Batman/Manbat : Les Troglodytes, par Jamie Delano & John Bolton
AUTEUR : TORNADO
Éditeur VO : DC
Éditeur VF : Editions USA
1ère publication le 20/05/15- MAJ le 27/08/19
Batman : Manbat est un graphic novel publié en 1995 et réalisé par le scénariste Jamie Delano et l’illustrateur John Bolton. Il s’agit plus ou moins d’un remake, ou d’une relecture d’une saga classique datant de 1970 : Batman contre Man-Bat (réalisée à l’époque par Frank Robbins et le grand Neal Adams).
Peut-être afin de rendre hommage à la version classique de 1970 qui était en trois parties (épisodes « Detective Comics » #400, 402 et 407), l’ensemble a été publié en VF sous la forme de trois albums chez l’éditeur Glénat dans la collection Comics USA en 1996.
Le pitch : Au beau milieu de l’Arizona, deux jeunes activistes déambulent dans un laboratoire où sont réalisées des expériences terribles sur les animaux. Tout se passe très mal et seule l’une d’eux (qui se prénomme Marylin Munro !) parvient à s’échapper en dérobant un échantillon de produit inconnu. La jeune femme se perd dans les canyons et échoue dans une caverne infestée de chauve-souris.
Elle a en réalité trouvé refuge dans l’antre de « Man-bat », un ancien ennemi de Batman mi-homme, mi chiroptère. Les talents de chimiste de ce dernier le mettent immédiatement en alerte en ce qui concerne la fiole dérobée par la demoiselle. Parallèlement, les autorités mettent Batman sur l’affaire…
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Delano & Bolton ont effectué une relecture très éloignée, dans le traitement, de la saga originelle du début des années 70 ! Alors que l’intrigue classique était avant tout destinée aux enfants ou aux jeunes adolescents, ils en font désormais un récit adulte d’une crudité décomplexée qui explore sans soucis l’horreur, le sexe et les tourments de l’âme.
Alors que les épisodes de la série DC Comics étaient courts et ne s’embarrassaient pas d’un quelconque réalisme, le traitement de cette relecture donne dans la décompression et dans le naturalisme souvent domestique. Les auteurs des années 90 versent ainsi dans une dimension horrifique teintée d’anthropomorphisme glauque et de pulsions viscérales, ce qui pourra surprendre les lecteurs old-shool venus chercher ici les mêmes sensations que sur les épisodes signés Neal Adams !
Le lecteur de l’univers Vertigo (la ligne de comics pour adultes publiée par DC Comics en marge des séries dédiées aux super-héros) connait bien le scénariste Jamie Delano puisque ce dernier a été l’initiateur de la série John Constantine, Hellblazer. Delano est un des meilleurs amis d’Alan Moore (qui avait quant à lui inventé le personnage de John Constantine dans la série Saga of the Swamp Thing !), et il n’est pas du genre à écrire des bonnes vieilles histoires de super-héros dans le sens classique du terme.
Sous son règne, la série « Hellblazer » était devenue une expérience quasi mystique de narration poisseuse et onirique, teintée de réminiscences politiques et sociales. On pouvait donc s’attendre à ce que le personnage de Batman soit un peu transfiguré par son traitement…C’est une évidence : « Batman / Manbat : Les Troglodytes » n’est pas bon pour tous les publics. Delano déménage le cadre du héros pour explorer un décor désertique complètement inhabituel. Il donne dans le glauque en amenant l’intrigue dans les méandres d’une famille en apparence dégénérée (celle de « Manbat »), dont les divers stades de mutation rendent encore plus dérangeantes les pulsions purement humaines comme le désir sexuel ou celle de se nourrir.
Fidèle à son habitude, le scénariste développe une toile de fond plus ou moins politique en interrogeant les personnages sur les dérives de la science et sur le droit à la différence, le tout saupoudré d’une atmosphère New Age directement issue des années 70 et d’un certain mouvement « Flower Power »…
On s’en doutait un peu, mais Delano ne prend pas beaucoup son héros au sérieux et trouve un équilibre inattendu entre le réalisme naturaliste de son récit et un second degré moqueur à l’attention du personnage de Batman. Ce dernier est ainsi représenté de manière hypertrophiée et monolithique, qui tranche avec la tonalité de l’intrigue et le rend parfois ridicule, comme une star de catch kitsch et vulgaire (avec les grandes oreilles comme les dessinait Kelley Jones à la même époque).
