son enfance et la phobie des chauves-souris qui en a résulté. Cette phobie sera dépassée et sublimée pour faire de Batman l’homme qui incarne la terreur pour les criminels, une terreur qu’il a lui-même connue et maîtrisée. Le film Batman Begins traite très bien ce thème. Mais cela reste un « habillage » du schéma initial : traumatisme – résilience – affirmation et dépassement de soi.
Daredevil suit un itinéraire similaire mais plus chaotique, davantage marqué par la perte et l’ironie. En effet, élevé seul par son père, boxeur que son épouse a abandonné (perte de la Mère), il devra promettre de ne pas se battre à l’école contre ses petits camarades qui, eux ne se priveront pas pour l’insulter, le cogner et le ridiculiser (ils lui donnent le surnom de « Daredevil » par dérision).
Au serment de vengeance de Bruce sur la tombe de ses parents, s’oppose la promesse de non-violence faite à contrecœur par Matt à un père respecté et craint. La seule fois où Matt répliquera, il se fera corriger par son père. Courte fugue et naissance d’une vocation : il sera avocat, son père n’avait pas le droit de faire ça, les autres gamins non plus et si on ne peut utiliser les poings de quelles armes dispose-t-on ? La loi (réponse très « américaine »).
Ensuite vient l’accident. Perte de la vue. Le noir et un chaos de sensations. Et la visite de sa mère à l’hôpital. Sa mère n’était-elle pas morte ? Non, elle est entrée dans les ordres. Et à l’hôpital, une nouvelle promesse, celle de faire face courageusement à l’épreuve, d’en sortir grandi. Puis l’entraînement avec Stick. Autoritaire, exigeant, sec. Pas trop de place pour la fantaisie. Pas trop de temps pour la parlote et les confidences. Perte de l’enfance ? Et enfin, la perte du père. Assassiné pour sa dernière action d’éclat. Pour avoir refusé d’abandonner le combat. Pour avoir refusé… de perdre. A la fac : idylle avec Elektra qui le quitte après la mort de son père… Perte du premier amour.
Une relecture détaillée des origines de DD fait ressortir une succession d’injustices, de frustrations, de pertes, de promesses non-tenues… En cela, je trouve DD bien plus complexe et touchant que Batman, car en dépit de toutes ces pertes, le personnage ne sera pas aigri, cynique ou pleurnichard : il va persévérer, lutter, s’élever pour ce qu’il croit être juste. Pour réussir à faire de sa vie quelque chose de bien.
The Knight and the Ninja
Batman, c’est un peu Don Diego de la Vega transporté dans le monde moderne. En tant que Bruce Wayne, il fait partie du gotha de Gotham (sic) et en tant que héros, il est le chevalier de la nuit, dont la guerre contre le crime ressemble à la fois à une impossible quête du Graal et une lutte absurde contre des moulins.
Si Batman est le noble chevalier, Daredevil est le Ninja qui a oublié de mal tourner. Abandonné par sa mère, issu d’un milieu pauvre, élevé à la dure par un père fricotant avec la pègre, il avait accumulé des années de colère et de frustrations. Dans le numéro 164, le journaliste Ben Urich découvre son identité et lui demande pourquoi il est devenu Daredevil, il invoque la justice, aveugle, comme lui.
Symboles : The Devil and the Bat
Avocat et justicier. Justicier aveugle. Souvent aveuglé par l’amour. Ange gardien en costume de diable. Démon catholique. Enfant de Hell’s Kitchen. Je trouve la symbolique de DD plus riche et savoureuse que celle de Batman. Riche en résonances et paradoxes. La justice, l’amour, les anges et les démons me parlent plus qu’une chauve-souris. Et bien que les deux évoluent dans des univers noirs, DD est davantage porteur d’espoir. Batman c’est l’aile noire de la nuit, une sorte de croquemitaine. DD, c’est la tâche rouge, la flamme qui brille dans la nuit. L’aveugle qui est là pour nous guider.
Pouvoirs : humain ou surhumain?
Souvent, les fans disent que Batman est cool parce qu’il n’a pas de pouvoirs et qu’on pourrait davantage s’identifier à lui pour cette raison. En théorie, cela est juste mais ça ne se vérifie pas vraiment au niveau des histoires. La plupart des auteurs décrivent un Batman qui excelle dans un tas de domaines : criminologie, art martiaux, chimie, pharmacologie, tactique militaire… Y’a peut-être que pour le plumard qu’on pourrait émettre un doute. Le Dark Knight s’engage toujours dans un combat avec quinze plans de secours, il a une solution contre tout, il se méfie même de ses alliés sur lesquels il a des dossiers… Une des caricatures de Batman, c’est le Midnighter dans Authority : le gars qui ne peut pas perdre un duel car il a déjà joué et maîtrisé un million de scénarios du combat avant la première seconde. Personne ne pourrait être Batman. C’est l’archétype de la perfection physique et intellectuelle, une sorte d’inquiétant surhomme Nietzschéen.
Daredevil a des pouvoirs (hypersens, sens radars), des compétences et certains talents : gymnaste, acrobate, combattant en art martiaux, disciplines ninja… Mais il reste humain et conserve des faiblesses physiques et morales qui le rendent plus attachant. Plus vulnérable que le Dark Knight, l’homme sans peur doute parfois, il en bave souvent mais il n’abandonne jamais. C’est là son vrai super-pouvoir. Un pouvoir que l’on peut tous avoir ou, du moins, qui peut tous nous inspirer.
Alter ego
Batman se déguise en Bruce Wayne. Sa vraie vie, son but ultime, c’est la guerre au crime. Bruce Wayne, c’est un paravent, un outil. Matt Murdock est avocat et se déguise parfois en Daredevil, le justicier. Sa vie se mène sous deux identités. Il a besoin de travailler en société, d’agir par la loi pour se sentir utile et valider son chemin de vie. Tout comme il a besoin de courir les toits, d’arpenter les allées sombres pour transformer sa colère et ses frustrations enfantines en énergie positive. Il croit en deux choses qui s’opposent et qu’il essaye de concilier. Il est en équilibre précaire, d’où les fréquentes chutes et descentes aux enfers qui émaillent la série.
Les femmes
Les relations de Batman avec les femmes sont souvent du simple affichage. Bruce Wayne est un playboy. Batman un solitaire. Catwoman ? Une voleuse à coffrer ou à faire rentrer dans le droit chemin. Talia ? La fille d’un ennemi, à neutraliser ou à convertir en alliée. Wonder-Woman ? Inaccessible, à draguer pour faire enrager Clark. Zatanna ? Silver St Cloud ? Les autres ? Trop souvent interchangeables et cantonnées au rôle de demoiselle en détresse…
Les scénaristes de DD ont joué avec le cœur de Matt Murdock avec, à mon sens, plus de réussite. Elektra : le premier amour, la ninja qui a mal tourné, l’âme sœur et le reflet négatif, Karen Page : l’égérie, un temps insaisissable, idolâtrée puis déchue dans la drogue et dans le X. Traîtresse. Paumée. Pas fiable. Mais Matt l’a toujours aimée (une « faiblesse » de plus qui humanise le héros). La Veuve noire : « l’ex », la compagne de jeu, la bonne copine (Bendis lui fera dire : « Je suis heureuse quand tu es heureux… »). Heather Glenn : mondaine, fofolle, animait la vie sociale de Matt mais ne pouvant s’inscrire dans son autre vie. Glorianna O’Brien : photographe, irlandaise, entre elle Matt, ça n’a jamais vraiment cadré et des auteurs indélicats l’auront brutalement poussée hors-champ. Milla Donovan : un mariage vite décidé, puis annulé pour une femme folle de Matt et devenue folle tout court. Dakota North : la liaison coupable, pour un homme sans peur mais définitivement pas sans reproches. Kirsten McDuffie : certains la voient comme la DD-Girlfriend idéale (ouais !!!! Kirsten forever ! ndr) . Je suis beaucoup plus réservé mais il faut admettre qu’elle ne ressemble à aucune autre conquête du rouquin.
Les adversaires :
C’est là un point fort du Dark Knight. Sa « Rogue gallery » est beaucoup plus riche et enthousiasmante que celle de DD. Chacun de ses ennemis est porteur d’une symbolique particulière qui le rend original et attachant (des méchants qu’on aime haïr ou que l’on plaint) : de l’inévitable Joker, le clown tueur, à Rha’s Al Ghul, le mégalomane en passant par Double-Face l’ancien procureur obsédé par la dualité. Le Riddler, Poison Ivy, Harley Quinn, Scarecrow, Mister Freeze, Man-Bat, Killer Croc, Bane, Black Mask, le Pingouin, le Chapelier Fou : autant de visages différents de la folie et de la monstruosité.