A plusieurs reprises, une note d’humour est directement adressée au lecteur aux dépends du pauvre héros, notamment lorsqu’il est obligé, en plein désert à dos de mule (!), de porter un chapeau de cowboy par dessus sa cagoule de chauve-souris pour se protéger du soleil. Ou bien cet autre passage où l’on devine qu’il n’arrive pas à résister à l’envie de reluquer les attributs de la jeune Marylin Munro, ou encore ce final où il passe pour un réac avec son discours bien rigide.
On prend ainsi la mesure des choix opérés par Delano, notamment celui de donner le premier rôle du récit non pas à Batman, ni même à Manbat, mais à la jeune Marylin, dont la personnalité et les idées hippies renvoient le discours républicain du héros à sa condition de beauf bien rangé à droite ! Pour autant, le scénariste ne transforme tout de même pas notre Batman en facho insupportable et sait le montrer sous des atours délicats, notamment lorsqu’il s’excuse auprès de shérif du comté en acceptant sa contravention pour excès de vitesse, arguant qu’il n’y a aucune raison qu’il n’échappe à la loi malgré son costume de chauve-souris et sa « batmobile » !
De toute manière, la richesse du script rédigé par le scénariste est suffisamment travaillée pour qu’aucun des personnages, qu’il soit héros, humain ou humanoïde, ne tombe dans le manichéisme primaire, et le final fait preuve d’une belle envolée lyrique.
Le travail de John Bolton porte l’ensemble à un très haut niveau de force évocatrice grâce à de magnifiques planches réalisées en peinture directe, sur la base de photographies retouchées et de décors baignés de couleurs évoluant sans cesse entre la figuration et l’abstraction. Une technique aussi bien photo-réaliste que symbolique, qui emporte le lecteur dans une claustrophobie parfaitement raccord avec le sujet de cette descente dans l’enfer des « troglodytes » dont « Manbat » s’est fait le chef de file.
Avec une virtuosité de tous les instants, l’artiste parvient à développer un univers visuel d’une étonnante beauté malsaine, où les corps en décomposition et les êtres hybrides les plus cauchemardesques sont immergés dans de superbes illustrations que n’aurait pas renié le grand Frank Frazetta…
Selon les attentes du lecteur et ce qu’il est venu y trouver, cette aventure inhabituelle de Batman pourra tour à tour se révéler dérangeante, étonnante, profonde, décalée, glauque, malsaine, belle ou encore incongrue. Pour ma part, je l’ai beaucoup aimée, sans toutefois trouver qu’elle soit de l’ordre du chef d’œuvre.
J’ai cette série en VF et elle dort à moitié sur mes étagères. Je m’explique : j’ai acheté les bouquins à une époque où je collectais avidement toutes les BD sur la Chauve Souris que je pouvais trouver. Delano, connaissais pas. Mais une « bd peinte », ça devait valoir le coup (faut m’excuser pour ces critères très approximatifs, j’étais jeune, tout ça…)
Cependant, une fois les trois tomes valeureusement ramenés de chez le bouquiniste, je démarre la lecture et là… ça coince ! Je n’arrive pas à rentrer dans l’histoire ! Je trouve le graphisme techniquement maîtrisé mais ça me laisse froid. Je feuillète, survole l’ensemble du récit et repose les trois volumes sur mes étagères… Depuis, j’ai ré-essayé à deux-trois reprises de lire ces bouquins, sans jamais vraiment y parvenir. Si je n’étais pas si flemmard, je les revendrais, mais bon… Un pote à moi m’avait dit : « une collection, ça comporte des erreurs ! » (notez que je ne dis pas que c’est pourri, c’est juste que perso, je n’ai pas accroché).
Encore un excellent choix d’histoire exceptionnelle de Batman. Tornado fait un incroyable travail de mise en évidence de tous les points qui en font une histoire extraordinaire, en tout cas qui défie l’ordinaire des récits de Batman.