En face, la galerie de vilains de tête-à-cornes semble plus terne, avec pas mal de vilains mineurs comme le Pitre, le Hibou, Mister Hyde et Cobra, le Gladiateur, totalement éclipsés par les adversaires iconiques que sont le Kingpin et Bullseye. En schématisant, DD doit piocher dans un vivier moins fourni de sparring-partners mais du coup, les confrontations sont souvent plus intimes, et donnent lieu à des affrontements à la fois physiques et moraux, à l’instar de l’arc écrit par Ann Nocenti opposant DD à Typhoid Mary ou du run de Ed Brubaker le mettant face à Mister Fear. On peut aussi citer la relation particulière qu’entretient Daredevil avec le Punisher.
Les personnages secondaires :
Il y a Alfred et toute la Bat-family d’un côté et de l’autre : Foggy, Ben Urich et les femmes de Murdock. Autant je trouve Alfred indispensable (c’est le « Bernardo » de service) autant la Bat-family me laisse partagé : ils sont cools mais Batman est un solitaire. Il cherche tellement la perfection, comment pourrait-il s’entourer d’autres humains, si faillibles, si faibles ? D’autre part, Bruce Wayne les considère-t-il vraiment comme une famille et pas comme des pions ou des soldats ? Lorsque le Dark Knight rattrape Carrie Kelley en plein ciel dans le troisième chapitre de DKR, Frank Miller ne lui fait-il pas dire « Good Soldier » ?
Mais j’allais oublier le commissaire Gordon, l’allié précieux de Batman au sein de la police de Gotham, qui est sans doute le personnage secondaire le mieux exploité du Bat-verse, comme dans DKR (encore) et, surtout, dans Year One.
De son côté, Matt Murdock peut compter sur un partenaire quasi-inoxydable : Foggy Nelson. Foggy, c’est le camarade de promo, le bon pote de la fac, le faire-valoir aussi. Mais les auteurs l’ont progressivement changé en associé à part entière et en confident. Autre allié de DD : Ben Urich, le journaliste curieux qui découvre l’identité secrète mais qui ne la dévoile pas. Urich est à l’origine de moments (« This one is for you » dans DD 164) voire d’épisodes poignants (DD 182 « Promises » par Alan Brennert et Klaus Janson).
Le « supporting-cast » de Batman est donc plutôt orienté super-héros tandis que celui de DD lorgnerait vers le soap-opera ou le sitcom (du coup, le fait que Marvel l’adapte en série TV en 2015 plutôt qu’en film est assez bien vu de leur part).
Alors, à la roulette des super-héros urbains, sur quelle couleur miseriez-vous ? Le rouge ou le noir ?
Pour ma part, j’ai longtemps oscillé entre les deux personnages, mais depuis plusieurs années, je me sens plus proche de Daredevil/Matt Murdock. Même si je me prends parfois à rêver d’une toute puissance Batmanienne (je sais, c’est infantile), le diable rouge m’inspire davantage.
On peut réussir sa vie même avec des handicaps. Retrouver l’amour, même après en avoir bavé. Traverser la nuit la plus noire si on essaye de percevoir au-delà. Tous les signes, les bruits de la vie, les parfums dans l’air, les palpitations du monde. Il faut être un peu comme Daredevil, trouver un certain équilibre, œuvrer pour ce qui nous semble juste, ce qui nous tient à cœur et… « Ne pas abandonner. Jamais. »
Ben moi, le Wolverine de Claremont puis de Hama, je l’aimais bien… Après… je crois qu’il y a encore celui de Rucka qui me plaisait. Je n’ai quasiment pas lu celui de Aaron, mais en fait, à partir de son intégration aux New Avengers de Bendis (sans quitter les X-Men) j’avais atteint la sur-saturation…
Le Wolverine de Greg Rucka était intéressant. Par moments très violent mais gardant une certaine déontologie et s’interrogeant sur ses choix et son humanité. J’aimerais écrire un article dessus mais faudrait que je reconstitue la collec, car j’ai des trous (lecture digitale à l’époque et crash-disque depuis…)
Je n’ai pas lu le Wolverine de Hama, mais celui de Claremont & Buscema oui. Et j’avais trouvé ça très mauvais…
OUi, les histoires d’espionnages et l’ambiance Bogart à Mardipoor, les histoires Patch me gonflaient aussi. Surtout lorsque publiées en VI X-Men. J’avais bien aimé le duel perdu vs Sabretooth et la mort de Silver-Fox. Tiens, d’ailleurs elle est toujours morte elle ?