En fan enamouré de Jamie Delano et également de John Bolton, j’avais acheté cette histoire à sa sortie (et je l’ai encore). Mon très vague souvenir correspond exactement à ce qu’en dit Tornado. Superbe choix d’images, avec Batman et son chapeau de paille pour survivre au soleil.
En revoyant ces images, je me rends compte à quel point les peintures de John Bolton s’approchent de l’interprétation qu’en avait faite Simon Bisley dans le premier « Batman / Judge Dredd ».
Encore une fois je ne connais pas cette histoire, mais là je suis bluffé par les scans : ils sont magnifiques. Ca rappelle effectivement Frazetta et Simon Bisley, voire même un peu de Richard Corben. Et puis cela a l’air plutôt drôle et décalé… Du coup je me demande si je n’aimerai pas te les racheter, JP !
JP, sache que j’ai beaucoup aimé cette histoire. Encore merci de me les avoir revendus ! L’article de Tornado est fantastique, car comme le dit Présence « Tornado fait un incroyable travail de mise en évidence de tous les points qui en font une histoire extraordinaire, en tout cas qui défie l’ordinaire des récits de Batman. » Oui, tout y est. Et la description est parfaite car rien n’est oublié. Je ne suis donc pas déçu du tout, le discours ici présent allant un peu dans mes convictions. C’est drôle, et voir Batman (on ne sait pas trop ce qu’il fait là en fait) perdu dans un environnement qu’il ne maîtrise pas est délicieux.
Je retiendrai cependant que la narration reste un peu rigide et très datée, les dessins ressemblant à des tableaux, il faut parfois les doubler pour ajouter un insert qui a pour fonction de donner un sens de lecture. J’ai eu un peu de mal à rentrer dedans au début. Enfin, j’ai énormément apprécié le fait qu’il n’y ait pas de vrai méchant, Man-bat s’apparentant un peu à une victime, et Batman à un horrible flic buté. C’est du beau boulot, vraiment, original, et plutôt riche en thèmes.
J’ai du mal avec la peinture exagérée comme là et j’ai des difficultés à saisir l’aspect « glauque » du scénar… c’est une sorte de « La Colline a des yeux » version Batman?
si c’est le cas, ça pourrait me tenter…
Pas du tout, Eddy. Si tu lis mon commentaire au-dessus, tu verras que c’est plutôt de l’humour à la Lobo ou Slaine… enfin c’est comme ça que je l’ai perçue.
@Cyrille : Et tu ajoutes dans ton commentaire que l’ensemble sonne un peu daté. Je pense que tu as raison. Malgré ses qualités ce GN sonne comme pas mal de comics 90’s qui essayaient de se donner des airs arty comme le Arkham Asylum de Grant Morrison. Il y en a eu tout un tas comme ça à l’epoque et à présent ça sonne un peu daté.
Je te crois sur parole mais le parallèle avec le Arkham Asylum (qui lui, ne vieillit pas) est bien vu.
J’ai un volume de Lobo….
ça passe… ouais je rigole bien comme sur Marshall law…
mais j’en ferais pas collection au point d’avoir la « moyenne gamme » de ce genre là en fait… (je ne sais pas si je me fais comprendre, c’est un peu nébuleux à expliquer…)
Après vous savez que les auteurs ont souvent une sorte de nostalgie assez « tenace » pour la série tv des années 60 et que la blague sur le PV de Batman y est sans doute une allusion…
je crois que la série tv faisait pas mal de « messages civiques » rappelant que même masqué, on devait respecter le code de la route, lasser passer les personnes âgées etc…
de toute façon comme je navigue dans les styles narratifs sans trop de soucis, il faut que j’y jette un œil avant de chier dans la colle avec tel ou tel détail….
les troglodytes…ça m’intéresse! 🙂
Tornado, t’es en vacances non?
je te les souhaite vachement bonnes!
Avant dernier jour sur l’île de Beauté. Reprise dans 3 jours… 🙁
Merci quand même ! 😀
Ah normalement on retourne en Corse l’an prochain… vous y serez ?
Je ne pense pas. Mais je ne sais pas encore où je serai dans un an 🙂